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Plaidoyer en faveur d'un Conseil de stabilité des systèmes alimentaires

par Sandrine Dixson-Declève1, José Antonio Ocampo2 Et Felia Salim3

LONDRES - La pandémie COVID-19, la hausse des taux de pauvreté et d'inégalité dans le monde, les conflits persistants et le nombre croissant de crises climatiques et de biodiversité sont autant de chocs et de stress qui contribuent chacun à leur manière à aggraver le risque de famine, d'insécurité alimentaire et nutritionnelle. Afin d'aider à résoudre ce problème urgent plus efficacement et de rendre le système alimentaire mondial plus stable et plus résilient, les gouvernements doivent envisager la création d'un nouveau Conseil de stabilité des systèmes alimentaires (CSSA) multilatéral, sous la direction des Nations Unies.

À l'heure actuelle entre 720 millions et 811 millions de personnes - environ 10 % de la population mondiale - se couchent chaque soir sans manger, et au moins 2,4 milliards de personnes n'ont pas accès à une alimentation saine et nutritive. Si une mesure internationale importante n'est pas prise, ces tendances vont probablement persister. Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat démontre que les effets du réchauffement climatique n'ont épargné aucune région du monde, ce qui a des répercussions importantes sur le système alimentaire au cours de ces prochaines décennies.

Les systèmes alimentaires sont le fondement de la sécurité de l'économie mondiale, ainsi que de la sécurité nationale dans de nombreux pays : la faim et le manque d'accès à la nourriture ont historiquement entraîné des troubles civils. Ces systèmes sont également parmi les principaux moteurs de la perte d'écosystèmes et du changement climatique, l'agriculture et le changement d'affectation des terres étant responsables d'un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Dans le même temps, des écosystèmes comme les forêts, les mangroves et les océans mobilisent les plus importants efforts de l'humanité dans son effort pour s'adapter aux changements climatiques en cours.

Pour assurer la résilience à long terme du système alimentaire mondial, un effort important de collaboration multilatérale est nécessaire. Il devra s'appuyer sur des structures et des institutions existantes, telles que le Comité de la sécurité alimentaire mondiale, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, le Programme alimentaire mondial et la Banque mondiale. Il exigera également une attention concertée de la part des chefs d'État et de gouvernement, des ministres des Finances et des dirigeants des institutions financières multilatérales.

Un quatuor de réunions internationales - le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires en septembre 2021, le sommet du G20 en octobre, la Conférence des Nations Unies sur le climat (COP26) en novembre et le Sommet Nutrition pour la croissance organisé par le gouvernement japonais en décembre, offre une rare occasion de concentrer l'attention internationale sur la crise de la faim et de la sécurité alimentaire, ainsi que sur les liens de ces crises avec le changement climatique. Chacun de ces rassemblements pourrait ouvrir la voie à la création d'un CSSA de gouvernements nationaux et d'organisations internationales dédiés à cette question. Cela pourrait faire partie d'un effort mondial plus large visant à améliorer la gouvernance alimentaire et à réaliser - selon les termes du gouvernement indonésien, qui siègera à la présidence du G20 en 2022 - une « transition juste et abordable vers zéro émission nettes ».

En outre, il existe un précédent encourageant pour un tel organisme. Le Conseil de stabilité financière (CSF), créé par les ministres des Finances du G20 en avril 2009 dans le but d'éviter une répétition de la crise financière mondiale de 2008, a contribué positivement à la stabilité macroéconomique mondiale et est à présent un organisme faisant autorité, indépendant et bien respecté. Ses conclusions influencent directement la prise de décision des ministres des Finances du G20, ainsi que celle des dirigeants du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et des banques régionales de développement.

De la même manière, un CSSA, s'il était mis sur pied., serait chargé de promouvoir la santé et la résilience du système alimentaire mondial, notamment en abordant des questions telles que la stabilité des prix, le commerce, les réserves stratégiques et les effets du changement climatique sur la production. Le conseil respecterait pleinement la souveraineté nationale et ne formulerait pas de recommandations juridiquement contraignantes. Il donnerait plutôt des conseils crédibles aux gouvernements sur la manière de construire un système alimentaire mieux préparé pour résister aux chocs futurs et pour assurer un meilleur accès mondial à des aliments nutritifs.

Parce que les gouvernements décideraient de la portée, de la structure et de la composition précises du CSSA, nous pensons que l'organisme pourrait jouer un rôle utile de plusieurs façons. Par exemple, il pourrait analyser des systèmes d'alerte précoce et des données de modélisation des risques sur la faim, l'agriculture et le climat, notamment à partir de la base de données existante du Système d'information sur les marchés agricoles. Il pourrait également conseiller l'Organisation mondiale du commerce et les gouvernements nationaux sur les politiques commerciales liées à l'alimentation, tout en aidant les pays à réagir aux changements de dynamique des marchés et à un climat instable.

En outre, le CSSA pourrait soutenir et permettre aux pays de soumettre des évaluations volontaires des risques du système alimentaire et des plans de résilience sur cinq ans. Il pourrait également recueillir et partager des connaissances sur les vulnérabilités du commerce alimentaire mondial, comme celles liées au changement climatique, aux conflits, au manque de diversité des cultures, à la perte des pollinisateurs et à d'autres menaces, et identifier et examiner les mesures réglementaires, de surveillance et de volontariat nécessaires pour y remédier.

Le CSSA pourrait soutenir la planification d'urgence pour la gestion transfrontalière des crises, en particulier en ce qui concerne les cultures vivrières d'importance systémique ou les zones particulièrement touchées par la vulnérabilité climatique, la perte de biodiversité et/ou les futures pandémies. Enfin, le conseil pourrait collaborer avec le FMI pour inclure davantage d'examen des risques liés au climat, à la biodiversité et aux systèmes alimentaires et d'utilisation des terres dans les consultations régulières avec les pays membres au titre de l'article IV du Fonds.

Le CSSA pourrait comprendre des représentants nationaux compétents des ministères de l'agriculture et des affaires rurales, du commerce, de la santé, de l'environnement et des finances, ainsi que des organes de normalisation internationaux et des scientifiques de premier plan dans le domaine des risques liés au système alimentaire mondial. Comme pour le CSF, l'institution serait destinée aux États membres, notamment aux chefs de gouvernement, aux ministres des Finances et à d'autres portefeuilles.

L'absence actuelle de CSSA est un écart notable dans l'architecture de gouvernance internationale nécessaire pour renforcer la durabilité, l'équité et la résilience du système alimentaire mondial au XXIe siècle et au-delà. Lors de l'Assemblée générale des Nations Unies et du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires - qui auront lieu tous deux en septembre - les gouvernements pourraient accepter de lancer un processus de consultation d'un an pour explorer la création d'un tel organe. Ce faisant, ils pourraient contribuer à un avenir meilleur pour des centaines de millions de personnes vulnérables - et assurer l'accès à la nourriture et à la sécurité pour tous.

1- co-présidente du Club de Rome.

2- ancien ministre des Finances de Colombie et sous-secrétaire général des Nations Unies - Professeur à Columbia University et ambassadeur de la Coalition pour l'alimentation et l'utilisation des terres

3- présidente du conseil d'administration du Partenariat pour la réforme de la gouvernance - Ambassadrice de la Coalition pour l'alimentation et l'utilisation des terres.