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Les prénoms arabes dans l'œil du cyclone de l'islamophobie

par Allal Bekkaï

«Le prénom donné à la naissance, c'est le nom de l'amour. Pour comprendre une civilisation et apprécier sa valeur, la manière dont elle traite les enfants et les aime est une piste privilégiée. Les prénoms arabes et maghrébins apparaissent partout... et trop souvent les Occidentaux côtoient une grande richesse sans s'en apercevoir... » (in postface du dictionnaire étymologique « Les plus beaux prénoms du Maghreb »).

Bon nombre d'enfants reçoivent leur prénom en France et c'est la première image de l'enfant aux yeux du monde. Sa seule évocation peut inspirer des émotions diverses chez les autres par des associations de pensée. Le prénom est à la fois sonorité, image et symbole. Il est important de le situer dans le contexte social pour mettre en valeur l'enfant afin qu'il soit fier de son prénom. Le contexte social d'évocation du prénom arabe se caractérise par un déphasage de plus en plus flagrant avec le calendrier républicain et une forte visibilité de la seconde génération issue de l'immigration dans des quartiers urbains.

L'acculturation des prénoms arabes en France a une forte dominante émotionnelle liée à l'influence des événements médiatiques (sport, fictions et politique), selon le sociologue Yacine Chaïb.

Le controversé journaliste et écrivain Eric Zemmour qui est d'origine algérienne, s'est dit favorable à l'interdiction de prénoms d'origine étrangère pour les nouveau-nés. Une mesure qui ferait de la France une quasi-exception à l'échelle européenne. Bien qu'il ne soit pas officiellement candidat à l'élection présidentielle, le polémiste Eric Zemmour distille dans les médias, depuis quelques semaines, une série d'idées et d'opinions, semblables parfois à des mesures de campagne. Sur le plateau de France 2, ce week-end, il a expliqué vouloir «rétablir la loi de 1803» sur les prénoms. Il s'agirait ainsi d'imposer aux parents de donner à leurs enfants venant de naître un prénom issu du calendrier ou utilisé historiquement. Retour sur l'affaire du « petit Islam » et le jeu « In ze boîte » de la chaîne Gulli.

L'affaire désormais connue sous le nom du « petit Islam » (en lice pour participer au jeu « In ze boîte » de la chaîne Gulli, mais recalé à cause de son prénom, jugé trop religieux) qui défraya en 2008 la chronique en France et dans la sphère arabo-musulmane, nous incita à nous intéresser au cadre juridique en la matière ainsi qu'au champ sémantique ayant trait à ce prénom controversé. Premier réflexe: consulter Google. Résultats: Fréquence du prénom «Islam» (orthographié avec un «a») chez les Maghrébins notamment: 18% par rapport à l'état civil français. A ce titre, l'arrêté de la Cour de Cassation du 10 juin 1981 de l'Hexagone stipule que «les parents peuvent notamment choisir comme prénoms, sous la réserve générale que dans l'intérêt de l'enfant ils ne soient jugés ridicules, les noms en usage dans les différents calendriers et, alors qu'il n'existe aucune liste officielle des prénoms autorisés, il n'y a pas lieu d'exiger que le calendrier invoqué émane d'une autorité officielle. Mais c'est depuis 1993, avec l'Article 57 du Code civil, (Titre II, chapitre), que la loi a le plus considérablement assoupli sa législation, garantissant virtuellement l'acceptabilité de n'importe quel prénom. En effet : « L'acte de naissance énoncera le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui seront donnés, les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant. [...] Tout prénom inscrit dans l'acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel. Lorsque ces prénoms ou l'un d'eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur patronyme, l'officier de l'état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales. Si le juge estime que le prénom n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant ou méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur patronyme, il en ordonne la suppression sur les registres de l'état civil. Il attribue, le cas échéant, à l'enfant un autre prénom qu'il détermine lui-même à défaut par les parents d'un nouveau choix qui soit conforme aux intérêts susvisés. Mention de la décision est portée en marge des actes de l'état civil de l'enfant. » A propos des changements de prénoms, les goûts des parents sont parfois très différents de ceux des enfants. Ces différences d'appréciation, ainsi que d'autres raisons, (par exemple un prénom étranger difficile à prononcer dans la langue du pays de résidence), peuvent inciter le porteur d'un prénom à en changer. Dans ce cas, un changement de prénom est envisageable. Toutefois, il faut savoir que tout changement de prénom doit être légal.

Il convient de souligner que le palmarès des prénoms donnés aux bébés de 2005 (pour le département de la Seine-Saint-Denis) fait arriver en tête Mohammed pour les garçons et Inès pour les filles. Malgré les apparences, il s'agit bien dans les deux cas de prénoms donnés à leurs enfants par des familles originaires du Maghreb.

À l'échelle de la France entière, Mohammed arrive largement en tête des choix pour les garçons, suivi par Mehdi, Sofiane, Karim, Samir, Yassine, Youssef... Pour les filles, on trouve, par ordre décroissant: Sarah, Inès, Sabrina, Sonia, Anissa, Nadia, Leila, Myriam... En 1990, la fréquence d'utilisation des prénoms chez les garçons situe le prénom de Mohamed à la 28ème place. En 1995, cette même fréquence d'utilisation situe les premiers prénoms arabes Yanis et Mehdi en 13 et 14èmes places et une meilleure position pour Mohamed à la 22ème place. Les mêmes remarques pour les prénoms féminins: Sabrina (position 3), Myriam (position 10), Sonia (18), selon le sociologue Yacine Chaïb qui estime que «L'acculturation des prénoms arabes en France a une forte dominante émotionnelle liée à l'influence des événements médiatiques (sport, fictions et politique).

Le top, en 2001,des prénoms qui commencent à plaire regroupe plusieurs prénoms à consonance arabe : Zinedine (position 5), Zakaria (position 8), Oussama (position 10), Bilal (position 14). Pour les filles, c'est Lila, Nour et Chaima, Kenza, Nina, Sandra... ». Concernant la victime, un lapsus aurait été commis lors de la transcription du prénom. En effet et ironie du sort, Islam, né à Marseille, aurait dû s'appeler en fait Islem. «L'officier de l'état civil s'est trompé, il a mis un a au lieu d'un e », selon Billel Alaouchiche, le père d'Islam. Il faut souligner à ce propos que, comme les prénoms arabes ont été conçus dans un autre système d'écriture que le nôtre, il y a eu en France des amalgames spontanés, des « transcriptions » qui se sont fixées sur des prénoms déjà existants ici et proches par les sonorités. Ainsi, Inès correspond à la forme portugaise et espagnole d'Agnès. Mais ce prénom est également très donné dans les familles originaires du Maghreb parce qu'il correspond à la transcription phonétique du prénom de langue arabe Înâs, qui signifie « bienveillance, caresse, compagne ». Sonia qui est la forme slave du prénom Sophie, est prise souvent comme transcription du prénom arabe Saniyya, signifiant « élevée, haute, sublime ». Nadia est à la fois un prénom d'origine slave (diminutif de Nadège) et la transcription dans notre alphabet d'un prénom arabe qui signifie « généreuse ». Sabrina évoque le mot arabe Sabria qui signifie « patience » mais est aussi un prénom celtique revenu en France dans les années 1960 via l'Amérique. Le choix d'une transcription donnée (lifting ou contraction) pourrait être motivée par un souci d'intégration à la société : Faudel (Fodil ou Fodheil), Kamélia (Kamila), Faty (Fatéma), Yanis (Anis), Ryan (Rayane), Sofia (Safia), Zinou (Zineddine)...  

D'autant que l?usage des noms «occidentaux» est restreint aux chrétiens dans le monde arabe en général, mais des musulmans émigrés en Amérique du Nord en donnent ou « américanisent » leur prénom. A l'exception des prénoms qui reflètent clairement l'appartenance à la religion musulmane, tous les prénoms arabes sont donnés dans toutes les religions. Revenons à la genèse de l'affaire Islam. Le 16 février dernier, le petit garçon âgé de 9 ans, de nationalité française mais d'origine algérienne, habitant à Colombes en région parisienne, se rend avec son meilleur ami dans les locaux de la boîte de production Angel Production, pour un casting. Un rendez-vous, s'il se couronne par un succès, lui permettra d'accéder aux portes de l'émission « In ze boîte », diffusée sur la chaîne Gulli. Mais voilà, le prénom à connotation religieuse dérange, et une employée de la production, vraisemblablement islamophobe, ne se gêne pas pour le faire comprendre à Farah Alaouchiche, la mère de l'enfant, selon Le Parisien: « Il y a un problème, votre fils ne peut pas garder son prénom. S'appeler Islam, pour un garçon, c'est comme porter un voile pour une fille ». Un collègue de cette personne aurait ajouté qu'il «représentait une religion qui n'est pas aimée par les Français».On lui propose alors de changer le prénom de son fils. Proposition que refusera Farah Alaouchiche, scandalisée.

Les parents décident, deux mois après, de porter plainte pour discrimination. La secrétaire d'Etat à la ville Fadela Amara et Rachid Arhab membre du Conseil supérieur français de l'Audiovisuel condamnent vigoureusement cette affaire de discrimination. Al-Djazeera en fera son chou gras à travers deux émissions (Nashrat Al-Djazeera Al-Magharibia et Al-Djazeera Moubashir) ainsi que probablement dans « L'Islam et la vie » animée sur cette chaîne par Yussuf El Qardaoui.

Par ailleurs, en matière d'embauche, une exclusion par les prénoms est effective en fonction de la consonance du prénom. Une association Oraclei (Opérateurs des Réseaux et des Actions Citoyennes Locales Liées à l'Emploi et à l'Insertion) de Marseille créée en 2000 a répertorié sur les arrondissements du 15ème (75.000 habitants) et 16ème (17.000 habitants), un échantillon de 12.000 personnes demandeurs d'emploi à l'agence ANPE de Bougainville. La répartition des prénoms sans doublons entre les garçons et les filles est de 3.015 prénoms. Ces arrondissements sont marqués par un fort taux de chômage (36% en 1996) caractérisé par une population jeune et de chefs de famille de ménages étrangers. Dans le recensement d'août 2000, 12.111 des demandeurs d'emploi de l'Agence Nationale Pour l'Emploi de Bougainville (soit les arrondissements du 15 et 16èmes arrondissements de Marseille) sont comptabilisés selon le critère d'entrée de leur prénom par l'association Oracle. La répartition entre les hommes et les femmes est de 5.562 hommes avec 1.628 prénoms sans doublons et 6.549 avec 1.660 prénoms sans doublons.

Le regroupement par consonance des prénoms place les groupes orthographiques de Mohamed et de Fatima en tête des seconds patronymes des chômeurs sur ces arrondissements. La discrimination résidentielle par le lieu d'habitation n'est pas spécifique aux habitants de ces territoires. C'est la question ethnique au coeur de la gestion du calendrier républicain et la mouvance favorable de la promotion des prénoms arabes qui initie à partir des prénoms des cercles géographiques d'aire culturelle. En effet, c'est brusquement que la foule de prénoms « maghrébins », en France est devenue visible. Elle est le personnage principal dans certains quartiers. Avant même de se demander si l'avènement de cette masse de gens s'est réalisé dans une promotion sociale, il faut reconnaître que c'est là le fait le plus important de la vie quotidienne en France. Les formes d'interaction avec «l'homme-masse» du groupe orthographique des «Mohamed» sont des affirmations de la diversité des marquages identitaires du prénom arabe en France.

Un «Mohamed» peut en cacher un autre et réciproquement pour la prononciation en arabe.

L'irritation des enfants est grande, en milieu scolaire, lorsque leur prénom en arabe est prononcé avec les gutturales de la langue arabe. En effet, dans la transmission d'un pays à un autre, les gens venus de l'étranger ont transformé leur prénom en prénom francisé.

En effet, les discriminations des jeunes d'origines étrangères dans l'accès à l'emploi et à l'accès au logement révèlent que les prénoms de ces jeunes deviennent des cristallisations phonétiques et ils sont porteurs d'un sens particulier que le stock de prénoms, de sons que représentent les «fleurs des saints» est un lourd poids sur le désir des employeurs. «Prenez les CV qui ont les mauvais prénoms et finissent en premier dans la poubelle » (Le Monde du 30 août 2003), il est vrai qu'il est difficile de prendre le risque de la différence et de la compétence en même temps.

En effet, il serait inimaginable de concevoir le prénom comme un monologue. « Comment vous appelez-vous ? Moi, je n'appelle jamais. Je suis toujours là, je n'ai pas besoin de m'appeler. Mais les autres m'appellent Garance ». Réplique de l'actrice Arletty dans le film « Les enfants du Paradis ». A noter dans ce contexte que sur une liste mise en ligne comportant 235 prénoms arabes de garçons adoptés en France, Islem figure avec un « e » (www. twansa. forumactif.com). La même orthographe apparaît à travers une autre liste proposée par un site islamiste (www.sadjdine.com) qui renferme également « Mouslim ». Idem sur le lexique national destiné à l'attribution des prénoms édité en 1981 par le ministère de l'Intérieur algérien. En revanche, et abstraction faite de l'orthographe, le prénom en question ne figure ni sur le dictionnaire étymologique «Les source étonnantes des noms du monde arabe», ni sur «Les plus beaux prénoms du Maghreb» (hormis le prénom composé Sayf Al-Islam, l'épée de l'Islam) qui proposent par contre (tous deux confondus) Salam (paix), Salamé (sécurité), Salim, Sélim ( en paix ) ainsi que Salamoun, Slimane, Sulayman ou Salman correspondant à Salomon (en araméen, chalmâ a le sens de paix). Citons quelques célébrités à titre d'exemples, Sidna Sulayman, le Prophète Salomon, Selman El Farissi, le stratège du Prophète (QSSSL),Selman Rushdi, l'écrivain indien controversé, Soliman le Magnifique, le plus célèbre sultan d'Istanbul, Selim Pacha, le commandant en chef des forces ottomanes. Il faut noter dans ce contexte que l'ex- chanteur anglais Cat Stevens opta à la faveur de sa conversion pour «Islam» comme «patronyme de rupture (avec la religion de sa famille) à priori en s'appelant Yussuf Islam, le fils d'El Kadhafi, président de la fondation éponyme, se prénomme, lui, Saif Al-Islam. Une Française prénommée Laura a choisi quant à elle de s'appeler Tislem après sa conversion, une façon réactive de se définir afin d'être en rupture avec son passé.

Notes:

1) «Les sources étonnantes des noms du monde arabe » ( Jana Tamer /Edit. Maisonneuve et Larose/ Paris/ 2004)

2) « Les plus beaux prénoms du Maghreb » (Abdelghani Belhamdi et Jean-jacques Salvetat/ Edit. Dauphin/ Paris/2007)

3) Lexique national des prénoms des enfants nouveau-nés (édité par le ministère de l'Intérieur algérien / Alger /1981)

4) « L'oracle des prénoms arabes dans les quartiers de Marseille » (Etude sociologique du Pr Yacine Chaïb)

5) Fr.wikipedia.org

6) www.twansa.forumactif.com

7) www.sadjidine.com