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A quoi sert une entreprise ? Le cas Danone

par Akram Belkaïd, Paris

Le patron responsable n’aura pas été durable. On pensait la crise réglée, il n’en était rien. Dimanche 14 mars, le conseil d’administration de Danone a décidé de mettre fin, avec «effet immédiat », aux fonctions d’Emmanuel Faber, le président directeur général (PDG) du géant agroalimentaire. Quelques jours auparavant, le groupe avait pourtant annoncé la création de deux postes séparés, président et directeur général, afin de calmer les actionnaires qui réclamaient la tête de Faber. Cela n’a pas suffi et ce limogeage a le mérite d’éclairer ce qu’est le monde de l’entreprise.

Fonds activistes

Rappelons qu’Emmanuel Faber détonnait dans le milieu des patrons. Proclamant ses convictions écologiques, critique acerbe des excès de la finance, il a souvent été présenté comme un patron «social et responsable ». Un PDG estimant que son entreprise n’avait pas qu’une seule mission, celle de faire du bénéfice, mais qu’elle se devait de remplir certains objectifs sociaux et sociétaux, notamment au niveau de la santé du consommateur. Au cours de la dernière décennie, la communication de Danone a beaucoup investi le créneau «responsable », s’attirant ainsi les critiques, ou les moqueries, de nombreux consommateurs qui n’y voyaient qu’une forme déguisée de communication hypocrite.

Or, c’est justement cet «engagement » (on met ce mot entre guillemets à dessein) qui a valu à Faber de se faire jeter dehors. En septembre dernier, un fonds londonien, Bluebell Capital, actionnaire de Danone, a critiqué la stratégie de l’entreprise. Quelques semaines plus tard, un autre fonds, Artisan Partners, monté à 3% du capital du groupe, répétait les mêmes critiques. Une démarche jugée inadmissible par Emmanuel Faber qui dénonçait alors l’action de ces fonds «activistes ».

Pour Bluebell Capital et Artisan Partners, une entreprise ne doit pas avoir d’autre but que celui de réaliser des bénéfices et d’en redistribuer une (large) part à ses actionnaires sous la forme de dividendes. Le sujet n’est pas nouveau. Dans les années 1990, quand soudain l’expression «création de valeur » (pour l’actionnaire) était dans toutes les bouches, les horizons des entreprises cotées en Bourse se résumaient à la nécessité de respecter le paiement de l’incontournable dividende. Pourtant, Danone n’est pas en mauvaise santé même si l’année 2020 a été difficile en raison du contexte sanitaire. Mais les fonds activistes estiment que plus d’argent aurait pu être versé aux actionnaires et que le cours de Bourse n’aurait jamais dû perdre 27% de sa valeur.

Déstabilisation

Cette affaire illustre bien la mentalité des fonds où le retour sur investissement et le court terme l’emportent sur tout. Mais cela serait un panorama incomplet car Danone a bel et bien été victime d’une opération ciblée. Il y a un an, Bluebell Capital et Artisan Partners n’étaient même pas présents dans le capital de Danone ou bien alors de manière marginale. En clair, ces «activistes » ont clairement identifié l’entreprise, profitant de sa mauvaise passe pour exiger des changements stratégiques. Et on peut prendre le pari : dans quelques mois, ces fonds s’en seront retirés. Pourquoi alors cette opération ? Les changements à la tête de Danone vont très certainement avoir un effet dopant sur le cours de Bourse. De quoi, pour les fonds, empocher une plus-value avant de repartir chasser d’autres entreprises susceptibles d’être ainsi déstabilisées. Autre enseignement : Danone est peut-être une entreprise française mais son avenir dépend désormais aussi de la finance anglo-saxonne.