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Un «point de rupture» avec les luttes du passé et la société coloniale

par R.N.

Les massacres du 8 mai 1945 ont constitué un "point de rupture" avec les luttes du passé et la société coloniale, a affirmé le chercheur en histoire, Fouad Soufi, notant que le rapport de l'historien français, Benjamin Stora, ne "s'adresse pas" aux Algériens.

"Les massacres du 8 mai 1945 ont constitué un point de rupture avec les luttes du passé et avec la société coloniale. Ils ont été un tournant décisif dans la lutte contre le système colonial, si bien qu'il a été considéré par de nombreux historiens comme le début de la Guerre de Libération nationale", a déclaré M. Soufi à l'APS, dans le sillage de la commémoration du 76éme anniversaire de ce sanglant épisode de la résistance algérienne face au colonialisme.

Commentant l'impact de ces faits ayant secoué, des jours durant, plusieurs villes algériennes, le chercheur a ajouté que ces derniers "ont tellement marqué les esprits des Algériens, de par leur sauvagerie, que beaucoup de responsables du mouvement national avaient alors estimé qu'il ne fallait pas lancer le peuple dans une guerre qui serait tout aussi sanglante".

"Sans renoncer au principe de la lutte armée, ils avaient, ainsi, raté le rendez-vous du 1er Novembre 1954 avant de finir par rejoindre (ou pas), le Front de Libération nationale (FLN). Voilà pourquoi ces événements ont été décisifs pour le début puis le cours de la Révolution, car, désormais, plus rien ne sera comme avant !", a-t-il explicité, avant d'aborder les polémiques en matière de nombre de victimes qui n'ont pas manqué, et continuent encore, d'entourer ce chapitre.

"Personnellement, je suis toujours resté prudent par rapport à ces guerres des chiffres, surtout lorsqu'il s'agit de calculs morbides", soutient-il, déplorant que "ce débat ait masqué le travail de l'historien qui aurait consisté à établir la liste des personnes assassinées, à les nommer et non pas seulement à les compter".

Et de considérer que "devant cette tâche, la guerre mémorielle avec certains milieux français paraît franchement secondaire, tant il faudra une armée d'historiens qui doivent aller remuer la Terre qui ne nous a pas encore livré ses secrets".

A ce propos, M. Soufi estime qu'il y a lieu de "sortir des discours victimaires et d'encourager le travail sérieux" et qu'il faut "régler d'abord chez nous" ce problème de chiffres, avant de convier, à ce propos, les responsables des départements d'Histoire aux Universités de Guelma et de Sétif d'assumer "la lourde charge et l'honneur de faire ce gros travail". Convié à commenter le rapport de Benjamin Stora en relation avec ces faits, le spécialiste du mouvement national tient à relever que ce document "a été rédigé par un expert français à la demande du président de la République française. De ce fait, il ne nous est pas adressé, même s'il est question des Algériens".

"Des faits, des personnages ont été sélectionnés qui réunissent les deux peuples des deux rives de la Méditerranée, du moins c'est ce que j'ai cru ou pu comprendre!", fait-il observer, considérant qu'il y a lieu d'"attendre" le rapport de l'expert algérien, Abdelmadjid Chikhi, avant de relever que la publication du travail de Stora a eu le mérite de "permettre l'ouverture d'un débat en Algérie sur l'histoire, la mémoire et les archives".

Interpellé sur la reconnaissance par la France de ces crimes perpétrés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sa réplique est sans ambages: "Je doute fort que la France des partis de droite et d'extrême-droite et même de la Gauche libérale, qui tend à devenir majoritaire dans la société, puisse reconnaître les crimes commis pas la colonisation".

Quant à l'indemnisation des victimes, telle qu'exigée par le président de la Fondation du 8 mai 1945 qui les représente, l'historien qualifie cette revendication de "très certainement légitime", conviant, toutefois, ce dernier à "identifier" les personnes qui sont appelées à en bénéficier, avant d'évoquer la cause des victimes des essais nucléaires, dont "la meilleure compensation serait l'ouverture d'un hôpital spécialisé, d'un centre de recherche ainsi que le traitement des zones contaminées", selon lui.

S'agissant, enfin, de la question lancinante de l'ouverture de toutes les archives, dont celles inhérentes aux massacres du 8 mai 1945, M. Soufi est d'avis que l'accès à ces documents "relève de la loi et non pas du bon vouloir d'une personne", rappelant que M. Stora avait révélé, dans la foulée de la publication de son rapport, l'existence d'une "dizaine de cartons d'archives de la période ottomane". De même, a-t-il poursuivi, qu'il avait communiqué "la liste des fonds d'archives numérisés qui pourraient être remis à l'Algérie".