Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La mission du futur gouvernement : Mettre en état un Etat qui était dans tous ses états (1ère partie)

par Chaïb Aïssa Khaled*

Pour mettre en état un Etat qui était dans tous ses états, il ne faut pas occulter comment cet Etat a été mis dans tous ses états.

Un Smig d'histoire Coincés dans une forme humaine, les dignitaires qui régentaient les affaires du système politique révolu, ne vivaient que pour entretenir et exacerber des dynamiques destructrices, que pour promouvoir et orchestrer la dépossession, que pour s'assurer une relève par des démons non moins despotes, que pour provoquer la dérive des mentalités, des comportements et des consciences, que pour accélérer l'usure de ce qui est, en chacun des Algériens, de profondément humain.

Renaissant perpétuellement de leurs forfaits, ils se permettaient d'appeler au respect des règles du jeu, eux qui ne les ont jamais respectées et au respect de la morale, eux qui ne l'ont jamais considérée.

Ils étaient nombreux, mais ils étaient si solidaires et tellement autoritaires que chacun d'eux avait l'impression qu'ils étaient des millions. Ils avaient l'œil inquiet, les rides travaillées, la fausse dent bien acérée et le carnet d'adresses bien rempli. Ils étaient riches et à l'abri du besoin. Ils avaient des contacts avec le progrès et la technologie que par la consommation immédiate et sans plus. Ils sortaient indemnes des ruines des affrontements qu'ils fomentaient, (rappelons l'affrontement qui a duré de 1988 (5 octobre) à 1999.

Ce qui était paradoxal, c'est qu'ils n'avaient pas d'âge même s'ils avaient plus de soixante-dix ans car pour eux le temps ne comptait pas. Ils calculaient tout. Ils « mangeaient » en groupe. Chacun d'eux se déplaçait seul. Ils n'aimaient pas les jeunes, à part les leurs. Ils les considéraient comme mal élevés, comme ceux qui n'ont rien compris aux choses de ce monde. Ils aimaient l'argent, l'impunité et le pouvoir ce qui explique qu'à leur âge avancé, ils ne voulaient rien lâcher, ni avantages ni fonctions. Ils gardaient une main ferme sur tout ce qui bougeait, avec une prédilection pour ce qui ne bougeait pas. Ils n'aimaient pas le mouvement, sauf si c'était le leur. Quand ils voulaient travailler on leur donnait des postes supérieurs ou à la limite des entreprises publiques à gérer à leur profit exclusif. Quand ils tombaient malades, ils étaient pris en charge pour des soins à l'étranger. Quand ils avaient des démêlées avec la justice, on leur achetait la justice. Ils avaient un passé flou mais un présent bien solide. Ils ne mangeaient jamais leurs fruits mais ceux des autres.

Alors que les sciences politiques et sociales, les sciences humaines et la philosophie ont montré qu'aucune nation ne peut progresser et évoluer sans disposer d'un modèle, d'un paradigme ainsi que des valeurs vers lesquelles elle doit tendre pour s'accomplir, alors qu'elles avaient montré que chaque peuple doit cheminer la destinée qu'il s'est forgée lui-même, ceux qui furent les «dignitaires» algériens, (reste à prouver, sic !!!), avaient fait du pouvoir qu'ils avaient confisqué d'ailleurs, une affectation définitive. En conséquence, les changements tant souhaités par le peuple algérien et tant promis, étaient systématiquement décalés, reportés à son mépris, au mépris de ceux qui lui étaient opposés et au mépris, bien entendu, de la démocratie.

A propos de démocratie. A travers sa longue évolution historique imprégnée du caractère d'universalité, elle s'est affirmée comme un processus de dialogue, de concertation et de négociation entre ceux qui gouvernent et l'opposition d'une part et entre ces deux entités et le peuple, d'autre part, en Algérie, de cela, il n'en était rien parce que la courroie de transmission entre le pouvoir et la société ne fonctionnait pas. La « machine » étant en panne, ceux qui la pilotaient, laminés pour la plupart par un déficit physique, (décrépitude) et rongés par un syndrome mental, (jouer le rôle de Dieu sur terre), voulaient que les partis politiques qui quand bien même étaient agréés, ne se développent surtout pas selon un processus d'élections pluralistes disputées dans la confrontation des idées et faisant dans l'alternance démocratique.

Inspirés par leur seul instinct de base, détenir le pouvoir et s'y agripper crocs et ongles aussi longtemps que possible et demeurer indéfiniment, (quand bien même la mort s'en suivra), les seuls maîtres à penser et à agir au plan politique, idéologique, économique, social et culturel et surtout, les seuls bénéficiaires de la rente. Comme l'autruche, ils enfonçaient la tête dans le cou occultant toute éventualité de mécontentement populaire qui risquerait d'engager leurs pays dans une épreuve vers l'inconnu.

Cela dit, vouloir expertiser l'œuvre du futur gouvernement algérien est loin d'être une entreprise ardue puisqu'il s'agira d'un gouvernement formé de jeunes espoirs et qui aiment leur peuple.

Ce gouvernement devra en premier lieu se démarquer, franchement et sans bavure, de la forfaiture ci-dessus narrée et par laquelle s'étaient singularisés ceux qui émargeaient au système politique qui, désormais fait partie de l'arriération du passé. Il s'en démarquera parce qu'il sera formé de jeunes compétences à l'endroit desquelles, il était, sans repos sans trêve, ressassé que le temps était venu de leur passer le flambeau. Ce qui est sûr c'est que des générations se sont succédées, se sont usées et se sont effritées les unes après les autres, à l'image de leurs espérances et de leurs rêves. Elles s'en sont allées, les unes après les autres, sans qu'aucune passation de consignes ou de mission n'ait eu lieu, de la part du système politique et sans qu'aucun flambeau ne leur ait été remis. Il leur a été, purement et simplement spolié et caché dans les tiroirs de l'ambition illégitime et sous l'emblème de la prétention déplacée.

Fatigués par l'attente d'un avenir bloqué, les jeunes pris en otage, ont depuis longtemps détourné leur regard de ce que sera demain pour le poser sur le présent avec la vague croyance d'y trouver une consolation passagère pour tromper leur attente et mentir à leur patience. Sans sens particulier, lorsqu'il existait leur « aujourd'hui » blafard ressemblait étrangement à leur maussade d' «hier» et encore plus, à leur triste de «demain».

Sans travail, sans logement, sans même le rêve, les jeunes constituent aujourd'hui l'échec cuisant de ceux qui ont gouverné mais ils restent pleins d'engagements à donner leur pays ce qu'on ne leur a pas permis de lui donner par le passé. Et c'est pour cela qu'il faut leur faire confiance.

De la circonspection dans la gestion des missions dont il sera en charge, le gouvernement qui animera la scène politique de la Nouvelle République, devra en faire son propre, car il sera censé de l'accomplir avec le maximum de chances de succès. Si dans un passé récent, la seule qualification dont devra se prévaloir le gouvernement algérien, était d'être coopté par le sérail et la seule compétence dont il devra être nanti était d'être capable de piloter sa tâche « au jugé » et de gesticuler pour que rien ne change au désordre des choses, refaire le sort d'un peuple, ne pourra plus, désormais, être un jeu de dilettantes et d'accaparateurs.

Appelés à redonner au sort du peuple son contour, les futurs ministres de la République devront avoir l'accent de la sincérité et ne feront pas de courbettes à la fatalité. Ils ne composeront pas avec cette démagogie qui fut élevée au rang de culture en s'inventant, au gré des situations, tantôt idéalistes, tantôt prêcheurs parce qu'ils ne devront pas perdre de vue qu'ils ont été chargés de missions par le peuple auquel ils rendront compte. Ils ne joueront pas à avoir la conviction entêtée, comme ils ne s'évertueront pas à doper leurs mots pour se faire entendre. Autrement dit, ils n'useront pas de ce langage intempestif comme pour dérouter l'auditoire ou, carrément, le naniser. Sûrs de ce qu'ils feront et de ce qu'ils diront, ils n'auront pas besoin de gestes en quête de contenance comme pour s'affranchir des sens communs. Ils ne s'érigeront jamais en défi. Ils ne confondront jamais le bien avec leur volonté. Ils ne s'aventureront jamais à tout effacer pour tout recommencer avec une dose supplémentaire de désinvolture. De l'échec national, par petites touches, traditionnalisé au point d'être devenu une norme de gestion, ils n'en feront pas une fatalité. La responsabilité ne sera donc plus une fantaisie et la morale, un artifice. Ils ne chercheront pas à se fossiliser dans la mission qui leur sera confiée. Dompter celle-ci, sera leur seul et unique souci.

Ne faisant pas dans l'air d'avoir l'air sans pour autant avoir l'air et ne se laissant pas aller sur la pente d'une imagination féconde en subtilités superflues, ils agiront. L'Algérie qui fut flagellée par des conditions de vie profondément dégradées et qui avaient failli provoquer une désintégration sociale, ne devra pas être un faubourg malfamé du monde. Elle devra sortir de l'isolement et devenir un Etat avec lequel il faudra compter.

Ne faisant pas table rase d'un passé politique qui avait épaissi la gabegie à coups de discours incarnant la stupidité alliée à la cruauté et à l'arbitraire, les futurs ministres réhabiliteront la citoyenneté tant brimée, tant méprisée, rétabliront cet équilibre naturel entre le présent et le futur, entre l'ancien et la modernité, entre le libéralisme et la justice sociale et réinséreront le libéralisme politique, la démocratie et la liberté d'expression dans la logique qui est celle de leur peuple. Ne s'érigeant pas en agitateurs d'égoïsme et en promoteurs de chimériques généralités. Ils n'inciteront pas à l'épars, ils ne provoqueront pas la convulsion des énergies, ils n'encourageront pas à l'inertie. Ils se mettront du côté du droit, de la justice et de la liberté, ces garants de l'accomplissement du développement durable. Leur objectif cardinal étant de faire dans ce mouvement où le rythme des mutations du progrès est fortement accéléré, ils ne devront pas se perdre dans des conjectures absurdes qui les mèneront à sacrifier, dans une passivité inconsciente et suicidaire les chances de progrès et même d'indépendance de l'Algérie, comme avaient tenté de le faire leurs prédécesseurs. Sous leurs auspices, elle devra au contraire prendre de l'altitude. Elle ne traînera plus dans les divers classements mondiaux.

Si dans un passé récent, elle fut tellement abîmée qu'il y était difficile de regarder vers l'avenir, si le marasme y était réel, dorénavant la délinquance politique, la délitescence sociale et la déliquescence économique qui l'avaient laminée des décades durant, ne séviront plus parce qu'un élan salvateur et un sursaut salutaire, consacrés condition sine qua non, lui éviteront de se placer, dans une logique d'exclusion, -déphasage sociétal et culturel et isolement économique- telle qu'elle pourrait être condamnée par l'évolution mondiale à l'arriération porteuse de toutes les frustrations, de toutes les brimades, elles-mêmes porteuses de tous les intégrismes.

Désormais et devant être en mesure de développer, de manière soutenue, une dynamique gouvernementale en matière de développement humain conformément à cette norme universelle qui recommande de faire du développement humain le centre des stratégies globales à adopter pour qu'aboutisse le développement de la collectivité», ceux qui gouverneront le pays ne feront pas dans le diktat ni dans la mise au pas de leur peuple, encore moins dans son asservissement. Moralité, les droits de l'Homme ne seront pas, comme ils le furent, réduits à leur plus simple expression.

A suivre

*Ancien directeur de l'Education de wilaya