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Après sa descente aux enfers: Comment sauver le complexe sidérurgique d'El Hadjar ?

par Kouloughli Noureddine*

L'industrie lourde est susceptible de dynamiser l'ensemble de l'économie créatrice de l'emploi direct et indirect, levier de relèvement de la vie, elle constitue un facteur clé de développement économique et social. En 1964 est créée par décret la Société nationale de sidérurgie (SNS). Deux grands bâtisseurs ont été désignés pour la construction du complexe sidérurgique d'El Hadjar, feu Belaïd Abdesslam et son compagnon Mohammed Liassine.

La même année, le gouvernement a conclu avec l'URSS un accord d'assistance économique et technique pour la fourniture d'un haut-fourneau, d'une aciérie et de laminoir destinés à être intégrés à l'usine de Annaba. Grâce à ces deux hommes et leurs proches collaborateurs, la réalisation de ce joyau qui est le complexe sidérurgique d'El Hadjar a fini par être achevée en 1982. Le 19 juin 1969 anniversaire de la prise de pouvoir par feu Houari Boumediène, le premier haut-fourneau a été inauguré en grande pompe par ce dernier, qui était en compagnie de feu Bourguiba président tunisien. En 1972, Boumediène et Castro accompagnés de leurs délégations respectives assistent à l'inauguration de la première aciérie à oxygène et du laminoir. Après cette date, il y a eu l'installation de la cokerie (qui produit le coke, principale combustible pour les deux haut-fourneaux) pour l'obtention de la fonte à partir du minerai d'une deuxième aciérie et un second haut-fourneau, ainsi qu'un four à arc et différents laminoirs, le tout ont complété ce projet qui s'étale sur une superficie de 832 hectares. En 1982, année où les résultats sont relativement bons, le complexe a produit le fatidique million de tonnes d'acier, malheureusement le complexe tournait bon en mal autour de 800.000 tonnes d'acier jusqu'à 1996. Retournement de situation, après les bâtisseurs vinrent les démolisseurs.

Avant d'aborder ce sujet, je tiens à saluer les sidérurgistes d'El Hadjar en général et ceux des années 1980 en particulier. En effet durant toute cette période, j'étais désigné par le ministère de l'Industrie lourde avec l'accord de l'entreprise et de l'unité où je travaillais, qui faisait partie du groupe Sonacome, la fonderie d'Oran situé à Gambetta, elle possède une fonderie fonte, une fonderie d'acier et de non ferreux, l'atelier mécanique et l'atelier chaudronnerie. Ma principale mission était d'intégrer le maximum de pièces d'usures (consommables) qui rentraient dans le cadre de nos capacités de production pour le compte du complexe d'El Hadjar. J'ai constitué une équipe à Oran, un groupe de travail à charge de la mission dont j'avais la charge. Notre satisfaction était à son paroxysme chaque fois que le service contrôle d'El Hadjar donnait son feu vert pour l'intégration d'une pièce fabriquée à Oran. Plus la pièce était compliquée, plus notre bonheur se transformait en une grande ardeur et exaltation dans notre réussite. Durant les années 1980, il y a eu structuration au niveau de notre entreprise. De la Sonacome, notre usine est passée sous la tutelle de l'Entreprise nationale de fonderie (ENF).

En mai 1988, avec un confrère de la SNVI, on a été désignés en tant que consultant dans l'unique fonderie à Malte (Société algéro-libyo-maltaise) qui assurait en brut de fonderie en pièces le complexe pelle et grues de Constantine (Ain Smara) pour l'agriculture des pièces agricoles, corps de pompes hydrauliques ainsi que des commandes destinés à l'Italie et l'URSS. En 1990, le cordon ombilical entre El Hadjar et la fonderie d'Oran était coupé suite à l'arrivée d'un nouveau directeur. Avec ses complices il a exploité l'usine pour ses affaires personnelles. Suite à cela, toute la crème de la production qui faisait tourner l'usine d'Oran a démissionné collectivement. L'usine mise à genoux vit sous perfusion en attendant sa fermeture proche. Pour revenir au complexe d'El Hadjar, qui est responsable de sa banqueroute? En février 1996 monsieur Ouyahia durant sa campagne de «Moralisation de la vie publique» avait jeté en prison plus 6.500 cadres gestionnaires dont la plupart étaient relâchés ou acquittés.

Parmi ces gestionnaires, il y avait feu Messaoud Chettih, PDG du complexe sidérurgique d'El Hadjar, homme intègre et compétent et certains de ses cadres, parmi ces derniers, il y avait madame Laouar qui était atteinte d'un cancer, décédée en détention. Les cadres de Sider ont été arrêtés parce qu'ils se sont opposés à la mafia importatrice de rond à béton que le complexe était à même de fabriquer à la satisfaction des besoins nationaux.

Toute cette mise en scène était la préparation de la privatisation en 2001 du complexe, les mines de l'Ouenza et de Bouhadjar au profit d'ArcelorMittal. Les points forts ayant perturbé le complexe: n'ayant pas digéré la privatisation, les sidérurgistes ont levé le pied au point ou la production a chuté de 800.000 tonnes à 300.000 tonnes, c'était une fermeture programmée. En effet, ArcelorMittal a commencé par démanteler la cokerie (qui alimente les deux haut-fourneaux de combustible) pour importer son propre coke de ses complexes d'outre-mer.

En 2011, Sonatrach a mis directement en chômage 320 travailleurs de l'atelier tuberie d'El Hadjar, pour avoir commandé ce produit de qualité douteuse auprès d'un trader libanais qui n'est pas producteur de tubes. Soit une perte sèche de plusieurs millions de dollars pour le pays. Après l'acquisition du complexe par l'Indien, les grèves cycliques ont secoué El Hadjar jusqu'à la grève illimitée à tel point que le haut-fourneau n°1 n'a plus fonctionné depuis 2009. Le 13 septembre 2020, le Premier ministre Abdelaziz Djerad a donné le coup d'envoi pour la démolition de cette structure. Cette grève était due au fait que le repreneur n'avait pas respecté les trois conditions essentielles du contrat : a) la formation, b) la maintenance, c) l'investissement. En 2015 l'Etat rachète la part d'ArcelorMittal bien que celui-ci n'a pas dépensé une roupie pour le complexe.

Les sidérurgistes contents du départ de cet intrus ont augmenté la cadence de production pour atteindre les 700.000 tonnes par an. En 2018 l'arrêt à nouveau du haut-fourneau n°2 pour motif que le complexe est géré par des gens de l'extérieur. Un député est pointé du doigt pour avoir mis main basse sur la production du fer à béton. Une mafia s'est constituée pour l'importation de ce produit car le marché était sous pression pour cette matière. Comme un malheur n'arrive jamais seul, en 2019 le complexe d'El Hadjar a enregistré 3 arrêts de haut-fourneau dus aux perturbations en approvisionnement du fer brut venant de la mine de l'Ouenza. En fin d'année 2019 nouvel arrêt du haut-fourneau dû à l'importation du coke de mauvaise qualité. Après tous ces tracas et ces arrêts subis par les sidérurgistes, ces derniers dans un grand désarroi interpellent l'institut militaire pour récupérer le complexe. La cerise sur le gâteau, c'est que le 3 février 2020, monsieur Bouchouareb, ministre de l'Industrie a instruit le PDG du complexe de céder les déchets ferreux la totalité des installations du complexe quel que soit leur état de fonctionnement.

En conclusion de ce chapitre, je mets en garde les sidérurgistes d'El Hadjar d'être prudents quant à l'exploitation du haut-fourneau n°2, et de le sauvegarder contre tout mauvais traitement, car comme vous le savez, un complexe de la taille d'El Hadjar doit tourner obligatoirement avec deux haut-fourneaux, quand l'un est en marche, le second est en réparation ou entre les mains de la maintenance, il vient en renfort ou en attente de prendre la relève dans le cas où le premier tombe en panne ou il est mis à l'arrêt pour réparation. Comme le complexe tourne seulement avec le haut-fourneau numéro n°2, il est impératif de respecter rigoureusement les consignes de mise en marche. Si ce dernier vous lâche, le complexe sera complètement mis à l'arrêt, et c'est la paralysie totale du complexe suivie par sa fermeture. El Hadjar fait partie du groupe Imétal, ses principales activités sont la fabrication des produits plats et longs, bobines et tôles d'acier, ronds à béton et tubes sans soudure. Pour cela, il possède une capacité de 4000 tonnes de fonte liquide quotidienne obtenue par le haut-fourneau et un four à arc pour fusion d'acier d'une capacité de 70 tonnes. Le complexe peut dépasser largement les 1.100.000 tonnes d'acier liquide/an.

Comment sortir le complexe de son marasme et ce dans le but de l'extirper de sa situation de crise financière en lui donnant un nouveau souffle pour son assainissement/ ?

Une mise en garde a été déjà donnée par le ministre de l'Industrie monsieur Zeghdar lors de son passage le 7 septembre 2021 à Annaba, expliquant que le complexe n'a pas été à la hauteur de ses aspirations, car il n'a pas su faire face à la concurrence sur le marché national et encore moins sur le marché régional et étranger, et qu'il ne devait pas trop compter sur l'aide de l'État, compte tenu de la situation financière actuelle du pays. Allusion faite aux deux autres aciéries mixtes: la première a démarré en 2013 (Tosyali à Bethioua) projet algéro-turc, le complexe s'étend sur 180 hectares, d'une capacité de 1.200.000 de tonnes et vise 6 millions de tonnes d'acier liquide en 2024, spécialisé en fer à béton. La deuxième aciérie est celle de Bellara (Djidjel) projet algéro-qatari, sa capacité est de 2,5 millions de tonnes et s'étend sur une superficie de 216 hectares.

90% de leurs productions sont constituées de fer à béton, une grande partie est réservée pour le marché national, le reste est exporté. Contrairement au complexe d'El Hadjar. Ces deux aciéries assurent la fusion de leur minerai sans passer par le haut-fourneau, elles utilisent une technique américaine MIDREX. Procédé qui consiste à la réduction directe du minerai, l'énergie utilisée est le gaz, 5 fois moins cher que le coke combustible utilisé par El Hadjar. Une des raisons pour lesquelles ce dernier n'est plus compétitif dans la fabrication du fer à béton. Pour sortir le complexe d'El Hadjar de cet imbroglio, je présente une feuille de route avec modestie, et sans vantardise et ce dans le but de l'arracher de sa situation de crise financière en lui donnant un nouveau souffle pour son assainissement. Je préconise à ce que le complexe coule des lingots d'acier pour le compte d'une usine de laminoirs pour la fabrication de rail pour chemin de fer, qui sera installé à Béchar gare de transit pour Tamanrasset et les mines de Ghar Djebillet (Tindouf). Dans un avenir très proche, la demande de rail sera très forte pour désenclaver nos villes et nos villages pour l'amélioration des communications. Les lingots seront fournis par El Hadjar, ces derniers sont facilement réalisables, c'est un acier de structure perlitique (teneur en carbone 0,6 à 0,8%). Le rail est un produit laminé, son obtention à partir de lingots, il passe dans différents laminoirs qui par des passes successives on obtient le profilé.

Durant sa campagne présidentielle, monsieur Tebboune, parmi les promesses qu'il a faites, c'est la réalisation d'une voie ferrée Tamanrasset-Alger en passant par Béchar gare de transit, soit 1635 km. par ailleurs l'exploitation des mines projet algéro-chinois de Tindouf-Oran en transitant par Bechar, soit une distance de 806 km, ce qui fait au total de 2441 km, la ligne de chemin de fer est constituée de deux rails soit 4882 km, le poids de le rail et de 60 T/km, soit un besoin de 292.920 tonnes de rail, sa valeur marchande est de 700 dollars par tonne, prix FOB, soit une valeur total de 205.044.000 dollars. Deuxième produit à intégrer: depuis l'indépendance jusqu'à ce jour, l'Algérie a importé pour plusieurs milliards de dollars tous les types de profilés (IPN - UPE ? HE, etc.) pour la construction des charpentes métalliques. Le complexe d'El Hadjar possède des laminoirs du rond à béton, pourquoi ne pas les substituer pour la production des produits plus nobles encore? Les barres de différents diamètres, d'acier de construction, des aciers alliés et fortement alliés? Ces produits sont facilement réalisables au niveau du four électrique à arc, une matière première à intégrer est : El Hadjar consomme 4500 tonnes de ferrosilicium à 75% par an, son court à la Bourse est de 2800 dollars par tonne, soit 12 millions 600.000 dollars. L'Algérie n'a jamais produit ce ferroalliage même durant la colonisation. Pour vous faire bénéficier de cette manne en devise, je vous suggère de le produire par vous-même, l'opération métallurgique dans l'exécution n'est pas complexe. Il suffit de programmer cette opération trois à quatre jours avant la démolition du four électrique à arc pour la grande réparation, procéder à la fusion en pesant la ferraille, le quartz (sable siliceux) et le coke, le poids de ces matières sera en fonction de la teneur du ferrosilicium que l'on veut obtenir, cela est valable pour toutes les fonderies qui possèdent un four à arc. Par ces simples recommandations, je pense avoir donné des réponses concrètes et vitales pour la relance du complexe. En conclusion, je termine cette lecture par une bonne nouvelle pour les écologistes et les sidérurgistes : le constructeur automobile Volvo a reçu la première livraison de l'acier sans énergie fossile. La compagnie objet de cette innovation a annoncé la production industrielle en 2025, elle veut créer une chaîne de production respectueuse de l'environnement.

*Consultant en fonderie-en retraite à Tlemcen.