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De la circonscription administrative, en particulier, à l'administration territoriale, en général, ou l'urgence d'une doctrine d'emploi (3ème partie)

par Boudina Rachid*

«C'est en sciant que Léonard devint scie» Francis Blanche

Parmi les mesures de remédiation, certaines demandent juste à donner un coup de pied dans la fourmilière, ce qui évidemment ne saurait constituer la solution de fond. Il s'agit plutôt, de réfléchir dorénavant à concevoir, voire à inventer plus concrètement des remèdes qui obligent à opérer des changements de fond. Cependant, il est illusoire de croire qu'on peut améliorer le fonctionnement de l'administration locale sans revoir l'organisation et le fonctionnement de l'administration centrale. Le lien de causalité n'est pas aussi difficile à pointer, à moins de s'en dispenser exprès, considérant que c'est un tabou et qu'il n'est pas convenable d'en parler. Pourtant, c'est précisément souvent la multiplication et l'incohérence des interventions de l'administration centrale qui concourent à brouiller l'organisation des services déconcentrés. Celle-ci doit davantage agir dans la clarté et dans la lisibilité, et faire que les entreprises de changements qu'elle envisage soient préparées avec fermeté et résolution. Mieux que cela, il faut qu'elle fasse montre de toute l'expertise nécessaire et de tout son savoir-faire, ainsi que de son savoir-communiquer de telle sorte à impliquer et à faire adhérer les services déconcentrés et qu'au bout du compte ils s'identifient aux changements projetés par la tutelle.

Plus que cela, il importe que les décisions de l'administration centrale soient homogènes, et surtout qu'elle n'abuse pas de son pouvoir d'instruction qui finit par être cafouilleux au point d'entraîner des dysfonctionnements indésirables, car comme le dit l'adage «on peut gouverner de loin, mais on administre bien que de près».

C'est dire, que l'administration déconcentrée a besoin de recevoir des ordres clairs, cohérents et dont la faisabilité ne doit souffrir d'aucune équivoque. Mieux encore, les changements voulus par le pouvoir central ne doivent pas être assénés systématiquement du haut vers le bas. Il convient plus d'associer les services déconcentrés à la conception de tout projet, dès sa phase initiale et surtout de les inclure systématiquement dans toutes les expérimentations tendant à garantir la validité des transformations envisagées.

Évidemment, Il est hors de propos de croire que les soins à prescrire seraient définitifs, on ne pourrait que concevoir des solutions progressives nées des enquêtes de terrain qui ont l'avantage de s'adapter à la diversité des administrations.

Il faut appendre aussi à confier ce genre de missions à des commissions de spécialistes, en capacité d'analyser, ou d'apporter une expertise certaine. Dans beaucoup de pays, on assigne souvent cette tâche à des parlementaires, plutôt des sénateurs, non pas parce qu'on pense que ceux-ci ont plus de temps pour s'en occuper, mais plus, parce qu'on suppose qu'une majorité d'entre eux possèdent l'expérience et la compétence dans la gestion des affaires de l'Etat. Bien sûr que cela demande du temps, de la réflexion et d'écouter les acteurs de première ligne, l'essentiel étant que ces commissions fassent connaître leur avis sur la question qui leur est soumise, et de formuler au besoin les mesures de correction à prendre.

D'autres pistes de réflexion sont susceptibles d'être également explorées telles que la coopération entre wilayas. Le tout c'est de mettre en place des procédures fiables et des arrangements pratiques. C'est un domaine en friche qui pourrait profiter à l'intérêt général pour dépasser les égoïsmes inopportuns qui meurtrissent la solidarité nationale.

Ce qu'on peut aussi déplorer, c'est l'absence de représentation de l'Etat au niveau de la wilaya et moins encore au niveau de la daïra ou de la commune par un service typiquement économique. L'activité fragmentée et dispersée des quelques directions de wilaya telles que celles de l'industrie, du commerce ou de la PME, ne sont certainement pas en mesure, malgré un volontarisme non contesté, de remplacer un opérateur orienté tout entier à s'en occuper exclusivement, une sorte de guichet unique à l'échelle de toute une communauté d'acteurs économiques.

De plus, de nouveaux enjeux, voire de nouveaux défis ont fait irruption et obligent à mieux orienter et à mieux organiser l'action de l'Etat au niveau local. Il s'agit de problèmes nouveaux du quotidien comme l'hébergement d'urgence des sans domicile, la disponibilité des moyens d'accueil des migrants ou de la pauvreté qui exigent des moyens et une clarification des responsabilités en vue d'identifier les compétences entre services déconcentrés et communes.

Il est question aussi de politique de la ville dont officiellement, pour ne pas dire théoriquement, un ministère serait en charge, mais qui sur le terrain n'est pas concrètement observée, faute de stratégie ou de communication, ou les deux ensemble. C'est certainement vrai que la politique de la ville paraît comme compliquée, voire complexe, aux yeux de nombreux acteurs: habitants, élus, services de l'Etat et autres. Doit-on pour autant rechigner à l'action ? N'est-ce pas faisable de cibler quelques programmes urbains prioritaires dans les grandes villes ou le besoin apparaît évident ? Est-ce impossible de revaloriser certains quartiers urbains dits « sensibles », pour réduire les inégalités sociales entre territoires. Pourtant, on ne manque pas de ces quartiers ou la demande sociale, économique, urbanistique et sécuritaire est préoccupante. On voit d'ailleurs à la faveur du phénomène des «bandes» que des territoires entiers son gangrénés par ce fléau et qu'il y a urgence à intervenir pour promouvoir le fameux «vivre ensemble».

Il existe aussi une réforme à portée de main, mais rien ne dit que le gouvernement serait prêt à l'agréer, tant elle aurait pour premier résultat de paraître déposséder les ministres de leurs prérogatives à l'endroit de leurs services territoriaux. Le paradoxe, c'est que cette réforme a été déjà expérimentée à la fin des années quatre-vingt du siècle dernier, puis arrêtée sans que personne n'ait eu à l'expliquer et sans qu'une quelconque autorité se soit donnée la peine de l'évaluer. Pour ceux qui s'en rappellent, c'était l'époque des fameuses Divisions. Pour une fois, on pourrait même se targuer pour dire que la France elle-même a copié, sans l'avouer, nommant pour sa part ses services déconcentrés de «directions départementales interministérielles». La différence étant que dans le cas de l'Algérie, les services déconcentrés ont tous été absorbés dans les divisions, tandis que dans le cas de la France, c'est seulement une partie des directions départementales qui l'ont été. On s'en est débarrassé prestement, presque à la sauvette et sans aucun procès, alors même qu'elle concrétisait la meilleure des façons d'approcher une réforme systémique de l'administration territoriale de l'Etat. Aujourd'hui encore, ce type d'organisation pourrait constituer un vrai progrès : c'est construit sur l'idée simple de raffermir les pouvoirs des walis en matière d'animation des services déconcentrés, jusqu'à lui confier graduellement des fonctions de « direction ». Ce qui a été déjà fait, on peut encore le faire, c'est-à-dire que l'option reste parfaitement, et avec profit, réalisable. Que les ministres n'y adhérent pas, ne saurait faire obstacle à cette solution.

C'est justement, une bonne occasion pour que les ministres réapprennent leur rôle premier qui est d'assurer les missions de conception, d'animation, d'orientation, d'évaluation et de contrôle. C'est aux walis d'incarner la dynamique de la déconcentration même s'il le faut faire de lui le détenteur de la compétence de droit commun de l'administration déconcentrée et les ministres seront renvoyés au simple exercice de leurs compétences d'attribution. Il en résulterait comme mesure phare de ce changement que les walis deviennent les uniques ordonnateurs secondaires de tous les services déconcentrés.

Mis à part l'opposition instinctive qu'une telle situation pourrait faire naître chez certains, qui se verraient amoindris et contrariés dans leur hégémonie, ce serait réellement le moyen incontestable de renforcer l'unité de la parole et de l'action de l'Etat du wali.

Tout ce qu'on a pu dire jusqu'à présent est un simple constat des dérèglements qui affectent tant l'organisation que le fonctionnement des services déconcentrés. Faut-il s'en satisfaire ? La réponse ne peut être que négative, cela va de soi. Il faut d'avantage rechercher les bonnes recettes qui permettront d'explorer et de croiser les points de vue des analystes, hauts fonctionnaires et des praticiens de l'administration territoriale, en évitant une approche exclusive, sans pour autant dédaigner les recettes de la nouvelle gestion publique, si tant est qu'on peut les greffer à l'administration publique. On donne ici un échantillon de ces quelques mesures communes, dont nous pensons avec modestie qu'elles seraient susceptibles de convenir à améliorer la situation des services déconcentrées, mesures possiblement transposables tout compte fait aux administrations publiques d'une manière générale :

- procéder à une revue d'ensemble des missions des services déconcentrés ;

- établir un inventaire des perfectibilités visibles, connues et reconnues par la hiérarchie et autant par les personnels ;

- quantifier et préciser les charges du travail institutionnel, partant du rôle que sont censés remplir les services ;

- évaluer les moyens et les ressources des services en fonction des tâches réelles à accomplir;

- chiffrer, voire modéliser en quantité et qualité les effectifs en vue de les adapter aux buts institutionnels ;

- moderniser les moyens de fonctionnement et les modes d'action nés des nouvelles technologies de l'information ;

- envisager les mutualisations de moyens entre les services déconcentrés en les formalisant via des textes dédiés ;

- substituer au plan de gestion des ressources humaines PGRH, instrument inefficace, fossilisé et chronophage, une véritable politique de gestion prévisionnelle des effectifs des emplois et des compétences ;

- accélérer le développement homogène des systèmes d'information et renforcer l'e-administration ;

- substituer aux démarches multiservices, le système des plateformes internet, partagées ou partenariales, pour améliorer et simplifier les services aux usagers.

7- La région administrative, une solution à portée de main ?

Au-delà de ces quelques propositions, émises un peu en vrac, postulant à l'amélioration du fonctionnement de l'administration déconcentrée, l'autre étape pour conforter la présence de l'Etat dans la sphère territoriale, serait d'instituer la région administrative. Hypothèse, qui n'a rien de téméraire, sauf qu'elle ne pourrait être matérialisée que si les pouvoirs publics conviendraient de son opportunité. Pour que tout soit clair, on parle ici de la Région en tant qu'échelon administratif déconcentré, avec à sa tête un wali de Région. Celui-ci serait nommé par le gouvernement, tant comme wali de région, que comme wali de la wilaya qui abrite la Région. Il aurait autorité sur les walis des wilayas de son ressort, sauf dans certaines matières, comme l'ordre public et les questions de sécurité, qui resteraient du ressort des walis de wilayas. Quant à la région collectivité locale, il serait tout à fait vain d'en parler aujourd'hui, du fait qu'elle n'a pas eu les faveurs ni des anciennes Constitutions, ni de la Constitution révisée de 2020.

Pour aller plus loin, dans ce qui est pour le moment de la pure fiction, on pourrait imaginer, idéalement, que l'intervention de la Région administrative serait centrée sur le développement, et l'aménagement du territoire, aussi bien que sur l'accompagnement et l'aide aux entreprises en difficulté, au suivi de l'exécution et de l'évaluation des programmes des SRAT de la région, en même temps que de la formation professionnelle et de manière plus conséquente, pour relayer les politiques publiques au niveau de la région.

Dès l'abord, la région administrative aura au moins à recadrer, voire à resituer le rôle des structures régionales existantes (directions ou inspections), qui fonctionnent quasiment en «administrations résidentes». Les mauvaises langues disent même que ces structures servent à caser des responsables qui, n'ayant pas obtenu des postes ministériels se rabattent sur les postes régionaux, pour faire une deuxième, voire une troisième carrière.

Plus sérieusement, la région administrative, serait pour ainsi dire, l'occasion d'insérer utilement ces organisations atypiques dans un dispositif régional intégré. A ce stade, ces administrations seraient placées naturellement sous l'autorité du wali de région, ce qui les obligerait du reste à être reconfigurées à la taille de la région, elle-même devant être adaptée aux enjeux socioéconomiques lui permettant d'exercer à la bonne échelle ses compétences stratégiques.

Cette armature impliquerait que, tout en étant placées sous l'autorité du wali de région, les structures régionales, anciennes ou nouvelles, conserveraient en parallèle l'animation fonctionnelle des directions de wilaya implantées dans le nouveau cadre régional. Ceci, n'empêchant pas aussi, que chaque ministre puisse s'adresser régulièrement aux responsables des services régionaux pour mettre en œuvre, dans le sens de la verticalité, les politiques publiques dont il aurait la charge, en prenant soin de ne pas entraver la région administrative, qui active pour sa part, dans une logique de transversalité.

De fait, le déploiement d'une nouvelle organisation régionale n'a pas besoin d'être plaidée outre mesure : outre la masse des directions et inspections régionales hétérogènes qui seront intégrées en priorité dans le réseau de la région administrative, si tant est elles correspondent à son périmètre, d'autres y seront créées dans une logique modulaire qui tiendra compte des spécificités du territoire concerné. Au final, cette démarche signera le début d'un nouvel acte de la déconcentration.

8- Une administration d'Etat parallèle !

A dire vrai, on n'est pas dans la rigueur du concept juridique de la déconcentration, on est donc un peu hors du titre même de cette contribution. Néanmoins la connexité des thématiques est si évidente, qu'il ne serait pas cohérent de ne pas traiter de cette question en tant qu'elle touche à l'organisation de l'Etat dans l'espace local.

Cependant, rassurez-vous, il ne s'agit pas du tout d'une cinquième colonne, disposant de partisans cachés dans les multiples circuits de l'Etat œuvrant à sa déstabilisation ou à sa destruction. Il est plutôt question de ces nombreuses administrations de mission qui prolifèrent sur la scène publique locale, sous divers statuts et sous diverses appellations : agences, offices, centres, services à compétence nationale et autres qui ne sont pas moins des services publics en considération de leur domaine d'activité, ce qui est appelé le critère matériel. La définition théorique simple est que l'administration de mission est une administration légère, spécialisée et limitée dans le temps. Son but est de répondre à des besoins spécifiques comme l'ANEM, l'ANSEJ, les agences thématiques pour la recherche etc. Certaines de ces administrations de mission sont créées pour riposter à des crises, d'autres pour faire face à l'émergence de nouvelles politiques publiques, d'autres encore pour coordonner des politiques de l'emploi, d'autres juste pour éviter les lenteurs et les désagréments du statut de la fonction publique et/ou de la comptabilité publique, etc.

Ce qu'on observe de constant dans cette affaire, c'est que ces services finissent invariablement par devenir permanents. Dans ces matières, l'Etat privilégie, en fait, la rapidité des prises de décisions, motif qui lui est apparu indispensable en vue d'accélérer des dispositifs qu'il a besoin de promouvoir. Ce qui peut paraître bizarre, c'est que ce procédé met formellement le chef de l'administration déconcentrée, qu'est le wali, quasiment hors circuit par rapport à la constellation de ces services. Dans la pratique ce sont juste des « correspondants » à part entière de l'administration centrale. En tout cas, le wali n'a même pas une autorité fonctionnelle sur ces organes. Le semblant de coordination, qui lui permet d'avoir une emprise très relative sur lesdits services, se réalise, juste pour un petit nombre d'entre eux, à travers les quelques commissions prévues par des textes, qui chacune dans son domaine d'action précis, associe formellement la wilaya à la prise de décision. Les autres, la majorité pour tout dire, échappent totalement au contrôle du wali au motif de leur spécialisation, ce qui du reste n'est pas du tout contesté. Au minimum, il faut faire un inventaire circonstancié de ces opérateurs de tous types, au moins pour connaître leur domaine d'activité et leur implantation, et pour voir si c'est normal qu'ils restent à l'écart de la wilaya. Qu'on le veuille ou non, il en résulte comme un manquement au principe que le wali représente le gouvernement et l'ensemble de ses ministres. Il faut évidemment nuancer le propos et reconnaître qu'il ne saurait être question que tous ces services doivent s'insérer dans le circuit de la wilaya. Toutefois, il nous semble qu'en vertu même du principe que le wali est l'unique représentant du gouvernement, une modification règlementaire doit intervenir pour le consacrer dans ce nouveau rôle, en obligeant l'ensemble des services dont il s'agit, quels que soient leur statut ou leur autorité de rattachement, dès lors qu'ils sont implantés dans la wilaya, d'informer celui-ci de tout fait ou évènement et de tout changement les concernant. Nonobstant le fait que les ministres sont représentés à travers les directeurs de wilaya, le wali détient la primauté de la représentation de l'Etat et qu'à ce titre, son pouvoir de coordination des services de l'Etat ne saurait être mis en concurrence par les délégués des ministres.

9- La décentralisation, ou le mythe entretenu

9-1- Généralités

Ici aussi, une petite définition s'impose. Pour aller à l'essentiel, on peut dire que la décentralisation est fondée sur le principe de la liberté, liberté pour les collectivités locales de régler par leurs autorités élues les affaires considérées comme locales. Le professeur René Chapus, en donne une définition plus minutieuse en déclarant que «la décentralisation constitue un transfert d'attributions de l'Etat à des institutions juridiques distinctes de lui et bénéficiant, sous sa surveillance, d'une certaine autonomie de gestion». Ceci dit, la sauvegarde des intérêts généraux de la collectivité nationale nécessite la mise en œuvre du contrôle, qui est la conséquence logique des pouvoirs attribués aux élus. Contrôle qui est précisément au centre des controverses entre partenaires d'un contrôle hiérarchique, confinant à la tutelle et, ceux qui sont pour un contrôle effectué par le représentant du gouvernement juste du point de vue de la légalité. Attention ! La décentralisation n'est pas le fédéralisme. Il ne faut pas non plus confondre, du fait que le terme est très galvaudé, entre décentralisation qui renvoie à l'organisation de l'Etat, et décentralisation dite «technique» ou par service qui regarde l'établissement public administratif (EPA), disposant de la personnalité morale mais, qui est étroitement soumis au principe de spécialité, l'université par exemple.

Il ne faut pas faire l'injure aux walis de croire qu'ils ne connaissent pas le sens de la décentralisation. Ils le comprennent tellement bien qu'ils en rajoutent une couche, se croyant autorisés à le transcender en y apportant une touche de contrôle d'opportunité, pour le bien des communes bien entendu. A tel point, que cet acte réflexe, qui part d'un bon sentiment, finit par remettre en cause le principe même de la libre administration des communes.

L'explication apportée ici au sujet de la décentralisation, n'a en réalité qu'un faible lien avec la pratique de tous les jours. Sauf à s'y méprendre, on a l'impression tenace que la problématique de la décentralisation relève de l'ordre du psychisme, tellement les gens doutent de sa faisabilité, préférant même le confort que procure la présence accrue de l'Etat. Nombre de politiques et de gestionnaires, chevronnés et familiers de la gestion publique locale, en viennent parfois à souhaiter la mise en œuvre réelle de la décentralisation, puis, sans raison, se ravisent et deviennent tout d'un coup farouchement défavorables, doutant et refusant aux élus locaux de disposer de vrais pouvoirs et qu'ils soient à même de les exercer librement. La dernière Constitution révisée de 2020, a beau disposer en son article 18 que « Les rapports entre l'Etat et les collectivités locales sont fondés sur les principes de décentralisation et de déconcentration », la décentralisation n'existe réellement que dans le discours. Si la déconcentration est bien présente et embrasse presque la totalité de l'administration locale, la décentralisation reste un vœu pieux. Il en est ainsi, sauf à concéder que la commune est plus ou moins installée dans une forme de décentralisation spécifique, du fait que l'exécutif de l'assemblée populaire communale soit dévolu à son président. Ce qui permet quelque part de sauver les apparences et à l'autorité publique de s'en prévaloir. Ce qui est sûr, c'est que le mythe de la décentralisation ne vit que de loin en loin, coïncidant surtout avec les périodes électorales pour donner libre cours à une littérature généreuse servant, au mieux, de programmes débridés aux candidats de tout bord en manque d'inspiration.

9-2- Décentralisation et wilaya

Il est presque aléatoire, voire chimérique de parler de décentralisation dans le contexte de l'Assemblée populaire de wilaya (APW). Cette institution fait face à l'impérium du wali qui, en plus en plus d'être le représentant unique du gouvernement et de chacun de ses ministres, truste sans partage le pouvoir exécutif local. Alors, comment faire et quel chemin prendre pour promouvoir réellement la wilaya en tant qu'organe décentralisé, à côté de la wilaya service déconcentré (Département vs Préfecture) ?

On peut envisager concrètement une réforme articulée autour de ces quelques modalités qui, ensemble, sont susceptibles de constituer l'armature d'un projet, qui aurait quelques chances de tenir la route:

1) Faire dévolution du statut de chef de l'exécutif au président de l'Assemblée populaire de wilaya (APW), qui devient par suite l'ordonnateur primaire du budget de la wilaya;

2) Globaliser le budget de la wilaya, faisant droit au principe de l'universalité du budget. Toute dépense, qu'elle concerne le fonctionnement, l'équipement ou l'investissement, doit être inscrite au titre du budget de la wilaya. Pour ce qui a trait aux dépenses d'équipement, Il importe de les inscrire et de les exécuter conformément aux dispositions du décret exécutif n° 98-227, modifié, relatif aux dépenses d'équipement de l'Etat. Les prévisions de dépenses des services déconcentrés de l'Etat, dits Programmes sectoriels déconcentrés (PSD), devront faire l'objet d'une dotation globale à l'indicatif de la wilaya. Les modalités du versement échelonné des crédits de paiement devront être adaptées aux spécificités du budget de la wilaya, qui exigera bien évidemment une novation et une adaptation du cadre comptable et des opérations comptables qui lui sont applicables. Relativement à l'aspect fonctionnement, la wilaya recevra pareillement une délégation globale, ou dotation globale, de fonctionnement, qui contribuera au fonctionnement des services décentralisés de la wilaya. L'excédent dégagé ou l'épargne brute, mieux connue chez nous sous le terme « autofinancement » sur ses recettes propres provenant de la fiscalité, du produit du patrimoine et des recettes d'exploitations servira à abonder le financement des équipements et des investissements de la wilaya. Bien évidemment, il est conséquent de mettre en place par la voie légale et règlementaire, non seulement le cadre budgétaire et comptable qu'il conviendra, mais de faire aussi que tout cet agencement soit mis en œuvre concomitamment avec une réforme de la fiscalité locale et de la fiscalité en général. Celle-ci aura à distinguer, plus rationnellement la juste part de chaque collectivité, sur la base de critères justes et fiables, qui dépasseraient en tout cas l'omniprésent critère de la population, qui sévit à bien des niveaux. Plus difficile à imaginer mais qui n'est pas moins dans l'ordre des choses, il faudra que les collectivités locales obtiennent le pouvoir de voter le taux des impôts locaux, d'en établir l'assiette, voire de procéder au recouvrement de l'impôt (proposition qui serait valable aussi pour les APC);

3) Doter l'Assemblée populaires de wilaya (APW) de services administratifs ou techniques propres en tenant compte des compétences que lui reconnaît la loi relative à la wilaya ;

4) Organiser et formaliser la coopération entre la wilaya, organe décentralisé et les services déconcentrés présents sur son territoire.

9-3 - Décentralisation et commune

La commune, version décentralisée, a eu droit aux honneurs des différentes Constitutions qu'a connues le pays, y compris la dernière Constitution révisée de 2020, qui dispose dans son article 17, premier alinéa que «la commune est la collectivité de base».

Tout aussi prodigue est l'article 2 de la loi communale qui fixe que «la commune est l'assise territoriale de la décentralisation et le lieu d'exercice de la citoyenneté. Elle constitue le cadre de participation du citoyen à la gestion des affaires publiques».

Soit, autant de dispositions non équivoques qui font croire que la commune est suffisamment affranchie de toute influence extérieure et que ses droits et ses pouvoirs sont garantis et prémunis. En vérité, tout cela reste du domaine du virtuel et cette institution subit une lourde tutelle qui la dépossède de sa liberté d'agir et d'entreprendre. Pourtant, pour celui qui lirait les articles 56 à 60 de la nouvelle loi communale, le mécanisme de contrôle de légalité qu'elle y consacre, laisse croire à une sincère avancée, augurant d'une disparition de la contrainte de la tutelle. Malheureusement, cet engagement a fait long feu. La faute aux représentants locaux de l'Etat qui ont du mal à « digérer » le dispositif, et qui continuent de méconnaître leurs prérogatives.

Ce qui est encore fort blâmable c'est qu'ils n'hésitent même pas à intervenir dans les affaires de la commune, au point de gérer ses affaires à sa place, au prétexte que celle-ci ne saurait pas le faire. En fait, il s'agit plutôt d'une réaction, qui persiste et qui incite les walis et les chefs de daïra à exercer un pouvoir hiérarchique en recourant systématiquement à un pouvoir d'instruction instinctif qui caractérise au plus haut degré le système de la tutelle, au sens péjoratif du terme, comme qui dirait une sorte de relation de tuteur à pupille. Tout ceci, rendant pour ainsi dire ineffectives, à bien des égards, les dispositions de la Constitution et de la loi.

A titre anecdotique, mais qui traduit bien l'état d'esprit des institutions au sujet de la problématique de la décentralisation, c'est de rappeler le décret exécutif du 20 septembre 2011 portant statut particulier des fonctionnaires de l'administration des collectivités territoriales. Dans son article 2, ce décret dispose que «Les fonctionnaires appartenant aux corps de l'administration des collectivités territoriales sont en activité (...) Ils peuvent être appelés à exercer auprès de l'administration centrale et des services déconcentrés du ministère chargé des collectivités territoriales» ! Est-il concevable qu'un statut particulier destiné à l'administration territoriale puisse prévoir que les personnels qui en sont issus soient placés en activité au niveau de l'administration centrale. Il y a un choix à faire, soit on est dans la centralisation, soit on est dans une logique de décentralisation. Aucune raison, ni aucun raisonnement ne pourraient permettre qu'une telle disposition fut possible à l'égard d'un statut qui, en d'autres temps, aurait mérité les faveurs de la loi. Sans omettre de signaler qu'un autre décret exécutif du 18 janvier 2017 est venu fixer les dispositions particulières de recrutement des personnels sur le budget décentralisé de la wilaya.

Deux décrets visant un même but, le deuxième remettant en cause totalement le premier et prévoyant à tort de recruter, entre autres, des fonctionnaires, ce qui n'a jamais été une vocation du budget décentralisé. A moins de considérer que le décret du 20 septembre 2011 s'applique uniquement au personnel des communes. Les psychologues appellent cela un acte manqué.

A suivre

*Ex-DRAL/MG pour ceux qui s'en souviennent