Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Dépasser les querelles stériles : mettre en place des mécanismes de régulation transparents afin d'éviter les transferts illicites de capitaux

par Abderrahmane Mebtoul*

Le gouvernement dans son programme avait préconisé de récupérer les transferts illicites de capitaux grâce à un accord à l'amiable. L'introduction de cette clause a fait débat au niveau de l'APN, a soulevé un tollé, selon nos informations, au niveau de la société avec la crainte de vouloir blanchir des personnes qui ont volé les deniers publics, propriété de toute la Nation, avec le risque de créer une névrose collective au niveau de la population qui connaît une détérioration alarmante de son pouvoir d'achat.

Selon la majorité des experts juristes consultés, si cela ne pose pas de problèmes pour les biens visibles notariés en Algérie, mais posant problème pour le capital-argent dans la sphère informelle et les prête-noms, c'est une opération très complexe à l'étranger pour les capitaux placés dans des paradis fiscaux, en actions ou obligations anonymes et dans la majorité des cas mis au nom de tierces personnes souvent de nationalités étrangères. Cette proposition qui certainement n'a pas fait l'unanimité au niveau des différents centres de décisions et pour éviter des débats stériles, explique la réponse du Premier ministre qui a déclaré officiellement que cela ne concerne pas les oligarques actuellement en détention et condamnées par la justice mais que les sociétés étrangères, opérations également complexes.

1.- Les transferts illicites de capitaux renvoient aux dysfonctionnements des appareils de l'Etat et donc à la gouvernance. Depuis des années, plusieurs rapports de la Banque d'Algérie mettent en cause plusieurs entreprises nationales et étrangères qui s'adonnent à la majoration de leurs importations pour faire transférer des devises à l'étranger. Dans ces rapports, la Banque d'Algérie faisait état de dizaines de milliards DA d'infractions de change (pénalités) constatées par les services des douanes et les officiers de la police judiciaire. Précisons que la gestion des transferts et du contrôle des changes dépend de la Banque d'Algérie et que le gouverneur de la Banque d'Algérie est directement sous l'autorité du président de la République et non du ministre des Finances. Donc, ces problèmes ne sont pas nouveaux, et ont été déjà soulevés par le passé, puisque les conditions de transfert de capitaux en Algérie pour financer des activités économiques et rapatriement de ces capitaux et de leurs revenus ont été prévues dans le règlement de la Banque d'Algérie n°90-03 du 8 septembre 1990 (loi sur la monnaie et le crédit) puis par le règlement n°95-07 du 23 décembre 1995 modifiant et remplaçant le règlement n°92-04 du 22 mars 1992 relatif au contrôle des changes et l'article 10 de l'ordonnance 96-22 du 09 juillet 1996 relative à la répression des infractions à la législation des changes et des mouvements de capitaux vers l'étranger. Rappelons également, le 11 août 2012, le ministère des Finances, par un tapage médiatique, annonçait un décret exécutif numéro 12/279 portant institution d'un fichier national des fraudeurs ou contrevenants à la réglementation de change et mouvement de capitaux a été publié au dernier Journal officiel. Ce décret exécutif fixait pourtant les modalités d'organisation et de fonctionnement du fichier national des contrevenants en matière d'infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux vers l'étranger. Devait être instituée auprès du ministère des Finances et de la Banque d'Algérie une banque de données dans laquelle serait enregistrée toute personne, physique ou morale, résidente ou non-résidente, ayant fait l'objet d'un procès-verbal de constat d'infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux vers l'étranger. Le Comité national et local des transactions, l'Inspection générale des finances, les directions générales des changes de la Banque d'Algérie, des douanes, des impôts, de la comptabilité, l'agence judiciaire du Trésor, la cellule de traitement du renseignement financier et le ministère du Commerce étaient les structures et institutions qui peuvent accéder au fichier. Qu'en est-il de l'application de toutes ces ordonnances et décrets ? Y a-t-il une réelle volonté politique d'éradiquer cette grave maladie du corps social qui menace la sécurité nationale ?

2.-L'Algérie a été destinataire de plusieurs rapports internationaux concernant la fuite des capitaux qui constitue une atteinte à la sécurité nationale. Ces sommes sont issues de diverses opérations liées à la corruption, l'évasion fiscale et aux opérations délictuelles réalisées en Algérie. Mais ces transferts illicites ne tiennent pas compte des différentes commissions versées à l'étranger par des groupes internationaux en échange de contrats publics ou de surfacturation de produits et services pour les opérateurs privés/publics, ni des sommes transférées légalement par les multinationales implantées en Algérie pour contourner les lois économiques et souvent placées dans des paradis fiscaux ou par l'achat d'immobiliers à travers le monde sous des prête-noms.

La lutte contre ce fléau qui menace la sécurité nationale passe par le renouveau du système d'information au temps réel, un véritable management stratégique lié à un véritable Etat de droit. Les montants des surfacturations se répercutent normalement sur les prix intérieurs (les taxes des douanes se calculant sur la valeur du dinar au port surfacturé) donc supportés par les consommateurs algériens. Les transferts de devises via les marchandises sont également encouragés par les subventions généralisées mal ciblées, bien que servant de tampon social, source de gaspillage étant à l'origine des fuites des produits hors des frontières que l'on ne combat par des mesures bureaucratiques. Et d'une manière générale, la gestion administrative (flottement administré) du taux de change du dinar a intensifié les pratiques spéculatives ces dernières années par l'écart entre le taux de change officiel et le taux sur le marché parallèle permettant des opérations de transferts illicites de capitaux. Comme j'ai eu à le souligner dans maintes contributions depuis des années, l'importance de la dépense publique entre 2000/2021, ou les départements ministériels ont été dépourvus d'organes de suivi et de contrôle des projets, la désorganisation du commerce intérieur avec la dominance de la sphère informelle à dominance marchande, tissant des relations dialectiques avec la logique rentière avec des structures oligopolistiques, quelques centaines de personnes contrôlant une grande partie de cette masse monétaire où tout se traite en cash ont accentué la mauvaise gestion et les surfacturations. Je réitère la proposition que j'ai faite en 1983 lorsque je dirigeais les départements des études économiques et des contrats, en tant que haut magistrat, premier conseiller à la Cour des comptes, chargé du dossier surestaries, pour la présidence de l'époque, (programme anti-pénurie) d'une structure, chargé d'un tableau de la valeur en temps réel, qui n'a jamais vu le jour car dérangeant les forces rentières. Pour se prémunir, l'Algérie doit se mettre en réseau avec les sociétés étrangères d'inspection avant expédition (SIE) dans le cadre de l'accord Inspection Avant Expédition (IAE) dans le cadre du GATT et repris par l'OMC ? Comme il sera utile une collaboration étroite entre les services de renseignements qui se spécialisent de plus en plus dans l'économique (USA-Europe/Chine notamment) où l'Algérie effectue plus de 80% de ses échanges.

La direction de la douane algérienne a demandé par le passé notamment à l'Europe et à la Chine naïvement, de leur communiquer les tarifs, pour dénoncer leurs opérateurs qui sont également complices de surfacturation et la question qui se pose a-t-elle reçu les informations demandées ? Dans le contexte actuel, il sera difficile pour l'Algérie de demander aux sociétés étrangères impliquées dans la corruption de restituer les capitaux illégaux, avec de surcroît, elles pourront faire l'objet de sanctions judiciaires du pays d'origine. L'on doit s'attaquer à l'essence, c'est-à-dire la réforme du système financier, toutes ses structures, douane, fiscalité, domaine, banques qu'aucun ministre des Finances depuis l'indépendance politique n'a pu réaliser étant un enjeu énorme de pouvoir. Ce problème ne date pas d'aujourd'hui, l'ayant constaté vers les années 1980/1983 en tant que haut magistrat et directeur général des études économiques à la Cour des comptes ayant été chargé du contrôle du programme anti-pénurie où j'avais suggéré la mise en place d'un tableau de la valeur, qui n'a jamais vu le jour car s'attaquant à de puissants intérêts rentiers, nécessitant la mise en place d'un système d'information reliés aux réseaux internationaux permettant des interconnexions, ministère des Finances (banques-douanes- fiscalité), les ports/aéroports et les entreprises publiques/privées pour lutter contre les surfacturations et les trafics de tous genres, produits de mauvaises qualités ou périmés.

3.-Dans cette conjoncture difficile de tensions géostratégiques, budgétaires et sociales, et pour éviter des débats stériles, il ne faut pas se focaliser sur l'accord à l'amiable, procédure très complexe, concernant les transferts illicites de capitaux. Comme toutes les actions qui ont un résultat très mitigé, malgré des dépenses et la mobilisation de la ressource humaine, pour drainer le capital-argent de la sphère informelle, pour preuve, malgré tout un tapage publicitaire, l'argent capté à travers la finance islamique selon les données du Premier ministre devant le Parlement avec le nombre des comptes bancaires ouverts depuis le lancement des produits de la finance islamique de 15.000 comptes, a pour un montant dérisoire de 10 milliards de dinars (0,1%) sur un montant global de plus de 6.500 milliards de dinars selon les données de la Banque d'Algérie, le président de la République ayant annoncé, faute d'un système d'informations fiables, entre 6.000 et 10.000 milliards de dinars. Pour l'Algérie, l'important est de mettre en place des mécanismes pour que de telles pratiques qui menacent la sécurité nationale ne se reproduisent plus et améliorer la gestion. Car, selon le rapport du Premier ministère en date du 01 janvier 2021, repris par l'APS, durant les 30 dernières années, l'assainissement des entreprises publiques a nécessité environ 25 milliards de dollars dont plus de 80% sont revenus à la case départ, entre 2005/2020, la réévaluation des projets a coûté plus de 8.900 milliards de dinars, soit au cours moyen de 130 dinars un dollar le montant faramineux de 68,5 milliards de dollars, chiffre avancé par le Premier ministre, ministre des Finances, qui répondait aux questions des députés de l'APN dans le cadre du débat du Plan d'action démontrant une non-maitrise dans la conduite des projets : mauvaise gestion et corruption.

Cependant, il ne faut pas confondre acte de gestion, tout manager prenant des risques, pouvant gagner ou perdre, impliquant la dépénalisation des actes de gestion et corruption. Comme je le rappelais déjà en 2013 (voir mes interviews sur ce sujet à l'Agence France Presse -AFP- 4 août 2013 et à Radio France Internationale 06 août 2013 «L'Algérie et les transferts illicites de capitaux»), il reste beaucoup à faire pour que nos responsables s'adaptent aux arcanes de la nouvelle économie, où se dessinent d'importants bouleversements géostratégiques mondiaux, croyant que l'on combat la fuite des capitaux à partir de commissions et de circulaires, ignorant tant les mutations mondiales que la morphologie sociale interne, en perpétuelle évolution. Une coordination des institutions de contrôle évitant les télescopages, produit de rapport de forces contradictoires, s'impose, la Cour des comptes inscrite dans la Constitution, dans tous les pays où existe un Etat de droit étant l'organe suprême de contrôle, dont la mission est avant tout une mission de prévention pour mieux gérer les deniers publics, et non de coercition. Mais le contrôle technique est limité et il appartient au gouvernement de mettre en place des mécanismes de régulation transparents pour lutter contre les transferts illicites de capitaux, ce qui suppose des mécanismes démocratiques de contrôle et une bonne gouvernance, loin des mesures bureaucratiques autoritaires.

*Professeur des universités  - Expert international