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Algérie: «De la vache à lait au tapis volant, des Indes à La Mecque!»

par A. Boumezrag*

«L'équipage vous remercie d'avoir choisi la compagnie tapis volant, veuillez rester assis jusqu'à ce que le tapis se soit stabilisé» Citation d'un personnage de fiction dans le film Aladin - le génie.

L'Algérie, le pays des miracles et des illusions, un gros ventre et une petite tête. Le gros ventre c'est la poche saharienne, la petite tête c'est la côte méditerranéenne. C'est un désert où on récolte du « blé » sans semer de « grains ». Que Dieu soit loué, que la France soit heureuse, que le diable soit maudit. Pourvu qu'il pleuve en France et qu'il neige au Canada. Le blé tendre français et le lait entier canadien. De la galette traditionnelle à la baguette parisienne, du lait de chèvre au lait de vache, le pas est vite franchi, à la faveur d'une manne financière providentielle que l'élite dirigeante dispose à sa guise faisant croire à la population que la providence se trouve au sommet de l'Etat et non dans le sous-sol saharien. Résultat des courses. Une communauté « d'experts scientifiques de l'échec » recyclée, doublement rémunérée qui scrute l'avenir de leur pays dans le marc de pétrole après avoir dilapidé ses revenus tirés des exportations. Un peuple nourrisson qui court derrière un sachet de lait importé. Un lait sans vache, une vache sans lait. Une économie rentière où on consomme sans produire. Une démographie galopante, en se couchant à deux le soir, on se retrouve à trois le lendemain. Un Etat qui imprime des billets de banque sans contrepartie en biens et services sur le marché. Un environnement pollué où le pétrole coule à flots et l'eau se fait rare. Une agriculture vivrière arrosée d'une eau usée non épurée, des hôpitaux dépourvus de médicaments désertés par des médecins sans sacerdoce.

Une mosquée dans un désert, un désert dans une mosquée, des prières sans tapis, des tapis sans prières, des enfants sans instituteurs ; des universités sans savoir productif, le savoir créateur prend la clé des champs, des femmes politiques présentées comme des fraises sélectionnées à consommer sans modération ; des hommes robustes à la force de l'âge assis derrière des comptoirs dotés de tiroirs caisse sans monnaie d'appoint, des banques sans liquidités, des liquidités sans banque. Des banques dites publiques qui n'ont de banque que le nom (des guichets du Trésor), des comptes dépenses sans couverture comptes recettes, des crédits d'exploitation sans crédits d'investissement, des importations tous azimuts sans exportations hors hydrocarbures. A la rescousse, des banques dites islamiques (« privées »), des crédits sans intérêts, des intérêts sans crédits. En un tour de magie, des intérêts (illicites) sont transformés en profits (licites); comme si l'argent d'Allah se comptait avec les doigts, des terres en abondance laissées en jachère par des politiques suicidaires, une énergie solaire à profusion gratuite gaspillée inutilement, des espaces à perte de vue livrées à la sécheresse, une nappe d'eau souterraine saine unique au monde menacée de pollution par le gaz de schiste, des déchets nucléaires faisant des ravages sur les populations du Sud, des bateaux de blé en rade attendant l'autorisation d'accoster ; tout cela et bien plus est-ce une bénédiction ou une malédiction ? Nous sommes destinés à vivre ensemble sur le même sol de la même terre. La terre de nos ancêtres arrosée du sang de nos valeureux martyrs. Ils ont payé le prix du sang, aux générations futures de payer le prix de la sueur. La terre est comme une femme, plus on la laboure plus elle donne du blé. Elle est notre mère-nourricière et nous sommes ses enfants ingrats. Malheur à un peuple qui se nourrit de ce qu'il ne produit pas, se vêtit de ce qu'il ne tisse pas, se soigne de ce qu'il ne fabrique pas. Et cela grâce et/ou de la faute des pétrodollars, pétrole comme don de Dieu, dollars comme ruse de Satan. Le pétrole, notre vache à lait, notre mère nourricière. « En trayant la vache à lait on tue la poule aux œufs d'or ». La vache à traire, plus on la trait moins elle donne du lait pour ne donner que du sang. La vache, un animal sacré en Inde, les Indous prennent soin d'elle parce qu'elle donne du lait à tous même à ceux qui ne sont pas ses vaux c'est-à-dire sa clientèle. Elle est respectée, adorée, honorée.

En Algérie, elle est l'éternelle mère nourricière. Si le sein maternel nourrit le bébé de la naissance à l'âge de six mois, le biberon pétrolier le prend en charge du berceau à la tombe. C'est donc le pétrole qui préside aux destinées du pays. Les hommes ne sont que des cerises sur le gâteau. Les gouvernants ne sont là que pour rendre le rendre appétissant, « l'excrément du diable ». vérité vieille de cinquante ans. Satan ne tente plus les hommes par la pauvreté mais par la richesse. C'est par l'économique et grâce à lui que la population de ce pays est tenue constamment en échec par un régime politique autoritaire militaro-rentier. L'Algérie vit de la rente, au rythme du marché pétrolier et gazier. Lorsque le cours du brut grimpe, c'est la fête, la grande zerda ; le régime festive, l'armée s'équipe, la société s'endort, le monde accourt, les frontières s'ouvrent, dès que le prix baisse, c'est la guerre, la grande «fitna » : le régime déprime, l'Etat se fissure, le peuple se réveille, les étrangers s'en vont, le pays infréquentable. C'est la panique, le sauve qui peut, la fin approche.

Au début de la décennie 1970, la nationalisation du secteur des Hydrocarbures et le relèvement des termes de l'échange ont permis l'instauration d'un régime politique clanique «militaro-rentier maniaco-dépressif» devant survivre aux «événements et aux hommes». Un Etat conçu et vécu comme un habillage civil d'un pouvoir militaire sans uniforme le rendant invisible au regard des droits de l'homme et de la démocratie et tournant le dos aux aspirations populaires. Un Etat qui repose sur une rente et non sur une production. Un Etat qui se fonde sur la force et non sur le droit. Un Etat conquis par les armes et corrompu par l'argent facile. Vivant exclusivement de la rente, l'Etat peut se permettre de ne pas développer une production propre en dehors des hydrocarbures et rien ne l'empêche d'établir des relations clientélistes avec les acteurs économiques et sociaux qui se sont multipliés au fil du temps et des sommes amassées.

Partant du principe sacro-saint que tout problème politique, économique ou social a une solution budgétaire. Cinquante ans après, ce régime est toujours vivant et en bonne santé. C'est le résultat de la politique du bâton (violence légale) et de la carotte (rente pétrolière et gazière), l'une protège, l'autre nourrit. L'argent du pétrole et du gaz, les pétrodollars sont un enjeu stratégique pour la pérennité du système. Pour les Musulmans c'est Dieu qui subvient aux besoins de ses créatures. Restons sur terre, soyons réalistes. La concentration des pouvoirs et des richesses entre les mains d'un seul individu qui peut avoir toutes les qualités et tous les défauts de l'espèce humaine, est une charge trop lourde pour une seule personne, un risque trop grand pour la population et un danger permanent pour le devenir des générations futures car seul le pouvoir arrête le pouvoir. Entre la chair et l'ongle se cache le diable On reconnaît le diable par ses griffes. Il est charmeur, protecteur, nourricier. Le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions. Discours séduisant, rhétorique imbattable, couleurs chatoyantes. Même le diable au commencement était un ange. Le politique a fait la preuve de sa perversité. C'est un miroir à double face où pouvoir et opposition se regardent sans se voir, parlent sans s'écouter, discourent sans s'apprécier, se servent sans servir. Tous les intérêts sont confondus. C'est la même « djefna », se battre au coude à coude, pour se trouver à proximité du meilleur morceau de viande, la semoule c'est pour la populace. Elle n'en veut pas, elle préfère jeûner que manger de ce pain. La diète pour tout le monde ne la dérange pas pourvu qu'elle soit équitable. Il est vrai qu'il est difficile de partager la pauvreté d'autant plus qu'on n'a pas su répartir la richesse sans la dilapider.

Pour sortir de l'impasse, un compromis historique entre les deux protagonistes, qui se disputent la légitimité du pouvoir, consacré sous forme d'une charte d'exercice de pouvoir de trois pages devant être soumise à la population pour adoption par référendum, à ciel ouvert, en toute légalité et en toute légitimité et dans un délai très court est absolument indispensable afin d'éviter au pays une descente rapide aux enfers dont il ne se relèvera jamais. Pour ce faire, il faut interroger l'histoire et y apporter des réponses claires. « Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ». L'héritage colonial a placé les dirigeants algériens devant plusieurs stratégies théoriquement possibles mais pratiquement explosives, eu égard au contexte historique de l'époque : accepter l'héritage et poursuivre la voie tracée par le colonisateur français c'est-à-dire poursuivre la voie capitaliste, contester son héritage et emprunter à titre transitoire une voie non capitaliste, refuser l'héritage colonial et s'engager dans la voie de la construction du socialisme selon le modèle socialiste ; accepter l'héritage sous forme d'inventaire et s'efforcer de chercher une troisième voie à mi-chemin entre le capitalisme et le socialisme. Il est clair que le socialisme eu égard au contexte historique de l'époque était une référence quasi obligée du discours des gouvernants.

Cela s'explique aisément, un régime dictatorial dépourvu de toute légitimité propre ne peut durer qu'en recherchant le soutien populaire. Et il ne peut le faire que de deux manières : soit en mettant l'accent sur l'Islam, soit en se réclamant du socialisme. Pour les dirigeants algériens, une fois la souveraineté retrouvée, l'Islam devait s'effacer de la scène politique, et céder la place aux idéologies nationalistes (panarabisme nassérien) et matérialistes (autogestion yougoslave et socialisme soviétique) qui ont trouvé en Algérie un terrain propice à leur expansion. C'est dans cette situation géopolitique (guerre froide entre les deux superpuissances USA-URSS, montée en puissance du panarabisme arabe, accélération de la décolonisation, mouvement des non-alignés, tiers-mondisme en vogue etc.) bien particulière qu'un Etat militaro-rentier a vu le jour. Il va s'appuyer dans un premier temps sur l'accaparement des biens abandonnés par les colons déclarés « biens vacants » c'est à dire propriété de l'Etat (terres, usines, commerce, biens immobiliers) et dans un deuxième temps sur la nationalisation des hydrocarbures qui consiste dans le transfert de la propriété des gisements pétroliers et gaziers à l'Etat algérien, c'est-à-dire pratiquement aux détenteurs du pouvoir. Les recettes pétrolières et gazières, représentent 98 % des revenus en devises du pays et couvrant plus de 75 % des besoins des ménages et des entreprises. Elles vont aider l'Etat à renforcer son emprise sur la société et aiguiser l'appétit des Algériens. Les Algériens veulent tout, tout de suite et sans effort à l'instar de ceux qui les gouvernent. De l'occupation des villas des colons, meublées et équipées, pourvues de toutes les commodités modernes déclarées « vacantes » au lendemain de l'indépendance à l'ouverture pour certains des comptes devises dans les paradis fiscaux à la faveur d'une manne pétrolière et gazière providentielle. Aujourd'hui, « ce n'est plus le doigt qu'on met dans le pot du miel pour y goûter, mais c'est toute la main qui passe sans pour autant se rassasier ». C'est l'ère de la démesure et le début de la démence. Les revenus des hydrocarbures jouent un rôle considérable dans le financement des ménages et des entreprises. Ils ont non seulement façonné l'économie nationale mais également la mentalité de la société algérienne.

En procédant à leur redistribution à des fins de légitimation, l'Etat naissant « dépolitise » la société en « l'infantilisant ». Infantiliser la société, cela consiste à agir envers la société comme si elle était un enfant. L'enfant est celui qui n'a pas la capacité de parler ou d'agir, il doit obéir. L'infantilisation s'est développée avec l'Etat providence à la faveur d'une manne pétrolière et gazière. L'Etat est là pour le protéger, le surprotéger, veiller sur son sommeil et assurer sa nourriture. Elle s'est accompagnée d'une féminisation de la société et un effondrement des valeurs morales traditionnelles. A tel point qu'il est devenu une honte de gagner de l'argent en dehors de l'Etat, c'est-à-dire à partir de son travail ou de sa production. Tous sont sommés de tendre la main à l'Etat qui dispose des revenus pétroliers et gaziers. C'est dire que les élites au pouvoir ne renonceront jamais de leur propre gré à la distribution de la rente pétrolière et gazière et n'accepteront jamais d'en rendre compte à moins d'y être contraints. Ce sont ceux qui souffrent du système qui doivent y mettre fin et pour cela ils ne doivent compter que sur eux-mêmes. Ceux qui profitent les largesses du système feront tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir le statu quo. Il ne s'agit pas de convictions mais d'intérêts. « L'eau du fleuve ne retourne jamais à sa source ».

Politiquement, le pétrole n'est pas neutre. Il attire les grandes puissances, perpétue des régimes politiques, corrompt les sociétés, enflamme les foules, et détourne le regard des démocraties occidentales. Il est responsable des profondes modifications des structures économiques, politiques, sociales et mentales. Il finance le déficit des entreprises économiques et le fonctionnement des institutions politiques virtuelles. Il masque l'autoritarisme de l'Etat et la paresse congénitale des populations. Il abolit la propriété privée des moyens de production au profit de la propriété « publique » rendant invisibles et infaillibles les actionnaires « politiques » en socialisant les pertes (par répression aveugle) et en privatisant les profits (par la corruption de masse). Cela conduit évidemment à la disparition de la bourgeoisie productive autochtone transparente et à l'interdiction d'entreprendre quoique ce soit de laborieux en Algérie, en dehors du contrôle de l'Etat, c'est-à-dire des tenants du pouvoir. Il sera à l'origine de la constitution d'une classe sociale formée d'une bourgeoisie d'Etat parasitaire et d'une oligarchie hégémonique, disposant d'un appareil sécuritaire puissant et de l'argent du pétrole et du gaz pour se pérenniser. Il a empêché quasiment le renouvellement du personnel politique atteint par la limite d'âge, la diversification de l'économie et la renaissance d'une culture ancestrale qu'elle soit ethnique ou religieuse.

Il est établi que le prix du brut est un baromètre de la santé de l'économie mondiale et un facteur de stabilisation des régimes politiques domestiqués comme les monarchies arabes et les dictatures militaires. Pour assurer sa domination sur le reste du monde, il navigue entre deux eaux, un prix plancher au-dessous duquel il ne peut descendre sous peine de perturber les marchés entraînant une récession mondiale préjudiciable à la pérennité de la civilisation moderne et un prix plafond correspondant aux coûts de production des énergies de substitution. Dans ce contexte, les sociétés arabes sont prises en tenaille entre un Etat Monde dominé par l'argent et un Monde sans Etat régi par une morale. Vivre dans la modernité et mourir dans l'Islam est un défi difficile à relever par les communautés musulmanes vivant de la rente pétrolière et gazière. Entre la vie éphémère d'ici-bas et la vie éternelle dans l'au-delà, mon cœur balance semble penser le musulman, ébranlé dans sa foi religieuse face à une modernité envahissante aux couleurs attrayantes et à la décadence morale de la société dans laquelle il vit. De la danse du ventre au nu intégral, le pas est vite franchi pour attirer les touristes et investisseurs étrangers. Toute flambée ou effondrement des prix qui s'inscrit sur la durée menace la civilisation occidentale dans ses fondements où la matière domine l'esprit, où l'individu prime sur le groupe, où l'homme est une équation à somme nulle et où Dieu est absent du cœur des hommes.

Sur le plan sociologique, le pétrole agit sur le corps social comme un somnifère le plongeant dans un sommeil profond par la distribution de revenus factices sans contrepartie productive et la satisfaction des besoins primaires et secondaires des ménages, des entreprises et des administrations exclusivement par des importations condamnant le pays à l'immobilisme et à l'inculture. Ce n'est pas un hasard si les pays arabes producteurs de pétrole sont classés parmi les peuples les plus fainéants et les moins cultivés de la planète. « Le soleil d'Allah brille sur l'Occident » et Satan règne sur le monde arabe corrompu et corrupteur. Les Arabes se sont écartés de la voie droite, de la lumière d'Allah pour s'engouffrer dans les ténèbres de la voie satanique du monde matérialiste dans lequel nous vivons où l'être se cache derrière le paraître, et le « nous » derrière le « jeu ». avant de reprendre la formule « j'ai donc je suis ». Ils sont schizophrènes : ils veulent vivre dans la modernité sans se renier et mourir dans l'Islam sans se réformer.. Riches, ils dilapident ; pauvres ils s'entretuent. L'Algérie importe tout y compris les maladies infectieuses comme le coronavirus. L'Algérie importe également les idées religieuses rétrogrades et les pratiques de consommation des monarchies du Golfe. Les dictatures militaires et des monarchies arabes déroulent le tapis vert aux puissances étrangères pour piller les ressources minières de leurs pays condamnant leurs propres populations à une pauvreté certaine. Si le pétrole constitue « l'eau bénite » des économies occidentales florissantes, il n'en demeure pas moins qu'il est le « purgatoire » des sociétés musulmanes décadentes faisant des Arabes d'aujourd'hui des fantômes cherchant une place parmi les vivants. Ils sont aveugles, sourds et muets. La lumière les effraie, l'ombre les rassure. L'Etat est à la société ce que le pot de fer est au pot de terre. Un Etat qui ne reconnaît aucune autorité au dessus de lui (Constitution, peuple, Dieu) et aucune opposition devant lui (partis, médias, syndicats) est un Etat despotique condamné par l'histoire. Cela s'explique aisément, l'Etat en Algérie n'est pas un arbitre, il est partie prenante dans le conflit car il n'existe pas de frontières étanches entre l'espace public et l'espace privé, entre le patrimoine public et le patrimoine privé, entre le pouvoir militaire des armes et le pouvoir civil des institutions, entre ce qui se passe sur la scène politique, ce qui se déroule sur le champ économique, ce qui se vit dans la vie sociale, ce qui est rapporté par les médias publics et repris par les médias privés, entre la résistance du passé, la faillite du présent et l'angoisse du futur.

Le tout contenu dans cette notion abstraite qu'est l'Etat présenté comme s'il s'agissait d'une divinité à laquelle il faut se soumettre et en même temps comme un instrument de domination entre les mains du pouvoir. En son nom, tout est permis. Omnipotent et omniprésent, il agit seul sans consultation et sans rendre compte à personne ; partant du principe que le peuple doit tout à l'Etat, l'Etat ne doit rien au peuple. A croire que l'Etat s'est substitué à Dieu. La raison d'Etat contre la raison de Dieu. D'où cette double manipulation à la fois de l'Etat (par les rentiers du système) et de la religion (par les laissés pour compte). Les uns utilisent la violence légale de l'Etat pour défendre leurs propres intérêts, les autres exploitant la foi religieuse pour accéder aux avantages du pouvoir. Les deux sont mus évidemment par des intérêts purement matériels. Personne ne veut un changement du système mais un partage équitable des richesses naturelles. Chacun voit midi devant sa porte tant que les recettes pétrolières et gazières le permettent. Un système productif en construction suppose une véritable bourgeoisie éclairée et une classe laborieuse consciente. L'effondrement du mur de Berlin marque la fin des idéologies matérialistes et le sursaut des religions monothéistes. Les systèmes totalitaristes dans le monde ont été ébranlés. Le politique cesse d'être idéologique pour devenir pragmatique quant au religieux, il tente de nouveau de se frayer un chemin dans le politique tout en modérant son discours sans impact sérieux sur la société. La croyance idéologique (production humaine) se dissipe et la croyance religieuse (révélation divine) resurgit. L'Etat et Dieu sont invisibles au regard du profane. « Si l'Etat était une personne, je l'aurais invitée à manger » disait l'autre mais comme l'Etat c'est une personne ou un groupe dans les régimes autoritaires, il peut être corrompu ou corrupteur ou les deux à la fois. Elles ne peuvent être appréhendées que par la raison ou par la foi ou par les deux à la fois, elles ne sont pas incompatibles mais plutôt complémentaires.

On peut être à la fois laïc et fasciste ou musulman et démocrate. Ce n'est pas la mécréance qui menace un régime mais l'injustice. On peut pratiquer sa religion, en toute bonne foi, dans l'espoir d'aller au paradis et s'investir en politique dans la vie d'ici-bas pour un monde meilleur, plus juste et plus vertueux sans tomber dans le totalitarisme religieux ou la dictature militaire. Mais cela suppose une maturation de la société laquelle a été infantilisée par le régime. Elle se trouve avec une tête d'enfant et un corps d'adulte pour un temps indéterminé. Il est admis que le mouvement nationaliste a commis deux graves erreurs aux conséquences incalculables : la première c'était de croire que l'aliénation historique, économique et culturelle disparaissait automatiquement avec le départ de l'occupant étranger ; la seconde était de penser qu'il suffisait d'accaparer l'appareil de l'Etat, de promulguer des lois et des règlements, de se doter d'une armée pour maîtriser le processus de la modernisation comme si les clés de la modernité étaient entre les mains de la force brutale. Quant aux mouvements islamistes, leur principale faiblesse a été d'idéologiser et d'instrumentaliser le religieux et d'en faire une propriété privée entre les mains d'une personne ou d'un groupe pour l'éternité, alors que l'homme est mortel. Sans renouvellement intellectuel, l'islamisme a eu pour seul résultat de déconnecter, de plus en plus, l'Islam des besoins urgents des sociétés arabes et musulmanes car les populations aspirent simultanément au bienêtre matériel occidental et au respect des valeurs morales de l'Islam. Pour les musulmans, il ne peut y avoir qu'une seule communauté de croyants, unie dans la foi en un seul Dieu. La terre est une, la foi est une, Adam est un. C'est la foi en un Dieu unique et non les liens de sang qui fédérèrent les tribus arabes. Dieu est un, l'humanité est une. Les peuples existent pour se connaître mutuellement. La finalité de l'existence est de se rapprocher d'Allah dans l'unité, dans la prière, prêcher le bien et combattre le mal. C'est sous la bannière de l'Islam que les tribus arabes se sont unifiées.

En répandant la parole d'Allah, le prophète Mohamed (SAS) a créé le premier Etat musulman où l'ordre religieux et l'ordre politique se confondaient parce que s'adressant à une communauté de croyants profondément convaincue de la dernière révélation divine. Le temporel et le spirituel étaient confondus. L'âme et le corps ne faisaient qu'un. C'est avec sa disparition comme dernier prophète, que les deux pôles se sont éloignés l'un de l'autre. Si l'un peut être contesté parce qu'il est par essence humain donc faillible, l'autre ne peut faire l'objet de marchandages parce qu'il est de l'ordre du divin. L'un repose sur la force et la contrainte, l'autre sur la croyance et la persuasion. « Nulle contrainte en religion ». Dieu est Un, l'Etat est un. La souveraineté appartient à Dieu. Il n'y a qu'une seule loi celle de Dieu. Il s'agit d'une légitimité divine dotée d'un pouvoir illimité. Un pouvoir planétaire fondé sur la seule foi, celle de l'unicité de Dieu créateur de l'univers. Pour les Chrétiens, Dieu n'est pas un mais trois, c'est la trinité : le père, le fils et le saint esprit. Le pouvoir également n'est pas un mais trois l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Il n'y a pas un seul Etat mais autant d'Etats qu'il y a de frontières. Des frontières tracées artificiellement par les colonisateurs sur une carte géographique étalée devant les puissances européenne loin des réalités locales en fonction de leurs propres intérêts. Un Etat est un territoire délimité par des frontières et régi par des lois. Chaque Etat a ses propres lois. La souveraineté appartient au peuple qui désigne ses représentants pour une durée limitée. Dans une république, il n'y a pas d'intermédiaire entre l'Etat et les citoyens. En Islam, il n'y a pas également d'intermédiaire entre Dieu et les Musulmans. L'Etat est une création des hommes, l'Islam est une révélation de Dieu. La tentation est grande de faire le parallèle entre Christianisme et démocratie et Islam et autoritarisme. Faut-il être de confession non musulmane pour prétendre être démocrate et ouvert sur les autres cultures ou vivre en terre d'Islam et subir la dictature, l'oppression et la déchéance morale ? Faut-il rejeter l'Islam pour s'affirmer démocrate ou être musulman et subir la dictature militaire ou la monarchie religieuse ? La question est épineuse et la réponse est ardue. L'Etat français auquel se réfèrent certains intellectuels algériens, est le produit de l'histoire du Moyen-Age et de la religion catholique romaine.

Un Etat qui ne fait qu'obéir à l'archétype du « Dieu chrétien » c'est-à-dire du « Dieu ordonnateur »; lequel se tient hors du monde et dirige celui-ci par des lois et des décrets qu'il lui impose d'en haut. L'Etat est d'ailleurs parvenu à prendre la place du « Dieu chrétien » ou du « Veau d'or des Hébreux » dans la mentalité occidentale en devenant l'Etat providence fondé sur la solidarité sociale lequel n'a rien à voir avec celui pratiqué chez nous qui tire ses revenus du sous-sol saharien. En Algérie, l'Etat prend corps à partir de l'armée et de l'administration et non d'une bourgeoisie ou de la classe ouvrière ; il s'impose à la société. Autrement dit l'Etat s'appuie sur l'armée ; l'armée se fonde sur la rente pétrolière. La pensée d'un Etat fort a été pensée et s'est réalisée dans le contexte des revenus pétroliers. C'est un Etat hybride, un amalgame de tout et de rien. Il se donne les apparences d'un Etat dont la religion est l'Islam et se comporte comme un Etat dont la religion est instrumentalisée par l'Etat.

Un Etat qui emprunte à l'Occident la forme (la république, le formalisme juridique) et à l'Orient le contenu (la monarchie, la dictature). Un Etat dérivé de l'Etat colonial tout en empruntant un habit soviétique aux couleurs locales d'une religiosité douteuse. « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson ». Pour les dirigeants algériens leur crédo est simple « si tu veux que ton chien te suive affames-le ». Pour saisir cette réalité, il faut peut être étudié le discours des élites détentrices de l'appareil de l'Etat au lendemain de l'indépendance du pays. Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis l'indépendance à nos jours ont affirmé que le développement est l'unique but de leurs actions mais ces dirigeants ne précisent jamais vers quel type de société, ils entraînent leur population. Fascinés par le mode de vie occidental, les dirigeants algériens ont développé le mythe de l'accession prochaine à tous aux bienfaits de la société de consommation sous couvert de l'idéologie socialiste et du capitalisme d'Etat. Ce mythe justifiait leur mode de vie et leur permet de concentrer entre leurs mains les ressources du pays et de décider de leur affectation en fonction de leurs intérêts stratégiques. La plupart des dirigeants politiques semblent considérer l'Etat comme le « veau d'or » qui par sa nature et sa puissance doit résoudre tous les problèmes auxquels ils se trouvent confrontés ; ce qui explique en partie le fétichisme de l'Etat et le culte du pouvoir fort. La construction de l'Etat était l'effort le plus important, le plus immédiat. L'Etat est souvent présenté uniquement comme un organe au service d'une force sociale dominante dans il suivrait fidèlement les orientations. Derrière le groupe social au pouvoir se constitue une sorte de bourgeoisie d'Etat qui valorise idéologiquement le secteur public et le prestige du grand commis de l'Etat. Il fallait justifier ce choix dans un discours d'autolégitimation. Le message exprimait une idéologie populiste qui masque la réalité c'est-à-dire la puissance qui tend à rendre inutile la justification des hommes au pouvoir. Nous sommes dans une salle de projection : film d'épouvante ou de science-fiction ? L'Etat fournit le décor, les citoyens sont les spectateurs, les « terroristes », les acteurs, les rideaux sont levés, les masques tombent ; le spectacle commence. A bien des égards, le « terroriste » ressemble au pornographe. Les deux manipulent le désir et sont séduits par l'idée de la mort et du sexe. Le pornographe excite le sexe avec l'image du fruit défendu. Le « terroriste » nous envoûte avec la mort. Il est conscient de l'érotisme que véhicule la mort.

La violence symbolise un double discours d'inversion des valeurs où le héros serait un antihéros, le citoyen un délinquant, l'assassin un justicier, le juge un fou. « Le cinéma blanchit l'argent sale, l'argent sale noircit le cinéma ». Les valeurs fortes d'une société sont le respect de la dignité accordée équitablement à tous les individus qui la composent et les chances accordées à chacun pour réaliser son potentiel. Aucune société au monde ne refuse ces idéaux.

Or, dans une société où la majorité de la population est composée de jeunes de moins de trente ans, désœuvrés, marginalisés, humiliés, brimés par les aînés, bafoués dans leur dignité et frustrés dans leurs désirs, le « terrorisme » trouve un terrain propice à son action dévastateur, encouragé en cela par les forces hostiles au pays. La jeunesse semble vouloir l'égalité comme un droit, un droit à l'emploi, au logement, à la vie. Bref, un droit perçu comme une manière de parvenir à l'âge adulte. De plus, elle doute des capacités de l'Etat à résoudre ses problèmes existentiels. Il est difficile de prévoir où et quand la violence se manifestera car il existe une grande différence entre une propension à la violence et la manifestation réelle sur le terrain. La disposition à la violence est le résultat, nous semble-t-il, de la contradiction entre la dépendance et la marginalisation. Le Covid-19 est venu à point nommé, il traite de la rupture, du désordre et de l'ordre. Il défie la raison et brise le silence. Aujourd'hui, une analyse sur la société se fonde sur le professionnalisme, la compétence et l'honnêteté intellectuelle. Or que constatons-nous ? Certains intellectuels se compromettent ouvertement avec le régime en place afin d'assurer ou de préserver leur statut ; d'autres soutiennent volontairement et fidèlement n'importe quel régime au pouvoir. Les intellectuels en Algérie ont tendance à véhiculer des valeurs ostentatoires et consommatoires. Nous sommes en présence d'un domaine de la recherche encore inexploré qui considère la violence non comme un symptôme mais le résultat d'un modèle de développement qui a échoué; car le développement n'engendre pas seulement des crises économiques mais également une crise identitaire, de rationalité et de légitimité. L'Algérie paie un prix élevé sur le plan politique et social pour ce type de développement qui a détruit une économie locale de subsistance, poussé à un exode rural massif et à une urbanisation féroce et sauvage sous le crédo du développement et de la modernisation, marginalisé une frange importante de la population et accru la dépendance du pays vis-à-vis de l'étranger. Le tout a exaspéré les contradictions sociales, sources de toutes formes de violence. L'expérience montre que lorsque la violence se déchaîne, elle engendre son propre dynamisme, c'est-à-dire qu'elle génère son propre discours. Un tel discours peut utiliser les matériaux tels que la race, la religion, la langue etc... La démocratie comme soupape de sécurité devient alors une façade derrière laquelle les couches compradores, l'hégémonie étrangère, les sociétés multinationales travaillent ensemble dans leurs propres intérêts. L'erreur au départ était la mise en œuvre d'un modèle de développement « soufflé » de l'extérieur, favorisant les puissances métropolitaines et faisant table rase du passé. Les espoirs que les économistes avaient fondé sur ce modèle de développement ne se sont jamais réalisés d'où un écart entre les programmes politiques et leurs résultats concrets : une politique médiocre et une économie désastreuse. Il est indispensable et urgent de repenser le développement économique et politique dans un contexte de crise multidimensionnelle car la pandémie rejette le conformisme politique et les formes de pensée conventionnelles. Il s'agit de prendre conscience de l'échec d'une tentative de développement et de modernisation et d'en tirer les conclusions au plus tôt. C'est pour avoir nié cette évidence que beaucoup de sociétés en cours de modernisation sont devenues vulnérables aux idéologies totalitaires lorsqu'elles cherchaient à se développer, à s'industrialiser, s'émanciper, à se libérer. Car le développement crée l'inégalité, la modernisation l'accentue. Nous sommes théoriquement, politiquement, économiquement et socialement mal préparés aux contradictions et aux incertitudes de la vie sociale moderne. Avec le temps, les pays marginaux comme l'Algérie contrôleront, de moins en moins, leurs ressources et leur espace sur la carte géopolitique qui se dessine dans les états majors des pays occidentaux. Sur cette carte, les nations faibles n'ont plus de place. La famine sera le critère de sélection biologique dominant. En politique, les gouvernants ne devraient pas être imprévoyants, les hommes politiques ne devraient pas abuser de leur pouvoir. Ils devraient respecter leur fonction et être capables d'écouter, d'observer et de comprendre les ressorts de la société qu'ils dirigent. En un mot, avoir une vision globale et lointaine eu égard aux enjeux qui se profilent. La tâche principale d'un gouvernement est d'empêcher qu'une population qui a goûté à la sécurité, au confort et à la facilité de sombrer dans la peur, la famine et le chaos. Car un faible niveau de développement et ou de modernisation n'apporterait qu'amertume et désespoir. Il nous semble que la solution radicale et définitive à cette situation est la mobilisation interne des ressources, un contrôle politique autonome et la création d'infrastructures pour redresser la production intérieure au lieu du développement des échanges inégalitaires avec l'extérieur par des moyens politiques. Bref, il s'agit de remédier à une productivité défaillante en renforçant la discipline du travail, en intégrant les marginaux dans la sphère productive, en reculant l'emprise de la rente spéculative sur la société et sur l'économie, en sécurisant les investisseurs locaux et en instaurant des mécanismes obligeant les gouvernants à rendre compte de leur gestion. Le pouvoir a cherché à légitimer sa domination en accueillant toutes les revendications économiques contradictoires des groupes sociaux en présence, mais il n'a jamais accepté aucune initiative autonome de la part de ces derniers. Il a nié, au nom du développement économique et de l'unité nationale, le conflit social et a repoussé grâce à la rente énergétique et à l'endettement, les conditions d'émergence d'une économie moderne, refusant de s'appuyer sur les forces sociales en éveil. Pourtant l'Etat moderne ne peut exister sans une économie de marché et sans une société démocratique. L'Etat moderne se définit fondamentalement comme un Etat protecteur ; l'Etat providence est une extension et un approfondissement de l'Etat protecteur ; l'Etat providence vise à substituer à l'incertitude de la providence religieuse, la certitude de la providence étatique. Le Covid-19 signe l'arrêt de mort de l'Etat-providence. Ce que révèle le coronavirus, c'est que la santé gratuite sans la condition de revenus, de parcours ou de profession est un leurre. L'homme moderne a-t-il besoin de la Providence ? La Providence est-elle au sommet de l'Etat ou dans le sous-saharien ? L'Etat c'est la providence des gens sans providence. La providence, c'est l'état des gens ayant foi en un Dieu unique et en Mohamed le sceau des prophètes. Faut-il « moderniser » l'Islam ou « islamiser » la modernité ? L'Islam nous claironne-t-on est resté « barbare ». Il refuse de se soumettre à « l'homme ».. Avec l'Islam, l'homme perd sa matérialité et son égocentrisme et retrouve sa spiritualité et sa solidarité. Il cesse d'être un objet pour devenir sujet. Il quitte le monde « marchand » pour conquérir son « humanité ». L'Etat moderne se définit fondamentalement comme un Etat protecteur. L'Etat providence vise à substituer à l'incertitude de la providence religieuse, la certitude de la providence étatique. En Occident, l'Etat providence s'est imposé à l'autorité de l'église. Le spirituel et le temporel se sont séparés. Il s'agit de « rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Dans ce contexte (la laïcité), nous comprenons un peu mieux la situation dans laquelle se débattent les Etats désarmés face à la pandémie du Covid-19 qui a sonné le glas à l'Etat providence. « Le gouvernement ayant pris la place de la providence, il est naturel que chacun l'invoque dans ses nécessités particulières. On lui reproche jusqu'à l'intempérie des saisons » nous dit Alexis de Tocqueville. C'est le retour des religions monothéistes, la fin des idéologies matérialistes nous affirme-t-on sans nous préciser les contours. L'Algérie importe des concepts dont elle ignore le mode d'emploi. C'est du prêt à consommer, du prêt à porter. Bref du prêt à penser. Il en a été toujours ainsi. Laboratoire d'expérimentations de toutes les idéologies et des théories venues d'ailleurs, l'Algérie peut s'enorgueillir d'avoir fait la preuve vivante de leur inefficacité et de leur perversité. Le colonialisme français, le nationalisme arabe, le socialisme soviétique, l'islamisme politique, le terrorisme dévastateur, le libéralisme débridé. « On ne mesure pas la puissance d'une idéologie aux seules réponses qu'elle est capable de donner mais aussi aux questions qu'elle parvient à étouffer». Le socialisme a « enterré » le travail de la terre pour « implanter » des « éléphants blancs » sur des terres cultivables ; l'islamisme a ouvert la voie au terrorisme dévastateur, le libéralisme l'a livré « pieds et poings liés » au marché mondial dominé par les puissances hégémoniques. Bref, les idéologies nous font croire à la magie des mots pour « masquer» la réalité des maux. La politique est l'art de mentir et nous sommes maîtres en la matière. L'Etat providence veille sur votre sommeil, votre nourriture et votre sécurité. La providence ne se trouve pas au sommet de l'Etat mais dans le sous-sol saharien. Pétrodollars, pétrole comme don de Dieu, dollars comme ruse de Satan. Soixante ans après la nationalisation des Hydrocarbures, nous nous retrouvons au milieu de la Méditerranée, sur une mer agitée avec des vents violents dans « une barque en bois » entassés comme des sardines, sans boussole et sans gouvernail nageant vers une destination inconnue fuyant les interdits de la politique, de la religion et de la pauvreté. A quoi cela est dû ? Le phénomène contestataire contemporain est le produit de toutes les tensions, les traumatismes et les frustrations accumulées durant ces dernières décennies. Les mouvements de protestation traduisent le désarroi d'une population privée d'idéal et de perspectives d'avenir dans un contexte de crise sociale et de contradictions économiques. La civilisation occidentale suscite des envies sans les satisfaire. Dans les sociétés occidentales, dès la fin du XVIIIème siècle, s'est imposée une idée neuve du bonheur immédiat. Ce bonheur se mesure à l'aune des biens consommés sur terre. En contrepartie de ce bonheur matériel s'est développé simultanément une idéologie productiviste où le travail est une valeur sur laquelle se fonde les économies. C'est à partir du moment où la société européenne est parvenue à dégager un surplus agricole lui permettant de libérer une partie de la population active pour asseoir une industrie qu'un pouvoir démocratique a pu émerger. Cette démocratie permet à celui qui fournit du travail de mieux saisir les contreparties de ses efforts tout en se libérant du pouvoir en place. Les régimes autoritaires ont été tenues en échec en Angleterre et en France parce qu'une classe sociale a pu entreprendre le développement industriel qui a fourni un surplus économique indépendamment de L'Etat. Dans les sociétés traditionnelles, la pauvreté est l'idéal de vie qui donne accès à la vie éternelle. Il s'agit d'une économie de subsistance qui ne développe aucun surplus à écouler sur le marché. Elle est fondée sur une agriculture aux rendements dérisoires, le surplus vivrier reste faible. La division du travail est élémentaire répondant à des besoins strictement contenus à l'essentiel. Le surplus est de peu d'intérêt pour une société dont l'idéal de vie est la pauvreté. L'Etat post-colonial est né d'une contradiction externe et non interne d'où son autoritarisme foncier. Pour se légitimer aux yeux du peuple, il tente de promouvoir le développement économique, en réalité il étouffe la société civile. Or dans ces pays où la croissance de la population progresse souvent à un rythme vertigineux, l'élan démographique nourrit la dynamique islamique. Malheureusement les courants islamistes travaillés par des forces internes et externes effraient la majorité des Musulmans face à l'Islam et face à son environnement. Etant surtout de nature idéologique et politique, les mouvements islamistes n'ont pas conçu de programme global et cohérent de réforme, n'ont pas débarrassé l'Islam du carcan dogmatique dans lequel il a été enfermé, n'ont pas fait de l'Islam un cadre de discipline morale protégeant la jeunesse de la délinquance, de la prostitution, de la drogue et des autres fléaux sociaux. Il faudrait que l'Islam parvienne à constituer une force cohérente et homogène capable de se hisser au-delà des contingences matérielles, de transcender les frontières nationales et de peser lourdement sur le système international dominant. Sans renouvellement intellectuel, l'islamisme a eu pour seul résultat de déconnecter de plus en plus l'Islam des besoins urgents des sociétés arabes et musulmanes car les populations aspirent simultanément au bien-être matériel occidental et au respect des valeurs morales de l'Islam. Il s'agit de vivre dans la modernité et mourir dans l'Islam. Les hommes ne veulent pas aller au paradis le ventre creux pour reprendre l'expression du défunt Président Houari Boumediene. Au crépuscule de leur vie les dirigeants arabes s'accrochent au pouvoir comme si le pouvoir s'identifiait à la vie. Dans leurs délires, nous dit-on, ils chercheraient à régner en enfer que servir au paradis. Dans la vie, il faut faire des choix. Faire un choix c'est décider, c'est trancher, s'assumer. C'est le propre d'un homme mâture. La vie d'ici-bas et la vie de l'au-delà sont comme deux femmes rivales, si l'homme aime l'une, il déteste forcément l'autre. Le monde occidental a choisi, il s'est organisé pour faire son bonheur sur terre sans se préoccuper de son devenir dans l'au-delà » ; le monde arabe tergiverse ... il veut les deux, il est polygame. Une polygamie qu'il ne peut ni assumer dans le respect du sacré, ni devoir la rejeter pour prétendre accéder à la modernité. Il veut vivre dans la modernité et mourir dans l'Islam. Le monde arabe est schizophrène : d'une main, il signe un pacte avec le diable, et de l'autre, il prie Allah de lui venir en aide. Le monde arabe est dans un brouillard, un brouillard épais. La modernité l'éblouit, la tradition lui échappe. Il a perdu ses repères, il est égaré. Il s'est écarté du droit chemin. « Quand un aveugle touche un mur, il croit qu'il a atteint le bout du monde ».

*Docteur