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Mutations géostratégiques: Cinq mythes à éviter

par Abderrahmane Mebtoul*

Du fait de la mentalité rentière de certains responsables, face aux nouveaux enjeux mondiaux et aux tensions internes budgétaires et sociales, s'impose un discours de vérité, loin de la démagogie et un renouveau culturel.

Or, combien de fois nous n'avons pas attiré l'attention depuis de longues années sur les dérives de la politique économique mais avons-nous été écoutés ?

(voir www.google.com 1980/2021). Souhaitons que nos responsables évitent cinq mythes et les pratiques du passé qui ont conduit le pays à la situation actuelle malgré ses importantes potentialités.

1. Premier mythe à éviter, prévoir un développement sans bonne gouvernance

Les scandales financiers mis en plein jour, ayant existé par le passé mais de moindres dimensions, relatés ces dernières années montrent clairement que certains dirigeants n'étaient pas mus par les intérêts supérieurs du pays.

Or sans un retour à la confiance et la moralité» des dirigeants, cette société anémique comme l'a mis en relief le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun, il est illusoire de parler de développement et d'un Front intérieur poudrant indispensable en faveur des reformes qui seront douloureuses à court terme mais porteuses d'espoir à moyen terme. Certes les réformes politiques sont indispensables mais négliger l'économique conduira inévitablement au retour au FMI avec d'importantes incidences politiques, économiques, sociales et sécuritaires. Certes, on ne peut, en deux années après une léthargie de plusieurs décennies, redresser le bateau Algérie où uniquement pour la période 2000/2019, les recettes ont devises ont dépassé les 1.000 milliards de dollars avec une sortie de devises en biens et services de plus de 935 milliards de dollars, avec un taux de croissance dérisoire qui a fluctué entre 2/3% alors qu'il aurait dû être de 9/10%.

Oui, la situation socioéconomique est préoccupante à l'instar de bon nombre de pays dans le monde du fait de la crise actuelle. L'annonce de l'amélioration de la balance commerciale, pour 2021 ne relève pas d'une bonne gestion mais de la réduction drastique des importations qui ont paralysé bon nombre de secteurs. C'est comme dans un ménage où la réduction de la nourriture entraîne des maladies sur le corps social. Le taux de croissance du produit intérieur brut PIB algérien dépend fondamentalement via la dépense publique de l'évolution du cours des hydrocarbures qui détermine, à la fois, le taux de croissance, le taux d'emploi et les réserves de change. L'Algérie ne peut continuer à fonctionner sur la base d'un cours supérieur à 100 dollars le baril, où selon le FMI le cours budgétaire inscrit dans les différentes lois de finances 30 ou 40 dollars étant un artifice comptable, le prix d'équilibre était estimé de 104,6 dollars en 2019 et à plus de 110 dollars pour les lois de finances 2020/2021.

Malgré ces tensions, le gouvernement a maintenu les transferts sociaux budgétisés, comme acte de solidarité s'établissant environ à 14 milliards de dollars, soit 8,4% du PIB, et plus de 21% de la totalité du budget de l'Etat ces transferts, à l'avenir devant être ciblés pour les plus démunis.

2. Deuxième mythe : création de millions d'emplois sans réformes ni croissance

La croissance a été négative d'au moins 5% en 2020 et les prévisions de ¾ % en 2021, se calculent par rapport à la période précédente, un taux de croissance négatif en T0 par rapport à un taux de croissance positif en T1, donne une croissance cumulée faible, environ entre 0 et 1% en termes réels en 2021. En ce mois de septembre 2021, nous avons un tissu productif interne privé et public, peu performant, le taux d'intégration ne dépassant pas 15% où selon l'ONS plus de 80% du tissu économique est constitué d'unités personnelles ou de petites Sarl, peu innovantes. Il est utopique de créer en 2021, comme annoncé le 12/01/2021, au Forum ?Ech Chaab' par un ministre-délégué auprès du Premier ministère, entre 1 et 2 millions d'entreprises par décrets, soit pour 10 emplois par entreprises la création entre 10 et 20 millions d'emplois (une chimère) alors que la majorité des entreprises existantes sont en sous-activité, un projet PMI/PME pour sa maturation et sa rentabilité , répondant aux normes coûts/qualité, dans le cadre concurrentiel où le dénominateur est le marché, nécessitant, au minimum, 2/3 années, les grands projets 5/7 ans et avec quel financement. Comme ces déclarations, démontrant une communication institutionnelle non adaptée des années 1970/1980 avec l'effritement du système d'information, accentuant le divorce Etat-citoyens, que les réformes auraient commencé et qu'il fallait attendre 2021 pour voir leurs effets, alors que la majorité des experts sérieux s'accordent à dire que les véritables réformes politiques , sociales (des subventions ciblées) et économiques n'ont pas encore commencées.

3.-Troisième mythe des solutions purement monétaristes à la Friedmann, comme la solution miracle de la dévaluation du dinar pour dynamiser les exportations hors hydrocarbures

Le cours du dinar est passé à 5 dinars un dollar vers les années 1970 à 116 dinars un dollar en 2019, plus de 132 dinars un dollar en janvier 2021, et toujours directement et indirectement les exportations 98% des entrées en devises sont représentées par les hydrocarbures et ses dérivés, montrant que le blocage est d'ordre systémique. Le déficit budgétaire qui selon la LF2021, serait de 21,75 milliards de dollars, au cours de 128 dinars un dollar, cotation au moment de l'élaboration de cette loi, et un déficit global du trésor prévu de 28,26 milliards de dollars.

Pour faire face aux tensions financières, vision purement monétariste, source d'inflation en cas de non création de valeur ajoutée, nous assistons à une dévaluation accélérée qui ne dit pas son nom de la cotation du dinar officiel du dinar où le 21 septembre 2021, un dollar s'échange à plus de 136 dinars dépréciation du dinar par rapport au dollar et l'euro a pour but essentiel de combler artificiellement le déficit budgétaire, non articulé à un véritable plan de relance économique et donc assimilable à un impôt indirect que supporteront les consommateurs algériens. Cette cotation du dinar est donc fortement corrélée au niveau de production et productivité et dans une économie rentière aux réserves de change qui ont évolué du 01 janvier 2014 à 194 milliards, selon le plan d'action du gouvernement ayant clôturé à 48 milliards de dollars au 31/12/2020 et à environ 44 entre avril/mai 2021.

Dans ce cadre, il s'agira d'éviter d'appliquer des schémas de pays développés comme le financement non conventionnel, 16 milliards de dollars prévus en 2021, où les recettes keynésiennes de relance de la demande globale applicables à une économie productive structurée, alors que l'Algérie souffre de rigidités structurelles et de la faiblesse de l'offre. Avec la dominance de la sphère informelle qui contrôle plus de 50% de l'activité économique, hors hydrocarbures et plus de 33% de la masse monétaire en circulation où faute de la compréhension du fonctionnement de cette sphère claire l'on croit combattre par des actions bureaucratiques, expliquant tous les échecs de cette intégration (voir le poids de la sphère informelle et ses incidences géostratégiques au Maghreb : étude du professeur Abderrahmane Mebtoul réalisée pour l'Institut français des relations internationales IFRI-Paris, décembre 2013 et revue stratégie du ministère de la Défense nationale IMDEP, octobre 2019).

4.-Quatrième mythe, le développement des start-up et de la privatisation comme facteur de développement, sans visions stratégiques

L'expérience des pays développés montre que la rentabilité des star-up est fonction d'institutions et d'entreprises performantes alors que le tissu économique algérien est composé selon l'ONS à plus de 80% d'entreprises familiales , de petites SARL, peu innovantes. Evitons de renouveler les expériences négatives de l'ANSEJ que selon un rapport officiel 2020, plus de 70% des projets , des jeunes promoteurs, sont en difficultés ou en faillite, ne pouvant pas rembourser les emprunts bancaires. Comme le développement des start up nécessitent un fort débit d'Internet qui fait cruellement défait et leur succès dépend de la 5G afin de maîtriser de l'intelligence artificielle, non encore mise en place. Concernant la privatisation, sans réformes structurelles même partielles via la bourse d'Alger, peut conduire au bradage du patrimoine national où le constat est l'absence de titres de propriétés clairs, des comptabilités défectueuses, des sureffectifs, des banques qui croulent sous le poids des créances douteuses et le déficit structurel de la majorité des entreprises publiques processus. Elle ne peut intervenir avec succès que si elle s'insère dans le cadre d'une cohérence et visibilité de la politique socio- économique globale, que si elle s'accompagne d'un univers concurrentiel et un dialogue soutenu entre les partenaires sociaux. C'est un acte éminemment politique et non technique ne devant pas confondre privatisation et démonopolisation, qui est l' encouragement d'investisseurs privés nouveaux ou le partenariat public privé PPP s'appliquant surtout aux infrastructures, où l'Etat reste le maître d'œuvre, processus complémentaires, allant vers le désengagement de l'Etat de la sphère économique afin qu'il se consacre à son rôle de régulateur stratégique en économie de marché.

5. Cinquième mythe, l'exportation des matières premières brutescomme facteur de développement

La filière mines, à travers tout l'arbre généalogique, est contrôlée au niveau mondial, par quelques firmes avec d'importantes restructurations ces dernières années. Pour l?Algérie, il y a des données contradictoires des responsables: le ministre de l'Industrie en février 2008 à la Télévision algérienne, repris par l'APS, annonce que le coût du projet de Gara Djebilet avec toues les annexes est de 15/16 milliards de dollars. En conseil des ministres, courant 2011, on annonce entre 8/9 milliards de dollars et le ministre de l'Industrie, en date du 11 juin 2020, avec le projet du phosphate donne le montant de 16 milliards de dollars et pour le fer de Gara Djebilet, il faudra investir dans les centrales électriques, des réseaux de transport, une utilisation rationnelle de l'eau, des réseaux de distribution qui font défaut du fait de l'éloignement des sources d'approvisionnement, tout en évitant la détérioration de l'environnement, unités très polluantes et surtout une formation pointue. Afin d'éviter d?induire en erreur tant l'opinion publique que les plus hautes autorités du pays, le gouvernement doit donner les capacités, le montant en dinars et en devises du projet dans sa globalité, la part du financement de la partie algérienne et la rentabilité effective.

A un cours de 100 dollars, hypothèse très optimiste, la tonne (cours moyen entre 80/85), le fer brut, pour une exportation brute de 30 millions de tonnes auquel, le chiffre d'affaire serait de 3 milliards de dollars, montant, il faudra retirer 40% de charges, le coût d'exploitation étant très élevé restant 1,80 milliard de dollars. Ce montant est à se partager selon la règle des 49/51%, avec le partenaire étranger restant à l'Algérie 920 millions de dollars. Par ailleurs ces projets avec la numérisation de cette filière pour réduire les coûts, au niveau mondial crée, de moins en moins d'emplois.

En prenant l'hypothèse de 7 milliards de dollars d'investissement, le retour en capital pour une exportation de 30.000 millions de tonnes de fer brut/an, serait de 8/10 ans. Pas de rente et donc, seule la transformation en produits nobles (aciers spéciaux) peut procurer une valeur ajoutée plus importante à l'exportation, mais nécessitant d'importants investissements et des partenaires qui contrôlent le marché mondial. Pour la production d'or, rappelons-nous le déficit structurel de l'ENAOR, malgré tous les moyens pis à sa disposition par l'Etat, le départ de l'Australien pour qui la rentabilité était aléatoire, le coût de prospection élevé et dont la rentabilité dépend des fluctuations de l'once d'or pouvant aller entre 20 et 40% ces dernières années. Comment de jeunes Algériens peuvent-ils rentabiliser ces gisements ? Quant au complexe de zinc qui devrait entrer en production selon le ministre des Mines, en 2024, sauf problèmes techniques ou de financement, selon les règles financières internationales, le seuil de rentabilité ne se fera pas avant 3 ans soit 2027 et le retour de l'investissement dépendra du coût final du projet et de sa capacité à exporter, du fait du marché étroit de l'Algérie

En résumé, l'impact de l'épidémie du coronavirus préfigure d'importantes mutations géostratégiques mondiales, politiques, économiques, sociales et sécuritaires où le monde ne sera plus jamais comme avant. Mais cette épidémie n'est rien face aux impacts du réchauffement climatique qui risquent de bouleverser toute la planète avec la guerre pour l'eau donc posant le problème de la sécurité alimentaire, et la nécessaire adaptation à la transition numérique et énergétique. Devant distinguer le court terme, des moyen et long termes, tactiques et stratégie, sans vision stratégique, les hydrocarbures seront encore pour longtemps la principale entrée de devises du pays.

D'où l'urgence du redressement de l'économie nationale et un renouveau de la gouvernance avec une réorganisation institutionnelle qui doit s'insérer dans le cadre d'objectifs stratégiques précis Aussi, par un langage de la vérité, loin de toute sinistrose et autosatisfaction destructrice à laquelle la population algérienne ne croit plus, l'Algérie, pays à fortes potentialités et acteur stratégique de la stabilité du Bassin méditerranéen et du continent Afrique a besoin d'un renouveau culturel loin de la mentalité rentière, une lutte contre la corruption passible du code pénal à ne pas confondre avec acte de gestion, en bref de la refonte du système politique et socio-économique. Pourtant en ce mois de septembre 2021, malgré les discours de sinistrose, l'Algérie est encore debout grâce aux patriotes honnêtes qui constituent l'immense majorité des travailleurs et des cadres dirigeants, devant éviter les errements du passé en ces moments de hautes tensions géostratégiques, financières et sociales avec le retour de l'inflation en 2021 que l'on ne combat pas avec des slogans ou des décrets, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques.

*Professeur des Universités, expert international