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Littérature algérienne : affirmation identitaire et résistance

par Mohamed Daoud*

En émergeant dans un contexte particulier, celui de la colonisation, la littérature algérienne de langue arabe de la première moitié du vingtième siècle devrait subir les aléas de l'Histoire. En accompagnant les périodes traversées par l'Algérie depuis 1830, date du début de la colonisation française, elle reproduit les situations implacables et complexes auxquelles a fait face la société.

A ce propos, il serait intéressant de signaler que la langue arabe a enduré, pendant les premiers moments de la colonisation, une minorisation indéniable et un ostracisme singulier, facteurs qui ont réduit son influence et sa créativité. En fermant les écoles et les mosquées qui enseignaient la langue et la culture arabes et en traquant les enseignants, l'administration coloniale a créé toutes les conditions pour étouffer l'imaginaire des autochtones afin de mieux les dominer, de leur imposer sa culture.

Et afin d'accomplir cette action arbitraire, l'administration coloniale a promulgué plusieurs lois interdisant l'enseignement de la langue dans les medresas, les mosquées et les zaouïas, comme par exemple le decret du 8 mars 1938 qui imposait des restrictions à ce genre d'activités.

Conscients des nouveaux enjeux géostratégiques, dont le partage du Monde arabe et musulman entre les puissances européennes suite à la chute du Califat ottoman (1924), et de la domination coloniale de leur pays, l'élite algérienne a contribué grandement à générer l'éveil de la conscience nationale et ainsi de suite, la création des mouvements culturels et politiques. Il faut signaler que l'année 1930, qui a coïncidé avec la célébration par les Français du centenaire de la domination coloniale a été un grand déclencheur de ces répliques politiques.

Après avoir exploité toutes les voies du combat pacifique pour faire aboutir leurs revendications citoyennes et sociales, par la participation aux élections, les leaders autochtones, surtout ceux qui ont adhéré aux idéaux indépendantistes, ont eu recours, en dernière instance, à la manière forte et violente, en novembre 1954. L'autorité coloniale a été intransigeante quant aux revendications citoyennes des autochtones, elle n'a rien cédé, cette intolérance était considérée par ceux-là mêmes comme un défi à leur intelligence, d'où la poursuite d'incessantes révoltes, plus ou moins organisées, qui ont éclaté depuis 1830 : celle de l'Emir Abdelkader, de Cheikh Bouamama, Cheikh El Mokrani, et bien d'autres qui ont subi des revers manifestes. Pour pacifier le pays, l'armée française a procédé à la destructuration de la base socioculturelle des habitants du pays et la réduire à néant, donc il fallait attendre un demi-siècle après la colonisation pour qu'apparaissent les premières tentatives du renouveau culturel.

Cependant, l'évolution des événements politiques, qui ont suivi la Première Guerre mondiale (1914-1918), à laquelle ont participé des Algériens aux des côtés des Français, a permis aux autochtones de s'ouvrir sur d'autres visions, d'autres cultures, d'autres idées : celles de la liberté, de la justice et de l'émancipation. Cette dynamique a provoqué l'éveil de la conscience nationale et rendu possible la création de partis et mouvements politiques : l'Etoile Nord-Africaine (E.N.A) en 1926 puis en 1931 l'Association des Oulémas Musulmans Algériens (A.O.M.A). Si le premier mouvement s'est attelé à inscrire ses actions dans une perspective indépendantiste, le deuxième s'est donné comme mission la restauration de la langue arabe et la réforme du champ religieux, par le biais de l'enseignement et de la presse miltante. Et en dépit de plusieurs facteurs qui contrariaient ses activités, l'A.O.M.A a réussi son pari, en créant des écoles libres, du primaire jusqu'au secondaire, comme par exemple le lycée de Ibn Badis à Constantine en 1947, qui va devenir une éminente institution culturelle et scientifique. L'investissement de l'A.O.M.A dans la presse écrite avec la parution de plusieurs titres de la presse de langue arabe (quotidiens, hebdomaires et revues culturelles), dont on évoque les plus importants « Chihab » et « Baçair », va d'ailleurs rendre possible la publication des écrits des lettrés en langue arabe.

L'apport de ces lettrés, qui de retour de leurs voyages d'études dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient, en particulier la Tunisie, le Maroc et sutout l'Egypte, était considérable à la dynamique culturelle enclenchée à cette époque. L'enseignement que prodiguait l'Association concernait surtout les étudiants qui parvenaient des mosquées et des zaouïas. Ce qui renseigne sur le contenu des enseignements qui était d'essence religieuse et dont la culture arabe classique était le soubassement didactique.

Les étudiants affiliés à l'Association qui s'étaient lancés dans l'aventure scripturale, ne pouvaient que souscrire au discours social et culturel de cette matrice doctrinale. D'ailleurs leurs ambitions se résumaient à écrire des textes qui contestaient la l'ordre colonial, par l'affirmation identitaire, à savoir, la défense de la langue arabe et du culte musulman. Leurs démarches répondaient, d'une manière ou d'une autre, aux aspirations des Algériens qui défendaient par tous les moyens leur dignité, en combattant l'injustice et la discrimination, en mettant en avant la revendication des droits sociaux, culturels et politiques. Il faut indiquer que mis à part quelques hommes de lettres, la plupart des lettrés en langue arabe étaient affiliés à l'AOMA, ou sympathisants de cette association, qui s'est déclarée, dès le départ, comme groupement non politique misait sur la défense de l'identité arabo-islamique du peuple algérien. L'arabité et l'islamité des Algériens étaient son cheval de bataille, mis en exergue afin de contrer, à juste titre, la francité suggérée ou imposée par l'administration coloniale. Il est à mentionner que la liitérature de langue arabe s'était insérée, presque totalement, dans la trajectoire dynamique du réformisme musulman algérien qui trouve ses sources doctrinales dans le réformisme arabe dénommé la Nahda (Rennaissance arabe). Les activités de l'A.O.M.A se sont déployées d'une manière effective avec la célébration du Centenaire de la présence française en Algérie dans les années 1930. Néanmoins le mouvement réformiste utilisait principalement la langue arabe dans ses relations avec la population autochtone, contrairement au parti nationaliste (ENA) qui utilisait particulièrement la langue française et le parler algérien comme véhicules de sa communication poiltique.

Le maraboutisme constituait une énorme entrave au travail culturel et éducatif développé par le réformisme musulman, d'où le ressentiment que portait ce dernier à cette tendance, considérée comme une déviation religieuse, une régression culturelle, et donc une menace pour la Communauté des musulmans. Les zaouïas étaient dans l'ignorance totale des nouveaux développements intellectuels conçus dans le Monde arabe, et continuaient inlassablement à transmettre des enseignements religieux et linguistiques des plus accoutumés.

La répression qui a suivi la fin de la Deuxième Guerre mondiale dans les villes de Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mai 1945, a galvanisé les esprits et rendu la rupture avec l'administration coloniale inéluctable. Cette évolution politique a été le résultat d'une prise de conscience réalisée par un laborieux travail sur le plan politique et culturel.

Les prémices d'un sursaut culturel

Amorcé à la fin du dix neuvième siècle et jusqu'à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ce sursaut culturel a été conditionné par l'ouverture de plus en plus importante des Algériens sur le monde extérieur (Moyen-Orient et Europe). D'ailleurs la presse, l'émigration en France, le service militaire obligatoire dans l'armée française, le pèlerinage à La Mecque ont été des facteurs catalyseurs de cet élan. Connue par son dynamisme culturel et sa contribution dans la création de plusieurs cercles culturels, l'Association des Oulémas a joué un rôle incontestable dans l'émergence de plusieurs lettrés en langue arabe. Les clubs culturels étaient son fer de lance, Nadi At-taragui (Cercle du Progrès), créé en 1927 par une élite d'intelectuels et de notables, avait une implication prépondérante dans cette dynamique. L'Association investissait pareillement dans l'école et l'éducation, en créant des medersas libres, afin d'initier les Algériens à la langue arabe et à la religion mulmane. Les leaders de l'Association : Abdelhamid Ibn Badis (1889 - 1940), Bachir El Ibrahimi (1889 -1965), Moubarak El Mili (1889 - 1945), Tayeb El Ogbi (1889 - 1960) ont consenti beaucoup d'efforts, dans la première moitié du vingtième siècle, pour engager ce renouveau culturel et religieux.

Après plusieurs tâtonnements dus à la longue rupture avec la culture savante et aux grands bouleversements sociaux de l'époque, et en particulier l'immobilisme culturel, la littérature va connaître un renouveau et un saut qualitatif.

Ce qui conduit à stipuler que la nessécité de traiter de l'évolution de cette littérature ne peut se faire que dans un système de périodisation, qui prend en considération les bouleversements opérés dans le champ culturel, social et politique, ainsi que les thématiques abordées par les auteurs.

On peut considérer, de prime abord, que cette production littéraire, comme une littérature de résistance et plus tard comme une littérature engagée dans la guerre de libération, du moment où elle se battait pour reconquérir une dignité dépossédée, et s'exprimait résolument en dépit des conditions contraignantes où régnaient l'analphabétisme et le recul culturel, en plus de la censure qui dominait.

Expliquer les contraintes qui pesaient sur la production littéraire de l'époque n'est pas suffisant, il s'agit d'ailleurs de se pencher sur les conditions de consommation et de réception critique en cours, et d'envisager en plus, un tant soit peu, la prise en compte des différentes trajectoires d'un groupe d'auteurs qui se sont engagés dans cette voie, en dépit du climat d'adversité dans lequel ils évoluaient et le manque de maturité de leurs textes sur le plan esthétique.

Ces écrivains ont réuni toutes les conditions pour faire de l'expression littéraire, en tant que système symbolique traduisant le vécu difficile des autochtones, un moyen qui concourait à l'éveil de la conscience nationale et à la construction culturelle de la Nation.

L'apport littéraire de l'Emir Abdelkader au début de la colonisation (1808 - 1883) était évident, il a été l'auteur d'un recueil de poèmes, dont les thématiques tournaient autour de l'éloge, l'héroisme description des batailles contre l'ennemi, la bravoure, la généalogie, la descendance du prophète de l'Islam, et le «ghazzal», poèsie galante en l'honneur de la femme.

La poésie: la résistance par le verbe

L'échec de la résistance menée par l'Emir Abdelkader pendant dix sept années a créé à partir du dernier quart du dix neuvième siècle des conditions politiques et culturelles nouvelles, celles qui incitaient les poètes qui ont succédé à l'Emir à se résigner et à accepter leur sort, en s'en remettant au destin. Il serait important de souligner que depuis 1925, les poètes s'exprimaient en prônant la réforme religieuse et sociale, la poésie était devenue une sorte de tribune, un moyen de propagande allant dans le sens de la prédication et la bonne conduite.

La presse était le meilleur moyen pour faire parvenir ces poèmes aux lecteurs (El Iqdam, El Mountaquid, Chihab, puis plus tard Baçair), et comme la plupart des versificateurs étaient des enseignants qui professaient dans les écoles de l'Association, cet élément fondateur dans l'éveil culturel a facilité le contact avec les écoliers, qui vont constituer la future élite arabophone.

La situation de la littérature va changer et évoluer dès le début des années 1930 et avec le contenu des poèmes, qui s'imprégnait, petit à petit, des fondements et des idéaux du Mouvement national, « la poésie composée pendant cette période difficile et critique était en harmonie avec les aspirations du peuple, elle a décrit, sans fioritures de style ou flatteries, son vécu » (Saadallah : p.40). En accompagnant les convulsions et les bouleversements connus par la société, depuis les années 1930 jusqu'au début de la Deuxième Guerre mondiale, la production poétique n'est pas restée à la marge du mouvement national, et même si les poètes avançaient sur un terrain mouvant, tout en continuant à vilipender les confréries, les « occidentalisés à la française», ils appelaient à l'unité du peuple afin de faire face aux nouveaux enjeux provoqués par un bouleversement du champ politique. Les massacres qui ont suivi la fin de la Deuxième Guerre mondiale ont aiguisé la conscience nationale dans le sens de l'émancipation du joug colonial, et les poètes se sont investis dans cette perspective. Le poète Mohamed El Aid El Khalifa (1904-1979) s'est impliqué franchement dès 1950 dans la lutte politique, en appelant à l'émancipation, à la liberté et au progrès. L'avenement de novembre 1954 a été l'occasion appropriée pour les poètes de s'engager pleinement dans le mouvement révolutionnaire en chantant la patrie libre et en louant les « victoires du soulèvement, et en prédisant un avenir radieux pour le pays qui va jouir d'un climat serein où règneront l'indépendance et la liberté » (Saadallah : p.46).

Mais avant d'étudier le rapport de cette poésie à la guerre de libération, il faut souligner que cette poésie a connu plusieurs moments et plusieurs poètes dont on peut citer : ceux qui se sont illustrés par la poésie sentimentale dont Moubarej Djelouah (1908- 1943) et Mohamed El Akhdar Saihi (1918- 2005), et également la poèsie réformiste et de combat. Dans cette ardeur poétique, on peut indiquer les précurseurs dont Ibrahim Abou Yagtan Ben El-Hadj Aissa (1888-1973) qui a fondé plusieurs journaux durant la période (1926-1939), et auteur d'un recueil de poèmes en deux volumes, le premier consacré à la poésie (louange, élégie et poésie épique), le deuxième consacré à l'engagement politique et à la poésie du combat. Il a glorifié l'indépendance de l'Algérie (1962) par un admirable poème, sa poésie était au coeur de son combat d'homme de lettres.

Sortir du schéma classique et remettre en cause le patrimoine poétique n'était pas chose aisée surtout pour la plupart des poètes tels que Abdelkrim Ben Aggoun (1918-1959) et Ahmed Shnoun (1907- 2003), qui s'étaient inspirés de la tradition et l'écriture poétique classique. Mais déjà des tentatives de renouvellement de l'écriture poétique ont été amorcées par des auteurs tels que Ramadhan Hamoud (1906-1929), Salah Kherfi, Abou El Kacim Khemmar (né en 1931), Abou El Kacem Saadallah (1930- 2013), ce dernier est très important sur le plan du renouvellement de l'écriture poétique, son poème « Mon chemin » publié en 1955 dans la revue Baçair révèle une certaine modenité formelle, thématique et linguistique.

Ceci dit, des tentatives de renouvellement poétique et d'engagement sur le plan polititique ont été remarquées chez certains poètes dont les plus importants étaient Mohamed El Aid El Khalifa, Moufdi Zakaria et bien d'autres. Belkacem Khemmar avec ses poèmes « L'accablée », « Zahra » et « Ombres et échos » (1958), on y décèle une harmonie entre l'amour de la bien-aimée et celui de la patrie.

Mohamed El Aid El Khalifa (1904-1979), un grand poète qui a accompagné le mouvement national en étant membre très actif de l'Association (AOMA), a participé à la vie politique, culturelle et éducative du pays en publiant des poèmes engagés et plusieurs essais. Et à cause de ses activités il a connu la prison et la résidence surveillée à Biskra (1954-1962). Considéré comme des plus prestigieux poètes algériens, son recueil de poésie reflète son engagement indéfectible et son combat pour les idéaux de liberté et de défense de l'identité nationale dont l'arabité et l'Islam en sont la colonne vertébrale. L'Algérie était pour lui partie intégrante du Monde arabe et mulsulman et dont l'unité culturelle et politique serait fondamentale pour défier les spoliateurs et autres colonisateurs, et par conséquent sortir du sous-développement. Une expérience poétique riche en enseignements et en thématiques très diverses, étalée sur un demi-siècle de production intellectuelle et poétique, ce qui fait de lui « le poète de la rennaissance et du patriotisme, le poète de la réforme et de la lutte nationale » (Benguina : p. 70).      

Un autre poète très important, puisqu'il avait changé radicalement le cours de la poèsie, il s'agit de Moufdi Zakaria (Zakaria Ben Slimane Benyahia Ibn Ech-Cheikh El-Hadj Slimane 1908-1977), militant de l'ENA, puis du PPA-MTLD. Il a été le chantre de la révolution armée (1954-1962), en composant plusieurs poèmes qui vantaient le combat libérateur. Moufdi Zakaria «avait une prise de conscience remarquable vis-àvis de la portée révolutionnaire et nationaliste de la lutte, cela se révélait, en particulier, dans ses poèmes. Il a accompagné l'éveil du mouvement national depuis les années 1920 et a doublé d'ardeur avec l'éclatement de la révolution armée en 1954 » (Benguina : p. 70). Sa voix, avec ses poèmes engagés et hymnes nationaux, portait beaucoup, il a été emprisonné plusieurs fois durant les années 1930 et il a rejoint le FLN en 1955. En 1959, il quitte l'Algérie pour le Maroc où il s'adonne à la lutte, en faveur de l'indépendance du pays, par le biais de la plume et de la production poétique. Auteur de plusieurs recueils de poèmes : « Le départ », « A l'ombre des oilviers », « L'inspiration de l'Atlas », « L'Illiade algérienne », mais son recueil de poèmes le plus remarquable est « La flamme sacrée », dans lequel on y discerne un engagement sans faille pour l'indépendance du pays. Il est également l'auteur de l'hymne national (Kassaman) et d'autres chants patriotiques composés pour le compte de l'ALN et de plusieurs organisations politiques (étudiants et travailleurs). Ses poèmes étaient, en substance, des appels à la révolte, à l'insoumission à la présence coloniale, et à l'incitation au sacrifice suprême pour libérer le pays du joug colonial et par là retrouver la dignité humaine. Ses hymnes exprimaient son ambition de voir, à l'indépendance de l'Algérie, l'unité maghrébine se réaliser. Il se retira de la vie politique pour se conscrer à la production littéraire, malgré les contraintes qui lui ont été imposées par la nouvelle configuration politique.

Ces trois poètes : Abou El Yagtane et Mohamed Laid El Khalifa et Moufdi Zakaria sont des exemples parfaits pour représenter le courant nationaliste réformateur militant et révolutionnaire, nonobstant de la prépondérance du cadre traditionnel de leurs versifications, ils ont tenté d'aller vers une nouveauté dans les thématiques, et vers une modernité et une originalité dans l'expérience ainsi que dans l'exploration des questions esthétiques » (Benguina : p. 75). Cette tendance vers le renouvellement des formes et des contenus s'est vérifiée surtout chez Mohamed Laid El Khalifa et Moufdi Zakaria. Le poète Salah Kherfi (1932 ? 1998) va suivre ce mouvement fondateur en publiant son recueil de poèmes : « L'Atlas des miracles en 1961, où il fait des plaidoyers en faveur de la révolution de 1954, d'autres recueils vont succéder à cette publication, et on mentionne un autre poème « L'appel de la conscience » publié en 1960, où il glorifiait l'amour de la patrie.

Finalement, la poésie a été un élément discursif exaltant la révolution et le combat des maquisards, elle exhortait et mobilisait les militants de la cause nationale, son impact sur les affects de la population était immense.

La nouvelle, un genre littéraire en gestation :

La nouvelle a connu le même cheminement que la poésie, mais bien avant l'éclosion de ce genre littéraire, les Algériens appréciaient oralement et écoutaient avec une grande attention les récits des conteurs, des meddahs et des personnes âgées. La nouvelle, en tant que récit très concis, au nombre de personnages très réduit, et dont la délimitation dans le temps et l'espace des événements, était connue dans le Monde arabe depuis des millénaires. Les maqâmâts ou « séances », par exemple un genre littéraire arabe classique, a été développé au Xe siècle et XIe par al-Hamadhânî (968-1008), et Al-Harîrî (1054-1122). Le récit, en question, était une sorte de critique sociale relatant avec humour et sarcasme les aventures de « Aissa Ibn Hichem », un vagabond drôle et rusé.

Cependant la nouvelle algérienne, de la première moitié du vingtième siècle, s'était développée sous l'influence de la littérature occidentale traduite, et de la littérature arabe moderne produite par des auteurs égyptiens (Mahmoud Timour, Abdelkader El Mazini, Taha Hussein), en tant que précurseurs dans l'écriture de ce genre littéraire. Par ailleurs l'Algérie a connu ce genre littéraire dans sa forme ancienne depuis 1908 avec l'écrivain Eddissi, puis avec les journaux de l'AOMA, « Echihab » et El Bassair », et avec la fin de la Première Guerre mondiale. Elle s'était développée pendant les années 1930, surtout à travers le journal « Echouala » (1949-1951) de Ahmed Réda Houhou. Il serait indispensable de signaler que ce genre littéraire a émergé à la faveur du discours doctrinal de l'AOMA et s'est aligné dans son sillage, d'où son attachement au réformisme social, religieux et à la littérature arabe classique. Et mis à part quelques écrivains qui ont abordé d'autres thématiques, la plupart des écrivains qui se sont aventurés dans l'écriture de la nouvelle ont choisi celles qui abordaient les questions se rapportant à la religion, à la langue arabe et à l'identité nationale. Les faits rapportés par ces écrits relevaient de l'ordre moral, c'est-à-dire, la lutte contre la débauche et la dégénérescence, ou reprenaient des questions de l'ordre du social, telles que la pauvreté et le poids des traditions archaïques. Ils reproduisaient les événements qui s'attachaient inlassablement aux opinions du réformisme et du nationalisme, qui contestaient, de par leurs positions culturelles et politiques, l'intervention de l'autorité coloniale dans les affaires des musulmans, comme la gestion des mosquées, l'encouragement des charlatans et des imams.

*Professeur à l'Université Ahmed Benbella, Oran 1/CRASC