Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les déclarations du FMI sur les perspectives de l'économie algérienne 2020/2021 : une situation préoccupante, impliquant un sursaut national

par Dr Abderrahmane Mebtoul*

  Nous n'avons pas attendu les déclarations du FMI pour le diagnostic et proposer des solutions réalistes aux plus hautes autorités du pays (voir mebtoulabderrahmane www.golgle 2010/2021). Le FMI s'est entretenu avec différents responsables algériens en vidéo-conférence entre septembre et octobre 2021 et vient de dresser un rapport préoccupant sur la situation actuelle et les perspectives de l'économie algérienne si l'on maintient le cap de l'actuelle politique socio-économique. La facilité sans s'attaquer aux réformes structurelles qui seules peuvent redynamiser l'appareil productifs est la restriction, sans ciblages importations, la dévaluation du dinar et le recours du planche à billets par le financement non conventionnel, ces trois facteurs cumulés accélérant le processus inflationniste et la détérioration du pouvoir d'achat

1.-En 2021 directement et indirectement les exportations 98% des entrées en devises sont représentées par les hydrocarbures et ses dérivés, montrant que le blocage est d'ordre systémique. L'Algérie est une économie rentière, sous-développée pour reprendre les propos du président de la République lors de l'installation des membres du CNES avec de vives tensions budgétaires. Le déficit budgétaire qui selon la loi de finances 2021, serait de 21,75 milliards de dollars au cours de 128 dinars un dollar, cotation au moment de l'élaboration de cette loi, et un déficit global du trésor prévu de 28,26 milliards de dollars. La croissance a été négative d'au moins 5/6% en 2020 et les prévisions de ¾% en 2021 se calculent par rapport à la période précédente, un taux de croissance négatif en To par rapport à un taux de croissance positif en T1 donne une croissance cumulé faible environ entre 0 et 1% en termes réels en 2021.

Le taux d'emploi étant fonction du taux de croissance, il s'ensuite une prévision de 15% du taux de chômage influant les emplois informels et les sureffectifs des entreprises publiques et administration, touchant de plein fouet les diplômés où l'on dénombre plus de 22.000 docteurs en chômage sans compter les licenciés et masters pour 2020. Selon le rapport du Premier ministère en date du 01 janvier 2021, repris par l'APS, durant les 30 dernières années, l'assainissement des entreprises publiques a nécessité environ 25 milliards de dollars dont plus de 80% sont revenus à la case départ, entre 2005/2020, la réévaluation des projets a coûté plus de 8.900 milliards de dinars, soit au cours moyen de 130 dinars un dollar le montant de 68,5 milliards de dollars, chiffre avancé par le Premier ministre.

En ce mois d'octobre 2021, nous avons un tissu productif interne privé et public, peu performant, le taux d'intégration ne dépassant pas 15% où selon l'ONS plus de 80% du tissu économique est constitué d'unités personnelles ou de petites SARL peu innovantes. Il est utopique de créer en 2021, comme, annoncé, le 12/01/2021 au Forum Ech Chaab par un Ministre Délégué auprès du premier ministère, entre 1 et 2 millions d'entreprises par décrets, soit pour dix emplois par entreprises la création entre 10 et 20 millions d'emplois alors que la majorité des entreprises existantes sont en sous activité et qu' un projet PMI/PME pour sa maturation et sa rentabilité, répondant aux normes coûts/qualité, dans le cadre concurrentiel nécessitant au minimum deux/trois années et pour les grands projets 5/7 ans.

Attention à l'euphorie du cours relativement élevé, pétrole 79/80 dollars le baril, le MBTU du gaz 5,9 dollars, prix conjoncturel du fait du déséquilibre offre/demande) avec la reprise de la croissance de bon nombre de pays développés, l'OPEP représentant 35/40% de la production commercialisée mondiale qui a décidé récemment de ne pas augmenter fortement sa production avec la décision du 04 octobre 2021 d'en rester à une augmentation progressive de 400.000 barils/j et plus de 50% avec la Russie, les deux principaux pays ayant une influence sur les prix étant l'Arabie Saoudite et la Russie, les USA premier producteur mondial avec le pétrole gaz de schiste n'étant pas concerné.

Encore que cette hausse des prix a été une aubaine pour les gisements marginaux USA, au bord de la faillite, fortement endettés vis-à-vis des banques dont la rentabilité tourne autour de 50/60 dollars le baril. L'Algérie profite peu de ces hausses puisque selon le rapport de l'OPEP de juillet 2021 la production est passée de plus de 1,2- 1,5 millions de barils jour entre 2007/2008 à environ 950.000 barils/j contre 850.000 en mai 2021, et pour le gaz plus de 65 milliards de mètres cubes gazeux à 40 en 2020, espérant 43/44 pour 2021, du fait de la forte la consommation intérieure, renvoyant à la politique généralisées des subventions et de la faiblesse des investissements dans ce secteur ayant peu attiré les investisseurs étrangers qui outre attentifs au nouveau modèle de consommation énergétique mondial s'orientant vers la transition énergétique 2021/2030, attendent toujours les lois d'application de la loi des hydrocarbures et le code des investissements. Encore qu'il faille se méfier du juridisme, ayant parois les meilleurs lois du monde peu appliquées, devant s'attaquer à l'essence du blocage qui est le fonctionnement de la société, le système bureaucratique rentier.

2. Face à cette situation complexe, l'on devra éviter certaines illusions avec cette instabilité juridique et monétaire, prévoyant dans la loi de finances 2021 toujours une dépréciation progressive du dinar sur trois ans : un taux de 142 dinars pour un dollar américain en 2021, 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023, alors qu'aucun pays du monde ne fait ce genre de projections qui décourage toute activité. La banque d'Algérie a coté 5 dinars un dollar vers les années 1970, puis 77 dinars un dollar vers les années 2000/2004 puis 137 dinars un dollar et cela n'a pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures car n'ayant pas réalisé les véritables réformes structurelles sur les 2,9 milliards de dollars d'exportations hors hydrocarbures annoncées par le Ministère du commerce, sans analyser la structure, les produits manufacturés et alimentaires dont le sucre représentent pour les huit premiers mois 2021, environ 600 millions de dollars, 80% étant des dérivées d'hydrocarbures et des produits semi-finis devant pour avoir la balance devises nette pour l'Algérie soustraire les matières premières importées en devises et les exonérations fiscales. Cette dévaluation permet d'augmenter artificiellement la fiscalité hydrocarbures (reconversion des exportation hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu'en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l'inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens finaux, montant accentué par la taxe à la douane s'appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l'entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité.

Concernant les transferts illicites de capitaux, le bilan du FMI donne une importation en biens et services de l'Algérie d'environ 1000 milliards de dollars pour une entrée en devises d'environ 1048 milliards de dollars, 48 milliards de dollars étant le solde des réserves de change au 31/12/2020 (données officielles du gouvernement).

Si on applique seulement un taux de surfacturation de 15%, pour les services difficilement quantifiables pouvant aller entre 20/25%, les sorties illicites de capitaux auraient été de 150 milliards de dollars presque trois fois les réserves de change du mois de juin 2021.

Mais il est illusoire tant de rapatrier les transferts illicites de capitaux à l'étranger placés dans des paradis fiscaux, bons anonymes ou de prêtes noms étrangers, excepté des biens notariés mais supposant des conventions internationales et de longues procédures juridiques, devant mette, à l'avenir, en place des mécanismes de régulation et de contrôle pour que de telles pratiques qui portent atteinte à la sécurité nationale, ne se reproduisent plus. Il en est de même de l'illusion de la finance islamique qui a capté malgré tous les tapages publicitaires que 10 milliards de dinars, entre 0,16% et 0,10% par rapport au montant de la sphère informelle en précisant qu'elle représente en 2019 1% dans le financement global mondial, l'argent n'ayant pas d'odeur quel que soit la tendance idéologique, Quant à l'argent de la sphère informelle nous avons des données contradictoires entre 6100 et 10.000 milliards de dollars, montrant l'effritement du système d'information, soit au cours d'octobre 2021, 137 dinars un dollar, entre 43,80 milliards de dollars et 73 milliards de dollars, et non pas pour un produit intérieur brut PIB,à prix courants, qui est passé de 180 milliards de dollars en 2018 à 155 milliards de dollars en 2021, selon les prévisions du FMI. Comme il est illusoire de penser que la planche à billets est la solution, l'Algérie souffrant de rigidités structurelles et tout toute injection sans contreparties productives alimentent l'inflation qui selon les données cumulées de l'ONS entre 2000/2020 approche les 100%, taux sous-estimé car le besoin est historiquement daté avec un pic intolérable depuis janvier 2021 à ce jour, combattant ce processus par des mécanismes économiques et non par des mesures administratives qui provoquent l'effet contraire. Sur les 6 556,2 milliards (mds) de dinars mobilisés jusqu'en janvier 2019 par le Trésor public auprès de la Banque d'Algérie, dans le cadre du financement non conventionnel, un reliquat de 610,7 mds de dinars restait à consommer d'ici à la fin 2019. Après avoir été abandonné en 2020, le recours à la planche à billets a été décidé en 2021 pour suppléer au manque de liquidités, avec une dette publique totale par rapport au PIB de 63,3% en 2021, contre 53,1% en 2020, et que la dette publique nette totale représentera 60,5%, contre 50,4% pour la même période d'un montant, pour 2021, d'environ 2100 milliards de dinars, environ 16 milliards de dollars, afin d'éviter le recours à l'endettement extérieur.

Or les expériences historiques dans le cadre de l'application de la théorie néo-keynésienne de relance de la demande globale (consommation et investissement) à travers l'émission monétaire est applicable à des économies structurées qui ont une économie productive en sous capacités. Attention à la dérive salariale qui peut entraîner le pays dans une spirale inflationniste incontrôlée, tant qu'il y a la rente, sont atténuées artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures qui permettent des subventions et transferts sociaux représentant 23,7% du budget général de l'Etat et 9,4% du PIB pour l'exercice 2021, mais mal gérés et mal ciblés, qui ne profitent pas aux plus démunis. Attention également au risque de à l'implosion des caisses de retraite, véritable bombe à retardement, pour 2020, les perceptions ont atteint les 762 milliards de dinars et les dépenses dépassent les 1.400 milliards DA avec un déficit observé de l'ordre de 640 milliards DA avec une prévision de 700 milliards de dinars 2021. Pour environ 3,3 millions de retraités fin 2020 et le ratio de nombre de travailleurs cotisants pour un retraité est en 2020, à 2/1 alors que la norme de la viabilité d'un système de retraite est d'au moins cinq actifs cotisants pour un retraité

3. Dans ce cadre sans une stratégie clairement définie, les propos récents d'un partenariat public/privé PPP ainsi que l'ouverture du capital des entreprises publiques ne doit pas faire illusion. Il faut préciser qu'il ne faut pas confondre le partenariat public privé avec l'ouverture du capital des entreprises publiques. Une privatisation est la vente ou cession par l'État au secteur privé d'une partie ou de la totalité d'une entreprise publique. Dans le cadre d'un PPP, l'État verse une somme au secteur privé en contrepartie de l'offre de service et de la prise en charge éventuelle de la construction et de la gestion des infrastructures. La privatisation suppose que le secteur privé soit le seul responsable d'assurer les services, alors qu'avec un PPP, l'État conserve son rôle de responsable envers les citoyens et reste présent dans le projet étant donné qu'il fait partie du contrat. Les PPP ne sont pas la panacée car la préparation des projets de type PPP prend généralement plus de temps que des passations de marchés classique en raison de leur complexité, étant important de bien choisir les projets qui peuvent être effectués sous forme de ppp et de bénéficier de conditions favorables qui incluent des acteurs publics et privés compétents et solvables et un cadre macroéconomique et réglementaire stable. Cela renvoie à l'adaptation du cadre juridique.

Des dispositions légales et réglementaires doivent être prises ou adaptées pour permettre un développement harmonieux de ces opérations, dans le respect des spécificités des opérations de partenariat public-privé notamment dans la loi sur les marchés publics. -Sous certaines conditions, le PPP peut devenir un outil de financement alternatif, pour l'accélération et la multiplication des investissements d'infrastructures, l'amélioration de la qualité du service public, l'optimisation des coûts et délais de réalisation ainsi que le transfert du savoir-faire.

D'où l'urgence de la mise en place d'un cadre juridique et institutionnel clair pour une meilleure conduite des projets, impliquant le secteur privé dans toutes les étapes de préparation et de maturation des projets publics objets de PPP, tout en optant, dans une première étape, pour les petits projets pilotes et rentables afin de pouvoir mobiliser les financements nécessaires. Quant à l'ouverture du capital des entreprises publiques, privatisation partielle soit par avis d'appel d'offre ou par la bourse d'Alger en léthargie depuis sa création, création purement administrative, selon le Ministère de l'Industrie, le secteur public marchand compte en 2020, 10 complexes industriels publics, comprenant 187 établissements et 270 unités de production.

L'ouverture du capital des entreprises publiques c'est-à-dire la privatisation partielle, ne peut intervenir avec succès que si elle s'insère dans le cadre d'une cohérence et visibilité de la politique socio- économique globale et que si elle s'accompagne d'un univers concurrentiel et un dialogue soutenu entre les partenaires sociaux, devant répondre à de nombreux objectifs qui ne sont pas tous compatibles, pouvant varier et être adaptés en fonction du contexte international, social et économique interne et de l'activité ou de l'entreprise ce qui suppose la résolution de plusieurs contraintes.

- Premièrement, revoir les filialisations non opérantes par le passé dont l'objectif était la sauvegarde du pouvoir bureaucratique.

- Deuxièmement, définir le patrimoine (absence de cadastre réactualisé numérisé) et donc les titres de propriété fiables sans lesquels aucun transfert de propriété ne peut se réaliser.

- Troisièmement, avoir des comptabilités claires sans lesquelles l'évaluation est faussée dans la mesure où le prix réel de cession varie considérablement d'année en année, voire de mois en mois, de jour en jour en bourse par rapport au seul critère valable, existant un marché mondial de la privatisation où la concurrence est vivace.

- Quatrièmement, préparer l'entreprise à la privatisation, certains, la transparence étant une condition fondamentale de l'adhésion tant de la population que des travailleurs à l'esprit des réformes liées d'ailleurs à une profonde démocratisation de la société.

- Cinquièmement, pour la reprise des entreprises par les cadres et ouvriers, la création d'une banque à risque pour les accompagner du fait qu'ils possèdent le savoir-faire technologique, organisationnel et commercial la base de toute unité fiable doit être constituée par un noyau dur de compétences.

- Sixièmement, résoudre les problèmes des dettes et créances douteuses, les banques publiques croulant sous le poids de créances douteuses et la majorité des entreprises publiques étant en déficit structurel, endettés, surtout pour la partie libellée en devises.

- Septièmement, raccourcir les délais trop longs avec des chevauchements de différents organes institutionnels entre le moment de sélection de l'entreprise, les évaluations, les avis d'appel d'offres, le transfert, au Conseil des Participations, puis au Conseil des ministres et la délivrance du titre final de propriété où en ce monde, les capitaux mobiles vont s'investir là où les obstacles économiques et politiques sont mineurs, le temps étant de l'argent.

- Huitièmement, définir clairement les répartitions de compétences qui a le pouvoir de demander l'engagement d'une opération de privatisation, de préparer la transaction, d'organiser la sélection de l'acquéreur, d'autoriser la conclusion de l'opération, de signer les accords pertinents et, enfin, de s'assurer de leur bonne exécution.

- Neuvièmement, analyser les impacts de l'Accord d'Association avec l'Afrique, le monde arabe pour des zones de libre-échange, et surtout l'Europe principal partenaire, toujours en négociations, les entreprises publiques et privées devant être concurrentielles en termes de coûts/qualité surtout en Afrique où les concurrents sont nombreux, ne pénétrant pas un marché par décret.

En résumé, il y a urgence de dresser un bilan serein afin de ne pas commettre les erreurs du passé et de proposer des solutions irréalisables, du redressement de l'économie nationale impliquant la refonte du système politique et socio-économique et une réorganisation institutionnelle centrale et locale qui doit s'insérer dans le cadre d'objectifs stratégiques précis. Pour un langage de la vérité, loin de toute sinistrose, et autosatisfaction destructrice à laquelle la population algérienne ne croit ne plus, l'Algérie, pays à fortes potentialités et acteur stratégique de la stabilité du bassin méditerranéen et du continent Afrique a besoin d'une nouvelle gouvernance loin de la mentalité rentière.

*Professeur des universités, expert international