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Tous vertueux

par Brahim Chahed

« La beauté morale laisse un souvenir inoubliable à celui qui, même une fois, l'a contemplée. Elle nous touche plus que la beauté de la nature ou celle de la science. Elle donne à celui qui la possède un pouvoir étrange, inexplicable. Elle augmente la force de l'intelligence. Elle établit la paix entre les hommes.

Elle est, beaucoup plus que la science, l'art et la religion, la base de la civilisation ».

Alexis Carrel (1873-1944. Prix Nobel de physiologie ou médecine en 1912).

Avez-vous déjà eu l'impression de retrouver une force que vous croyiez perdu à jamais ? Vous êtes-vous déjà rendu compte, qu'au plus profond de vous-même, il y avait une énergie, que vous ne soupçonniez même pas, pour mener des combats que vous n'avez pas eu l'occasion, le temps ou le courage d'achever ou carrément d'engager ?

Qui d'entre nous, au cours de sa vie, n'a pas ressentie le besoin de renaître, de refaire, de mieux faire, à la rencontre d'une personne, à la lecture d'un livre ou d'un article ou simplement face à une situation de vie qui l'amène à penser, à réfléchir sur ce qu'il aurait pu faire autrement. Responsable mais pas coupable, d'avoir fait, d'avoir laissé faire, d'avoir péché par omission pour manque de courage ou pour manque de lucidité, peu importe, au moment où vous auriez dû agir, ou ne pas agir, vous ne l'avez pas fait. On ne naît pas qu'une fois. On naît, encore, une seconde fois, le jour où on découvre ce pourquoi on est né.

C'est cette possibilité qui nous est offerte d'être, à la fois, aujourd'hui et hier, c'est ce genre de mêmeté rendue possible grâce, notamment, à la mémoire qui nous fait vivre dans le passé tout aussi bien que dans le présent, et ce qui, au passage, nous permet de nous questionner sur notre état d'esprit, au moment où nous prenons nos décisions, sur nos intentions, au moment où nous faisons nos choix.

Au nom de quel miracle sommes-nous ce que nous sommes ? À partir de quelle trame nous prenons nos décisions, nous faisons nos choix?

Crise politique pour les uns, sociale pour les autres et enfin économique pour d'autres encore. Crise morale serait plus appropriée. Le Président vient de dissoudre l'Assemblée nationale, mettant fin ainsi au plus grand problème du moment : la légitimité des représentants du peuple. Les guerres de succession sont déjà lancées et les prétendants devront se soumettre aux dictat des Algériens. Alors sont-ils prêts à reconnaître qu'ils doivent changer de logiciel, qu'ils doivent suivre la morale des Algériens. La moralisation de la vie publique, la moralisation des affaires et la moralisation, tout court, de la vie des Algériens restent des sujets structurants.

Le malaise que nous vivons post hirak, est la résultante du décalage entre les espoirs légitimement permis et les réalisations en quelque sorte imposées. Il est dû à une transformation plus rapide des idéaux sociaux que celle des espaces de liberté. Nous sommes sortis d'une crise morale due à une organisation sociale totalement édifiée par la volonté d'un homme à une autre crise morale induite par la volonté de construire des conventions imposées, des règles de conduite qui édictent comment nous devons nous comporter, comment il faut agir et ou agir c'est obéir. Les affaires qui ont éclaboussé les plus hauts responsables du pays, les plus hautes autorités des plus vénérables institutions ont jeté un froid glacial sur la confiance, et l'élan incisé à rechercher l'illusion du pouvoir, du savoir et de la richesse, rétrograde la morale, bafoue les valeurs et envenime la contestation. Tout le monde reconnaîtra la responsabilité de tout le monde, personne n'étant exempt de tout reproche, ceux qui ont fait ont été soutenus par ceux qui ont laissé faire.

L'environnement où nous vivons contribue à notre socialisation et, étrangement, à notre autonomisation, mais l'homme n'est un être social que parce qu'il est en société, l'influence de cette dernière sur lui dépasse nettement ses capacités à la faire évoluer. Le devoir et le bien, d'une part, et l'épanouissement individuelle et la discipline, d'autre part, ne s'exclut pas mutuellement, ne sont nullement contradictoire, mais forment des unités de sens et des codes de conduite en société.

La morale se définit comme un corpus de règles et de valeurs qui permettent, par simple intuition, quelle qu'en soit notre éducation, de distinguer le bien du mal. Les normes morales sont des normes de l'idéal et, contrairement aux normes sociales, qui entraînent des contraintes et sont liées à la réprobation ou à l'approbation de la communauté, elles nous donnent des obligations non des contraintes. La contrainte nous est imposée, l'obligation suppose, quant à elle, le choix, et est une autocontrainte. Plus encore, les règles morales nous commandent d'autorité mais laissent une place importante au caractère de désirabilité. Nous n'obéissons pas aux règles morales juste parce que c'est une obligation, nous y obéissons parce que nous voulons le faire et nous le faisons parce qu'en le faisant nous nous sentons, nous nous rendons meilleurs.

La morale, c'est cette assurance, cette conviction profonde et de bonne foi, que ce qui va de soi pour moi, irait de soi pour les autres. C'est ce postulat, assez osé, il faut le reconnaître, que ce que je prends pour acquis, l'est pour les autres. Elle n'est ni un dogme ni un ensemble de valeurs constantes, il y a permanence ou rémanence de certaines de ses conceptions. Sans être objet de contestation par principe, elle doit toujours, à la fois, se renouveler, se poser en termes différents, réaménagés ou totalement neufs, et se refonder ou, au moins, s'assurer de la pertinence de son exigence.

Il ne peut y avoir de motif pour refuser, à titre individuel, des règles existantes que lorsque la morale en vigueur reste en retard sur les possibilités qu'ouvre l'évolution structurelle de la société. Dans ce cas, toute tentative de déconstruire l´illusion qui nous pousse à lui accorder une quelconque importance et toute rébellion ne témoignent pas, nécessairement, de refus, mais expriment un souhait de faire évoluer.

Questionner enfin la morale c'est examiner, avec conscience, nos actions, leurs buts et leurs impacts. Il est alors, à la fois, important et nécessaire de comprendre notre environnement, son évolution et ses grandes tendances. Ainsi la pensée libère la volonté et les phénomènes de sociétés, dont le hirak mais pas que, n'est pas regardé comme un étranger ou comme une menace, mais comme un moyen de réduire l'écart entre l'espoir et les possibilités, un mécanisme permettant de se rendre meilleur, de se rendre plus vertueux.