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74ème édition du festival de Cannes - LE MASQUE ET LES PALMES (6/7): DERNIÈRES NOUVELLES DU CINÉMA ALGÉRIEN

par Notre Envoyé Spécial À Cannes : Tewfik Hakem

À Cannes, l'Algérie n'est présente qu'à travers le très beau film du Brésilien Karim Aïnouz «le marin des montagnes». En attendant que l'Algérie nouvelle produise -ou pas- des films nouveaux, inventaire des projets en cours.

Un grand metteur décalé et une incroyable brochette de stars mondiales dont Lyna Khoudri, Frances McDormand, Bill Murray, Benicio Del Toro, Adrien Brody, Tilda Swinton, Timothée Chalamet, Owen Wilson, Mathieu Amalric... Avec tout ça, le très attendu «The French Dispatch» de l'états-unien Wes Anderson s'avère être la plus grosse déception du festival (on n'y reviendra pas).

Toujours en sélection officielle, le dernier Nanni Moretti, «Trois étages», déçoit un peu. Ce dernier opus du maitre italien reste néanmoins un bon film ( on y reviendra), même s'il n'est sans doute pas parmi les meilleurs du cinéaste. Au moins Nanni Moretti continue à nous émouvoir quand Wes Anderson cesse de nous faire rire avec son onirique et ironique cinéma vintage de luxe. Mais, une fois encore, The Star, la Nedjma, la Belle native d'Alger, Lyna Khoudri s'en tire plus que bien. Les scènes qu'elle partage avec l'épatante Frances McDormand et Timothée Chalamet ( le jeune franco-américain en pleine ascension à Hollywood), sont objectivement les meilleures et les plus glamour du film.

Profitons donc de la belle montée des marches de Lyna Khoudri pour faire un petit point sur le cinéma algérien, son devenir et ses souvenirs. Mais que du factuel, genre qui fait quoi et qui ne fait rien et pourquoi. Pas de commentaires gentils ou désobligeants, les gens du cinéma sont très susceptibles de nos jours.

LYNA KHOUDRI L'ÉTOILE MONTANTE

On commence par notre célébrité internationale. Lyna Khoudri. En plus d'être représentée par le plus puissant agent d'acteurs Grégory Weill, la jeune comédienne a désormais son propre attaché de presse qui s'occupe de son image, Bastien Duval, qu'elle partage avec Marion Cotillard. Après la promo de «The French Displatch», Lyna Khoudri ira finir le tournage du prochain film de Mounia Meddour. Puis à la rentrée, elle retrouvera Réda Kateb sur le tournage du film que Rachid Bouchareb consacre à l'affaire Malik Oussekine.

Voilà, ça s'appelle avoir des infos... Comme quoi on ne vient pas à Cannes juste pour se rincer les yeux et tremper son masque FFP2 dans des coupes de bulles enivrantes !

Mounia Meddour est membre du jury à Cannes de la sélection Un Certain Regard.

Son regard à elle n'a jamais croisé celui de l'envoyé spécial du Quotidien d'Oran, pourtant assis à quelques rangs de la rangée VIP réservée aux membres du Jury. Le fait-elle exprès ? Faut-il encore regretter d'avoir écrit en 2019 que «Papicha» c'était «Rachida» bis mais avec une belle et bonne actrice ?

Revenons au factuel : Mounia Meddour a déjà tourné une bonne partie de son film à venir «Houria». Elle n'a eu ni aide algérienne, ni autorisation de tournage en Algérie. Si la Nouvelle Algérie lui fait payer sa dernière prestation cannoise, quand elle arborait en plein Hirak le badge «Yetnahaw Ga'3» avec son équipe et celle du film de Amine Sidi Boumédienne, c'est lamentable.

Du coup, pour finir son film Mounia Meddour va devoir aller tourner au Maroc. Le royaume chérifien qui lui déroule le tapis rouge est autant soucieux de faire revivre son secteur de cinéma durement touché par la pandémie que de récupérer un projet algérien interdit en Algérie. Hard censure contre Soft-power ?

«Houria», si on a bien compris le synopsis, raconterait l'histoire d'une jeune danseuse dont la carrière est méchamment contrariée par un soit-disant «repenti». On ne conclura pas pour autant que c'est une sorte de Papicha-bis avec la même belle et bonne actrice, car dès fois il vaut mieux garder pour soi ce genre de remarques.

LES ÉCRIVAINS FONT LEUR CINÉMA

En revanche l'Algérie co-produit et accueillera -dès que Corona-Delta nous lâchera la grappe- l'adaptation du roman de Kamel Daoud, «Mersault, contre-enquête» (Barzach/ Actes Sud) que doit réaliser Malik Bensmaïl. Avant de passer pour la première fois à la fiction, Malik Bensmaïl finalise son documentaire sur les premières années de l'indépendance algérienne quand Alger était soit disant la capitale des révolutionnaires. Ce documentaire que vous verrez en 2022 sur Arte fait partie d'un ensemble de programmes que la chaîne franco-allemande prévoit pour le 60 ème anniversaire de l'indépendance algérienne. Par ailleurs la chaîne de télévision a produit une série de 6 fois 52 minutes sur la guerre d'indépendance. Avec des témoignages inédits de plusieurs protagonistes de la guerre de libération et du mouvement national algérien, et des archives rares ou jamais montrées nous promet-on.

Mais revenons sur l'adaptation du roman de Kamel Daoud pour rappeler à quel point cette année à Cannes, les adaptations littéraires ont été dominantes. Le dernier film d'Arnaud Desplechin, Tromperie, est une adaptation d'un roman Philip Roth, Nanni Moretti, avec Tre Piani adapte un roman d'Eshkol Nevo, Paul Verhoeven avec Benedetta, s'appuie sur la biographie de Judith C. Brown. L'excellent Compartiment n° 6, du finlandais Juho Kuosmanen, est tiré du roman de Rosa Liksom Mothering Sunday... Dans la catégorie n'oublions pas les films qu'on a déjà oublié, il faut citer aussi «Ouistreham» de Florence Aubenas adapté librement sur grand écran par le romancier Emmanuel Carrère

Les écrivains algériens eux aussi sont de plus en plus sollicités par le cinéma. Kaouthar Adimi et Faïza Guène ont travaillé sur le scénario du film de Rachid Bouchareb ( «Oussekine»), Chawki Amari écrit de plus en plus pour le cinéma et la télévision, et on ne compte plus les romans de Yasmina Khadra qui ont été adapté avec plus ou moins de bonheur. A cet effet, il faut rappeler L'Attentat, fera prochainement l'objet d'une adaptation en série pour la plateforme Netflix, produite par l'acteur Michael Kupisk.

Pour le second collège, on remarquera que l'écrivain Anouar Benmalek reste le conseiller littéraire de la réalisatrice Sofia Djama et qu'il aura cet été la lourde responsabilité de rendre vendable une histoire fantasque écrite par la réalisatrice des «Bienheureux», film qui questionne sur un ton burlesque zaâma wesanderonnien, le rapport des algériens aux animaux domestiques et autres. Un beau sujet original et tout, mais difficilement vendable venant de la part d'une algérienne.

Toujours dans les projets fous, Bachir Deraïs, épaulé par son grand ami le cinéaste Alexandre Arcady veut tourner pour Netflix une série sur Maatoub Lounès, ce qui rend furieux quelques militants kabyles des bars de la rue Ménilmontant, c'est à dire un échantillon très représentatif de la communauté.

Pour terminer ce chapitre ouvert avec nos amis les écrivains, notons que les adaptations littéraires au cinéma fonctionnent moins quand les auteurs adaptés sont peu connus. Karim Moussaoui qui s'est fait recaler de l'avance algérienne avec son scénario adapté d'un auteur très peu ou pas du tout lu ne nous contredira pas sur ce point.

ALLOUACHE ENCORE ET TOUJOURS

À Alger le tournage interrompu de «La dernière princesse» de Damien Ounouri avec Adila Bendimerad dans le rôle titre, reprendra dès que le phénix Air-Algérie renaîtra de ses cendres. Ce n'est pas après-demain l'avant-veille.

De toute manière, le plus beau film algérien de l'année n'est ni algérien ni français, ni même franco-algérien, il est brésilien ! Et Kabyle chitouh Cannes. On maintient ce qu'on a dit la dernière fois «Le Marin des Montagnes» du brésilien Karim Aïnouz découvrant le tamurth de son père, reste à l'heure qu'il est le plus beau film vu à Cannes cette année. Bientôt une interview de Karim Aïnouz dans Le Quotidien d'Oran. «Le Marin des Montagnes» est né sous une bonne étoile, Arte. Vous le verrez donc l'année prochaine à l'occasion du 60 ème.

Le meilleur pour terminer. Merzak Allouache a tourné, non pas un film ou deux, mais trois films depuis le Hirak. En total indépendant. Trois nouveautés qui attendent soit un distributeur, soit un diffuseur, soit une plate-forme. «Paysages d'Automne» est un film sombre, «Des femmes» est un documentaire sur le mouvement féministe en Algérie, avec une jolie juxtaposition des images tournées par Allouache avec les féministes en mouvement après Octobre 88, et ce qu'elles sont devenues 30 ans plus tard, en plein Hirak. Enfin, «La Famille» est une comédie aussi féroce que géniale qui parle de la tentative fuite de la famille d'un ministre important et corrompu au lendemain de la chute de Bouteflika.

Il faudra rendre hommage ici à Lyazid Khodja, un habitué du Festival de Cannes. C'est lui qui a refilé en douce une caméra numérique à Merzak Allouache, son ami de la première promo de l'Institut du cinéma, pour qu'il puisse tourner ces images devenues précieuses d'Octobre 88.

LA PAIX DES BRAVES ET LES CONSEILS DU VIEUX SAGE

Avec la disparition de Lyazid Khodja, c'est un autre repère algérien à Cannes qui disparaît.

Ajoutez à cela le fait que Azzedine et Roselyn Mabrouki aient unilatéralement décidé de bannir Cannes de leur tour du monde des festivals de cinéma, on arrive à la triste conclusion que c'est maintenant l'envoyé spécial du Quotidien d'Oran qui devient le vétéran Dz de la Croisette.

Que faire de cette longue expérience festivalière ? Peut-être la mettre au service des «jeunes» cinéastes algériens en goguette ? Encore faut-il être sollicité pour accomplir cette noble mission de sage conseiller, complètement désintéressé contre rétribution cela va sans dire. A cet effet j'aurai pu peut-être aider Mounia Meddour à obtenir son autorisation de tournage à Alger. En lui suggérant d'aller interviewer le président de la république, par exemple en duo avec Mélanie Mataresse, et de fourguer l'entretien exclusif-bis à «L'Express», ou autre hebdomadaire français de droite. Mais oui, Mounia, ça aide, aucun Amar Bouzouar ne peut le nier !

Pour Bachir Deraïs et au nom de la paix des braves berbères, je lui aurais suggéré de laisser tomber Maatoub pour s'atteler au bio-pic de Ferhat M'henni, et ainsi obtenir le buzz qu'il recherche désespérément. A la limite, avec son mentor et néanmoins compatriote Alexandre Arcady il pourra même tourner la série en Cisjordanie occupée, avec l'aide sur place de Jean-Pierre Llédo, et pour le scénario d'une collaboration avisée du célèbre écrivain Boualem Sansal.

Hélas, il faut se rendre à l'évidence, personne ne veut de mes sages conseils avisés de réconciliateur généreux. D'ailleurs cela peut se comprendre. À Cannes où tout le monde est assigné à sa place, à son importance et à son poids dans l'industrie cinématographique, pour dire les choses franchement l'envoyé du Quotidien d'Oran, malgré sa longue expérience festivalière, fait partie des prolétaires insignifiants. En plus, même pas fichu de décrocher une invitation pour le cocktail de TV5 Monde !