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Incertitudes pétrolières

par Akram Belkaïd, Paris

Au cours des prochaines semaines, si d’aventure la situation s’améliore, il y a fort à parier que les cours du pétrole connaîtront un nouveau coup de chaleur avec un baril qui pourrait aller au-delà de ses plafonds actuels et, pourquoi pas, toucher les 80 dollars. Mais on n’y est pas encore. Certes, ces derniers temps, nombre d’informations décrivent une situation de retour à la normale, c’est-à-dire d’avant la pandémie de Covid-19. La demande mondiale qui a chuté de 9% en 2020 est en train d’augmenter, les pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) s’en tiennent à leur discipline décidée au printemps dernier (en gros, 7 millions de barils ont été retirés de l’offre du Cartel) tandis que leurs partenaires de l’Opep-plus, dont la Russie, jouent le jeu de la limitation des pompages.

Année 2020 à oublier

Mais peut-on vraiment parler de retour durable à la normale ? Pour répondre à cette question, les experts insistent tous sur les perspectives à court terme, horizon où leurs projections divergent. Pour les uns, la crise sanitaire va durer et ne s’effacera que progressivement.

Cela ne permettra donc qu’une amélioration très lente pour le secteur pétrolier. En clair, pas de boom immédiat de la demande à prévoir.

Pour les autres, il faut d’ores et déjà anticiper une «période folle» où l’économie mondiale redémarrerait en force portée par l’euphorie générale de l’après-pandémie. Un scénario qui ressemblerait à celui des années 1920 (après-guerre et après-épidémie de grippe espagnole). De quoi faire oublier l’exercice 2020 où les cinq compagnies majeures, les «majors» (BP, Chevron, Exxon, Shell et Total), ont cumulé 77,1 milliards de dollars de pertes (dont 20 milliards respectifs pour BP et Exxon). Un chiffre à comparer avec les 49 milliards de dollars de bénéfices enregistrés par ces cinq compagnies en 2019.

Mais tout cela ne concerne que le court terme. Pour un horizon plus lointain, le discours demeure le même : pessimiste. Ainsi, le dernier rapport de l’Agence internationale de l’Energie (AIE) table-t-il sur un retour à la normale dès 2022 mais avertit aussi que la demande mondiale n’est pas extensible à l’infini et qu’elle a pratiquement atteint un palier. Autrement dit, cette demande est programmée pour refluer tôt ou tard au bénéfice d’autres énergies dont les renouvelables. Cela est désormais admis par BP et Total. Plus récemment, c’est Shell qui a fait savoir que son activité va tendre vers la neutralité carbone en 2050, ce qui signifie que l’essentiel de son activité sera alors orienté vers d’autres secteurs que les hydrocarbures.

Baisse des investissements

On attend qu’Exxon, souvent qualifiée de compagnie pétrolière la plus arrogante, se range aussi à la nouvelle doctrine : décarbonation, lutte contre le réchauffement climatique et investissements dans les énergies nouvelles. Car l’un des enseignements majeurs de cette crise engendrée par le Covid-19 aura été que les compagnies pétrolières ont décidé de diminuer leurs investissements pour compenser leurs pertes. Chose importante, quatre sur cinq de ces majors ont gardé le cap en matière d’énergies non-renouvelables, projets moins gourmands en carbone. Les investissements différés ou annulés concernaient la plupart du temps la recherche et l’exploration de gisements d’or noir. La conclusion est simple : le vingt-et-unième siècle sera celui des énergies renouvelables, c’est désormais une évidence.