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Le Zemmourisme ou l'art de refaire du «Français»

par Chaalal Mourad

La France des lumières n'a rien à se reprocher et encore moins à demander pardon pour quoi que ce soit. Elle était déjà une nation au moment où les autres pataugeaient dans l'indigénat et la soumission à son empire.

Elle a tenté de les civiliser chez eux, via la colonisation, puis chez elle, à travers une généreuse politique d'immigration dont elle subit les conséquences néfastes à ce jour. Malheureusement, ils sont restés réfractaires à l'ordre et à la loi et refusent son œuvre civilisatrice et nient ses bienfaits, nous explique monsieur Zemmour.

Des jours sombres attendent les Français d'origine maghrébine en terre de Marianne, quand bien même Kaddour s'appellera Jean et Fatma, Janette ; ramadan prohibé, mosquées fermées, hijab, burkini, bouffe halal abandonnés et caricatures banalisées. Par les actes-rappels du terrorisme à caractère islamiste, la loi contre le séparatisme et celle de la sécurité globale, l'islam sera soumis à de rudes épreuves en France. En dépit des concessions que celui-ci serait amené à faire à la république Zemmourienne, celle-ci fera tout pour montrer au monde que cette religion et ses adeptes sont, tout simplement, inaptes à vivre au pays des lumières.

Révisionniste, négationniste pour les uns ou candidat du déclin politique en France pour les autres, Eric Zemmour se définit comme un Bonapartiste, traditionaliste et adepte d'un gaullisme des origines. Il assume toute l'histoire de France, avec ses hauts et ses bas, ses débâcles et ses gloires, de l'empire, au colonialisme, de Vichy et Pétain, rien ne saurait le faire rougir. Et comme disait Napoléon Bonaparte «De Clovis au Comité de salut public, j'assume tout», ne cesse-t-il de nous le rappeler.

Ce n'est pas anodin que le phénomène Zemmour prend tant d'ampleur en si peu de temps. L'audience jamais égalée qu'il ne cesse de gagner, laisse perplexe à plus d'un. J'ai toujours dit que le militaro-sécuritaire en France comme ailleurs s'alimentait de ce genre de discours qui fomente l'affolement et l'hystérie collective pour aller aussi loin que possible dans sa guerre contre le terrorisme islamiste et le contrôle des masses par la peur. Et c'est grâce à Zemmour que cette confrontation revêtira désormais la tunique civilisationnelle, la seule manière selon lui de donner un sens existentiel à sa patrie adoptive, la France.

Profondément imprégné d'une idéologie de droite, le militaro-sécuritaire ne daigne même pas à le cacher. La lettre ouverte signée par quelque 1.000 militaires français, dont des officiers d'active et une vingtaine de généraux, publiée le 21 avril 2021 dans Valeurs actuelles, un magazine classé d'extrême droite, en est une preuve. Cette missive prenait la même argumentation d'Éric Zemmour ou presque. Ils disent que la France se dirige vers une «guerre civile «, en raison de l'extrémisme religieux, un appel à lutter contre «le délitement qui frappe la patrie». Ils évoquent également la possibilité d'une «intervention de nos camarades d'active» afin de protéger, disent-ils, «nos valeurs civilisationnelles». Ils affirment que les islamistes prendront le contrôle de parties entières du territoire national. Lettre qui sera condamnée par le gouvernement.

La grande muette cherche-t-elle à se donner une voix à travers Éric Zemmour pour rediriger le débat politique et l'action judiciaire en France, au gré de leur envie? Questionner l'impunité du sécuritaire face à une violence urbaine qui nargue la loi et l'ordre public est inadmissible selon Zemmour. L'expulsion automatique des immigrés entravée par la justice, l'énerve plus que tout. Le droit français doit primer sur tout et l'Etat de droit et des privilèges ne doit être, selon lui, que pour les Français. Il en a assez, dit-il, de la république laxiste des juges. Il veut une république régalienne forte où le sécuritaire peut agir sans contrainte judiciaire locale ou européenne pour faire face aux menaces que fait peser la présence de l'islam en France.

Le climat anxiogène que fait peser Zemmour en France contre les musulmans et les Maghrébins notamment, préoccupe à plus d'un. Les idées que ce dernier met en exergue, attirent l'attention de ce côté-ci de la Méditerranée par leur caractère provocateur qui distorde l'histoire. Ces derniers, qui auront des retombées dangereuses sur la géopolitique et la guerre contre le terrorisme, partout où l'influence française est opérante. Cette volonté de rediriger à bon escient la question migratoire risque de lui faire prendre l'allure d'une épuration ethnique, disent certains. Le climat tendu qu'il laisse planer à travers sa vision du monde, aura un effet de contagion ailleurs qu'en France.

En intra-muros, l'effet Zemmour commence à se faire sentir à travers la récente politique des visas et les déclarations du président Macron autour de l'histoire franco-algérienne, en nous déniant même la qualité de nation. Des propos, lancés comme des titres de sommation à l'adresse du pouvoir algérien, lui signifiant que la France ne compte pas lui donner le joker de la repentance. La dernière sortie de Zemmour, venant corroborer les propos du président Emmanuel Macron dans sa lecture spéculatrice de l'histoire coloniale, ne m'étonne pas outre mesure. En fait, l'un cherchait à enjamber le cheval de bataille de l'autre et jouer sur le thème du débat imposé par Zemmour lui-même, pour les législatives 2022, placées sous le signe civilisationnel et identitaire par excellence.

Comme à l'accoutumée, Éric Zemmour se donne à cœur joie à son sport favori, la lecture sélective et tronquée de l'histoire, en choisissant les passages qui l'accommodent et en ignorant ceux qui le sont moins ou qui le contredisent. Contrairement aux Arabes, Espagnols et Ottomans, nous dit-il, la France a laissé en Algérie un patrimoine urbanistique et des hôpitaux. Juste ! Mais il omet de dire que ces infrastructures étaient faites pour ses enfants, les colons et certainement pas pour les Algériens, qui étaient placés sous un statut discriminatoire d'indigénat et abandonnés à une pauvreté humiliante. Ce que la France a fait pour ses enfants les colons, la révolution l'a rendu au peuple ! Il est vrai qu'à part la gratuité des soins, l'Algérie indépendante n'a pas fait assez pour son peuple, en matière de système de santé, de dignité et de cadre de vie. Ces dirigeants partent en France pour se médicaliser, cela personne ne peut le nier, mais ça reste un autre débat.

Zemmour semble oublier que c'est toute l'Afrique du Nord qui a été conquise par les musulmans. Pourquoi ont été les seuls à rester dans ces contrées, alors que les colonisateurs occidentaux se sont fait chasser ? La civilisation musulmane, et bien que cela puisse lui chatouiller les narines, à Zemmour, a respecté les autochtones qui ont pu conserver leur langue et leur culture à ce jour. La parenthèse du baathiste qui a voulu faire table rase de toute culture autre que l'arabe, était une courte anecdote de l'histoire politique dans nos contrées.

Navré pour les eurocentristes ! La civilisation occidentale qui a décimé les Amérindiens, croix dans une main, fusil dans l'autre et le reste, terrassé par les maladies importées du vieux continent, ne s'est pas contentée de» vendre du Dieu», mais à faire oublier complètement à ces peuples, ce qu'ils étaient. Leur langue et leur culture ont été carrément remplacées. La rupture civilisationnelle était telle qu'elle a fait table rase d'un héritage civilisationnel millénaire, dont on ne reconnaîtra l'importance qu'a posteriori.

Bien sûr, les Talibans ont détruit eux aussi le Bouddha de Bâmiyân et que le sinistre Daech a détruit la ville antique de Palmyre, me dira-t-on ! Je l'ai dénoncé en son temps, mais cela ne peut être pris pour règle générale, puisque les musulmans des premiers temps ont croisé ce Bouddha, ces vestiges et bien d'autres, et ils ne les ont pas détruits. Jusqu'à ce que vienne l'islam politique, version djihadiste, obscurantiste pour décider autre chose.

Éric Zemmour a tout à fait le droit de soulever les problèmes que vit son pays pour enflammer le débat public chez lui et asseoir sa vision du monde, mais il n'a pas le droit de nous jeter des bombes incendiaires à tour de bras.

Bien que son discours s'inscrive plutôt dans la défensive pour sauver ce qui reste de sa France de jadis, Éric Zemmour veut croiser le fer avec le croissant conquérant, au titre d'une nouvelle guerre civilisationnelle dont il est le seul à en esquisser les traits. Selon lui, la France ne peut rayonner que si elle portait un grand projet civilisationnel, articulé autour de son héritage chrétien, renoué avec ses valeurs républicaines et laïques, et une forte industrie. Éric Zemmour cache-t-il ses vrais enjeux ? Se donne-t-il, lui aussi, à une sorte de «takiya» intellectuelle, ce procédé chiite de dissimulation d'intention, qu'il ne cesse de dénoncer chez les musulmans de France, pourtant sunnites ? Veut-il utiliser sa France adoptive comme une sorte de force pour chasser le conquérant arabe, qui lui a volé sa terre natale en Algérie et prendre sa revanche sur l'histoire ?

Éric Zemmour dresse un portrait factuel d'une société française qui a beaucoup muté par rapport à ce qu'elle était. Mais avec des retouches «Zemmouriennes» de nature à faire ressortir toute sa laideur au paysage afin de susciter chez l'observateur un climat anxiogène et de nostalgie à une France en quête d'âme qui se perd dans ce fourre-tout d'universalisme. Cette France qui n'est pas sa terre natale, ni celle de ses parents, faut-il le rappeler !

Originaire d'Algérie, Zemmour se sent investi d'une mission presque divine pour sauver sa France adoptive d'une invasion musulmane sournoise. Une France à laquelle il doit tout, dit-il. Et comme toute comparaison n'est pas raison, ce traditionaliste se voit comme le saint Augustin de la sociopolitique, en quelque sorte. Cet autre Berbère d'Algérie, devenu le Père réformateur de l'Église occidentale, dont la doctrine, l'augustinisme, ait donné naissance à ce système de pensée qui influença en profondeur l'histoire de l'Église en Occident, la réflexion philosophique chrétienne et alimenta les débats lors de la Réforme protestante et contribué fortement aux conceptions modernes de la liberté et de la nature humaine. Cet assimilé jusqu'aux tripes promet donc de rendre la France aux Français, en jetant dehors tout musulman ingrat, conquérant qui mange de sa récolte et maudit la terre qui l'a produite. Mieux que tout le monde, il connaît le conquérant, son mode opératoire et de pensée, dit-il, puisqu'il est originaire de ses contrées.

Décrit par ses détracteurs comme un faussaire et spéculateur de l'histoire, Eric Zemmour accentue le clivage au sein de la droite française, sa famille politique, par des thèses auxquelles il est resté fidèle. Tel un braconnier de la politique et de l'histoire, Zemmour enjambe le chevale du grand remplacement, thèse complotiste, dont il n'a pas le copyright, part en croisade contre tout ce qui est de nature à pervertir la culture et la civilisation française et pour refaire du «Français», dit-il. Une semence contaminée, selon lui, par un brassage contre nature de cultures exogènes, non assimilables, devenues envahissantes.

Grâce à Zemmour, la France se retrouve donc au cœur de cette théorie du grand remplacement, développée par l'écrivain d'extrême droite Renaud Camus, et qui se rapproche de l'Eurabia, développée en 2005 par l'essayiste Bat Ye'or, c'est-à-dire convertir l'Europe en une colonie islamique. Se montrant un «fin connaisseur» de l'islam, devant un audimat ébloui par sa culture, Zemmour domine les débats. Cependant et en l'absence d'interlocuteur sérieux, ce dernier brille de mille feux, au milieu d'une obscurité intellectuelle et un niveau politique tiré vers le bas, et surtout d'une réalité française qui ne semble point le contredire. Les actes terroristes immondes qui ont secoué la France et la violence urbaine ont consolidé la vision polémiste parmi son auditoire, au-delà de toute mesure.

La France qui a tout fait pour freiner l'islamisation des systèmes politiques dans les pays du Maghreb, en Algérie plus particulièrement, est restée, selon lui, laxiste face à un islamisme endogène qui se diffusait lentement chez elle, à la faveur de causes socio-politiques bien connues. Zemmour ne fait aucun distinguo entre islam et islamisme, cependant il le fait aisément entre islam et musulmans, lesquels et toujours selon sa conception du monde doivent, s'ils désirent encore vivre en France, franciser leurs noms, leurs mœurs et christianiser leurs pratiques religieuses. Pour vivre en France, il faut donc le faire «à la Zemmour», car l'islam tel qu'il est pensé et vécu n'a aucune chance d'être assimilé en France et ce, indépendamment aux concessions qu'il serait amené à faire à la république sous couvert de la «takiya», dit-il.

Pour lui, l'Islam est bloqué, car l'idjtihad (la réflexion juridique) a été verrouillée depuis le Xe siècle, et faute de clergé, l'islam sunnite, majoritaire en France, ne permettait plus la réflexion en son sein pour pouvoir arriver à un consensus avec la république laïque, le seul rapport qui peut exister entre l'islam et la république de Zémmour, est l'inévitable confrontation en intra et en extramuros, ce qui rend sa vision plus qu'inquiétante et qui rejoint celle de Samuel Huntington, auteur des chocs des civilisations quand il dit : l'existence même de ces civilisations différentes annonce une conflictualité irréductible sur la scène internationale.

Piégés dans le temps tel un mammouth pris dans les glaces, les musulmans ne peuvent appréhender la notion de nation, profondément ancrée chez les Français. Ils ne peuvent donc vivre en France sans perturber profondément le mode de vie des Français, ce contre quoi il part en croisade. Bien qu'il cherche à son tour à verrouiller toute réflexion sur la laïcité pour n'imposer que la sienne, une laïcité exclusive.

Pour Eric Zemmour, l'immigration est devenue un enjeu existentiel majeur pour la France. Avec persévérance, il a pu imposer ce thème pour les législatives de 2022. Sa cible traditionnelle, l'immigration maghrébine qui ne montre, selon lui, aucun signe d'assimilation. Pis encore, les Maghrébins font tout pour se démarquer de la France, culture, religion et histoire et cherchent à transposer et à imposer leur mode de vie aux Français, dans les cités où ils vivent. Une culture de substitution, réfractaire à l'ordre et à la loi, qui est aux antipodes de la leur et des lois de la République, dit-il. Contrairement aux Asiatiques qui ne posent, selon lui, aucun problème de cette nature à la France, ces Maghrébins devenus Français de papiers ne seront jamais des Français de cœur et d'âme, quand bien même ils donneraient leur vie pour la France. La seule façon pour faire du Français, nous dit-il, c'est de faire sienne la culture, l'histoire et le mode de vie des Français et sortir de soi comme un serpent de sa peau pour ne pas éviter de sortir du pays.

Zémmour, et à force de rabâcher là-dessus, a fini par faire admettre chez un pan important de l'intelligentsia française la jonction entre islam et islamisme et par ricochet entre immigration et terrorisme, il ne restait donc que celle entre islam et terrorisme et fermer le cercle de la stigmatisation globale pour préparer le terrain à la confrontation généralisée.

Que propose Zemmour pour inverser la vapeur de la machine migratoire ? D'abord la «remigration», c'est-à-dire renvoyer chez eux illico presto tous clandestins qui piétinent le sol français, déchoir de sa double nationalité française tout français musulman récidiviste, couper les avantages économiques aux émigrés qui vivent à charge de la collectivité nationale et enfin reconquérir les territoires perdus de la république. Qu'il soit donc à la tête de l'Etat français ou se contentant uniquement de jouer dans la cour des rois, Éric Zemmour a initié une dynamique anti-migratoire, difficilement contournable par les futurs décideurs de France.