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Gaspillage

par Ammari Ali

J'ai été effaré en lisant l'article de N. R., titré en gras : plus de 1.000 tonnes de pain gaspillées, paru dans l'édition 8048 du 8 mai courant dans Le Quotidien d'Oran.

Le journaliste, qui rapporte une information surtout accompagnée de chiffres, doit vérifier (ou enquêter) la véracité des statistiques communiquées et chercher les causes du gaspillage, pour enfin déterminer les responsabilités, et ensuite donner l'information complète. On ne doit pas prendre pour argent comptant tout ce que certains responsables communiquent comme volume accru, ils ont cette tendance à la hausse pour aggraver les situations, et jouer les moralisateurs et sensibilisateurs en appelant les citoyens à respecter les règles de consommation et d'éviter toute forme de gaspillage qui est contraire aux valeurs de notre religion, aux traditions, mœurs de la société algérienne ainsi que la culture de consommation rationnelle, ce que sait et fait une grande partie de la population vulnérable et même moyenne.

Comme tout simple lecteur mortel, je me demande si cette substance vitale, jetée en quantité énorme, a été pesée (sèche ou imbibée ? a-t-elle été trouvée entreposée dans des contenants spécifiques ou mélangée avec le reste des détritus et enfin dans quels quartiers on en trouve le plus, d'une part, et, d'autre part, s'est-on posé la question pourquoi ce gaspillage ?

Ces deux questions m'amènent à retenir deux aspects, l'un concerne une information donnée mais incomplète, ce qui laisse douter de la fiabilité des chiffres qui ont été communiqués aux journalistes, alors c'est leur analyse qui permet de construire l'information à donner, quel que soit le sujet. Dans notre cas, les lecteurs sont effrayés par la quantité de pain jetée. Soyons sérieux, Messieurs, une bonne partie des citoyens (retraités et actifs, à faibles pensions et bas salaires) vivent sous le seuil de pauvreté, pensez-vous que ce soit eux qui jettent cette précieuse denrée qu'ils acquièrent avec difficulté, alors que parmi eux certains se servent de ce qu'ils ramassent sur les trottoirs pour nourrir leurs familles, alors qu'ils sont accusés de gaspilleurs, à tort, qui ignorent ce que coûte le blé à l'Etat en subvention et aux consommateurs en espèces sonnantes. Soyons sérieux, Messieurs Dames, ces citoyens (retraités et actifs) vivent difficilement, ils sont les dindons de la farce, victimes accusées, gratuitement, par des responsables, sans reconnaître l'inefficacité de leur gestion, avancent des raisons fallacieuses, car les raisons véritables justifieraient de tels comportements et l'absence de solutions pour pallier à ce gâchis.

Personne n'ignore que les patrons boulangers, à travers le territoire national, emploient des ouvriers-boulangers, sans qualification professionnelle. On leur apprend, sur le tas, les dosages d'eau, de levure et de sel en rapport avec la quantité de farine, comment faire tourner un pétrin et à façonner les baguettes, le temps de repos nécessaire pour permettre à la pâte de lever. C'est-à-dire que cette main-d'œuvre n'est pas formée, elle ne possède aucune notion théorique et/ou technique spécifique en la matière. Il n'y a que dans les grandes villes où une faible minorité de patrons-boulangers emploient des ouvriers-boulangers qualifiés. A cela, il faut ajouter l'utilisation d'une seule qualité de farine, d'améliorant à outrance et enfin, la propreté des lieux, sans omettre la propreté corporelle des ouvriers-boulangers, à voir beaucoup, on n'a plus envie de manger ce pain.

Nos boulangers s'approvisionnent, seulement, en farine dite planifiable. Techniquement, parler de farine, c'est parler de gluten qui est la substance qui donne à la pâte son élasticité qui permet à la pâte de lever et de donner au pain une mie aérée. Toutes les farines n'ont pas le même taux de gluten, dont certaines d'entre elles ne contiennent pas du tout (farine de riz, farine de maïs, farine de pois chiches) qui sont appelées farines non planifiables. Donc, nos éminents boulangers n'utilisent que la farine planifiable, qu'ils bourrent d'améliorants, au détriment de la santé des gens, pour obtenir une multitude de types de pains (ordinaire, mawnis, fougasse, espagnol) et, entendons-nous bien, chacun son prix, l'ordinaire à 10 DA et le reste entre 15 et 20 DA sans tenir compte de la tarification règlementaire, c'est la jungle où Tarzan se déplace sans lianes. En finalité, retenons la mauvaise qualité qui se traduit par un pain mangeable à la sortie du four, une fois refroidi, impossible de le mastiquer (mâcher), surtout que l'être humain n'est pas un ruminant, même les petits enfants n'en veulent pas.

Aussi, les farines contiennent des matières minérales provenant du son (ènkhala). Lorsque ces matières minérales sont incinérées, il ne reste que les résidus minéraux sous forme de cendres, qui, plus leur taux est élevé plus la qualité de la farine le sera aussi, par contre, moins elle sera blanche.

Il existe, alors, plusieurs types codifiés de farine, de la plus pure, la plus blanche qui a perdu beaucoup d'éléments nutritifs, à la farine complète (dite intégrale) qui a gardé ses minéraux et vitamines (B et E), car elle contient toutes les parties du grain de blé, à savoir :

- farine blanche destinée à la pâtisserie;

- farine blanche ordinaire pour pain blanc, pâte à tarte et pizza; (*chez nous, vous trouverez farine blanche pour pain spécial et pizza); quelques-unes dans les farines semi-complètes pour le pain spécial Supérettes pour beignets,

- farine complète pour pain complet; (ma3rek, gâteaux sans types;

- farine complète (intégrale) pour pain au son connu).

Sans généraliser, mais dans de très nombreuses boulangeries, le principe de propreté des machines (pétrin, diviseuse, façonneuse), chambre de fermentation, réfrigération pour les produits à incorporer (levure, améliorant, etc.), lieu de stockage de la farine, eau et sel, n'est ni considéré ni valorisé comme mesure d'hygiène alimentaire appliquée, l'effet réel, même négatif, est sans importance, fictif, enfin, à voir les ouvriers-boulangers au travail, en tricots de peau, shorts, saupoudrés de farine, avec cigarettes, une entre les dents, l'autre en attente sur l'oreille et pour embellir la personne une chemma hacha koum, calant la lèvre supérieure. On ne peut pas s'imaginer savourer un morceau de pain préparé de leurs mains. Parfois, il a été même trouvé des corps étrangers dans le pain y compris amélioré, je ne crois pas qu'il y a une personne qui niera le fait.

En résumé, ne pas reconnaître que ce gaspillage est une perte à sens unique, c'est ignorer la situation, alors que l'Etat subventionne, en monnaie forte, la matière première et le citoyen paie le prix entier, au seul profit de nos patrons-boulangers, taxés à l'impôt forfaitaire, souvent inférieur à l'IRG imposé au pauvre retraité titulaire d'une pension inférieure à 80.000 DA.

Par ailleurs, le gaspillage du pain n'est pas une exclusivité, il y a, également, les légumes tels que l'oignon avec feuilles complètes, racines pleines de terre, le fenouil avec ses tiges dépassant les 20 cm, le chou-fleur avec un fond garni qui enveloppe sa moitié, l'artichaut avec queue aussi longue que celle des oignons, la carde aussi haute que celle qui la porte, une pomme de terre non seulement pleine de terre, mais mangeable, uniquement, à l'extinction du fourneau, une fois refroidie et réchauffée, l'assiette ne contient que des morceaux de savon de Marseille immangeables, pourtant c'est la viande du pauvre, la mandarine et l'orange cueillies vertes pour les vendre cher. Au marché, la ménagère ou le père de famille achète et paie avec sourire et en plus il dit merci, puisqu'il ne peut faire autrement. Les prix, la qualité et les normes de mise en vente ne sont que des slogans comme l'homme qu'il faut à la place qu'il faut. La libéralisation du marché des fruits et légumes n'a servi qu'à diminuer l'intervention de l'Etat, fait disparaître les normes commerciales, la mercuriale Allah yarhamha, la régulation du marché et aider le gros poisson à dévorer le petit poisson.

Observons notre moitié dans la préparation de la popote, on constatera, sans aucune exagération, que 50 à 60% s'orientent vers la poubelle et 50 à 40% sont destinés à la cuisson, en faisant vos comptes, vous constaterez que tout a été payé au prix double. Je voudrais ajouter que la pomme de terre, du centre, est comme le pain, mangeable chaude, par contre, il faut reconnaître que celles de Mostaganem, Mascara et El Oued sont plus ou moins meilleures et plus acceptées à table.

En conclusion, comme tous les acteurs (éleveurs, restaurateurs, cafetiers, taxieurs, etc.), de leur côté, les agriculteurs se plaignent du manque de pluviométrie, du prix des engrais et autres produits, du manque de main-d'œuvre, etc., mais n'assurent pas leurs récoltes, pourtant, ils bénéficient de dédommagements. Ce n'est pas le cas du retraité relégué dont la revalorisation est une aumône accordée avec très peu de pitié en se faisant prier et en plus imposée à un IRG comme s'il s'agissait d'un salaire. Tous les ministres du Travail, qui se sont succédé à l'actuel, prennent plaisir à donner le nombre de retraités et surtout calculer l'incidence financière, à quatre ou cinq chiffres après la virgule que les journalistes étalent en gras avec des titres démesurés, alors que la montagne n'a accouché que d'une souris. Depuis des années que les maltraités de la CNR revendiquent que la valorisation annuelle doit être calculée sur le montant de la pension totale y compris la majoration de janvier 2012. Le régime spécial des retraites (FSR) constitue la machine qui dévore, grève le budget de l'Etat et représente le véritable gouffre financier, non le régime général (CNR) seul prévu au départ pour les réprouvés comme nous.

L'équité et la justice sont des équations méconnues de nos gestionnaires, il n'y a que les actifs (fonctionnaires ou non) qui peuvent paralyser les services et obtenir des promotions sans qu'elles se méritent, des augmentations de salaires sans proportionnalité avec la productivité et le rendement et des indemnités et primes attribuées en complément de salaires, non dans le cadre de l'amélioration des performances, encourageant ainsi le bras cassé et décourageant l'ardent travailleur dont les primes sont égales. Vive les syndicats. Pour les maltraités, la fille adoptive de l'UGTA (FNTR) manque de zèle, d'ardeur et d'énergie pour s'occuper des vieux improductifs, pourtant c'est eux qui ont mené le bateau qu'ils ont pris. Je ne fais le procès de personne, dites-moi à qui doit-on se plaindre ? Y a-t-il une oreille qui entendra les appels assourdissants de cette frange vulnérable ? Y a-t-il quelqu'un qui dira : il faut bien faire quelque chose en faveur de ces gens qui n'attendent qu'un geste, qu'une proposition soit faite à Monsieur le président de la République ? L'exonération de l'IRG sur les pensions inférieures à 80.000 DA et l'application d'un abattement sur celles supérieures, la revalorisation calculée sur le montant imposable (y compris la majoration de 2012). Je termine en espérant que le législateur doit penser à ceux d'en bas pas seulement à ceux d'en haut, leur situation est bien meilleure que celle du rez-de-chaussée.

Que Dieu fasse que notre pays soit protégé par Lui et qu'il donne la force à Monsieur le président de la République vers qui tous les regards tristes sont braqués, en attendant une réelle décision en leur faveur, au même titre que les zones d'ombre, les mal-logés ou les sinistrés. Que vive notre si beau pays et gloire à nos vaillants martyrs !