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Quand la fetwa met en échec un décret exécutif

par Zerrouk Ahmed*

La commission ministérielle de la fetwa relevant du ministère des Affaires religieuses et des Wakfs a préconisé, mercredi 31 mars 2021, dans un communiqué1, entre autres mesures et s'agissant de la prière des Tarawih, l'ouverture des espaces aménagés pour l'accueil des femmes, à l'exception des femmes enceintes et allaitantes, sans pour autant y amener les enfants. Il est à signaler que la prière des Tarawih est précédée par celle d'El-Ichaa.

Une remarque s'impose, il est fait état dans cette fetwa de « l'ouverture des espaces aménagés pour l'accueil des femmes » et non de l'ouverture des « mosquées », c'est une vision machiste et pleine de dédain qui rétrograde la femme musulmane dans un « espace aménagé ». La mosquée est pour les hommes, les « espaces aménagés » pour les femmes, comme si ces espaces ne font pas partie intégrante de la mosquée.

Donc, cette fetwa recommande, entre autres mesures, l'ouverture des mosquées aux femmes pour y accomplir durant le mois sacré de Ramadhan, la prière des Tarawih. C'est un simple conseil qui a été donné aux pouvoirs publics qui doivent décider, soit de lui réserver une suite, soit de le rejeter.

D'autant plus que le pouvoir exécutif a décidé, en vertu du décret exécutif 21-70 du 14 février 2021 portant allégement des mesures d'adaptation du dispositif de prévention et de lutte contre la propagation du Coronavirus (Covid-19)2, d'interdire l'accès des mosquées aux femmes. C'est l'objet de l'article 4/1er tiret dudit décret présidentiel3.

Cette mesure d'interdiction a été reconduite par les décrets exécutifs 21-1054 et 21-1325 datés respectivement des 16 et 31 mars 2021.

Ainsi et au plan réglementaire, les femmes sont interdites d'accès aux mosquées, ce qui est en soi une discrimination caractérisée et intolérable pour cause de sexe, qui viole le principe constitutionnel d'égalité des citoyens (article 37 de la Constitution6) et qui est, en même temps, en complète contradiction avec les traités et conventions ratifiés par notre pays, qui ont une valeur supérieure à la loi (article 154 de la Constitution7).

La fetwa sus citée qui interfère dans une sphère relevant du domaine réglementaire de l'Etat, et ne se limite pas à l'objet de la fetwa en Islam qui est celui de fournir une guidance et une orientation sur la vie religieuse, a été appliquée dès le premier jour du mois de Ramadhan.

Cette situation est contraire au principe de la hiérarchie des normes et viole allègrement les dispositions du décret exécutif 21-70 du 14 février 2021, notamment son article 4/1er tiret qui est toujours en vigueur.

Cet état de fait souligne la manque, voire le défaut de réactivité du gouvernement sur une question aussi cruciale de la pratique religieuse en cette période de crise sanitaire majeure et dénote, également, un manque de suivi et de coordination avec le ministère des Affaires religieuses et des Wakfs.

Il urge d'assainir cette situation de fait par une disposition réglementaire (décret exécutif).

Pour clore, faites cesser, Monsieur le Premier ministre, cette discrimination des femmes qui sont nos grand-mères, mères, épouses, sœurs et filles et laissez les femmes accéder aux mosquées, dans le strict respect des mesures et protocoles sanitaires de prévention et de protection contre la propagation du Coronavirus.

Assez de discrimination, agissez pour l'égalité des citoyens et ayez de la considération et du respect pour nos grand-mères, mères, épouses, sœurs et filles.

*Ex-magistrat militaire

Notes

1- Dépêche de l'agence Algérie Presse Service du 01 avril 2021.

2- In Journal Officiel 11 du 15 février 2021.

3- Article 4/1er tiret « Il est procédé à l'ouverture de l'ensemble des mosquées sur le territoire national et ce, dans le strict respect des mesures et protocoles sanitaires de prévention et de protection contre la propagation du Coronavirus (COVID-19), notamment le dispositif préventif d'accompagnement, mis en place pour les mosquées, comprenant : -l'interdiction d'accès aux femmes, aux enfants de moins de quinze (15) ans et aux personnes présentant une vulnérabilité sanitaire ».

4- In Journal Officiel 20 du 17 mars 2021.

5- In Journal Officiel 24 du 1er avril 2021.

6- Article 37 de la Constitution : « Les citoyens sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection de celle-ci, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale ».

7- Article 154 de la Constitution : « Les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions fixées par la Constitution, sont supérieurs à la loi ».