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TEMPETE SUR LE CANAL DE SUEZ

par Akram Belkaïd, Paris

Une petite semaine de blocage, et le commerce planétaire qui s’enrhume. Ces derniers jours, les médias du monde entier ont diffusé les images spectaculaires du navire «Ever Given» barrant la navigation dans le canal de Suez (193,3 km de long, 280 à 345 mètres de large et 22,5 mètres de profondeur moyenne). La raison de cet échouage est un violent coup de vent qui a déporté le porte-conteneurs de la compagnie Evergreen sur la berge. Résultat, près de six cents navires bloqués en amont et aval du canal, des commandes non honorées, des indemnités de retard et un casse-tête technique pour dégager le bateau. Ce n’est que lundi 29 mars que le trafic a pu reprendre.

Canal vital

Il est encore trop tôt pour chiffrer cet incident qui aura eu le mérite de rappeler l’importance commerciale et stratégique du canal de Suez par lequel transitent 10% du commerce mondial. Selon les premières estimations diffusées par la presse, le coût du blocage irait de 3 à 6 milliards de dollars. Dans ce genre de situation, le réflexe est de se demander si les armateurs ne vont pas désormais privilégier d’autres routes maritimes en doublant, par exemple, le Cap de Bonne-Espérance. La réponse est négative. Le fait est que le commerce mondial ne peut pas se passer du canal de Suez tout comme il ne peut faire l’impasse sur le canal de Panama.

Déjà, les autorités égyptiennes ont promis d’étudier les solutions pour empêcher que pareille mésaventure ne se reproduise. Pour Le Caire, le canal est d’abord un poumon économique grâce aux droits de passage perçus sur les quelque 19 000 navires qui l’empruntent chaque année. Il s’agit ainsi de la troisième source de revenus en devises avec un montant annuel moyen de 5,5 milliards de dollars. Mais le canal est aussi un enjeu stratégique car il confère à l’Égypte un rôle de gardienne du bon fonctionnement du commerce mondial ce qui a immanquablement des retombées en matière d’influence et de prestige internationaux. On ne surprendra personne en rappelant que cette zone est l’une des plus surveillées au monde dans un environnement régional connu pour son instabilité.

La mésaventure de l’«Ever Given» a permis de prendre la mesure de ce qu’est le commerce international d’aujourd’hui. Parmi les bateaux bloqués on a cité celui transportant des moutons pour les monarchies du Golfe, des meubles fabriqués en Chine à destination de l’Europe, des pièces d’automobiles expédiées d’une usine malaisienne pour un fabricant turc lequel, une fois le montage terminé se chargerait de renvoyer le tout vers un autre pays asiatique. Suivre les flux commerciaux basés sur la division internationale du travail n’est pas toujours simple.

Ouvrons ici une parenthèse à propos du transport d’animaux destinés aux monarchies du Golfe, notamment l’Arabie saoudite. Les contrôles sanitaires de ces pays étant très stricts, il n’est pas rare que les armateurs jettent à la mer une partie de la cargaison (quand elle est malade, par exemple). Résultat, les requins, déjà nombreux dans la mer Rouge, ont tendance à augmenter et à s’attaquer aux plongeurs des stations balnéaires égyptiennes du Sinaï. Fermons la parenthèse.

Ce que nous apprend aussi le blocage du canal, c’est que sa conception n’avait pas vraiment anticipé l’émergence de navires géants, de plus en plus massifs pour transporter des nombres croissants de «boîtes». Emblème de la mondialisation, le conteneur est aussi une contrainte croissante exigeant des bateaux toujours plus conséquents. Comme le disait le défunt urbaniste et essayiste Paul Virillo, là où croît la structure croît aussi le risque d’accident.