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Hassan Lazreg nous quitte : l'exemple d'un pionnier d'une Algérie qui gagne

par Chems Eddine Chitour*

« L'honnêteté, la sincérité, la simplicité, l'humilité, la générosité, l'absence de vanité, la capacité à servir les autres - qualités à la portée de toutes les âmes-sont les véritables fondations de notre vie spirituelle. » Nelson Mandela

Si Hassan Lazreg est mort, ce fut pour moi un choc de l'apprendre au 20h. Rapidement des images du professeur et de sa bonhomie doublée d'un caractère intransigeant me revinrent en mémoire dans cette décennie difficile des années 80 qui devait malgré tous les efforts des pionniers débouchait sur l'irrationnel à la fin de la décennie. C'est dire ma reconnaissance à quelques pionniers que furent messieurs Lazreg, Mourad Taleb et Talahite qui eurent à porter l'ouverture scientifique de la ville d'Oran devenue universitaire. Je conjugue dans le même respect ces géants « ordinaires » qui résistèrent à l'écume des feux de la rampe de par la valeur cardinale et exceptionnelle de chacun de ces bâtisseurs de l'Algérie.

Le sacerdoce d'un bâtisseur en quelques phrases

Hassan Lazreg est né à El Harrouch (wilaya de Skikda) en 1922. Il étudia pour obtenir son baccalauréat en 1945. C'est à l'université de Montpellier (France) qu'il décrochera, en 1954, son diplôme de médecin spécialisé en ophtalmologie. De retour au pays, il rejoignit les rangs de l'Armée de libération nationale (ALN). Lazreg Hassan, médecin de la Révolution et membre de l'Armée de libération nationale (ALN), qui a imprimé des pages mémorables de l'histoire du combat libérateur mené pour arracher l'indépendance et recouvrer la souveraineté nationale. Il avait contribué à la mise en place de systèmes de santé à même d'assurer la prise en charge des blessés de guerre, se déplaçant d'un hôpital à un autre de l'ALN tantôt pour soigner, tantôt pour former et conseiller et ce jusqu'à l'indépendance. Il avait ouvert, avec ses compagnons, le premier établissement universitaire dans l'Ouest algérien, à Oran, qui demeure un haut lieu du savoir, un établissement phare sur le plan scientifique, pour avoir formé des milliers d'étudiants.

Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Abdelbaki Benziane, a loué les qualités du défunt et son parcours scientifique, combattant et militant au service de la patrie. Le défunt était l'un des fondateurs (pionnier) de l'université algérienne et de la première université d'Oran, qu'est l'université d'Es-Sénia, avant de diriger la première faculté de médecine à Oran puis et de se charger de la gestion de l'université des sciences et de technologie » (1)

Des dizaines de messages de condoléances mais aussi de reconnaissance ont fusé de toutes parts notamment à titre d'exemple de Roumanie où des enseignants anciens coopérants mais le miracle de facebook ont partagé ce moment d'émotion. Nous lisons: « Que Dieu ait son âme! Les anciens coopérants techniques roumains ayant travaillé à Oran durant les années 1971-1983 l'avaient connu et apprécié très positivement ». Nicolae Dragulanescu profesor universitar la Universitatea Politehnica din Bucure'ti. Dans le même ordre, un message de Chafik Arbache, professeur à Damas, et qui présente ses condoléances.

La double décennie 62-80, une décennie de bâtisseur

Sans aucune restriction le nom de professeur Lazreg est attaché à la ville d'Oran, ville de l'Ouest et pourtant il vient de l'Est, c'est un exemple de brassage au nom de l'algérianité dont devraient s'inspirer les jeunes pour barrer la route à tous les diviseurs. A Oran, il dirigera le service d'ophtalmologie au CHUO, avant de transférer ce service à une clinique au boulevard du Front de mer, qui portera plus tard son nom. Le défunt avait contribué à l'ouverture de plusieurs universités du pays dont celle d'Es-Sénia d'Oran, de l'USTO «Mohamed Boudiaf» où il a été son premier recteur. Le professeur Lazreg Hassan a reçu plusieurs distinctions et titres en reconnaissance de son action et des services rendus au pays et à l'université algérienne, dont l'ordre du «Soleil Levant», une des plus prestigieuses distinctions du Japon qui lui a été décernée pour avoir contribué au renforcement des relations entre l'Algérie et le Japon.

En sa qualité de représentant diplomatique de son pays, le Japon, l'ambassadeur M. Tsukasa Kawada a présidé la cérémonie de remise de «l'Ordre du Soleil Levant», la plus haute distinction japonaise, au professeur Hassan Lazreg. Cette distinction qui a été remise au professeur Lazreg avec un parchemin portant le sceau de l'Empereur du Japon, est venue ainsi rendre hommage au moudjahid, au professeur et également «à celui qui, durant des années, a grandement contribué au développement de son pays pour ses efforts constants pour renforcer la coopération entre le Japon et l'Algérie», dira l'ambassadeur du Japon. Pour rappel, il fut aussi celui qui encouragera et supervisera la réalisation du grand projet de l'université Mohamed Boudiaf, chef-d'œuvre de l'architecte Kenzo Tange. Il fut encore le premier recteur de l'université d'Oran, peu après l'indépendance. Durant des années, comme a tenu à le rappeler l'ambassadeur M. Tsukasa Kawada, il s'engagera à renforcer la coopération scientifique algéro-japonaise qui se traduit aujourd'hui par de nombreux accords et échanges entre l'université Mohamed Boudiaf et des centres de recherche au Japon. Cette distinction, dira modestement professeur Lazreg, vient «récompenser l'humble citoyen algérien que je suis», non sans faire ce geste plein d'humilité en offrant la médaille à l'assistance qui, en reconnaissance à l'homme et à son mérite, lui a répondu par des applaudissements nourris. » (2). .

Le Professeur Lazreg Hassan, bâtisseur des universités d'Oran

Une contribution émouvante et dont je restitue les grandes lignes est celle du professeur de chirurgie cancérologique, Chu Oran, Mohamed Brahim. Nous lisons : « (...) je connaissais déjà le parcours militant du Pr Lazreg. Il m'avait été rapporté par le Pr Boudraa, ancien officier chirurgien de l'ALN. A l'occasion de cette rencontre, je découvrais un homme chaleureux et affable, dégageant humilité et humanisme. Il parlait lentement d'une voix basse en détachant chaque syllabe, en appuyant sur chaque mot, comme pour montrer à son interlocuteur le poids et l'importance de celui-ci.

Quand on lui exposait les problèmes vécus par les étudiants lors de cette période, sans en minimiser l'importance, il les replaçait dans le cadre des difficultés d'une nation naissante, préférant insister sur l'avenir que notre génération devait construire. C'était sa méthode pédagogique pour nous inculquer le patriotisme, lui qui, après l'indépendance, plaçait l'édification nationale au-dessus de tout ». (3)

« (....) Je me sens en droit et en devoir de présenter son portrait, lui qui à l'université d'Oran reste le «dernier des Mohicans», de la génération de la guerre d'indépendance (...) Il est en terminale quand il sera le témoin impuissant des massacres du 8 Mai 1945. C'est en juin de cette même année qu'il obtint son baccalauréat. Il s'inscrit à la faculté de médecine d'Alger, où il réussit à son PCB (actuelle 1re année) en juin 1946. L'hostilité des étudiants européens d'Alger, qui ne pouvaient admettre l'intrusion d'un «indigène» dans cette caste qu'étaient les étudiants en médecine, le pousse à rejoindre l'université de Montpellier. (...) C'est ainsi qu'il réussit à son doctorat en médecine et le diplôme de spécialiste en ophtalmologie en juin 1955. Il s'installe alors comme médecin libéral, au 20 rue de Constantine, à Skikda. Il fermera son cabinet au bout de 3 semaines. Ce sera sa seule expérience dans le secteur privé » (3).

« Le 20 août 1955 surviennent les événements de Skikda, lors desquels des milliers d'Algériens seront massacrés par l'armée coloniale. (...) Menacé, il s'expatrie en France d'où il rejoint l'ALN en 1956.  Jusqu'à l'indépendance, il exercera comme médecin officier de l'ALN dans la Wilaya V. Les conditions dures de la guerre n'entameront en rien son humanisme et son esprit de justice. Pour illustrer cela, un événement mérite d'être relaté ».

«A l'indépendance, le Pr Lazreg va être nommé directeur de la santé militaire de la 2e Région militaire, poste qu'il occupera jusqu'en 1966, tout en dirigeant le service d'ophtalmologie du CHU d'Oran qu'il fera transférer à la clinique Front de mer.

C'est pendant cette période qu'il repère la base aérienne française de la Sénia, désaffectée, et grâce à ses liens privilégiés avec le président Boumediene, il en fera la première université d'Oran.

Il va occuper successivement les responsabilités suivantes : directeur de l'Ecole de médecine d'Oran en 1964, Directeur du centre universitaire d'Oran en 1966, Recteur de l'université d'Oran-Sénia en 1968, Recteur de l'USTO de 1975 à 1987, occupera un seul mandat électif, député d'Oran à l'APN de 1977 à 1982 (...) » (3)

« Mais, malgré les postes de responsabilité qu'il occupera, il restera pour tous le bâtisseur. (...) L'infatigable bâtisseur partira en retraite en 1995, et comme tous ceux de sa génération, il partira dans l'indifférence totale de l'administration.          

De nombreuses distinctions scientifiques lui seront décernées. L'Etat le décorera de la médaille du Moudjahid. Cependant, la plus grande des distinctions, c'est la population d'Oran qui la lui décernera, ville qu'il a adoptée dès 1962 et qui l'a adopté, en baptisant la clinique d'ophtalmologie de Front de mer, clinique Lazreg, sans attendre l'intervention des officiels. Aami Hassan, au nom d'Oran je vous dis tout simplement merci » (3).

«J'ai eu l'honneur et l'avantage de connaître messieurs Hassan Lazreg, Mourad Taleb et Bekhlouf Talahite, le trio qui a donné une dimension scientifique à Oran pendant les quatre années où j'étais Secrétaire général du ministère de l'Enseignement supérieur. Il me fut donné un jour l'opportunité de poser la question qui me taraudait devant l'ambiance de «l'Attestation communale» diplôme à un personnage qui lui aussi a démarré en 56 sa licence de maths, l'appel du pays a fait qu'il déserte l'amphi et monte au maquis à la Wilaya IV. A l'indépendance, il part à Paris faire sa licence de maths, brillant il put faire sa thèse avec le professeur Laurent Schwarz - qui soutiendra la thèse de Maurice Audin à sa place -. Une fois sa thèse obtenue, il commença à enseigner à Paris. Il prit la « succession » scientifique ô combien difficile de Laurent Schwarz. Il rédigea les 13 tomes de mathématiques de l'enseignement à Polytechnique Paris. Quand je lui ai dit pourquoi il n'a pas comme beaucoup demandé une promotion pour avoir fait le maquis. Il eut cette réponse qui m'a été faite aussi bien plus tard par professeur Lazreg : « Je n'ai fait que mon devoir. »

Messieurs Lazreg, Taleb, Talahite ont par leur comportement donné l'exemple de la norme. Ce furent pour nous des références de compétences, d'abnégation, de dévouement pour le pays d'abord en se battant pour l'indépendance, ensuite en faisant leur métier de professeur et enfin en s'engageant dans le grand djihad contre l'ignorance. Il aura marqué l'université algérienne. C'est sans nul doute l'exemple d'une Algérie qui gagne ! Que Dieu leur fasse miséricorde et que leur exemple d'abnégation et d'amour du travail bien fait.

Note

1.https://www.aps.dz/regions/128547-oran-inhumation-du-moudjahid-professeur-hassan-lazreg

2.https://www.liberte-algerie.com/actualite/lordre-du-soleil-levant-remis-au-pr-hacen-lazreg-207458/print/1

3.https://www.elwatan.com/archives/contributions-archives/le-professeur-lazreg-hacene-batisseur-des-universites-doran-04-04-2012

*Prof - Ecole Polytechnique Alger