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Evergrande menace la stabilité financière mondiale

par Akram Belkaïd, Paris

De manière régulière, une faillite annoncée sème la panique sur les marchés. Personne n’a oublié que la grosse crise de la fin des années 2000 a commencé par la faillite de fonds gérants des créances immobilières douteuses. En 1998, c’est le naufrage du fonds Long Term Management Capital (LTMC) qui a provoqué une onde de choc si forte que l’on a cru pendant plusieurs jours que le système bancaire mondial allait s’effondrer. Cette fois, c’est le groupe immobilier chinois Evergrande Real Estate Group qui concentre toutes les peurs et envoie les grandes places financières au tapis.

Un essor impressionnant

Endetté à hauteur de 300 milliards de dollars -une somme impressionnante-, ce conglomérat semble être incapable de faire face aux échéances de remboursement. Sa chute pourrait donc entraîner celles des banques créancières, essentiellement chinoises, mais aussi ruiner des milliers de particuliers qui lui ont confié leurs économies pour acquérir un bien immobilier. Les prochains jours seront importants car l’on se demande si le gouvernement chinois va intervenir et sauver Evergrande. En attendant, on peut tirer quelques enseignements de cette affaire.

A lui seul, Evergrande emploie 200.000 personnes, raconte la Chine contemporaine. Fondé en 1996, le groupe s’est d’abord concentré sur la construction. Il a accompagné le besoin insatiable des Chinois en logements. Dans une période importante de croissance économique, la nouvelle classe moyenne entendait accéder à la propriété immobilière et des entreprises comme Evergrande en ont profité. C’est ainsi que la presse économique a pu raconter la belle histoire de Hui Ka Yan, le patron d’Evergrande, qui serait parti de rien pour entrer dans le club très fermé des hommes les plus riches d’Asie. Pour mémoire, l’entrée en Bourse de Hong Kong du groupe fut une sorte de consécration de ce capitalisme à la chinoise (près de 8 milliards de dollars levés).

Mais toutes les belles histoires ont leur revers. Evergrande a commencé à multiplier les investissements dans de nombreux domaines : voitures et vélos électriques, tourisme, eau minérale, clubs de football. Beaucoup trop vite, beaucoup trop haut, trop d’investissements et de dépenses; l’issue est souvent la même : il faut s’endetter toujours plus pour faire face à la croissance immodérée du groupe. Cela fait des années que des analystes mettent en garde contre la dérive d’Evergrande, l’un d’eux a même été condamné à de la prison en 2015 pour « diffusion de fausses nouvelles ». Aujourd’hui, la mer se retire et le baigneur est nu.

Le dilemme de Pékin

Que va faire le gouvernement chinois ? S’il sauve Evergrande, il donne un (mauvais) signal à nombre d’autres groupes privés qui, eux aussi, font face à d’importantes difficultés financières et qui pourraient se dire qu’il leur suffit d’attendre l’aide publique. S’il abandonne le conglomérat, alors les risques d’une crise mondiale sont réels avec ce que cela implique comme effets sur la modeste reprise post-pandémie. Sauver Evergrande ou pas, telle est donc la question cruciale pour un gouvernement chinois qui se serait bien passé d’une telle affaire.