Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Education : enfin un ministre entrepreneur (1ère partie)

par Chaïb Aïssa-Khaled*

  Revoir sa copie suppose que l'Ecole algérienne soit capable de susciter l'intérêt et d'inciter à l'effort intellectuel, d'animer la motivation et d'entretenir la curiosité de réflexion, de structurer le raisonnement logique et de développer le jugement méthodique.

Cela suppose donc qu'elle soit en mesure d'apprendre à l'esprit à se positionner face à l'accélération du progrès et à cautionner l'actualité scientifique. Cet objectif ne pourra être atteint que par une formation qui lui permettra d'évoluer en participant à son apprentissage et en se sentant libre de devenir et de s'affirmer. Cela suppose, par conséquent, qu'elle doive être pilotée par un ministre entrepreneur.

Un ministre de l'Education nationale entrepreneur ne fera pas fausse route comme l'ont fait ceux qui l'ont précédé, ceux qui avaient fait que les réformes tant souhaitées par le peuple et tant promis au peuple, aient été systématiquement reportées pour enfin, être sacrifiées sur l'autel de l'incompétence, ceux qui n'ont pu faire de l'Ecole algérienne, une «école intelligente», c'est-à-dire un attelage politico-technico-pédagogique qui aurait pu être le levier moteur du développement durable national, ceux qui avaient laissé les coudées franches à une administration locale -celle des Directions de l'éducation de wilaya- qui, inspirée par des tâches périphériques, a fini par faire en sorte que la courroie de transmission entre son autorité et la population ne fonctionne plus.

Faisant dans la promotion des équilibres instables qu'elle ne peut, du reste, gérer et occultant ce pour quoi elle est mandatée, (la gestion pédagogique de la mission éducative), cette administration locale, au lieu de se pencher sur une gestion pédagogique de la mission éducative, se limite à laisser les coudées franches à des chefs d'établissement qui, jaloux de leur autorité et surtout incompétents, passent le plus clair de leur temps à la déguster et sans plus. S'abandonnant sur la pente d'une gestion féconde en subtilités superflues, elle se focalise sur l'expulsion des retraités des logements de fonction sans pour autant faire le distinguo entre les locataires qui possèdent un logement privé et ceux qui n'en ont pas ou sur les conflits avec les syndicats pour imposer son véto quitte à suspendre l'enseignement pendant une durée X pour en fin de parcours, jeter la «balle» brûlante à la tutelle.

Faisant, par ailleurs, dans l'agitation, cette administration met, tout compte fait, hors jeu les acteurs de la société scolaire, (élèves, parents d'élèves, enseignants), en les anesthésiant à coup d'administratisme béat et de statistiques hurluberlues.

On y reconnaît des gestionnaires qui, inspirés par leurs seuls instincts de base, ne semblent pas altérés par cette panne de pilotage de la chose scolaire qui les particularise; qui font de l'innovation farfelue ou à la limite, sans mémoire, un mode de gestion; qui se disent résolus à développer un système éducatif capable de jouer dans la cour des grands mais dont le défi et par leur faute, a débouché sur un échec magistralement réussi. On y dénombre tous ceux qui se contentent de s'inventer, tantôt idéalistes, tantôt «prêcheurs». En réalité, ils font semblant d'avoir l'accent de la sincérité en mettant à nu leur nationalisme sourcilleux à nu. Ils jouent à avoir la conviction entêtée. Ils s'évertuent à doper leurs mots pour se faire entendre. Leur langage déroute dès le premier abord et les concepts inattendus souvent intempestifs, ne se laissent pas facilement domestiquer. Leur geste en quête de contenance cherche à aller plus loin comme pour s'affranchir des sens communs. Ils n'ont de cesse à s'ériger en défi. Ils s'investissent dans un renouvellement fastidieux d'attelages politico-administratifs en faisant la sourde oreille aux conséquences qui s'en décousent. Confondant le bien avec leur volonté, ils jouent à tout «effacer» pour tout recommencer avec une dose supplémentaire de désinvolture. A leurs yeux, la responsabilité n'est qu'une fantaisie, un artifice. Ils se perdent souvent dans leurs pensées qui interrogent mais qui ne s'interrogent jamais. Leur souci majeur est de se fossiliser dans la mission qui leur est confiée. Dompter celle-ci est le benjamin de leurs problèmes. L'échec national sur le plan du comportement et du réflexe citoyen, n'est en fait que l'expression de l'échec scolaire qu'ils ont «traditionnalisé» au point de devenir une fatalité qui, flagellant les élèves et leurs parents, s'est faite l'écho de leur détresse et de leur désespoir.

On y dénombre tous ceux qui n'arrivent pas se dépêtrer de l'archipel de l'appartenance à..., de la décadence des mœurs dans la pratique de l'autorité qui leur est conférée, du manque de savoir-faire managérial et de celui du savoir être entrepreneurial, de la démagogie nourrie par la gabegie qui fait office de discours politique ou administratif, du laisser-aller imbibé d'un autoritarisme qui affiche la seule image de marque du «Patron», qui excellent à s'enraciner de mieux en mieux dans la spirale de la régression pour en faire, enfin, une affectation définitive. Leur souci est de manœuvrer à leur guise. Les intérêts du l'école et de la population scolaire, (élèves - parents d'élèves - enseignants), ayant de tout temps été en annexe de leurs préoccupations, ils ne s'inquiètent pas de la sclérose qui enfonce inlassablement celle-ci dans les profondeurs des divers classements mondiaux.

Plutôt qu'agir, la confrérie a préféré discourir. Que de monde pour réussir l'échec ! Que de monde pour réussir un enchaînement mascaradesque de difficultés qui non seulement s'ajoutent mais qui, surtout, se multiplient. C'est cette logique-là du consensus par l'absurde qui fait que toutes les tares inoculées à l'école, soient justifiées en toute bonne conscience par des arguments voulus imparables. Parmi ces tares, on décompte :

- des établissements en folie, (conçus pour mille élèves, ils en accueilleront deux milles);

- une pédagogie qui, ayant du mal à se frayer un chemin, est devenue une pédagogie de «l'urgence» que des enseignants eux-mêmes formés en catastrophe, jettent dans le brouhaha de salles de classe surpeuplées plus qu'ils n'en dispensent;

- de moins bons enseignants ont eu à former, en moins de temps, d'avantage d'esprits mal formés.

Et quand par bonheur, il se trouve quelque ersatz de volonté à donner le coup de pied dans la fourmilière, c'est immanquablement pour donner le jour à une décision-éclair, ficelée en deux temps, trois mouvements.

L'Ecole algérienne se retrouve ainsi plus proche du gardiennage d'enfants que d'un lieu de formation et d'apprentissage. Non, rien n'y va plus ! Par quelque côté que l'on aborde la question, il y a un sérieux problème.

Des enseignants, des élèves, de l'architecture et des équipements scolaires, des modes d'évaluation, des procédés et des méthodes d'enseignement, de l'orientation scolaire, il y a infiniment à dire. Quelque part, dans cette école-là, la mégalomanie a triomphé.

Avec un ministre entrepreneur de la trempe d'un ministre issu enfin ! du secteur, ils ne pourront plus dissimuler leur incapacité à «faire» le sort de l'Ecole, tel qu'ils le prétendent. Leur action ne sera plus drapée dans des performances immatérielles que distille une logique factice et dont le fonctionnement n'a fait que grossir l'immunité du process rentier. Effectivement, leur logique de gestion animée par le seul souci de surfer sur les aspirations des acteurs de l'école, n'a fait qu'ériger ces derniers en comptables rédempteurs des frustrations qu'ils leur ont provoquées et qui s'expriment par le dépit et ses multiples excroissances, (absentéisme - négligence - désinvolture).

Ils ne pourront plus faire dans cette entreprise qui a carrément fait fi de l'intérêt de la population scolaire afin qu'elle ne demeure qu'une vulgaire cheville ouvrière et sans plus, soumise au diktat de chefs d'établissement à mille lieues de la déontologie et jaloux de leur autoritarisme. Les préoccupations de celle-ci (ambitions, aspirations, besoins et contraintes) sont laissées pour compte. Cela dit, ils devront comprendre que la confiance s'établissant entre eux et celle-ci et devenant une monnaie d'échange, cette dernière se sentant alors concernée, elle réagira positivement et collaborera pour que s'accomplisse le rêve national, la formation de Césars qui sauront avoir raison des écueils qui se dressent sur la voie de leur développement durable, des Césars qui ne ménageront aucun effort pour favoriser l'accomplissement de l'objectif de la nation algérienne (se mêler au monde sans gêne et sans complexe et gérer le tumulte de la modernité, sans erreurs et sans illusions) et pour répondre aux vœux profonds de la société algérienne, entre autres :

- ne pas se suffire d'avoir des contacts avec le progrès que par des liens de consommation immédiate et sans plus;

- assurer concrètement sa protection contre tous les abus d'où qu'ils viennent;

- établir dans les faits, le principe de la primauté de la loi et de l'égalité absolue devant elle;

- assurer que seuls le mérite et l'effort vaudront l'élévation sociale;

- garantir l'égalité des chances pour tous;

- assurer la qualité de la prestation du service public;

- consacrer les mécanismes appropriés à la promotion des compétences générales et des qualifications spécialisées et offrir à celles-ci le cadre adéquat à leur pleine expression;

- éliminer la violence dans les idées et dans les actes.

Il leur importe, cependant, de cesser d'évoluer dans des attitudes mégalomaniaques et de perpétuer, aveuglément et sans remords, l'échec scolaire qui est devenu une norme alors qu'il devrait être l'exception.

Parce que issu du secteur de l'Education nationale et parce que nanti d'une volonté politique ferme, à l'écoute de la société scolaire et disposé à répondre efficacement à ses préoccupations majeures, le ministre de l'Education nationale s'appliquera à mettre en place un modèle de gestion de la mission éducative, un paradigme à dominante pédagogique, ouvert et transparent. Soucieux de réussir une éducation et une instruction de qualité, il développera une politique éducative qui :

- ne s'accomplira pas de façon désincarnée à l'abri des préoccupations de la société algérienne (ses aspirations, ses ambitions, ses besoins et ses contraintes) ;

- assumera sa responsabilité en matière de prospective en vue de former le citoyen porte-parole de son temps et témoin de demain ;

- ne considérera plus l'échec scolaire comme une bavure ou comme un dérapage marginal auquel il conviendra de remédier avec le zèle qui convient à tout ce qui est marginal ;

- réduira les inégalités des chances de succès en dispensant à tous le même savoir de base tout en s'évertuant d'assurer à tous des capacités développées en matière de compréhension, d'assimilation, de rétention et d'assimilation des connaissances en usant de procédés, de moyens et de méthodes d'enseignement adaptés à cet effet.

Cette politique éducative sera celle qui fera des Césars qui sauront composer avec le rythme des mutations du progrès technique et technologique fortement accéléré par lequel se particularise le troisième millénaire et s'intégrer à ce mouvement dans la préservation de leurs génies propres, sans inquiétude et sans trouble. Elle sera celle qui en fera des Césars qui ne sauront plier sous l'orage acariâtre de l'illusion, qui ne se disperseront pas autour d'ambitions tourmentées, qui tourneront le dos à tout ce qui est stérile et nuisible, qui ne s'abandonneront pas sur la pente de l'imagination féconde en subtilités superflues, qui se refuseront d'être une négation de l'homme mais qui s'useront au profit du bien-être auquel aspire le genre humain, qui comprendront que la vraie richesse est de la connaissance, de la sensibilité et de l'éthique. En somme, elle n'en fera pas ces pauvres conquérants, ignares, rustres, qui ne peuvent se maintenir sur une voie tracée et qui acceptent que leurs consciences s'indignent. Elle en fera des citoyens aptes à composer avec les honneurs de la victoire pour les annexer à leurs causes.

C'est donc dans la promotion de l'avancée déterminante que connaît la culture universelle et des principes démocratiques que l'école algérienne doit évoluer. Ce n'est qu'ainsi qu'elle portera en elle la réponse aux revendications fondamentales des Algériennes et des Algériens pour la justice, la dignité et la solidarité dans l'effort et dans le mérite.

De la circonspection dans la gestion de la mission éducative dont il est en charge, le ministre entrepreneur qui animera la scène politique de la Nouvelle république en matière d'éducation nationale, il en fera son propre, car il sera censé l'accomplir avec le maximum de chances de succès. Si dans un passé récent, la seule qualification dont devra se prévaloir le ministre de l'Education nationale comme, d'ailleurs, tous les ministres de la République, était d'être coopté par le sérail et la seule compétence dont il devra se prévaloir était d'être capable de piloter sa tâche «au jugé» et de gesticuler quand bien même rien ne changera au désordre des choses.

Refaire le sort de l'école algérienne ne pourra plus, désormais, être un jeu de dilettantes et d'accaparateurs.

Appelé à redonner au sort de l'école algérienne son contour, le ministre de l'Education nationale en authentique entrepreneur ne fera pas de courbettes à la fatalité. Nanti de l'accent de la sincérité, il ne composera pas avec cette démagogie qui fut élevée au rang de culture en s'inventant, au gré des situations, tantôt idéaliste, tantôt prêcheur parce qu'il ne devra pas perdre de vue qu'il est chargé de mission par le peuple auquel il rendra compte. Il ne jouera pas à avoir la conviction entêtée, comme il ne s'évertuera pas à doper ses mots pour se faire entendre. Autrement dit, il n'usera pas de ce langage intempestif comme pour dérouter l'auditoire ou, carrément, le naniser. Sûr de ce qu'il fera et de ce qu'il dira, il n'aura pas besoin de gestes en quête de contenance comme pour s'affranchir des sens communs. Il ne s'érigera jamais en défi. Il ne confondra jamais le bien avec sa volonté. Il ne s'aventurera jamais à tout effacer pour tout recommencer avec une dose supplémentaire de désinvolture. De l'échec scolaire, par petites touches, traditionnalisé au point d'être devenu une norme de gestion, il n'en fera pas une fatalité. La responsabilité ne sera donc plus une fantaisie et la morale un artifice. Il ne cherchera pas à se fossiliser dans la mission qui lui est confiée. Dompter celle-ci, sera son seul et unique souci.

Ne faisant pas dans l'air d'avoir l'air sans pour autant avoir l'air et ne se laissant pas aller sur la pente d'une imagination féconde en subtilités superflues, il ne se suffira pas de constater cette anarchie «méthodique» qui assassine l'Ecole algérienne et, par ricochet, participe à l'accélération de la déliquescence sociale par le billet de l'obstruction de la pensée et par la déviation du comportement, comme il ne se suffira pas de constater la défaite qui s'est emparée de l'Ecole algérienne pour en faire une institution «irresponsable», qui est une sorte d'abstraction dévorante qui vit par elle-même, pour elle-même et qui s'obstine à légiférer l'incohérence et à légitimer un porte-à-faux avec l'ambition citoyenne. Sans pour autant vouloir théâtraliser le drame, il est assurément, pour lui, plus que temps de dépasser les névralgies d'un consensus épuisé, en miettes et de jeter bas compromis et compromissions.

Conscient de l'urgence d'un vrai débat, d'un débat performant, d'un débat qui rompt avec le factice et le tacite pour toucher du doigt cet échec scolaire qui s'érige, d'année en année, dans des allures grandioses, conscient de l'urgence d'un débat qui ne pâtira d'aucune concession, d'aucune restriction pour établir une plate-forme éducationnelle sur laquelle s'édifiera un système éducatif libéré de l'étau des antagonismes et des serres de la médiocrité, il agira.

Pédagogie, formation des enseignants, langues à enseigner, conception et élaboration des programmes d'étude, organisation des rythmes scolaires, encadrements (pédagogique et administratif), espace scolaire, évaluations (systémique et formative), orientation scolaire, profils de sortie... seront autant de thèmes d'un débat en retard de plusieurs décades, qui ne soit plus prétexte à quelques réformettes de circonstances, qui osera bousculer les intérêts des promoteurs de l'erreur, des rentiers de l'école et autres défenseurs autoproclamés des «constantes nationales» (alors qu'ils n'en sont que le visage hideux), qui viendra débusquer des peuplades de planqués calculateurs, passés pour maîtres dans l'art de faire semblant en reléguant l'avènement du développement national durable aux calendes grecques.

A suivre

*Directeur de l'Education de Wilaya ancien Professeur INRE