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La réforme du système fiscal mondial a l'ère du numérique

par Mustapha Bensahli*

Les ministres des Finances des pays du G20, comprenant les 19 pays les plus riches du monde, assistés par l'Union européenne ont approuvé dernièrement au terme de deux jours de tractations à Venise, le vendredi 9 et le samedi 10 juillet 2021, un accord d'une portée historique indéniable.

Il devient ainsi intéressant de saisir le sens de cet accord jugé inédit et le plan observé à cet effet se décline comme suit :

-la portée de la fiscalité internationale (I),

-la genèse des éléments contrariant l'évolution de la fiscalité internationale (II),

-la quête amorcée sur l'évolution de la fiscalité internationale (III),

-l'adoption de l'accord historique de la fiscalité internationale (IV),

-Les incidences de l'accord emblématique : les gagnants et les perdants (V).

I-LA PORTEE DE LA FISCALITE INTERNATIONALE

Il convient à titre liminaire de situer la portée de la fiscalité dans sa globalité en commençant par définir le caractère foncièrement hybride de sa structure articulée en deux composantes essentielles, à savoir :

-une fiscalité nationale qui en principe s'exerce à l'intérieur des frontières de chaque pays,

-et une fiscalité internationale s'étendant au-delà des frontières pour concerner en principe l'ensemble des territoires des pays dans le monde.

Comme aucun pays ne vit en autarcie et ne peut faire cavalier seul, à l'évidence, il devient normalement un partenaire à part entière de la fiscalité internationale.

A l'examen et pour peu qu'il soit question de comparer utilement les deux fiscalités au regard de leur dimension réciproque, l'asymétrie qui en résulte devient évidente, à partir du moment où la fiscalité nationale reste circonscrite aux limites des frontières, tout en se prévalant de la souveraineté fiscale, ce qui s'avère, à l'évidence, sans commune mesure avec la fiscalité internationale eu égard à l'extension de son champ d'application à l'échelle de la planète entière.

A l'épreuve des faits les deux fiscalités sont agréées l'une à l'autre, sans exclure que tantôt que parfois elles sont en confrontation et tantôt et le plus souvent elles se trouvent en étroite jonction entre elles, renforcée par leur croisement et leur entrecroisement sans discontinuer, ce qui les rend fondamentalement indissociables l'une de l'autre.

Ce qui peut les unir solidement encore, c'est l'utilisation commune d'une même terminologie au niveau respectivement de la fiscalité nationale et de la fiscalité internationale, sauf que la gestion de celle-ci prend une autre tournure, en tant que l'un des leviers d'externalité utilisé par les Etats pour améliorer leur compétitivité économique et attirer les investissements.

D'ailleurs c'est en prenant en compte la mobilité des personnes, des marchandises, des services ou des capitaux, que l'espace planétaire a été divisé en juridictions fiscales distinctes tout en régissant en tant qu'instrument les relations d'Etat à Etat en vue de résoudre les problèmes générés notamment sur le plan fiscal.

Il est à remarquer que le point marquant de la fiscalité internationale réside dans le fait que les principes sur lesquels elle s'appuie datent déjà de près d'un siècle, ce qui fait qu'elle n'a pas été en mesure d'anticiper à temps le développement de stratégies d'évasion fiscale, génératrices de tant de distorsions de concurrence.

Comme palliatifs provisoires, les États se sont contentés à combattre ce phénomène en se lançant dans une course effrénée en ramenant vers le bas le taux légal d'imposition des sociétés, sans qu'aucun changement ne puisse se produire, ce qui a permis à l'optimisation fiscale d'occuper tous les espaces pour se développer en toute légalité.

Avec le temps la fragilité de la fiscalité internationale étant devenue de plus en plus intense, tout en entretenant la stagnation jusqu'à abandonner de plus en plus la mission intrinsèque qui lui est assignée, dès lors qu'elle n'a pas pu capter pour faire siennes les mutations qui s'opèrent dans l'environnement.

Il faut dire que l'absence de coordination de la part des pays pour régler d'un commun accord tous les problèmes susceptibles de se poser sur ce plan et à leur niveau respectif, a été nettement ressentie laissant à la place un vide difficile à combler.

Force est de constater que la libéralisation totale des mouvements de capitaux et la numérisation accélérée de l'économie ont exacerbé encore plus les failles de la fiscalité internationale, tant elle se trouve frappée irrémédiablement d'une sorte d'inertie qui la rend fatalement inopérante, si bien que depuis près d'un siècle elle n'a connu aucune variable susceptible d'impulser tant soit peu son évolution au sens du progrès.

C'est tout particulièrement l'impôt sur les sociétés qui tout en relevant de la fiscalité intérieure d'un pays trouve également sa reconduction en fiscalité internationale et comme son application reste fortement disparate en étant déterminé en fonction des règles propres à chaque pays et c'est pourquoi son application se place principalement au cœur des préoccupations d'adaptation.

Il s'ensuit que le système fiscal des entreprises tel qu'il a été élaboré il y a près d'un siècle, l'impôt sur les sociétés continue à avoir comme source d'application la notion d'établissement stable, ce qui va forcément à contre-courant des mutations qui s'opèrent au niveau de l'environnement, alors que d'ordinaire la fiscalité est le produit de son milieu et elle a vocation à en porter la marque d'une manière irréversible.

A l'évidence tout ce processus ne manque d'induire l'obsolescence de la fiscalité internationale, dès lors qu'elle continue à être fondée sur des modèles économiques vieux de 100 ans, avec pour clé de voûte toujours la notion d'établissement stable devenue totalement avec le temps un véritable écueil qui entrave l'application correcte de l'impôt et que l'économie numérique bien en avance l'a complexifié davantage.

II-LA GENESE DES ELEMENTS CONTRARIANT L'EVOLUTION DE LA FISCALITE INTERNATIONALE

Force est de constater qu'à ce stade il n'a été procédé en général jusqu'ici qu'à un simple remodelage en surface des règles initialement défaillantes, sans toutefois s'attaquer de front aux structures du système fiscal par le fait que les filiales des entreprises continuent à être considérées comme des entités séparées et la répartition injuste des droits d'imposition, de sorte que les paradis fiscaux n'étant par suite affectés ont continué leur mode de fonctionnement absolument inique.

Les motifs justifiant le retard qu'accuse l'évolution de la fiscalité internationale, comme ils sont nombreux il a été fait en sorte de retenir sélectivement à dessein ceux qui prennent potentiellement bien de relief et qui posent effectivement problème, à savoir :

-l'avancée du numérique en rupture avec la fiscalité internationale(1),

-l'inadaptation du dispositif des conventions fiscales reposant sur l'établissement stable devenu caduc (2),

-le paramètre de l'orthodoxie de l'économie néolibérale en inadéquation avec l'évolution de la fiscalité internationale (3).

1-L'avancée du numérique en rupture avec la fiscalité internationale :

D'une manière générale la fiscalité pour être effectivement opérationnelle gagne à être à la fois lisible, prévisible et cohérente par rapport à la stratégie économique d'ensemble de tout pays.

En réalité pour juger la valeur de la fiscalité en général, c'est à partir des rapports qu'elle entretient directement avec l'environnement, en étant considérée par essence comme le produit de son milieu et devant être dans ces conditions en phase avec toutes les mutations qui se produisent à ce niveau.

Les interactions entre les décisions fiscales des différents pays sont devenues de plus en plus denses, en raison de la mobilité croissante de certaines assiettes et de la numérisation d'un nombre sans cesse plus important d'activités économiques.

C'est ce qui procure une opportunité dans le choix des implantations ou de domiciliation des grandes entreprises internationales et ce choix n'étant pas venu par hasard, est dicté par l'état de la situation fiscale au regard de sa complexité, du poids des prélèvements et de la possibilité de rapatrier leurs profits et ce sont là autant de facteurs incitatifs qui prévalent tout autant que ceux économiques.

C'est justement cette relation avec le contexte lorsqu'elle est suffisamment maîtrisée qu'elle est à même de garantir l'effectivité de cet équilibre si indispensable et même incontournable dans les relations entre Etats et si en revanche la fiscalité recouvre tant de disparités de régimes fiscaux dans le monde, cela devient forcément inextricable.

C'est en grande partie une telle situation est imputable aux activités numériques qui ont introduit en gestion des innovations telles que certaines données anciennes ne répondent plus à leurs fonctions essentielles, pour prendre l'exemple de la notion d'établissement qui a servi à l'établissement des impositions des sociétés et elle n'est plus d'actualité.

Suivant son principe défini, l'établissement stable implique une installation matérielle pour justifier l'imposition et cela arrange les entreprises multinationales compte tenu de la nature de leur activité de services relevant du numérique, ce qui leur permet de se mettre à l'abri de toute imposition, leur génère du coup un gain substantiel.

En clair, il est avéré que la fiscalité classique ne peut plus prendre en compte la réalité de l'économie digitalisée, puisque la seule présence physique d'une entreprise sur un territoire donné n'est plus à même d'attester de l'exercice de son activité pour donner lieu à imposition.

Suite à l'accélération évidente du numérique dans le monde et ses innombrables transformations, l'entreprise peut se placer librement à distance et en dehors de ses marchés pour gérer par l'intermédiaire d'une interface numérique à partir d'un point donné les ventes comme par exemple, c'est le cas pour la publicité en ligne et les plates-formes de réseaux sociaux qui y réalisent les profits sans pour autant y être imposées, parce que cela ne nécessite pas strictement une présence physique.

Ceci prouve s'il en était besoin qu'en l'espèce le fondement de « l'établissement stable » est devenu totalement dépassé voire même caduc et une telle situation illustre parfaitement le fait que l'imposition est déterminée désormais par la domination de l'économie numérique, ce au détriment de l'économie réelle devenue notoirement déphasée par rapport à l'évolution du modèle économique digitale.

A l'aune de cette inadaptation de la fiscalité internationale au nouveau contexte du numérique, les multinationales y trouvent aisément une aubaine pour éviter le paiement de l'impôt normalement dû, tout en exploitant logiquement tous les angles morts pour stimuler l'optimisation fiscale, afin d'engranger des gains fiscaux colossaux.

Elles y trouvent ainsi la possibilité de recourir à cet effet à des stratégies de plus en plus sophistiquées de l'optimisation leur permettant ainsi de transférer leurs profits dans des pays à faible fiscalité, ce au point que les États concernés se trouvent dans l'incapacité d'activer des moyens nécessaires pour dûment les contrôler et les rechercher en paiement de l'impôt.

Il ressort que les modèles d'affaires qui gouvernent ces activités sont devenus de plus en variation grâce à l'exercice performant de la technologie, ce qui rend tout contrôle d'autant plus ardu que le droit fiscal en accusant ce faisant un retard n'est plus à même de tenter de les appréhender.

C'est ainsi que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), et plus largement les multinationales de l'économie digitale (Uber, Airbnb, etc.), se déploient dans des secteurs différents pour adopter une position commune consistant à proposer leurs services sur le web, tout en ayant la possibilité de localiser leur siège social dans un pays différent de celui où se trouvent leurs utilisateurs.

Au juste suivant le mécanisme observé pour éluder le paiement de l'impôt, le fait que seules leurs filiales sont considérées indépendantes les unes des autres, comme des entités juridiques par les Etats et ce qui leur fait perdre aux Etats tout apport fiscal normalement dû, ce à cause des schémas comptables et juridiques utilisés facilitant le transfert de leurs bénéfices vers des pays où peu ou pas d'impôt existant et où l'entreprise peut faire peu ou pas d'affaires réelles du tout.

Il n'est pas normal que les entreprises du numérique puissent jouir d'une position aussi dominante à telle enseigne que les évaluations statistiques publiées démontrent qu'elles sont imposées en moyenne à un taux de 9,5 % contre 23,2 % pour les entreprises traditionnelles, alors que l'économie de ces dernières est encore fortement éprouvée par la crise sanitaire du Covid-19.

De plus le Fonds monétaire international (FMI) estime que 50 % des transactions internationales transitent par un paradis fiscal comprenant pas moins de 4 000 banques et deux millions de sociétés-écrans et le montant des sommes investies dans les paradis fiscaux est estimé à 25 000 milliards de dollars, ce qui représente plus que le PIB des États-Unis et du Japon réunis.

Dans le même ordre d'idées selon l'OCDE en 2015 les multinationales ont privé les pays de 100 à 240 milliards de dollars (85 à 200 milliards d'euros) en recettes en étant détournées aux Etats chaque année, soit 4 à 10 % de l'impôt mondial sur les sociétés.

L'accord du G20 de 2015 ne semble pas avoir amélioré la situation, puisque les pertes fiscales ont été chiffrées cinq ans après à 330 milliards d'euros (soit 400 milliards de dollars) alors que les taux IS ont baissé.

Une étude de l'OCDE et du Tax Justice Network chiffre ainsi à 1150 milliards d'euros le montant des bénéfices transitant par les paradis fiscaux et pour l'ONG c'est « le plus grand et long holdup d'agent public de notre époque ».

Tout indique ainsi que la numérisation a bouleversé les modèles d'affaires et les chaînes de valeur au point de déstabiliser en profondeur tous les systèmes d'imposition, en participant ainsi à l'érosion des bases fiscales, en profitant de l'affaiblissement en même temps de la capacité des États à imposer normalement les grandes entreprises.

Tout ce genre de pratiques abusives met en lumière les limites du corpus fiscal actuel qui a été pensé à une époque où l'économie était d'abord industrielle et où le commerce et les services reposaient sur des points de vente et des contacts physiques de proximité, ce qui n'existe plus désormais à l'échelle actuelle.

Comme la situation donne l'image d'une évolution hors de contrôle du numérique, de sorte que les États ne seraient plus en mesure d'imposer efficacement les entreprises et donc in fine tout interpelle pour relever les défis quant à une véritable refondation de la fiscalité internationale pour la rendre moderne.

2-L'inadaptation du dispositif des conventions fiscales reposant sur la notion d'établissement stable :

Dans la cadre de la coopération fiscale entre les États, jusqu'ici pour concilier les positions contradictoires des Etats, il a été toujours fait jusque-là recours à des règles essentiellement d'origine conventionnelle en étant conclues d'une manière bilatérale, assortie d'une limite celle de se contenter de régler essentiellement les situations de double imposition d'un ressortissant ou d'une entreprise d'un autre Etat, découlant expressément du principe de l'établissement stable devenu avec le temps virtuellement inapplicable.

En effet pour toutes les conventions fiscales conclues entre les pays, comme le concept d'établissement stable est devenu un élément central quant à la détermination de l'imposition qui doit être basée sur la présence physique d'une entreprise dans un pays, tout en disposant à cet effet d'un cycle complet de production dans le pays sur la base d'une installation, elles ont perdu du coup de leur efficacité, d'autant que leur création date de 1921 à l'initiative de la Société des Nations (SDN) préconisant le modèle de convention de Genève (1928) et les modèles de conventions de Mexico (1943) et de Londres (1946).

L'OCDE a proposé à son tour un modèle de convention en 1943 remanié en 1977 lequel avait servi davantage les pays développés dans leurs rapports équilibrés entre eux sur le plan économique, au désavantage des pays en développement.

L'ONU a élaboré également dès 1979 un modèle de convention tendant à répondre aux préoccupations des pays développés et les pays en développement, tout en se recoupant quasi entièrement avec celui de l'OCDE.

Il est à noter que l'Algérie a conclu plus de 40 conventions fiscales avec différents pays toujours sur la base de la notion d'établissement stable qui est devenue pour y insister surannée avec l'épreuve du temps.

Il s'avère urgent de trouver un nouveau paradigme pour y remédier, car une telle situation ne peut pas perdurer ainsi, tant elle comporte effectivement des effets rédhibitoires aussi bien sur le plan économique que sociétal, ce au détriment de nombreux pays.

C'est ce qui explique qu'à la suite des problèmes nés de l'établissement stable, la lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales est au cœur des débats au niveau tant national qu'international pour trouver des réponses à apporter à l'érosion des assiettes fiscales.

Pour tenter de revenir à une meilleure conception de l'imposition, l'OCDE s'est efforcé, en s'accordant un délai indéterminé, puisque cela requiert la coordination des Etats, de requalifier la notion d'établissement à l'effet de lever toute sorte d'ambiguïté.

Elle vise dans son projet à taxer désormais les multinationales non plus en fonction de leur seule présence physique dans un pays, mais plutôt sur la base des activités exercées et des bénéfices qu'elles y réalisent, de sorte que l'entreprise ne pourrait plus domicilier ses revenus tirés de ses activités dans plusieurs pays pour les transférer dans les paradis fiscaux, sauf que ce projet a été voué à un sort qui ne plaide pas à son avantage.

3-Le paramètre de l'orthodoxie de l'économie néolibérale en inadéquation avec l'évolution de la fiscalité internationale:

La position de certains Etats ne manque pas, somme toute, d'intriguer, faute de vigilance suffisante de leur part face aux pratiques agressives de l'évasion fiscale, bien qu'étant alertés à temps en ce qui concerne leur caractère contreproductif.

Pourtant ces Etats singulièrement disposent de bien de prérogatives régaliennes dédiées précisément à des missions proactives, celles par exemple de réguler tout ce qui peut leur apparaître excessif, comme c'est le cas précisément de l'abus de l'évasion fiscale

Cette passivité délibérée à éviter de prendre une responsabilité pour apporter toutes les corrections nécessaires et d'une manière collective pour adapter le cours de la fiscalité internationale a pour origine en filigrane l'existence d'un paramètre déterminant qui entre historiquement en ligne de compte.

C'est celui de l'affirmation dans le contexte actuel de la doctrine du néolibéralisme induisant par essence le libéralisme concurrentiel et en favorisant les flux des capitaux, aidé en cela par les technologies bien avancées en communication, ce qui empêche dans ces conditions toute espèce de contrôle efficace.

Cette forme de capitalisme en érigeant ses règles en lois immuables a réussi à couvrir tous les compartiments de la vie, de la société et de la politique, ce souvent avec l'aide des décideurs lobbyistes qui continuent sans relâche à brouiller en pertes et profits tous les repères traditionnels anciens.

En vérité cette orthodoxie se fonde sur la doxa traduite par la devise suivante : « laisser faire et laisser passer », soutenant ainsi l'apologie du marché libre qui ne peut fonctionner qu'en réduisant consécutivement le rôle régulateur de l'Etat destiné pourtant à contrer efficacement ses entraves, ce au point qu'a contrario les multinationales bénéficient d'une sorte d'aseptisation de leurs activités abusives.

C'est ainsi que depuis le début des années 1980, le cycle de déréglementation a engendré une concurrence fiscale accrue et déloyale entre les États, si bien que par son développement cette doctrine est devenue l'alpha et l'oméga de certains Etats en tant qu'adeptes convaincus de son opportunité, ce sans craindre que ce genre de politique ne puisse déboucher sur des inégalités sur le plan sociétal.

Adam Smith a appelé ce processus « la main invisible », en n'hésitant pas pour le légitimer à mettre l'accent sur la suprématie du marché réputé par définition réaliser l'équilibre de l'offre et de la demande, alors qu'en revanche aussi bien entre autres Keynes que Maurice Allais ils ont cherché à démystifier cette formule.

C'est ainsi en substance que Keynes souligne l'efficacité illusoire de la main invisible et de l'impossibilité de l'autorégulation des marchés et quant à Maurice Allais il considère que la nouvelle doctrine du libéralisme économique est une véritable perversion jusqu'à se poser la question comment a-t-elle pu s'imposer alors qu'en réalité elle n'a entraîné que désordres et misères dans le monde entier ?

Quoi qu'il en soit, les Etats ne peuvent continuer à rester encore dans cette forme de posture de « laisser passer et laisser faire », qui fait admettre que la fin justifie les moyens, tout en tolérant ce faisant les manœuvres des multinationales agissant au nom de l'économie néolibérale, comme si celle-ci constituait une référence à un ancrage imparable.

Pourtant par incidence la situation socio-économique et financière de ces Etats s'est nettement détériorée en étant ponctuée par des crises sanitaires à répétition doublées d'une crise économique mondiale.

Comme il est devenu difficile de supporter le lourd impact économique provenant des mesures anti-Covid, en obligeant les gouvernements à mettre en place des plans de relance très coûteux, alors même que leur marge de manœuvre budgétaire pour la plupart est restée réduite jusqu'à faire appel en compensation l'endettement.

C'est justement la pandémie du Covid-19 qui a servi de déclencheur de la prise de conscience de la situation qui a atteint un tel degré de gravité emportant toute certitude de la part des Etats à faire face à l'ampleur des problèmes qui leur pèsent comme une chape de plomb.

Malgré tout et par la force des choses, ils sont parvenus dans un sursaut à retrouver leur synergie originelle pour changer de scénario, en s'affranchissant des contraintes d'ordre idéologique et revenir au protocole habituelle, celui de retrouver fondamentalement le rôle intrinsèque de régulateurs.

Ils décident enfin à mobiliser le potentiel fiscal pour financer leurs politiques publiques en passant nécessairement par une adaptation de la fiscalité internationale avec en perspective une rupture des pratiques désuètes de blocage tant dénoncées.

III-LA QUÊTE AMORCEE SUR L'EVOLUTION DE LA FISCALITE INTERNATIONALE

Particulièrement ces dernières années les grandes puissances n'ont cessé de persévérer pour tenter de dénouer ce nœud gordien du blocage de la fiscalité internationale, en inscrivant leurs actions dans la ligne d'une fiscalité qui se veut être attachée au XXIème siècle, ce avec l'objectif de mettre en place un dispositif visant à limiter les effets d'impact du numérique sur la fiscalité pour pouvoir sortir ainsi de l'impasse qui pèse effectivement de tout son poids.

A commencer par l'Union européenne qui pour limiter la tendance à la baisse de la fiscalité sur les entreprises, s'est lancée d'abord dans la formulation de quelques propositions visant à limiter le dumping fiscal.

Il suffit de citer à cet égard le projet d'harmonisation de l'assiette fiscale des sociétés (ACCIS) évoqué dès le début des années 2000 par la Commission européenne pour fixer une base taxable des entreprises commune aux Etats membres, c'est-à-dire les revenus pris en compte pour calculer cette taxe sans qu'il soit question toutefois de prévoir un taux commun.

Mais après deux propositions de directive en 2011 et 2016 suite au blocage de quelques Etats, elles sont restées inabouties, puisque les statuts de l'Union européenne, toute adoption d'un texte significatif implique l'unanimité des Etats membres.

De même pour tenter de donner un coup d'arrêt à la concurrence fiscale incontrôlée et à l'érosion des bases fiscales, le G20 a donné mandat à l'OCDE pour préparer une révision des règles fiscales et le plan « BEPS », sur « l'Erosion de la Base et le Transfert de Bénéfices ».

En étant approuvé en 2015, ce dispositif comporte « une boîte à outils anti-abus », en ce qu'il énumère un certain nombre de mesures censées encadrer les prix de transfert et assurer une plus grande transparence des accords fiscaux ou des niveaux d'activités réels des multinationales dans les pays où elles ont une activité, tout en prévoyant une déclaration des bénéfices pays par pays en vue d'une convergence vers une assiette fiscale harmonisée.

En tout cas tout amène à relativiser les résultats de la réforme, parce que la situation n'a pas tellement changé et elle est restée encore pratiquement dérisoire sur ce plan.

La Commission européenne a pris le relais et a également essayé de réformer l'économie numérique en proposant une taxe de 3% sur les entreprises du secteur dépassant les 750 millions d'euros de chiffre d'affaires dans le monde et 50 millions dans l'UE et elle devait toucher environ 150 entreprises qui aurait dû dégager 5 à 8 milliards d'euros.

Cette taxe a présenté la spécificité de ne pas s'appliquer sur les profits, mais sur les revenus générés à partir de la vente d'espaces publicitaires en ligne ou de l'utilisation de données personnelles en escomptant un apport de 57 milliards d'euros par an.

Mais ayant été émaillé de controverses de la part de certains États membres de l'UE, lors des discussions aussi bien au niveau de la Commission européenne que du Parlement européen, finalement cette proposition a finalement été différée à son tour, ce faute comme toujours d'unanimité.

Devant tant d'hésitations au niveau européen et international, certains Etats ont pris individuellement les devants et commencé à appliquer une taxe sur les bénéfices des grandes entreprises du numérique sur leur territoire.

C'est ainsi qu'en 2019, la France a appliqué un taux d'imposition de 3% sur le chiffre d'affaires réalisé par des entreprises dont les chiffres d'affaires annuels se trouvent supérieurs à 750 millions d'euros dans le monde et à 25 millions d'euros en France.

Cette taxe sert à réguler les échanges d'actions sur les marchés financiers et également en étant destinée à financer des projets internationaux et en Europe elle a été adoptée par le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne et en 2019 elle a rapporté 1,4 milliard d'euros et sensiblement plus en 2020, mais les Etats-Unis s'y sont opposés en proférant même des menaces de sanction.

L'arrivée à la présidence des Etats-Unis de Joe Biden en janvier 2021 a complètement changé la donne et pour répondre au besoin de financement du grand programme d'investissement qu'il a mis en place dans les infrastructures et les énergies « propres », il a misé pour y parvenir sur un changement radical de la politique fiscale mondiale.

C'est le G7 regroupant l'Allemagne, le Canada, les Etats-Unis, la France, l'Italie, le Japon, et le Royaume-Uni qui en faisant de la relance économique mondiale le centre des priorités a décidé de faire bouger les lignes de la fiscalité internationale pour la rendre ainsi opérationnelle.

En effet lors de sa réunion du 4 et 5 juin 2021, le G7 est parvenu à un accord inédit préconisant la mise en place d'un taux plancher universel d'imposition minimum sur les entreprises, afin de resserrer l'étau des pratiques des géants des technologies en visant surtout les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), qui paient peu d'impôts en localisant leurs bénéfices dans des territoires à la fiscalité avantageuse comme le Luxembourg ou l'Irlande ? voire nulle dans les îles anglo-normandes ou les «paradis» des Caraïbes ou des Emirats.

Il ressort que ce projet d'accord paraît prometteur à plus d'un titre en ce sens qu'il représente tout de même une véritable percée en termes de coordination internationale dans la recherche de l'imposition des sociétés et il pourrait constituer, malgré quelques réactions négatives ici ou là, un sérieux point de départ sur la voie d'une réelle avancée en matière d'harmonisation fiscale internationale.

En raison de ce tâtonnement sans grand succès en moins d'un mois du G7 et après des années de négociations, les pays du «cadre inclusif», un groupe allant bien au-delà des 38 membres de l'OCDE et des Etats du G20 et travaillant ensemble notamment sur des questions de fiscalité internationale, se sont ainsi entendus le 1er juillet 2021 à Paris pour répartir différemment l'impôt des 100 multinationales les plus rentables, du moins sur 20 à 30% de leurs bénéfices «excédentaires» (au-delà d'une marge de 10%).

L'accord a porté d'une part sur l'instauration d'un taux minimum de 15% pour l'impôt sur les sociétés, avec l'objectif explicite de l'augmenter à 21% et d'autre part sur la taxation au niveau national des bénéfices réalisés par les multinationales déterminant l'imposition plutôt dans les pays où sont consommés les produits de l'entreprise, au lieu des pays où l'entreprise est présente physiquement, ce qui fait toute la différence.

Ceci va permettre aux pays signataires d'imposer une partie des bénéfices réalisés sur leur territoire par les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse les 20 milliards de dollars annuels et dont la rentabilité est supérieure à 10%.

Un tel accord inédit malgré les avantages qu'il revêt a été mis en échec par un petit groupe comprenant 9 pays qui s'y sont opposés et parmi eux trois sont membres de l'Union européenne (Irlande, Hongrie, Estonie), deux sont des pays africains (Kenya, Nigeria) et deux sont réputés pour être des havres fiscaux (Barbade-Saint-Vincent et les Grenadines) et se rajoutent le Pérou qui s'est abstenu de signer faute de gouvernement et le Sri Lanka.

S'agissant de la Suisse, elle y adhère sous réserve de certaines conditions et il en est de même pour la Chine dont la position était très attendue, comme également celle de certains pays considérés généralement comme des paradis fiscaux.

Il faut reconnaître que toutes ces mesures éparses prises n'ont pas permis encore à la fiscalité internationale de sortir de l'impasse auquel elle a été vouée à son corps défendant, au point qu'elle continue à donner des signes perceptibles d'essoufflement et de grippage par rapport au mouvement imperturbable de l'environnement qui l'entoure, ce qui a provoqué par ricoché la fragilisation de finances publiques des Etats, sans compter les restrictions qui en résultent en matière d'investissements.

A présent c'est le G20 qui se trouve investi pour donner plus d'élan à la réforme engagée, en organisant un sommet crucial du 8 et 9 juillet 2021, ce qui a permis d'aboutir à un accord historique reconnu le plus important depuis près d'un siècle pour avoir réussi à valider le dispositif fiscal conçu initialement par l'OCDE et consistant à réduire substantiellement la concurrence fiscale que le numérique a largement amplifiée mettant en cause la bonne gouvernance en gestion de l'entreprise.

IV- L'ADOPTION DE L'ACCORD HISTORIQUE DE LA FISCALITE INTERNATIONALE

Comme le système fiscal en étant basé sur la pleine concurrence a montré effectivement ses faiblesses, ce malgré certains ajustements apportés pour tenter de l'améliorer sensiblement, il s'avère donc temps de faire l'effort ultime pour tendre vers un système plus simple et plus transparent à l'effet de considérer les entreprises multinationales comme des entités uniques, afin que les bénéfices soient répartis en fonction de l'activité économique réelle dans chaque pays.

Tout laisse croire en dernière analyse que désormais les Etats après avoir connu une période ardue dans leur gestion suite à la crise sanitaire et économique, ont fini enfin par retrouver leurs capacités à coordonner leurs actions, afin de juguler le phénomène répandu de l'évitement fiscal, en cessant de surfer sur leurs divergences qui leur ont fait perdre sans aucun doute beaucoup de temps et d'argent.

En effet comme la situation de leur gestion a connu tant de difficultés jusqu'à atteindre un degré de paroxysme tel qu'elle est devenue vraiment intenable, ce qui appelle en principe en réplique une volonté résolue de remédier par une action forte et durable en passant à une vitesse supérieure pour placer résolument dans le viseur les géants du numérique qui se livrent en toute légalité à des pratiques agressives, pour les mettre résolument hors circuit.

Aussi au terme d'une négociation haletante dans les coulisses durant quatre années de saga, entre rebondissements et remises en cause, le G20 est parvenu enfin à présent à dénouer le nœud gordien de la fiscalité internationale de son état quasiment figé pour offrir une ouverture qui se veut prometteuse.

Les grands argentiers du G20 comprenant les vingt plus grandes puissances mondiales et l'Union européenne, soit environ 60% de la population du monde et 80% de son PIB se sont attachés à l'issue de leur sommet à Venise qui a duré deux jours de tractations à approuver officiellement le samedi 10 juillet 2021 un accord contresigné par 132 devenus des 139 dans le monde et l'OCDE en étant l'artisan initiateur.

Cet accord est jugé historique, parce qu'il se prononce pour une réforme juste et inclusive du système fiscal international, en ce sens qu'il préconise un changement de paradigme important consistant en la mise en place d'une architecture fiscale internationale réputée « plus stable et plus équitable », tout en instaurant en même temps un impôt mondial de 15 % sur les bénéfices des multinationales, ce qui pourrait en acquérant désormais une force politique sonner le glas tant aux paradis fiscaux que pour la concurrence fiscale abusive d'une manière générale.

A l'examen cet accord final incarne en fait un progrès notable sur le plan fiscal dans la mesure où il consiste à valider un nouvel ensemble de règles fiscales internationales dans le cadre inclusif de l'OCDE/G20, en s'inspirant intégralement du modèle déjà adopté les 5 et 6 juin et du 1er juillet 2021, suite à la concrétisation des deux piliers déjà retenus, à savoir :

- le premier pilier vise à accorder de nouveaux droits à taxer aux pays dans lesquels les multinationales du monde (au-dessus de 20 milliards de dollars de chiffre d'affaires) ont leurs clients et leurs marchés, sans qu'il n'y ait ni siège, ni implantation et ensuite les sommes seront partagées entre les Etats selon une clé de répartition qui reste encore à définir,

-et quant au second pilier il instaure un taux plancher minimum de 15% sur les bénéfices de toutes les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 millions d'euros, ce qui permettrait selon l'OCDE de dégager 150 milliards de dollars de recettes fiscales par an et il en résulte pour une grande entreprise qui choisit d'établir son siège dans une juridiction à faible imposition devra verser la différence entre le taux retenu.

La grande avancée de ce consensus mondial témoigne du progrès considérable accompli, ce grâce à la coopération multilatérale qui avait pourtant de la peine à devenir dans le passé une réalité et il s'en est suivi comme conséquence le démantèlement du courant sous-jacent de protectionnisme et de tensions commerciales existants jusqu'à présent.

L'accord adopté dans ses principes tout en étant réputé «équilibré et juste», mais pour que l'opération soit effective, il reste désormais à la finaliser en fixant les détails clefs des modalités techniques d'application et à surmonter les quelques obstacles politiques qui demeurent encore à vaincre des résistances isolées de certains pays.

En effet l'application pratique de l'accord est encore à concevoir dans ses détails et comme « le diable est dans les détails », ce qui suppose un certain délai de maturation pour élucider quelques zones d'ombre existantes et au cours duquel les tractations vont se poursuivre pour tenter d'aplanir les derniers blocages d'ordre technique et même certaines résistances politiques, afin d'atteindre l'effectivité dans la lutte contre l'évasion fiscale agressive.

Dans cette perspective le G20 en adoptant l'accord final a donné son aval pour que l'OCDE puisse transcrire les nouvelles règles dans une convention internationale et les pays du cadre inclusif se sont engagés à y adhérer, sauf que les pays doivent encore régler les derniers détails du pacte d'ici octobre 2021 pour que la réforme soit avalisée dans les règles et à cette occasion seront étudiées aussi les demandes d'exemptions émanant de nombreux pays.

C'est à l'OCDE basée à Paris qui réunit pays avancés et émergents qu'il appartient d'impulser cette démarche qui est appelée à se dérouler en deux étapes :

- la première concerne la réunion des présidents et des premiers ministres du Groupe du G20 les 30 et 31 octobre à Rome,

-et pour la deuxième au vu du délai de 2 ans il est prévu l'échéance de la mise en œuvre effective en 2023 date à laquelle les entreprises bénéficiant des facilités fiscales vont devoir se mettre en conformité tout en renonçant aux avantages substantiels dont elles profitaient, pour avoir choisi leur installation dans un pays à fiscalité super light.

Dans l'intervalle les ministres devraient aussi adresser un appel aux pays récalcitrants qui n'ont pas soutenu l'accord historique pour obtenir au préalable leur ralliement.

V-LES INCIDENCES DE L'ACCORD EMBLEMATIQUE : LES GAGNANTS ET LES PERDANTS

Comme l'accord emblématique conclu a pour objectif de permettre une reprise progressive du contrôle des gouvernements sur les multinationales, ce qui permet du coup de clarifier la situation visant à départager en la circonstance les gagnants et les perdants.

S'agissant d'abord des gagnants sans aucun doute ce sont les grandes économies en tant que terres d'origine d'une grande partie des multinationales, qui vont récupérer une manne non négligeable du futur impôt mondial en appliquant un impôt sur des activités de vente réalisées sur leur sol.

Il suffit de citer à cet effet notamment la France, les Etats-Unis, l'Allemagne et même la Chine est appelée à profiter aussi de la réforme, en bénéficiant comme d'autres pays d'exemptions, avec la possibilité d'accorder des avantages fiscaux à certaines entreprises.

A la limite même les multinationales pourraient être gagnantes, en ce que la solution intégrée de cet accord final ambitionne de conférer désormais aux multinationales le statut de sujets de droit et le fait d'être tenues sur cette base d'observer leurs obligations fiscales, leur confère ainsi une sécurité juridique qui leur permettra de contester à bon droit des cas éventuels de double imposition.

Comme à ce sujet les multinationales excellent d'une telle ingéniosité, il n'est pas exclu qu'à l'avenir, tout en acceptant de payer l'impôt au taux de 15% prévu de pouvoir le contourner autrement notamment à partir de l'assiette au moyen de la manipulation de la base imposable, en jouant sur les régimes des déductions hétérogènes par exemple les exemptions, les abattements fiscaux ou des déductions (amortissement accéléré, déduction des intérêts, exonération des plus-values et dividendes reçus, report des déficits?).

Aussi pour éviter le recours aux précédés de détournement, est-il de l'intérêt des concepteurs concernés de chercher à circonscrire le champ d'application de l'impôt sur les bénéfices réalisés par les sociétés, à s'entendre sur des normes comptables qui garantiraient l'application correcte de nouvelles techniques pour verrouiller toute possibilité d'évasion fiscale.

Il existe une autre limite qui caractérise l'accord, c'est ce sont les conditions d'application du taux plancher de 15% en ce qu'il ne porte en définitive que sur un profit résiduel, celui précisément qui excède une marge de 10% et quant à la répartition évoquée de seulement de 20% de ce résidu en fonction du lieu où sont réalisés les recettes et les profits.

Cela signifie au juste qu'une entreprise comme Amazon, pour prendre à juste titre son exemple, pourrait ne pas être concernée par le taux de 15%, à moins toutefois que l'accord final prévoit une approche dite de «segmentation», c'est-à-dire que les juridictions pourraient calculer les impôts sur la base des revenus des entreprises par segment et pas seulement au niveau global de l'entreprise.

C'est en prévoyant de tels « détails » décisifs qui puisse garantir l'application de cet accord à l'ensemble des multinationales sans exception, ce nonobstant le fait que la marge bénéficiaire de l'entité globale serait inférieure au seuil de 10%.

Il est à constater que si bon nombre de gouvernements se prononcent favorablement pour cet accord dit «historique» scellant la réforme de la fiscalité internationale en ce début de juillet 2021 après de longues années de négociations sous l'égide de l'OCDE, en l'abordant à travers le prisme de l'expertise fiscale, il ressort que ce projet est encore loin de parvenir à sceller complètement la réforme de l'imposition des multinationales, tant certaines zones d'ombre subsistent encore, ce qui ne facilite pas la maîtrise de son application surtout pour empêcher efficacement la poursuite de l'optimisation fiscale.

C'est ainsi que d'une manière générale, il est reproché à l'accord de comporter certaines zones d'incertitudes surtout à l'application, ce qui risque de ne pas être en concordance avec les concepts actés et c'est là toute la problématique.

Au sujet à présent des perdants de cet accord réputé historique, les paradis fiscaux en sont ciblés en premier lieu pour les faire disparaître, ce au motif qu'ils abritent les sièges des groupes où sont rapatriés leurs bénéfices pour tirer profit d'avantages fiscaux.

D'une manière générale les paradis fiscaux sont tous les pays ayant bâti leur attractivité et leurs revenus sur les avantages fiscaux qu'ils accordent aux entreprises, par exemple des pays européens l'Irlande qui a attiré Apple et Google à coup de fiscalité quasi nulle, la Suisse, le Luxembourg ou les Pays-Bas y sont concernés.

L'accord sur la taxation des multinationales conclu le 1er juillet 2021 sous l'égide de l'OCDE et approuvé par le G20 comporte une autre incidence de taille en ce qu'il « invite les pays à accepter de démanteler les taxes numériques existantes que les États-Unis considèrent comme discriminatoires et à s'abstenir d'instaurer des mesures similaires à l'avenir » et cette hypothèque concerne la taxe européenne numérique de 3% comme celle également par la France et les pays comme l'Espagne et l'Italie.

Pour se faire une idée fixe sur la portée exacte de la nouvelle taxe applicable aux multinationales, il faut par prudence attendre la période où toutes les modalités d'application se trouvent déterminées, pour apprécier in fine si elle est parfaitement crédible, d'autant que combien de fois dans le passé des responsables politiques ont annoncé officiellement pour reprendre fidèlement l'expression d'un président d'un pays « les paradis fiscaux c'est fini » et ce qui s'est avéré par la suite peu crédible.

A l'examen au fond, ce projet est encore loin de parvenir à sceller complètement la réforme de l'imposition des multinationales, tant certaines zones d'ombre subsistent encore, ce qui ne facilite pas la maîtrise de son application surtout pour empêcher efficacement la poursuite de l'optimisation fiscale.

De son côté l'ONG Oxfam spécialisée dans les analyses en fiscalité estime que «non seulement l'accord laisse encore des failles aux multinationales pour pratiquer l'évasion fiscale, mais il devrait profiter essentiellement aux pays riches et singulièrement en écartant les pays en développement et les pays émergents qui ont pourtant tout autant avoir droit ».

En conséquence selon Oxfam »les pays les plus pauvres vont toucher moins de 3% des recettes supplémentaires générées par le taux minimum de 15%, alors qu'ils représentent plus du tiers de la population mondiale».

D'autres voix se sont élevées pour mettre l'accent que cet accord ne répond pas aux préoccupations des pays en développement ou les pays émergents et d'ailleurs plusieurs organisations internationales et africaines lui font grief dans ce sens en citant entre autres le Forum de l'administration fiscale en Afrique (ATAF).

De plus cet accord n'est pas encore gagné du côté de certains pays qui se prononcent carrément contre la taxe sur les multinationales, en citant outre la Hongrie et l'Estonie, l'Irlande qui veulent continuer à appliquer leur propre régime, en refusant du coup de signer le texte validé par le G20 et 132 pays de l'OCDE.

CONCLUSION

A La faveur de toutes les mesures ainsi intervenues, la réforme de la fiscalité internationale qui promet certes un avenir meilleur, mais il lui est reproché de ne pas être de portée universelle puisque son élaboration continue à rester l'exclusivité des pays puissants en s'autorisant d'imprimer l'orientation dans le sens de leurs stricts intérêts, tout en faisant ainsi fi de la participation pourtant justifiée des autres pays en développement et les pays émergents qui se trouvent ainsi privés de faire valoir leurs revendications légitimes à cette occasion.

Il est désolant de constater qu'en ce XXIème siècle, les pays riches se permettent de s'arroger des espaces fermés qui leur conviennent spécifiquement pour établir leurs propres règles, au lieu de les rendre ouverts pour permettre à tous les Etats concernés de participer communément et à juste titre à leur établissement.

C'est pourquoi pour que la fiscalité internationale ne lèse pas à tort certains pays relégués en marge des négociations, il serait opportun de créer sous les auspices de l'ONU un organisme spécial au sein duquel tous les États pourront dans le cadre d'une vraie coopération négocier sur un même pied d'égalité et en vue d'une véritable réforme du système fiscal international.

Cet organisme pourrait même être investi des attributions d'arbitrage en cas notamment de situations conflictuelles entre les Etats et là ce sera le gage d'un vrai progrès d'ordre sociétal.

*Ex-Expert international en fiscalité au FMI - Auteur d'ouvrages traitant de l'enjeu financier et fiscal