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Acheter un tweet à 2 millions de dollars (pour juste se vanter)

par Akram Belkaïd, Paris

On n’arrête plus le progrès… Ces derniers jours, la Toile s’agite et s’émeut en raison de la mise aux enchères d’un tweet (message émis sur le réseau Twitter) dont la valeur dépasse d’ores et déjà les 2,5 millions de dollars. Il s’agit du premier tweet de l’histoire émis en 2006 par Jack Dorsey, le fondateur de ce réseau social désormais utilisé dans le monde entier ou presque.

Technologie de certification

Comment un message numérique, autrement dit virtuel, peut-il être «vendu» deux millions de dollars ? La réponse est liée à la technologie. Sans trop rentrer dans les détails, il faut savoir qu’il existe aujourd’hui des «certificateurs», des sites internet, qui délivrent une sorte de certificat d’authenticité à des «produits» numériques par le biais de ce que l’on appelle des «Non-Fungible Token» (NFT) ou «jetons non fongibles». Ces NFT affirment ainsi que le «bien» est authentique, infalsifiable et non modifiable.

Dans le cas du tweet de Jack Dorsey, cela signifie qu’il s’agit bien du premier message émis par l’intéressé et non pas une copie numérique, une captation d’écran ou toute autre duplication. Si l’on doit faire une comparaison avec l’art classique, on peut dresser le parallèle avec le tableau la Joconde de Léonard de Vinci dont il existe des millions de copies mais dont tout le monde sait que l’original se trouve au musée du Louvre à Paris.

Il faut se garder de penser que le mouvement est marginal. Depuis 2018, on ne compte plus les ventes records organisées par des maisons d’enchères et des galeries. Des textes, des vidéos, des compositions artistiques et même des GIF (Graphics Interchange Format ou format d’échange d’images) sont proposés et vendus à des prix qui défient parfois l’entendement. C’est le cas, par exemple, du même «Deal with it» vendu récemment à 22.000 dollars. On se souvient aussi que le «Portrait d’Edmond de Belamy» s’est vendu à 390.000 dollars en 2018.

Un droit à la vantardise

Les spécialistes de l’Internet sont catégoriques. Un nouveau type de marché de l’art est en train de naître. Le schéma serait le suivant : une création (exemple une vidéo ou des effets spéciaux), une certification par le biais d’un NFT et, ensuite, il n’y a plus qu’à espérer que le jeu du marché, des collectionneurs et autres spéculateurs prenne le relais. Il y a bien sûr une grande différence avec le marché traditionnel de l’art. Dans ce dernier, l’acheteur d’un tableau peut le cacher à la vue du reste du monde entier. Il peut aussi l’altérer, le modifier, voire même le détruire.

Dans le cas d’une œuvre numérique, le NFT ne donne qu’un droit d’appartenance mais en aucun cas de propriété totale. L’acheteur du tweet de Jack Dorsey pourra juste dire qu’il possède l’original sans autre possibilité : impossible de modifier «l’œuvre», de la taguer et encore moins de la détruire ou d’en empêcher la diffusion de copies. Ironiques, les médias évoquent déjà le «droit de se vanter» qui serait la seule satisfaction des acheteurs. Un droit à plusieurs centaines de milliers de dollars. Un peu onéreuse, la vantardise…