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La lutte contre le blanchiment d'argent sale: Rôle du professionnel comptable

par Saheb Bachagha*

Le blanchiment des capitaux, que l'on peut définir comme étant une opération qui consiste à réintégrer dans le secteur économique des fonds issus de l'activité d'origine criminelle, concerne une actualité très pressante.

Des études réalisées, au niveau international, valorisent le blanchiment d'argent entre 2 et 5% du PIB mondial. Des chiffres d'une telle importance traduisent le constat suivant : le blanchiment, phénomène transnational orchestré par des réseaux puissants, occupe désormais un secteur à part entière de l'Economie mondiale. Un secteur invisible mais de plus en plus présent, à ce titre on peut se demander s'il ne finira pas par déstabiliser des pans entiers de l'économie.

En Algérie la lutte anti-blanchiment est devenue une priorité d'action. C'est ainsi que de nouvelles obligations en matière de lutte anti-blanchiment ont été imposées au professionnel comptable (parmi d'autres professionnels) qui, dès lors, serait assujetti à déclaration de soupçon. Ce dispositif lui imposerait l'obligation de signaler aux autorités responsables de la lutte anti-blanchiment, les opérations qu'il soupçonne, et non pas qu'il sait, provenir du trafic de stupéfiants ou d'opérations liées à la criminalité organisée. Il se situerait donc au stade du soupçon et non plus à celui de la certitude.

Le cadre légal algérien

-La loi n° 05-01 du 06 février 2005, dans son article 19, Journal off n°11 du 09/02/2005. Qui soumet l'expert comptable et le commissaire aux comptes à la déclaration de soupçon. Arrêté du 30 mars 2008, fixant les modalités d'application de la loi 05-01

- Ordonnance 03-11 du 25 août 2003, relative à la monnaie et au crédit.

Le professionnel comptable se doit donc de se familiariser avec le phénomène du blanchiment d'argent sale, le dispositif de lutte déjà existant et de s'interroger sur les conséquences pour lui d'une éventuelle mise à contribution dans cette lutte.

Afin de justifier leur volonté d'engager le professionnel comptable de manière plus active dans cette lutte, on tente de valoriser ses atouts du fait de sa position privilégiée auprès des entreprises qui sont de plus en plus utilisées comme des vecteurs de blanchiment.

Néanmoins, parallèlement, il est indispensable de souligner les limites auxquelles il se retrouve confronté de par le cadre restreint de ses moyens d'investigation, la sophistication croissante des opérations de blanchiment, son interdiction formelle de maniement des fonds et, enfin, sa difficulté à vérifier la matérialité des flux financiers qui circulent.

De plus, alors que l'on parle de désigner le professionnel comptable comme nouvel acteur de la lutte anti-blanchiment, il est incontournable de poser le débat philosophique du conflit pouvant exister entre le secret professionnel qui est l'un des fondements de la relation de confiance existant entre tout professionnel libéral et son client, et la transparence nécessaire au respect de la démocratie.

Ainsi en tenant compte de (importance du danger que le blanchiment fait courir à notre société, il s'agit ici de réfléchir aux conditions qui feraient que son assujettissement à déclaration de soupçon ne soit pas contradictoire avec le respect du secret professionnel.

Ces conditions pourraient notamment être relatives à la nécessaire gravité des délits qui seraient visés, à l'exclusion de la fraude fiscale du dispositif, à la garantie de non-mise en cause de la responsabilité du professionnel, à l'obligation de discrétion absolue de l'autorité destinataire des déclarations...

En outre, il est indispensable d'aborder les raisons qui pourraient expliquer les motivations du professionnel comptable à s'investir dans cette lutte.

Sa participation s'inscrirait, tout d'abord, dans la lignée de la démarche citoyenne valorisée par la profession et répondrait ainsi à des arguments moraux ayant pour but de tenter de réduire les risques démocratiques et économiques induits par le blanchiment de capitaux. Le professionnel pourrait également mettre en avant des arguments sécuritaires qui viseraient, dans un tel contexte, à le protéger d'une éventuelle mise en cause de sa responsabilité dès lors qu'il est de bonne foi. Il convient par ailleurs de se concentrer sur l'appréhension pratique du dispositif de déclaration de soupçon. Cette appréhension, en plus de s'intéresser aux modalités concrètes de collaboration avec les organismes en charge de la lutte, devra tenir compte de la nécessité d'une démarche préventive. Ainsi, le professionnel comptable, peu importe les missions pratiquées, doit de la sorte toujours être en veille. Il n'aurait en aucun cas pour rôle de détecter des circuits de blanchiment, cependant en cas d'anomalies, il devra être en mesure de réagir et de se protéger. Ainsi, en plus d'une éventuelle assistance de l'OEC ou de la CNCC, il pourrait adopter une démarche d'analyse (reposant sur différents indicateurs d'alerte) qui lui permettrait d'appréhender la clientèle à risque. Cette prudence ne doit tout de même pas le conduire à travailler dans un climat de suspicion, de méfiance constante car il est lié à son client par une relation de confiance, de confiance vigilante certes, mais de confiance tout de même.

Le professionnel comptable en tant que « professionnel du droit et du chiffre » est largement désigné pour être inclus dans le dispositif juridique de la lutte anti-blanchiment. De par ses protestations (essentiellement liées à la définition de modalités d'application adéquates). Dans ce contexte, il devient essentiel pour lui de se préparer à une telle éventualité en s'informant, en se sensibilisant et en se formant. Cela, afin que cette coopération soit non seulement adaptée et conforme aux impératifs de son métier mais puisse également se dérouler dans les meilleures conditions possibles.

*Expert Comptable et Commissaire aux Comptes  - Membre de l'Académie des Sciences et Techniques financière et Comptables, Paris.