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Air Algérie : plan préliminaire pour la relance et le positionnement de la compagnie

par Mahmoud Mehalli*

La lecture des éléments du plan d'Air Algérie, partagé et discuté avec le ministre des Transports, repris dans les quotidiens nationaux, appelle de mon point de vue les commentaires suivants :

- Analyse autocentrée du plan de développement 2022-2025, impliquant en particulier :

- Un manque d'analyse des paramètres majeurs d'environnement et de leur impact sur l'activité de la compagnie

- Pas de véritable analyse des besoins des marchés, particulièrement l'impact de la crise sanitaire et économique

- Manque d'objectifs synthétiques pour nombre de domaines figurant dans les orientations stratégiques (le développement du marché Afrique, politique commerciale et la poursuite d'une gestion des revenus inopérante, conséquence de l'ouverture du transport aérien...)

- Manque de couplage entre problématiques budgétaires et de planification stratégique (induit des coûts notamment le programme d'investissement, leur niveau et leur couverture, le niveau de l'écart budgétaire associé au plan proposé...)

- Manque d'objectifs précis et chiffrés au niveau des plans d'actions (quel niveau de positionnement recherché sur les réseaux ciblés, gains apportés par la reconfiguration de certains métiers compagnie...),

- Mélange de granulométrie dans les plans d'action des entités : confusion entre les actions à caractère stratégique et celles relevant du quotidien

- Absence de priorisation claire et objective des plans d'actions.

L'accès au contenu détaillé du plan permettra d'affiner nos observations et préconiser une démarche d'un plan de sortie de crise de la compagnie. Nous rappelons par ailleurs que nos différentes contributions constituent des pistes probantes pour assainir la gestion d'Air Algérie.

Le plan Air Algérie doit être défini en fonction des défis attendus dans un contexte de crise durable.

- C'est Retrouver les flux monétaires positifs, les directives et orientations du ministre s'opposent à cette logique fondamentale pour la compagnie.

* En recommandant une baisse des tarifs sur le réseau domestique, l'option serait le début d'un cycle vicieux de nouvelles pressions sur les coûts. Cela prolongera la crise de trésorerie de la compagnie

* En insistant sur l'ouverture du secteur dans un contexte de fragilisation de la compagnie, une option peu probante, favoriserait les nouveaux entrants qui disposeraient d'un marché mature et des coûts plus bas. L'harmonisation de la concurrence serait fortement affectée et le grand perdant c'est Air Algérie.

La libéralisation du transport aérien et ses effets supposés positifs et sans implication sur la compagnie montrent une approximation dans la démarche, établie sans mesure ni encore moins basée sur une évaluation préalable.

Une libéralisation hâtive, sans mesure de protection, ouvre en général la porte à une concurrence féroce qui risque d'exclure la compagnie Air Algérie de certains marchés rémunérateurs. Le mode de gestion de la compagnie Air Algérie et le retard dans la mise en œuvre d'un programme de mise à niveau prédestine la compagnie à cette exclusion.

Son manque de productivité fragilisera davantage sa position dans ce contexte de libéralisation. Le manque de productivité est dû habituellement non aux caractéristiques de gamme, de densité et autres paramètres propres à influer sur la production, mais un degré d'efficience interne avec laquelle le transporteur gère ses ressources. Une domination du marché par les nouveaux entrants plus productifs sera la réalité et déclenchant des réactions probables institutionnelles de type de subvention coûteuse pour la collectivité.

L'enjeu aujourd'hui pour la compagnie serait la recherche de la convergence en matière de productivité et de maîtrise de ses coûts. Le plan Air Algérie fait-il sortir ces points fondamentaux ? Quelles actions et mécanismes pour répondre à ces objectifs ?

Dans le contexte actuel de l'organisation de la compagnie, organisation dans toutes ses dimensions, entreprise structurellement moribonde, la libéralisation peut conférer des bénéfices limités et incertains mais des coûts considérables et certains.

L'ouverture du secteur ne doit en aucun cas précéder la mise à niveau de la compagnie :

- Air Algérie doit améliorer sa rentabilité, en diminuant ses charges variables et leurs coûts fixes, opérations permettant à Air Algérie de sortir de cette dépendance interventionniste.

- Air Algérie doit rationaliser sa flotte et explorer le leasing pour les nouvelles options de renforcement de sa flotte, tout en se questionnant sur les aménagements des cabines actuelles.

- La révision de son modèle d'affaires, qui exige un délai, une valeur ajoutée (la fonction de distribution du produit Air Algérie à l'étranger constitue un moyen pour réduire ces coûts de fonctionnement, une contribution est dédiée à cet aspect de la fonction AH...)

- la rationalisation de ses dépenses : Les bâtiments et loyers font aussi partie des charges fixes d'Air Algérie, particulièrement à l'étranger. Air Algérie doit revoir ses dépenses à la baisse en réorganisant les espaces de travail disponibles afin de vendre ou rendre des locations.

- Cette période crée un mouvement, la cession des activités connexes constitue une option à privilégier, par exemple, Lufthansa a cédé sa filiale Catering Sky Chefs (ma contribution sur la privatisation esquisse le développement d'un partenariat pour les activités connexes de la compagnie, l'intérêt et l'organisation de ce partenariat sont développés...)

- Les salariés doivent être mis à contribution pour participer aux mesures économiques, en matières du nombre de départs, de baisse des rémunérations et de changement des conditions de travail. Le redimensionnement des effectifs, leur corollaire et la rétribution doivent faire l'objet d'un examen.

- Combattre le déficit d'image en rendant Air France désirable. Elle est là pour redorer la marque «Air Algérie».

- Les plans d'investissement doivent être redéfinis mais pas abandonnés

- Refonte de son programme d'exploitation, sous-optimisé et source de surcoûts : le programme dimensionne et structure l'ensemble de la production de la Compagnie. Il est la résultante de l'adéquation de 4 éléments simples : destinations, fréquences, horaires, avions. Il détermine la stratégie de la compagnie pour chacune de ses lignes, en termes de nombre de fréquences, horaires et types d'avions, en intégrant différents paramètres tels que la concurrence, l'économie, la mise en œuvre opérationnelle, les flux de correspondances, et l'évolution du marché qui sont les considérations de base appuyant la définition du programme.

Qu'en est-il pour Air Algérie, la sous-optimisation du programme est révélatrice d'une construction du programme dont la logique est SIMPLEMENT la couverture seule du réseau...

L'analyse préliminaire du programme (Hiver/Été) de la compagnie s'oppose malheureusement à cette logique de l'articulation et révèle des incohérences préjudiciables à court et moyen terme pour la compagnie... Destinations : le point à point est privilégié malgré la volonté affirmée de la compagnie à restructurer le réseau en HUB. Les prémices d'une restructuration ne sont pas à l'ordre du jour alors que toutes les déclarations des responsables de la compagnie versent en direction d'une réorganisation du réseau. Les éléments premiers de cette restructuration doivent apparaître dans la ligne directrice de la stratégie de la compagnie, continuer de l'ignorer affaiblira la compagnie surtout dans le contexte d'ouverture national du transport aérien.

Fréquences : offre proposée (renforcement des ailes non justifié par la présence de la concurrence) contredit l'optique d'une maximisation de la marge. Offre disparate non optimisée dont la mise en place des vols sur les ailes (renforcement par l'augmentation de fréquences) absorbent une partie importante des coûts et dégagent des revenus insignifiants, deux raisons expliquant cette situation horaires non commerciaux des vols et le déficit du réseau domestique. Le coefficient de remplissage enregistré par saison atteste ce niveau de performance.

Un alignement et une reconduction historique des vols avec un renforcement des fréquences sans jugement sur leur pertinence en matière de génération de plus-value pour la compagnie ont constitué le choix dans l'élaboration du programme. En outre, ce programme et son renforcement est incapable d'identifier l'optimum stratégique des dessertes en termes de nombre de fréquences. Le renforcement du programme ne tient pas compte de la maximisation de la marge de l'entreprise qui conduira à l'asphyxie sur le court terme et débouchera sur un déséquilibre à moyen terme préjudiciable et dont les conséquences seront loin d'être insignifiantes, un déséquilibre qui sera renforcé par ailleurs par les coûts fixes associés au programme d'investissement. La notion d'optimisation de marge doit constituer une préoccupation pour la compagnie qui évolue de surcroît dans un environnement très agressif. Le non-souci de résultat du programme requiert une flotte conséquente conduisant à un taux d'utilisation des avions le plus faible du secteur (7.5 heures pour les NG et 9.1 heures pour les longs courriers contre une utilisation de 15 heures standard du secteur).

Autre conséquence observée ou attendue est le changement du programme aussi bien en termes horaires et/ou avions (IRGHO, IRGAV...), ce recours palliatif devenu récurrent pose également un problème de gestion majeur. Les changements actuels sont une parfaite illustration d'un programme sous-optimisé et loin d'une logique commerciale probante. Le surdimensionnement de notre programme constitue le facteur expliquant ces turbulences. La flotte additionnelle n'apporte que peu de solutions sinon l'amoindrissement de la performance de nos avions.

Horaires : la modification des horaires doit être conditionnée par la volonté de la compagnie d'optimiser ses vols et élargir les possibilités de voyages en transit via l'aéroport d'Alger (insignifiant pour AH malgré l'optique de développement de l'activité de continuation et la mise en place HUB, condition pour le développement de l'activité en direction de l'Afrique). Un calendrier de changement est nécessaire qui permettra une utilisation efficace du temps et doit figurer dans la définition du programme (Été/Hiver). Une reconduction des horaires, solution outre sa simplicité, ne tient pas compte de la typologie de la clientèle et les objectifs déclarés par la compagnie en termes de stratégie offensive. Comment peut-on privilégier l'option d'un statu quo alors que la demande a évolué sous la contrainte simultanée de la concurrence et des habitudes des passagers.

Nous qualifions cette situation de peu convenable.

Elle engage toutefois la compagnie dans l'immobilisme et réduit sa position concurrentielle. Le maintien des horaires historiques est source de gaspillage des ressources (avions). Le réexamen des horaires actuels est requis et constitue une urgence du plan. La réduction de cette fréquence permet de soulager le programme et autorise AH de disposer de soupape pour pallier à des imprévus d'immobilisation technique des avions.

Flotte : la première richesse d'une compagnie aérienne est constituée par sa flotte. Ces moyens de production sont à la fois extrêmement coûteux et particulièrement complexes. Il s'agit donc de l'utiliser au mieux.

Le premier problème que rencontre Air Algérie consiste à planifier cette flotte en construisant un programme de vol optimisé. Après avoir construit un réseau (surdimensionné et sous-optimisé actuellement), on détermine quel «type d'avion sera le plus adapté pour effectuer chacun de ces vols et permettra de maximiser la recette globale, faisant intervenir les caractéristiques de chaque type d'avion tel que sa capacité ou ses performances, ainsi que les flux prévisionnels de passagers pour chaque classe de contribution (Première, Affaire, Economique).

La planification de la flotte ne sera complète que lorsqu'il sera établi, pour chaque rotation avion définie, quel avion exactement lui sera affecté en fonction des butées de maintenance de chaque appareil (nombre d'heures de vol, nombre de cycles d'atterrissages/ décollages avant visite). En conclusion, nous élaborons des programmes statiques non évolutifs, coûteux. Des fortes économies peuvent être dégagées d'un programme optimisé, réfléchi et construit selon une logique commerciale cohérente. Un programme peut faire la compagnie comme il peut la défaire. Le plan attendu devra évaluer les gains d'un programme optimisé par l'intégration de ses différentes composantes.

-Développement du marché Afrique : utopie dans le cadre de la configuration du fonctionnement actuel de la compagnie : décréter un positionnement sans une organisation revisitée connaîtra sans aucun doute un blocage.

La source de son développement passe par l'expansion de l'activité de continuation, ou l'aéroport d'Alger devra jouer véritablement un rôle de HUB

1. -Quels sont les intérêts que tire Air Algérie de ce développement ?

2. Pourquoi cette stratégie est impérative pour Air Algérie ?

3. Air Algérie dispose-t-elle d'atouts pour le développement de cette activité ?

4. les limites actuelles ?

5. Quels sont les acteurs concernés pour la mise en place de cette activité ?

La réponse à ces questions est fondamentale pour situer les limites de ce redéploiement stratégique pour Air Algérie.

En effet, Il s'agit d'un nouveau positionnement, qui exige une nouvelle démarche marketing à travers une orientation forte sur le client, impliquant :

- Une nouvelle organisation orientée clients et ses attentes,

-Une nouvelle stratégie produits et services,

- Une politique tarifaire agressive et évolutive.

Air Algérie doit : mettre en œuvre une action marketing, en se mettant à l'écoute du client en développant :

- la connaissance des marchés, de la concurrence et des clients (veille concurrentielle, Benchmarking)

- l'amélioration du processus d'élaboration des offres (programmes et tarifs) et des produits (sol/vol) partant du marketing et correspondant aux attentes des différents segments

-la mise en place des mécanismes de mesure et de suivi de la satisfaction des différents segments, supportés par une politique de communication valorisant le produit Air Algérie

Limites actuelles à lever :

? Disposer d'un minimum connections time, très compétitif (le temps de connectivité actuel sur le réseau est en moyenne de 8 heures alors que chez nos concurrents directs il est au minimum de 2 heures. Ce dernier représente le temps qu'un passager peut passer lors d'une correspondance. Et il s'agit justement de l'un des principaux nerfs de guerre quant à l'efficacité de la plateforme d'Alger et de l'activité 6ème liberté.

? Concurrence très agressive, dans cette course où seul le passager compte. Les compagnies jouent du coude à couder afin de gagner du terrain et attirer davantage des clients. Les concurrentes disposent d'un avantage comparatif appréciable lié à leur efficacité

? La réussite économique et commerciale d'une correspondance, c'est également le bagage. Et ce n'est pas une mince affaire. (Traitement et transfert...) qui pose des problèmes sérieux au niveau de la plateforme d'Alger

? Ponctualité.

La compagnie doit repenser ses services particulièrement pour le transit et les classes prestigieuses avec un investissement dans la qualité totale et le confort du client.

? La mise en place d'un service accueil

? Agencement et une coordination sans faille de tous les services concernés.

- gestion/manutention bagages

- mettre en place un comptoir de correspondance pour accueillir les clients et les aider.

Les agents d'Air Algérie doivent veiller à l'acheminement des passagers

? Air Algérie doit investir dans la qualité de service (mauvaise qualité coûte aussi très cher) mais aussi elle doit sonder l'opinion de sa clientèle en créant des back-office et en évitant par ailleurs aux clients de rédiger des lettres pour dénoncer les dysfonctionnements.

? Nécessité de reconfigurer notre réseau par la mise en place du HUB d'Alger, aidant à capter le trafic 6ème liberté et offrant des économies de coûts pour la compagnie (économie d'échelle et d'envergure).

Il constitue aussi un outil efficace de domination du marché par le biais de l'effet de fréquence. En effet il s'agit d'une opération importante et structurelle nécessitant sans doute une expertise absente au niveau de la compagnie

? Une stratégie de distribution incitative confiée à des consolidateurs, la commercialisation de ce produit dans une première étape

? Des promotions tarifaires quasi permanentes doivent désormais faire partie du paysage de ce marché, compensant en partie le niveau de qualité de service offert par la compagnie

? Mettre en place une politique de communication intégrée afin de renforcer la notoriété et la crédibilité d'Air Algérie

? Assurer une meilleure efficacité au programme de fidélisation qui a du mal à prendre de l'altitude. C'est un baromètre d'observation du comportement et de segmentation de la clientèle (nombre adhérent, nombre actif.)

? Affichage des correspondances à bord des avions long courriers

? Doit-on aller vers une alliance?

La pénétration de ce réseau appelle à elle seule tout un programme, réseau, commercial, réorganisation. La légèreté dans la démarche de la compagnie, avec un appui du ministère des Transports, démontre un écart entre la volonté et les moyens à mettre en œuvre pour rejoindre l'objectif d'un positionnement recherché. Dans une de mes contributions portant sur ce marché, je préconise une position pour un renforcement d'Air Algérie, distinguée entre les mesures internes et celles externes, notamment de nature politique, et le recherche de partenariat intra-Afrique

- Filialisation de la base de maintenance : Air Algérie confond entre l'option de la filialisation de la maintenance, retenue et approuvée depuis déjà 2005 par les autorités compétentes et sa mise en œuvre dans la réalité. L'écart temporel est révélateur de l'incapacité de la compagnie à mettre en œuvre certaines opérations. Air Algérie a-t-elle retrouvé ces vertus en matière d'expertise ou bien une manifestation d'une ignorance des difficultés liées à ce type d'opérations.

Des étapes importantes seront requises pour mener à terme ce processus de filialisation :

- L'assainissement des comptes de l'entité filialisée

- L'établissement des bilans d'ouverture validés par les commissaires aux comptes

- L'identification des stratégies de mise à niveau de la maintenance

- La définition d'un Plan d'Affaires, nécessaire pour un partenariat projeté

Air Algérie Technics bénéficie d'une base maintenance à très fort potentiel qu'elle doit encore optimiser. Nous avons consacré dans le cadre de nos contributions, une présentation de l'activité de maintenance incluant l'option d'un partenariat stratégique.

Un plan Air Algérie doit s'articuler autour des points cités, quantifié, des échéances établies, le coût du plan, le niveau de valeur escompté par les actions du plan et enfin la contribution attendue des pouvoirs publics.

Le ministère des Transports s'est vu attribuer cette mission de regard et de suivi du plan Air Algérie. Il doit être attentif à la démarche de la compagnie en réorientant le processus de définition du Plan et en distinguant les actions urgentes, des actions dont la nature est purement de fonctionnement.

*Docteur d'Etat en Aéronautique, consultant et Expert International en Aviation Civile. Membre Eminent de l'Association Britannique Des Consultants En Aviation Civile. Membre de Chartered Institute of Transport. Membre de la Royal Aeronautical Society. Membre de Institute Of Management. Membre de Institution Of Highways And Transportation