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Parution de La Cantera (Il était une fois Bab El Oued) de Mahdi Boukhalfa

par N. B.

Notre ancien collaborateur Mahdi Boukhalfa vient de publier aux Editions «El Qobia» son dernier ouvrage-témoignage, qu'il a consacré entièrement et exclusivement à son quartier d'adoption, le plus populaire et le plus emblématique d'Alger : Bab El Oued.

Paru durant la seconde semaine du mois de juillet, «La Cantera» est, pour les nostalgiques des années 1960-1970, le livre de l'été 2021. Mahdi Boukhalfa part de la démolition du mythique marché du quartier, celui des Trois Horloges, pour reconstruire un passé à jamais perdu de Bab El Oued : son ambiance, ses gens espiègles, insouciants, ses grands lycées et ses librairies, des quartiers à la renommée sociale et ethnique bien établie dans Alger des Européens, des chanteurs et des music halls aujourd'hui évoqués avec une grande nostalgie, celle qui fait mal devant la perte d'un immense patrimoine culturel et social. Bab El Oued, c'est également le 5 Octobre 1988 ou le 11 novembre 2001, deux séismes sociaux qui ont fait beaucoup de mal au quartier, avec beaucoup de victimes.

Dans le prologue, Mahdi Boukhalfa écrit : «C'est un peu l'Histoire, tourmentée ou paisible, dramatique ou joyeuse du plus populaire et le plus emblématique quartier de la capitale algérienne. Dans ses gènes, il a du Bronx, du Broadway et de Harlem. C'est (ou c'était ?) Bab El Oued, rien que ça. Né après 1830 des rêves d'immigrants espagnols, maltais et italiens arrivés dans les bagages des soldats français, de s'établir dans cette Algérie tombée traitreusement aux mains de la France coloniale, Bab El Oued a toujours été un quartier atypique. Celui des «laissés-pour-compte» de tous les temps, ce petit peuple pourtant joyeux, heureux de vivre dans le quartier le plus fantasque d'Alger. Avec ses cinémas, ses stades, son front de mer, son langage «patapouète», ses placettes célèbres où l'on refait les matchs et la politique du gouvernement, ses plages et ses criques merveilleuses, il a de la «gueule». Et du caractère. Et puis ce quartier a deux icônes pour se ressourcer les jours de mauvais temps politique : le mausolée du saint patron d'Alger Sidi Abderahmane Ethaalibi et la basilique de Notre Dame d'Afrique. Mais, pour les «native son», les temps ont changé?

En guise d'Avertissement, l'auteur souligne que «Bab El Oued» (Il était une fois La Cantera) a été inspiré par la moitié de ma vie, passée à l'ombre des immeubles, des établissements scolaires, du marché, des cafés, des cinémas, des librairies, et le front de mer, parcouru par des criques magnifiques, de ce quartier à la dimension d'une ville. J'ai grandi dans cet univers algérois chaleureux, réconfortant, rebelle, dézingué aussi. J'y ai passé ma «vie scolaire» des années 1969 à 1976 entre l'ex-CEG Lelièvre, devenu CEM Loukal, près du mythique marché de «La Cantera», de son vrai nom ?le marché de l'Alma», et le prestigieux lycée Emir Abdelkader, l'ex-lycée Bugeaud, avec ses deux étoiles, les prix Nobel de Littérature Albert Camus (1957) et de Physique Claude Cohen-Tannoudji (1997). Rien que ça. «La Cantera» (Il était une fois Bab El Oued) est le sixième opus de Mahdi Boukhalfa. Dans ce livre, il raconte «son» Bab El Oued, son univers d'adolescent, là où il est venu à la vie, à l'ombre des grands cinémas, des stades de football, de la mentalité férocement urbaine de ce quartier à nul autre pareil à Alger, voire en Algérie.

Bab El Oued, c'est également, raconte Mahdi Boukhalfa, une terrible concentration de populations, d'ethnies, de cultures et des trois religions monothéistes. Depuis sa création sous le second empire, le quartier n'a cessé de grandir et d'attirer tous les aventuriers sans le sou, mais qui ont trouvé dans ce lieu fantasque où vivaient chichement Valenciens, Napolitains et Maltais, beaucoup de cette chaleur humaine toute méditerranéenne». Mahdi Boukhalfa le précise d'ailleurs : «A Alger, il en est un quartier, qui renferme une diversité culturelle, religieuse, sociale et ethnique d'une Algérie plurielle, depuis l'aube de sa naissance : Bab El Oued, où les styles «haussmannien» et «art déco» s'entrechoquent encore. Hyper-urbanisé, il rassemblait à lui seul un formidable brassage de populations algérienne et européenne, dans un pays, qui n'a pas encore achevé le recensement des joyaux de l'histoire de son peuple. Bab El Oued, c'était le seul quartier d'Alger où cohabitaient, avant 1962, dans une (presque) grande convivialité Algériens de souche, les Israélites et les «Européens», Espagnols, Italiens, Maltais. Ici tout le monde parlait le «Pataouète».

La population «prolo» et des ouvriers d'avant l'indépendance de l'Algérie, qui sitôt recouvrée, allait changer de structure, et modifier le visage d'un quartier célèbre pour ses artistes, en particulier Lili Boniche, Jean Castel, Roger Hanin ou Guy Bedos, et son prix Nobel, Albert Camus, alors jeune journaliste dans les années 1930 dans le quotidien des milieux ouvriers et communistes, «Alger Républicain». «La Cantera» revient sur la vie de tous les jours dans ce quartier, entre ses salles de cinéma et les matchs heurtés de ses clubs de football, le MCA, l'USMA, l'ASSE ou l'OMSE, le Gallia sport d'avant l'indépendance ; ou ses lycées emblématiques. Un quartier les pieds dans l'eau, avec son extraordinaire, son fantastique marché des fruits et légumes, «El Cantera». Un quartier qui battait le rappel des jeunes dans les années 1970, comme auparavant pendant la période coloniale pour ses cinémas, ses restaurants, ses belles librairies, son front de mer pour amoureux de longues et bruyantes promenades. La vie y était paisible, facétieuse et espiègle. «Bienvenus dans La Cantera», les années 1970 à Bab El Oued.

La «Cantera» est par ailleurs une poignante histoire urbaine d'un populaire et populeux quartier d?Alger. Aussi modeste soit-elle, mais qui, ajoutée aux autres histoires urbaines, participe d'une œuvre mémorielle exaltante, celle de raconter aux générations actuelles et à venir ce Bab El Oued tel que nous l'avons vécu, nos émotions, nos espoirs et nos rêves d'enfants à un moment donné, les années 1970, dans un quartier, qui était notre prolongement existentiel. Notre univers, notre «jardin», notre monde à part fait de cinémas, de terrains de sports, de plages aux mille et une anecdotes, notre espace d'évasion avec ses belles librairies, ses «music halls» à travers ses nombreux disquaires. En clair, Bab El Oued, tel qu'on l'a connu, vécu. Aimé et haï.

Mahdi Boukhalfa est l'auteur de «Mama Binette, naufragée en Barbarie» paru aux Editions du Net, Paris, septembre 2019. «La révolution du 21 février, de la contestation à la chute des Bouteflika», paru chez Chihab éditions, Alger, octobre 2019. Il a écrit également «Les raisons de la colère» (La marche d'un peuple, paru chez les Editions du Net, Paris, août 2020, et «Pavillon Covid-19» (Sept jours en enfer), édité par les Editions El Qobia, Alger, mars 2021.