Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Crise, évolution, guerre de 4ème génération et citoyen

par Ali Benbekhti

Au moment où j'écris ces quelques lignes, nous vivons une période spéciale. Marquée par des crises à tous les niveaux. La plus palpable et médiatisée étant la crise sanitaire Covid-19, accompagnée d'une crise économique causée et/ou accentuée par la pandémie... L'avenir nous le dira... ou pas.

De surcroît, la situation sanitaire et économique met en évidence une autre crise de ce siècle : une crise de gouvernance dont j'ai parlé dans un article précèdent paru dans le Matin d'Algérie intitulé : Sommes-nous à l'aube d'une nouvelle ère de gouvernance ? La situation sanitaire et économique accentue les tensions entre gouvernants et gouvernés. Dans une approche de «shock testing», nous assistons à un test réel, grandeur nature, des modes de gouvernance de chaque pays, chaque nation le vit à son niveau.

Le shock testing est une technique d'évaluation de la qualité et de la robustesse d'un produit ou d'un système en le soumettant à des conditions d'utilisation extrêmes afin d'identifier les failles, les faiblesses et d'en améliorer le fonctionnement. Dans l'aéronautique, on teste la structure d'un avion par exemple en reproduisant les vibrations, les torsions et les chocs que subit cette dernière en traversant une zone de turbulences.

L'histoire nous apprend que les crises sont des invitations de la nature à l'adaptation et à l'évolution.

Les systèmes et les modes d'organisation de nos sociétés sont en train de vivre un «shock test». Vont-ils résister aux tempêtes et à la zone de turbulences sanitaire, politique gouvernementale, économique, sociétale... Qu'est-ce qui en ressortira ? Plus de coopération entre les pays, moins de centralisation, gouvernance mondiale... Allons-nous assister à une sorte de «Bretton Woods 2.0» ?

Un MOSH (modèle d'organisation des sociétés humaines) est jugé bon s'il permet de maintenir le carré du «PEPE» : Paix (sécurité et protection des citoyens, du territoire, des biens et de l'environnement), Équilibre (justice et équité), Progrès (santé, éducation, formation, travail), Épanouissement (liberté, tolérance, culture, respect).

Ce sont les critères d'évaluation et les conditions de réussite de tout projet civilisationnel. Tant que les éléments du PEPE sont maintenus et développés dans le temps, la civilisation avancera. Quand l'inverse se produit, cela veut dire que le système doit se réinventer. Tâche qui incombe à la génération active. En tant que citoyens actifs de génération Y, je me pose la question : sommes-nous capables en tant que société humaine d'identifier les dysfonctionnements (analyse), de réfléchir à des solutions (raisonnement logique et créativité) et de les implémenter (souveraineté décisionnelle et politique) ? L'histoire nous apprend que l'implémentation d'un nouveau cadre pour un nouveau projet civilisationnel en rupture avec l'ancien ne se fait qu'à travers d'expériences tragiques et de période sombre. La dernière mutation était précédée par deux conflits mondiaux et une crise économique majeure. Avec les nouvelles technologies dont disposent l'humanité (Data, internet, TIC, IA...), le déterminisme l'emportera-t-il sur nos nouvelles capacités d'anticipation ? Ou, au contraire, allons-nous droit vers un autre drame ? La pandémie en elle-même constitue déjà un drame planétaire, quels en seront les enseignements et les mutations ?

Si cette problématique peut se poser à l'international et à l'échelle de l'humanité, elle est d'autant plus pertinente en Algérie. Depuis 2019, nous assistons à un ballet d'évènements qui témoignent tous de la réalité de cette crise profonde. L'histoire nous invite ardemment à évoluer et rapidement. Aurons-nous le courage et la sagacité d'identifier et d'accepter nos points faibles ? La force et la souveraineté de les traiter ?

A l'heure où vous lisez cet article, la région du Sahel, en général, et l'Algérie, en particulier, sont l'objet d'une guerre de 4ème génération dont il est très complexe et difficile d'identifier clairement les parties prenantes. Jeu d'intensité et provocations régulières aux frontières, tentative de destruction de la force vive du pays (jeunesse) par les drogues et les psychotropes, manipulation psychologique par la promotion de l'angoisse, de la peur et encouragement du sentiment d'autodénigrement via les médias, les réseaux sociaux et les usines à trolls, épuisement économique et dilapidations des biens et des ressources par l'appui des mercenaires politiques et des faux dirigeants, encouragement de la corruption et du clientélisme, manœuvres de subversion...

Le Sahel est en train de devenir un échiquier où tout est fait dans le but de brouiller les cases dans un dégradé de gris, d'enfumer le terrain pour rendre les pièces invisibles au point de ne plus faire la différence entre un pion, un fou et un roi... Toujours est-il, le Sahel est une région très chaude et à trop jouer sur un échiquier posé sur une fournaise, on risque de se brûler les doigts.

Cependant, si les Etats sont considérés comme des pions, qu'en est-il des citoyens ? La géostratégie et les questionnements sur des «macro-situations» ont tendance à nous faire croire que nous sommes insignifiants, alors même que les peuples en sont les cibles et les premières victimes. En tant qu'individu, je me pose la question en toute légitimité : où est ma place dans tout ce manège ? Car au final, même si nous vivons dans un monde de plus de 7 milliards d'habitants, nous sommes tout seuls avec nous-mêmes. Nous n'avons que notre vie, c'est notre présent. Ces paramètres concourent à la création d'un climat d'angoisse, d'incertitude et d'incompréhension qui engendre de la frustration. Les citoyens sont démoralisés, stressés, fatigués, déboussolés... Cela est palpable en société, râler et se plaindre à longueur de journée est devenu un sport national, manifestations, violence... La consommation de drogue, d'alcool et de divertissement bat des records. Tout le monde cherche une échappatoire...

Or, quelle que soit la situation et quel que soit notre degré d'implication, bien vivre commence par l'acceptation de ce qui «est» «Hada houwa el 9mech». Nous sommes en plein milieu d'une période qui exige de nous le meilleur dans l'action et non pas de râler, ou se dérober. Spinoza disait : «Si vous voulez que la vie vous sourit, apportez-lui d'abord votre bonne humeur». Je dirais que si vous voulez que la vie vous donne le meilleur, donnez-lui le meilleur de vous-même.

Dans la confusion, les bonnes et vieilles valeurs, sûres, intemporelles et universelles peuvent guider nos actes : travail, engagement, courage et détermination. On veut vous noyer dans la drogue, faites preuve d'abstinence, vos forêts brûlent, plantez des arbres, les médias vous manipulent, remplacez-les par des livres et les revues scientifiques, on veut vous appauvrir, travaillez plus et mieux. Tout est fait pour vous démoraliser, n'écoutez plus, taisez-vous, arrêtez de vous plaindre, «de pleurnicher» et passez à l'action. Chaque citoyen peut mener sa propre guerre à son niveau. L'action, l'action et encore l'action. Quelles que soient la période, les difficultés ou l'issue de la partie, on ne peut être déçu quand on a fait de son mieux. L'adversité fait partie de la vie et les temps difficiles font les hommes forts.

En temps d'angoisse et d'incertitude, une conscience tranquille est un luxe auquel accèdent ceux qui assument leurs responsabilités et font de leurs mieux en fonction de leurs moyens. Tout citoyen a le devoir d'être conscient des faits et des enjeux, de s'engager dans l'action réfléchie et imprégnée des valeurs civilisationnelles universelles. Le défi de notre génération est résolument un défi de courage, d'intelligence et d'engagement. L'enjeu est celui de l'adaptation pour la survie et l'épanouissement, tant à l'échelle nationale qu'internationale.