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Faut-il acheter sa maison aux USA ?

par Robert J. Shiller*

NEW HAVEN - Il y a quelques jours, j'ai reçu un e-mail d'un homme qui me reprochait mon scepticisme quant à l'investissement immobilier aujourd'hui. Il s'est identifié comme un ancien pilote de l'US Air Force pendant la guerre du Vietnam, qui est ensuite devenu agent de change et banquier avant de prendre sa retraite récemment. « Vous, en tant que personne instruite », écrivait-il, « devriez aider et promouvoir la propriété de biens immobiliers. »

Il répondait à mon avertissement concernant une bulle des prix des maisons dans de nombreux endroits du monde. Selon les derniers indices des prix des maisons S&P CoreLogic Case-Shiller, les prix des maisons aux États-Unis ont augmenté à un taux record de 19,7 % l'an dernier et semblent maintenant très instables. Ils pourraient encore augmenter pendant un certain temps, mais cela pourrait être suivi de baisses importantes.

Pourtant, mon correspondant avait au moins en partie raison sur mon discours public à propos de l'accession à la propriété. En particulier, nous devons reconnaître son effet global sur nos vies, malgré la récente volatilité extrême des prix.

Mais investir dans l'immobilier dans des zones géographiques en plein essor n'est peut-être pas un pari à long terme aussi sûr que beaucoup semblent le penser. Les acheteurs potentiels de logements aux États-Unis pourraient logiquement supposer que leur durée d'occupation d'un logement dépassera toujours n'importe quel épisode d'interruption d'une tendance à la hausse des prix des logements, leur permettant à terme de bénéficier de nouveaux sommets. Après tout, les prix réels des maisons aux États-Unis ont chuté de 36 % à l'échelle nationale entre décembre 2005 et février 2012, en raison de la Grande Récession, mais ont ensuite augmenté de 71 % pour atteindre un niveau de 10 % supérieur à leur sommet de 2005.

Cependant, cela fait des années que j'explique que la performance du marché immobilier américain depuis 2005 n'est pas le seul exemple pertinent des tendances à long terme des prix des maisons. Mes données historiques montrent que les prix réels des maisons aux États-Unis ont été parfois plus bas dans les années 1990 que dans les années 1890. Au cours de ce siècle, les villes se sont étendues sur des terres moins chères, et les outils de construction, la technologie et les transports sont devenus plus efficaces.

De plus, la terre elle-même reste encore bon marché : actuellement, le coût moyen de 0,4 hectare de terres agricoles américaines ? sur lesquelles on peut facilement faire rentrer quatre ou cinq maisons ? n'est que de 3 380 $. Certes, les terres agricoles sont peut-être loin des villes, mais l'histoire montre que les villes commencent à pousser dans de nouveaux endroits à mesure que la population augmente.

Néanmoins, le pilote de l'Air Force devenu banquier n'était pas d'accord avec ma vision de l'immobilier. « Dans ce pays, comme dans tous les pays développés, l'immobilier est à la base de la richesse mesurée par la valeur monétaire », écrivait-il. « C'est ainsi depuis au moins mille ans, et rien n'indique que nous sommes en train de créer de nouveaux biens immobiliers. »

Imaginons donc que, au cours des 1 000 dernières années, les prix des maisons aient dépassé le rendement annuel moyen de 7 % du marché boursier américain (après réinvestissement des dividendes) au vingtième siècle. Au cours de cette période, ces prix immobiliers, en tenant compte des intérêts composés, auraient augmenté d'un facteur de 24 suivi de 28 zéros.

Bien sûr, presque aucune maison d'il y a un millénaire ne subsistent aujourd'hui, et pratiquement personne ne voudrait vivre dans celles qui ont survécu. De plus, la terre sur laquelle elles étaient construites n'a souvent plus de valeur. À l'époque biblique, par exemple, Éphèse, dans l'ouest de la Turquie, était une ville côtière avec de magnifiques bâtiments. Mais son port autrefois précieux s'est depuis envasé, de sorte que les ruines de la ville se trouvent maintenant à des kilomètres de la mer.

En grande partie, il est vrai que nous ne créons pas plus de biens immobiliers, si l'on ne considère le foncier qu'au sens strict du terme. La création de terres, comme dans le cas des archipels artificiels de Dubaï, n'est pas une solution qui peut être reproduite à grande échelle. Mais nous ajoutons de nouveaux espaces essentiellement en développant des tours d'appartements de grande hauteur, en créant des terrains virtuels sous la forme de services de conférence en ligne et de stockage électronique, et en améliorant les transports afin que les gens puissent vivre dans des zones reculées avec des terrains bon marché.

L'expéditeur racontait ensuite ses propres expériences sur le marché immobilier américain : « Nous avons acheté notre première maison en 1971 pour 19 000 $, alors qu'elle vaut maintenant plus de 300 000 $. Nous avons acheté notre deuxième maison pour 34 000 $ et elle vaut maintenant plus de 400 000 $, la troisième pour 130 000 $ et elle vaut maintenant plus de 450 000 $, la quatrième pour 190 000 $ et elle vaut maintenant 435 000 $, la cinquième pour 305 000 $ et nous l'avons vendue pour 800 000 $ trois ans plus tard. Notre maison actuelle, achetée 300 000 $ (le départ à la retraite nous poussant à réduire légèrement notre train de vie), vaut aujourd'hui 450 000 $. »

Selon ses chiffres, la valeur de la première maison a été multipliée par 15,8 (300 000/19 000). Or, au cours de cette période de 50 ans, l'indice des prix à la consommation américain a été multiplié par 6,7, ce qui signifie que la valeur réelle de la maison n'a guère fait plus que doubler. Et le rendement annuel composé des prix réels au cours de ces cinq décennies n'est que de 1,7 %.

Enfin, notait-il, « même les lois fiscales favorisent la propriété de biens immobiliers ». C'est vrai. Il y a souvent une subvention fiscale à l'accession à la propriété; dans la plupart des pays, le loyer imputé des logements occupés par leur propriétaire n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu. Mais cette subvention fiscale ne semble pas augmenter et ne justifie donc pas la poursuite de la hausse des prix des logements.

Je prends néanmoins au sérieux l'impératif moral exprimé par l'auteur du message. Même aux niveaux actuellement élevés des prix des maisons aux États-Unis, l'achat a toujours du sens pour ceux qui sont décidés à devenir propriétaires et qui veulent passer à autre chose dans leur vie. L'accession à la propriété peut activer une prédilection pour la communauté, des amitiés à long terme avec les voisins et un sentiment de sécurité et de permanence.

De plus, l'achat d'une maison avec une hypothèque sert de mécanisme d'autocontrôle qui aide les gens à épargner davantage. La discipline imposée aux jeunes propriétaires par l'amortissement régulier des versements hypothécaires est un déterminant fondamental de l'épargne-retraite. Et les acheteurs peuvent couvrir une partie de leurs risques sur le marché à terme de l'indice des prix des maisons.

Ne vous y trompez pas : l'accession à la propriété a clairement ses avantages. Mais les gens qui veulent vraiment acheter maintenant doivent être sûrs qu'ils peuvent accepter ce qui pourrait être une évolution à long terme plutôt irrégulière et décevante du marché résidentiel.



Traduit de l'anglais par Timothée Demont

*Lauréat du prix Nobel d'économie 2013 et professeur d'économie à l'Université de Yale - Est l'auteur de Narrative Economics: How Stories Go Viral and Drive Major Economic Events (Princeton University Press, 2019).