Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Tlemcen: La nuit du Mouloud au Mechouar

par Allal Bekkaï

Le Mawlid Ennabaoui est célébré, pour la première fois, à Tlemcen, il y a sept siècles de cela. Cette ville garde la primauté historique concernant la célébration du Mawlid par rapport aux autres villes.

Les autres pays magrébins n'ont commencé à célébrer officiellement cet événement que des siècles plus tard, après l'Algérie, selon Zaïm Khenchelaoui, anthropologue des religions et chercheur auprès du CNRPAH (Alger), qui évoque dans ce sillage les pétards dont l'utilisation remonte, selon lui, au temps des janissaires. En 1910, le Mawlid obtient le statut officiel d'une fête nationale dans l'ensemble de l'empire ottoman. Ibn-Khalikan nous décrit la nuit du Mouloud célébrée en 604H/1307JC à Ervil près de Mousoul par le Roi Al-Moudhâffar Ad-Din, un des beaux-frères de Salah Ed-Din Al-Ayyoubi qui doit sa célébrité aux soins apportés à l'organisation de la célébration de la nuit du Mouloud. Ceuta aussi eut ses nuits prestigieuses du Mouloud de 1249 à 1278, selon Al-Maqqary; et «pour endiguer l'influence des festivités chrétiennes de la nativité de Jésus en Andalousie musulmane, et par voie de conséquence, à Ceuta» selon Ibn Idâri dans Al-Bayân Al Mughrib... Le Souverain de Grenade Ibrahim Mawlana el Watar invita Ibn Merzouk Al-Djedd pour célébrer la nuit du Mouloud à l'inauguration de son grand Palais le 8 janvier 1361 JC (763H). L'illustre hôte de la Cour de Gharnata déclama ou plutôt improvisa un poème pour la circonstance « Qoul li nassim sahari ; lillah baligh khabari » qui transporta l'assistance de Grenade vers Médine...

Des auteurs affirment que le premier monarque qui aurait officiellement célébré le Mawlid dans la partie occidentale de l'islam serait le sultan zianide Abou Hammou au niveau de la légendaire «Kala't El Mechouar», il y a sept siècles de cela. A noter que initialement, le Méchouar de Tlemcen était d'abord « l'espace où le cheval était élevé et où les caravanes trouvaient des montures fraîches pour les expéditions, soit vers l'Est, soit vers l'Ouest et l'Andalousie, soit vers le Grand Sud aux pays du Touât et du Sawdân. Ce nom de lieu correspond à une terminologie spécifique du lieu où les étalons de chevaux sont élevés... », selon le regretté chercheur en legs universel El Hadj Mohammed Baghli. Il faut rappeler que le Prophète Mohamed (QSSL) naquit le 12 Rabi' Al-Awwal de l'an dit de l'éléphant (?Am Al Fil), qui correspond à l'an 571 à peu près du calendrier grégorien, à La Mecque ; il mourut à Médine le 8 juin 632 qui correspond à Rabi' Al-Awwal de l'an 11 de l'Hégire. Côté cour (officiel). La nuit du Mouloud était célébrée donc au Méchouar au sein du palais «Dar Al-Fath» avec une splendeur et un éclat inaccoutumés dans le monde, avant de devenir une fête populaire dont la tradition s'est transmise de génération en génération à Tlemcen et surtout dans le Touat où émigrèrent les Tlemcéniens lors de la chute des Zianides au XVIe siècle.

Une réception grandiose était donnée la nuit du 11 au 12 de Rabi' Al-Awwal dans un des palais du Méchouar. Une profusion de coussins, de divans et de tapis garnissait l'immense salle d'apparat. Des candélabres se dressaient de proche en proche, pareils à des colonnes dressées sur des socles de cuivre doré. Chaque invité avait sa place fixée. Il y avait aussi bien de braves gens du peuple que des commerçants, des artisans, des étudiants et des notables. Des pages revêtus de tuniques aux couleurs variées circulaient parmi les convives. Tantôt ils promenaient des cassolettes et des encensoirs d'où des fumées d'ambre gris répandaient des nuages dans l'atmosphère et emplissaient les narines des assistants, tantôt ils aspergeaient d'eau de rose de sorte que chacun en eût sa part de plaisir. Les tables par leur éclat et forme ressemblaient à des lunes. Les plats étaient pris pour des parterres fleuris. Leur vue était un régal pour les yeux et leur parfum un délice pour l'odorat. Après quoi venaient les plus beaux fruits qui puissent se voir, et enfin les gâteaux. Le Roi, assis au milieu de la salle, sur son trône, les jambes croisées, gardait le silence et l'immobilité qui sied à un monarque. Dans l'intervalle des heures, on procédait à la récitation d'abord du poème composé par le Roi. Un héraut, choisi pour la douceur de sa voix, se plaçait sur une estrade vis-à-vis du monarque et récitait ou chantait le poème en faisant sentir la mesure. Puis venaient les poèmes composés par les poètes de la cour et où chacun rivalisait d'éloquence et d'habileté à la gloire du Prophète.

Parmi ceux qui ont déclamé des poèmes mémorables en l'honneur de cette nuit du Mouloud, nous pouvons citer : Sidi Mohammed ben Youcef Al-Quîssî ; Al-Hadj Aby-Abdallah ben Aby-Djam'a et-Talâlissî, le médecin du Palais ; Abou ZakaryaYah'ia Ibn Khaldoun ; Aby-Mohammed ?Abdel Moumen Ibn Moussa Al-Madyounî ; Abou ?Abdallah Mohammed Ibn Ahmed Ibn Ya'lâ ; Aboul-Hassen ?Ali Ibn Al ?Attâr ; Aboul-Quacem Ibnou Maymoun Es-Senouci ; Abou ?Abdallah Mohammed Al-Battîoui..., selon Si Mohammed Baghli, chercheur en legs universel. Un orchestre où se distinguaient les mesures du karîdj (viole) de Séville exécutait des airs de mélodies andalouses dans les intermèdes... L'objet de curiosité à tous était le coffre de la Magana qui était orné de figures d'argent d'un travail très ingénieux. Une belle opportunité pour admirer l'arbre d'argent orné, fonctionnant mécaniquement en produisant des mouvements d'une multitude d'oiseaux de couleurs diverses qui entonnaient des chants. Ce remarquable arbre date de l'ère de Abou Thachfine. Sur le plan supérieur de l'appareil, s'élevait un buisson sur lequel était perché un oiseau avec ses deux petits sous les ailes. Un serpent, sortant de son repaire situé au pied de l'arbuste, grimpait lentement vers cet oiseau, pour s'emparer des petits. Sur la partie antérieure, il y avait dix portes, autant que l'on compte d'heures dans la nuit. A chaque heure, une de ces portes tremblait et faisait entendre un frémissement aux deux extrémités latérales où se trouvaient deux autres portes plus hautes et plus larges que les autres. Au-dessus de toutes ces portes et près de la corniche, l'on voyait le globe de la lune qui se mouvait sur une trajectoire et représentait exactement la marche naturelle que cet astre suivait alors dans la sphère céleste pendant cette nuit. Au commencement de chaque heure, au moment où la porte qui la représentait, se trouvant placée au centre, faisait entendre son frémissement, deux aigles sortaient tout à coup par les deux grandes portes, chacun d'eux tenant à son bec un poids de cuivre, qu'ils laissaient tomber avec eux dans un bassin en cuivre. Ces poids entraient par un trou qui était pratiqué dans le milieu du bassin et roulaient dans l'intérieur de l'horloge. Alors le serpent, qui, parvenu au haut du buisson, poussait un sifflement aigu et mordait l'un des petits oiseaux, malgré les cris du père.A ce moment, la porte, indiquant l'heure qui se terminait s'ouvrait toute seule, il en sortait une jeune fille, à la taille prise dans une ceinture, aussi gracieuse qu'il se puisse voir. De la main droite, elle présentait un feuillet où le nom de l'heure se lisait à travers une petite pièce écrite en vers; la main gauche, elle la tenait placée sur sa bouche comme pour saluer.

Cette horloge qui fonctionna la première fois à la fête du Mouloud en l'an 1358 était l'œuvre de l'ingénieur en automates de l'époque, le très célèbre Aboul-Hassan Ali ben Ahmad Ibn Al-Fahhâm qui fut le plus savant de son temps dans les sciences mathématiques, féru de géométrie et de mécanique, formé à l'école d'Ibn en-Nejjar et qui avait déjà réalisé aussi l'horloge d'Abou ?Inân à Fez dont on voit encore les vestiges sur les murs qui font face à la médersa Al-Bou'naniyya. Il fut récompensé par les rois de ces pays, qui lui servirent une rente de mille dinars en or, fournie par les gouverneurs des provinces. Ce n'est qu'après avoir présidé à la prière en commun du fadjr dans la mosquée du Méchouar, que le Roi se retirait dans ses appartements, marquant ainsi la fin de cette cérémonie grandiose... Le lendemain, un immense défilé des forces militaires zianides se déroulait. Le départ des troupes commençait à partir de la plaine située entre El-Eubbad Essefli et Ghars El-Bey. On longeait Sour El-Hammam au sud de l'antique Agadir, à l'ouest de Sidi El-Haloui, évitant Aïn El-Qsour, puis passant par Bab Sidi El Bradi'i, les troupes abordaient Diar Essaboun, pour finir de passer en revue devant la cour réunie autour du roi, aux pieds des fières murailles, sur le vaste parvis de Bab El-Qarmadine. Le peuple, émerveillé et ravi, applaudissait de fierté. Des familles entières, vieux et jeunes en habits de fête, ne cessaient d'admirer les fantassins et leurs aides, les cavaliers remarquables par leur aisance et le prestige de leur uniforme, les goums, les archers et les lanciers, ainsi que les austères et vertueux Chevaliers de la Foi couverts de gloire dans les guerres qui les opposaient aux armées chrétiennes d'Espagne.

A l'évidence, c'était l'occasion pour la plupart des badauds de contempler de près des armes redoutables comme les catapultes, les arbalètes géantes ou ces tours mobiles en bois, montées sur des roues imposantes, terriblement efficaces, assure-t-on, pour prendre d'assaut les remparts des places fortifiées. Le cortège, semblant interminable, s'étirait jusqu'à Bordj Ech-Qaf, contournait les îlots des châteaux de princes ou d'émirs parsemant Imama, pour finir de boucler son circuit à Qsar Echaâra..., selon le regretté Omar Dib, un homme de grande culture... A cette époque, la cité des Zianides comptait plus d'une soixantaine de branches de métiers. Des concours étaient organisés en marge de cette manifestation dans le but était de sélectionner la meilleure production artisanale. Cette manifestation fait aussi l'objet de remise de prix et diplômes aux meilleurs élèves des Medersas. La réputation née des inventions de l'époque, dépassait les frontières à telle enseigne que des visiteurs émerveillés venant de tout le Bassin méditerranéen convergeaient à cette foire pour contempler la fameuse Mangana... Il faut savoir que le modèle d'instauration des foires à caractère international technologique était méconnu à cette époque en Europe. Elles furent instaurées par le célèbre monarque Abou Hammou Moussa II, né en 1323 à Grenade dans le milieu chevaleresque andalou... Côté jardin (populaire). Entre les prières de l'Asr et du Moghrib à la Grande Mosquée de Tlemcen, on répétait les 24 Séances poétiques de Sidi Barkat Al-Arousy (877H/1472 JC), une tradition locale que perpétue El Hadj Mohamed Baghli au sein de la khalwa de Cheikh Senouci de derb Beni Djemla (El Medress) où trône pour la circonstance une «triya» de fabrication artisanale ornée de bougies, ou dans certaines mosquées de quartier le poème d'Al-Barzendji (1040H/1630 JC - 1103H/1691 JC) ou tout simplement dans la zaouïa Ed-Darquaouiya de Hadj Ben-Yellès où il avait participé, tout jeune, aux récitations quotidiennes de la Bûrda et Hamziyya de Sidi Al-Bousairi (608H/1212 JC - 696H/1295 JC).

Qui se souvient de Baghli Hadj, alors âgé de 11 ans, déclamant spontanément une qacida «engagée» composée de 25 vers «Sada sawt el haqiqa; yabtalina bihi el mawla fa hel mane sama'ana», à l'occasion du Mouloud, dédiée par un autodidacte hors-pair, membre du Cercle des jeunes Algériens, Yelles Chaouch Mustahpa qui avait alors 17 ans ? La cérémonie se déroula au sein de Djama'El Kébir où les fidèles présents cette veillée-là versèrent des larmes d'émotion, subjugués par l'éloquence de ce petit héraut-héros qui a été recommandé à cet effet par son maitre spirituel Cheikh Mohammed Merzouk.

Cheikh Abdelhamid Ben Badis devait y assister pour célébrer le Mouloud, d'une part, et «parasiter» la fête du centenaire du colonisateur, d'autre part, mais l'accès à ce haut lieu de culte lui sera refusé par les autorités coloniales. A l'entrée, les fidèles étaient gratifiés de deux bonbons «secrétant» un mot d'ordre écrit triptyque: «Taghafarou; tahabou; ta'alamou» (Pardonnez-vous ; aimez-vous ; instruisez-vous », selon son fils le Dr Abdelouahab Baghli.

C'était la nuit de Rabi' Al-Awwel 1351 correspondant à 1932... Cette prestation poétique quasi « clandestine » revêtait un caractère symbolique à plus d'un titre. Et pour cause, elle eut lieu en pleine célébration du centenaire de la colonisation (1930)...

A l'occasion de son pèlerinage à La Mecque en 1480 avec des représentants de plusieurs tribus africaines, le célébrissime prédicateur Cheikh Abdelkrim Meghili (né en 1425 à Tlemcen) composa devant la rawda du Prophète (QSSL) un panégyrique intitulé « Ya Rassoul Allah khoud bi yadi », un poème gravé au sein de cette enceinte sainte (interprété sous forme de madih en mode bayati par le célèbre chanteur marocain Mahmoud el Idrissi)... Dans ce sillage, Cheikh Abdelkrim Dali interpréta majestueusement (en mode raml maya) une qacida de Cheikh Benhammadi « El hamdou lillah ma'adamha ni'ma ; youm qalou z'der chafi' elibad », connue artistiquement sous le libellé de « Djabet Yamina »... A noter que son fils aîné , Mahmoud, fera un témoignage émouvant, mais non moins troublant, lorsqu'il évoquera le souvenir d'un père, en l'occurrence Cheikh Abdelkrim Dali, ulcéré de voir, «impuissant », à la télévision un jeune chanteur de haouzi de la cité des Zianides interpréter incorrectement une de ses qacidate, en l'occurrence Djabet Yamina, diffusée à l'occasion (plus exactement la veille) du Mawlid Ennabaoui. Bien qu'étant à l'article de la mort, il demanda qu'on lui apportât sa kouitra (mandoline) pour réhabiliter son œuvre, massacrée en direct d'autant qu'il entamait une compilation de son répertoire medh pour le compte de l'INM... Accompagné au mizane par son fils, le Cheikh entama trois couplets puis s'écria à l'adresse de son vis-à-vis : « Arrête ! ». Ce fut-là la dernière volonté d'un musicien perfectionniste, l'ultime soubresaut d'un artiste blessé dans son orgueil. C'était la veille de sa mort, un 19 février 1978...

Suivant des chroniques rapportées, léguées et transmises de génération en génération, ce cérémonial de célébration de cette fête, qui s'étalait sur sept jours dit « sbou' » ou « saba' » dont le septième est appelé « tachouicha », continus avec en guise des réjouissances collectives de la population dans un décor de liesse durant la semaine, donnait lieu en parallèle au niveau populaire à une foire de rencontre enrichissante, en tous les domaines : social, culturel, commercial et en particulier d'échanges multilatéraux. Les festivités étaient animées par les troupes soufies des Aïssaouas. Procession à destination de Aïn El Hout et El Eubbad via Aïn Wazouta, où des jeux étaient dédiés aux enfants... Situé sur la route qui mène au sanctuaire de Sidi Boumediène, cet espace - ou plutôt ce haut lieu de mémoire - hébergeait la Grande Kermesse. Il y avait là des jeux de toutes sortes, des baladins et des clowns, des bateleurs et des montreurs de singes, des charmeurs de serpents, des marchands de gâteaux et des vendeurs de confiseries traditionnelles. En marge de la fête, cet espace mythique abritait des séances de réconciliation entre des membres d'une famille en litige. Dans une atmosphère de chants, de dikrs, de qarqabous et de tambourins assourdissants, passait de temps à autre une troupe: c'était telle ou telle zaouïa ou tariqa: Derqaouas, Issaouas, Hamdaouas, Khouane Sidi Blel, qui défilaient, chaque confrérie portant haut dans le ciel son étendard déployé au vent... D'où la dénomination vernaculaire hypocoristique de « tachouicha » (liesse populaire, ambiance de fête foraine « profane », notamment à Aïn Wazouta, par rapport et en synchronie avec le programme solennel, religieux et spirituel, animé respectivement au sein de la grande Mosquée et des zaouïas). Une autre version est donnée à ce sujet par Lila Hamedi Cherif Benmoussa (via la page SOS Antiquité Tlemcen) qui explique : « Le 6ème jour on égorgeait le mouton techouicha. La tradition imposait à l'époque d'enlever une mèche (choucha) des cheveux du nouveau-né et la petite famille de la maman était invitée au déjeuner pour passer l'après-midi (taq'yil) avec les beaux-parents et leur fille afin de mettre les choses en ordre. Pour le lendemain, c'est-à-dire 7ème jour, les invités doivent être présents entre dohr et el asr pour le rituel du henné dédié au bébé. Et pour la plupart du temps, on circoncisait le bébé garçon le jour de la techouicha... ».

Ceux qui le pouvaient se rendaient le quatrième jour à Aïn El-Houts, la patrie des Chorfas où une halte spirituelle est marquée devant les mausolées de Sidi Abdellah et Sidi Mansour... Le légendaire bassin des poissons de Qariet el Alaouiyine fera partie du programme festif.

Jadis, depuis le premier jour, appelé Ziadet Ennebi - la naissance du Prophète - jusqu'au septième jour du Sabaâ Ennebi, chacun veille à suivre scrupuleusement le déroulement des festivités. Même si notre Prophète est né le 12ème jour de ce mois, les festivités s'étendaient autrefois à tout le mois. Elles commençaient par les youyous des femmes dès l'observation du croissant du mois de Rabie Al-Awwal, à partir des terrasses. Les fillettes dès lors sortaient chanter la célèbre chanson : A mouloud a mouloud... Les hommes, quant à eux, se réunissaient dans les mosquées pour célébrer la composition de Cheikh Laroussi chantant les louanges du Prophète... D'abord, les femmes disposent de singuliers plateaux contenant des bonbons et des sucreries, des parfums ou des fleurs de saison qu'on offre aux visiteurs. Ensuite, elles préparent le repas traditionnel, en l'occurrence du «thrid bidjaj» ainsi que la fameuse « taqnetta » (déformation vernaculaire de «tsa-netsa», à priori d'origine amazighe) ou du «mchahad». Sans oublier la succulente confiserie appelée « fanid » dont seules deux familles détenaient la recette et le savoir-faire, à savoir les Tchenar et Benachenhou (à l'instar de la « brania fi dar Klouche fama), si l'on croit Morsli Bouayed, un adepte du patrimoine immatériel. Ce gâteau qui existait à Tlemcen au XVe siècle, selon Al Uqbani, était fait sous forme de représentation figurée pour être vendu à l'occasion des fêtes religieuses comme le Mawlid ou aussi à l'occasion de la fête du Nâyir (premier jour de l'année julienne). La première fois que nous avions entendu ce mot, c'était de la bouche du regretté Ba' Hamid, le coiffeur de la rue Basse, qui compara un « kâb' bouzel » fondant à du « fanid ». Au Maroc, dans le jargon des narcotrafiquants, « fanid » signifie drogue par « euphémisme »...

Entre-temps, le père s'en va au marché acheter de l'encens, «el-bkhour», halqoum, halwat tork, les petites derboukas, les feux de Bengale, les bougies de différentes couleurs ainsi que les lustres en bois dites «triyâtes», que fabriquaient tous les menuisiers de quartier, au bout desquelles on fixe des bougies multicolores décorées de papier argenté ou doré ainsi que des friandises. Un décor « soft » parasité par la suite par l'intrusion des irrésistibles pétards : les « mhirqa » avec « ftila »... Pour les désargentés, c'est le système D, un procédé artisanal qu'on utilisait dans les années 60 lorsqu'on était enfant: un bout d'allumette comme poudre, un manche de rasoir ou accessoire de quincaillerie servant de support et un clou en guise de percuteur... Côté filles, le cérémonial est marqué par le port de la chedda, le karakou ou la blousa ba'smaq dite Zaïm avec un djbin ou un zerouf, le maquillage et l'application du henné sur la paume des mains opérée par la grand-mère qui dédie un hawfi pour la circonstance « Mchit el ourit... », parallèlement au chant en chœur des petites filles « A' mouloud, a' mouloud, hada mouloud ennebi... », sous les youyou des femmes (à propos d'un trait physique évoqué à travers ce chant, Bouba Madjani de l'université de Constantine, fera remarquer, lors d'une visite à la khalwa Cheikh Senouci, qu'au lieu de « choucha » qui veut dire mèche (voir ci-dessous tachouicha), il fallait dire « fedja » (fente esthétique au milieu de la denture de la mâchoire supérieure)... Les garçons ne sont pas en reste puisqu'ils sont parés à cette occasion de leurs plus beaux atours : habits neufs traditionnels faits d'un pantalon bouffon, gilet et burnous blanc assorti d'une chechia...Un détour chez les Zmirli de Blas el khadem, Megheli à la rue de France, Adem de derb Lihoud, Abed de la rue de la Paix, Baghdad de la rue des écoles, Bendahma de la rue Clauzel, pour une photo souvenir... Cette fête religieuse constituait aussi une occasion pour la circoncision des enfants chez les Charif de la rue de Mascara, Choukchou de la rue Kaldoun, Soulimane de la rue de la Sikak ou Rahmoun de la Kissariya (outre les circoncisions collectives dans certaines zaouïas dont notamment la Hebriya de la rue Benziane)...

Le soir, c'est les zaouïas qui constituent le pôle d'attraction pour les deux sexes. Destination : Derqaouiya de Ars Didou, Mamcha de Bab el Hdid, El Hebriya d'El Medress, Boudlimi de Ras el Bhar, Tidjaniya de Hart Rma, Alaouiya de Sidi Hamed, Moulay Tayeb de Tafrata, Moulay Abdelkader de Bab el Hdid... A partir de la prière du Maghreb, commencent les veillées religieuses. Très vite, les mosquées et les zaouïas se remplissent. Parfois même les grandes maisons regroupent leur famille pour la « leyla ». Jusqu'aux premières lueurs du Sobh, on lit le Coran et, dans une profonde communion des cœurs et des âmes, on psalmodie les oraisons célèbres, les dikrs, appelés «el-mouldiyates». Piété, ferveur et sérénité cohabitaient en ces lieux, abstraction du climat de sécurité qui régnait dans les rues... Par ailleurs, il convient d'indiquer que le Pr Sari Ali Hikmet, président du club de culture soufie, a commis un livre intitulé «Les Mille et une Nuit du Mouloud «, un livre qui lui a valu 30 ans de recherches exhaustives à travers le monde. « La commémoration n'est pas un souvenir du passé mais une trans temporalité qui fait vivre l'instant fondateur ici et maintenant. La nativité de l'Islam, en ce temps de post-Covid, nous donne l'espérance d'un nouveau monde reconstruit sur la Miséricorde Universelle. Ses chants sémantiques sont l'amour, le pardon et la paix », soulignera le Pr Sari Ali Hikmet qui devait présenter à cette occasion dans la soirée du samedi (16 octobre 2021) une conférence musicale sous le libellé « 1001 Nuits du Mouloud » à l'IFT avec Rym Hakiki comme invitée d'honneur.

Rappelons que lors d'une célébration du Mouloud organisée par l'Association musicale Tarab el Acil de Tlemcen, présidée par Cheikh Abdelkader Bekkaï, en 2006 à l'hôtel Les Zianides, une conférence sur la Nuit du Mouloud au Méchouar fut présentée par le défunt El Hadj Mohamed Baghli... Il faut souligner dans ce contexte que la maison de la culture Abdelkader Alloula avait abrité durant un mois une fastueuse exposition sous le thème «Si le Mouloud m'était conté » organisée dans le cadre de l'évènement « Tlemcen 2011 », à l'initiative de Réda Brixi, muséologue, commissaire de l'exposition. La légendaire Mangana y figurait à travers un croquis au lieu d'une maquette. A quand une exhibition surprise à l'occasion d'un Mouloud d'une réplique (grandeur nature) de cette mythique Mangana (abstraction faite de sa reconstitution en 3 D) ? Un projet que nos ingénieurs du laboratoire d'automatique (LAT) du pôle technologique de Chetouane (Tlemcen) ne devraient pas dédaigner. Il faut rappeler que cette année, cette fête musulmane sera célébrée ce mardi 19 octobre 2021 correspondant au 12 Rabi Al-Awwel 1443, soit le 1551e anniversaire de la naissance du Prophète (QSSL).