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Les risques économiques du Pandexit

par Howard Davies*

ÉDIMBOURG - Depuis une dizaine d'années, le déclinaisons du suffixe «exit» se multiplient. Le Grexit, possible sortie de la Grèce hors de la zone euro, a été le premier à surgir. L'Italexit a fait une brève apparition, puis a récemment été ravivé par la droite italienne.

Dans les deux cas, le départ n'a pas eu lieu. Même chose pour le Frexit, l'idée d'une sortie unilatérale de la France hors de l'Union européenne, qu'a évoquée l'extrême droite de Marine Le Pen pendant un temps, pour finalement l'abandonner. Le seul candidat aux élections présidentielles françaises à l'avoir explicitement proposée, François Asselineau, n'a remporté que 0,9% des voix.

Ces propositions de sortie semblent déplaire à la plupart des Européens continentaux. À ce jour, seul le Brexit est effectivement devenu réalité, alors même que les sondages recueillis un mois avant le référendum britannique de juin 2016 révélaient que les Français étaient plus nombreux que les Britanniques à se dire mécontents de l'UE, avec une marge de 61% contre 48%.

Toutes ces sorties potentielles ou réelles ont été considérées par la plupart des économistes comme non souhaitables. Voici aujourd'hui qu'une nouvelle «exit» occupe les discussions, que chacun souhaite voir se produire : le Pandexit. Ce mot-valise disgracieux résume l'idée optimiste selon laquelle nous pourrions bientôt considérer le COVID-19 comme de l'histoire ancienne, retrouver nos habitudes d'embrassades (au moins sur la joue), et nous agglutiner dans les rames de tramway et de métro des grandes villes, de New York à Tokyo.

Il fait peu de doutes qu'en termes économiques, les premières conséquences d'un retour aux interactions sociales normales seraient positives. D'après les estimations des chercheurs de la Banque des règlements internationaux (BRI), la pandémie a entraîné une perte de production de 8% au sein des pays développés en 2020, avec une nouvelle de diminution d'un peu plus de 2% prévue pour cette année. L'assouplissement des restrictions de voyage et autres devrait produire une puissante reprise en 2022, dont l'ampleur variera toutefois significativement entre les pays, en fonction des taux d'infection et de vaccination. Enfin, et bien entendu, une nouvelle explosion généralisée du nombre d'infections ou de réinfections pourrait produire une troisième vague de difficultés économiques, si des restrictions sur l'activité devaient à nouveau être adoptées.

Par ailleurs, tous les bienfaits économiques du Pandexit ne seront pas sans nuance. Les banquiers centraux, habitués à transformer les opportunités économiques en problèmes, s'inquiètent d'ores et déjà. Malgré un scénario économique globalement positif, ils entrevoient trois risques importants. «Les dirigeants politiques demeurent confrontés à d'importants défis», a récemment déclaré le directeur général de la BRI, Agustín Carstens. «La dette publique et la dette privée sont très élevées, et les héritages défavorables de la pandémie sont importants».

Ce que sous-entend Carstens, c'est que les dégâts économiques engendrés par le COVID-19 ont été contrés par des «politiques macroéconomiques accommodantes sans précédent» : très faibles taux d'intérêt, dose massive d'assouplissement quantitatif, et soutien budgétaire «considérable». Le degré d'aide budgétaire a varié selon les pays, et s'est révélé beaucoup plus important aux États-Unis qu'en Europe, par exemple. La dette publique à néanmoins explosé partout, et se situe désormais à des niveaux absolument inédits au sein de pays comme l'Italie et le Japon.

Dans ce contexte, la BRI a identifié deux scénarios défavorables et dangereux. Le premier est de nature essentiellement épidémiologique : apparition de nouveaux variants, nécessitant de nouvelles mesures de confinement et de soutien budgétaire, ce qui pourrait être irréalisable pour certains gouvernements. Je pense toutefois personnellement que de nouveaux confinements seront politiquement impossibles. Si des mutations inédites se propagent rapidement, il nous faudra naviguer à vue le mieux possible, et espérer que les vaccins minimisent le nombre de morts supplémentaires.

Deuxième scénario défavorable, que je considère comme davantage plausible, les pressions actuelles sur les prix pourraient s'intensifier, et l'inflation augmenter encore, ce qui pourrait éventuellement nécessiter une réponse monétaire. L'inflation des prix à la consommation aux États-Unis s'élevait à 5,4% sur l'année au mois de juillet. L'indice Baltic Dry, qui suit les prix de transport des produits secs de base, est en hausse d'environ 170% cette année. Certaines contraintes d'approvisionnement apparaissent également dans de nombreuses régions.

La ligne officielle de la Réserve fédérale et des autres grandes banques centrales consiste à considérer cette poussée inflationniste comme temporaire. Mais comme le dit l'adage français, «rien ne dure autant que le provisoire». Si l'actuel consensus au sein des banques centrales est erroné, comme le pensent l'ancien secrétaire du Trésor américain Larry Summers et plusieurs autres, nous pourrions aller au-devant de problèmes.

Le resserrement monétaire lors du Pandexit aura des conséquences plus sérieuses qu'habituellement. Les banques centrales ayant absorbé un tel volume de dette publique, l'échéance moyenne des obligations d'État s'est raccourcie, et les bilans du secteur public sont par conséquent plus sensible qu'habituellement aux changements de taux d'intérêt à court terme. Les gouvernements ne seront certainement pas ravis des politiques de resserrement adoptées par les banquiers centraux de leur pays, car cela pourrait entraîner des conséquences budgétaires directes.

Par ailleurs, ce resserrement monétaire au sein des pays développés, notamment les États-Unis, sera très défavorable pour les marchés émergents. La plupart peinent encore à contrôler la pandémie, et présentent des taux de vaccination contre le COVID-19 bien inférieurs à ceux d'Europe et d'Amérique du Nord, malgré de récents signaux positifs indiquant désormais une plus grande volonté des pays riches de partager leurs stocks de vaccins.

Dans nos réponses face à la pandémie, nous avons tous été confrontés à des défis similaires, et le mix des mesures politiques adoptées a globalement été le même. Dans la période du Pandexit, tout cela pourrait bien changer. Certaines mesures qui revêtent du sens pour les pays aux faibles taux d'infection au COVID-19, et à la dette publique maîtrisable, pourraient signifier une catastrophe économique pour d'autres.

Carstens appelle par conséquent à une normalisation «très progressive» de la politique monétaire, même s'il insiste également sur l'importance du contrôle de l'inflation, et de l'indépendance des banques centrales, comme l'on pouvait s'y attendre. Il aurait pu ajouter que nous aurons besoin d'une plus grande coordination internationale des politiques, qui fait cruellement défaut depuis un an et demi. La BRI elle-même a beaucoup à faire.



Traduit de l'anglais par Martin Morel

*Président de NatWest Group