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La saga des tontons flingueurs de 1999 à 2020

par Omar Chaalal*

La culture de l'échec reflète la mauvaise gestion du capital humain.

A vrai dire, celles et ceux qui nous disent de «travailler dur», de «prendre des risques» et de «croire en nous», car c'est ce qui a marché pour eux, viennent souvent de milieux aisés ou des clans qui profitent des avantages des tontons flingueurs. Ils n'ont jamais été acculés, mis en état d'infériorité, soumis à des manœuvres hostiles et dégradantes pendant une longue période. Ils ignorent le harcèlement moral dans la fonction publique.

La culture de l'échec est celle où les citoyens se retrouvent chômeurs pendant une longue période, endettés jusqu'au cou et terminent parfois sans toit dans la rue. Des millions d'Algériens dans les zones d'ombre et les zones reculées dans le pays expérimentent cette culture tous les jours. Monsieur Tebboune est conscient de cette situation et il a bien exprimé son mécontentement de la gestion de certains dossiers.

Après cette courte introduction, je continue cette contribution par un commentaire du film les Tontons flingueurs : certains obtiennent le plus haut poste dans leur entreprise parce qu'ils ont fait pression, ou des courbettes, pendant des années. D'autres en héritent. Ce qui n'est pas forcément un cadeau. Fernand devient le chef malgré lui, pour rendre service à un ami. Il ne reprend pas la compagnie dans son propre intérêt mais pour la noble cause : que Patricia ne finisse pas sur le trottoir comme le craignait Louis. C'est donc tout à son honneur. Fernand est l'élu (cf. Matrix). Il a été choisi, il n'a pas choisi. Ce qui veut dire qu'il n'a pas non plus choisi ses hommes». Ce commentaire nous fait penser à la gouvernance de Bouteflika qui simule parfaitement ce film.

La vérité est le procédé par lequel une société estime pouvoir séparer tout ce qui est socialement acceptable de ce qui ne l'est pas. Par ce procédé, elle s'attend à ce que tout ce qui a été jugé faux ne puisse faire l'objet d'indifférence ou d'hostilité. L'Histoire est là pour jouer le rôle d'arbitre. Il est nécessaire de rappeler qu'il est très difficile pour l'Histoire de jouer ce rôle quand elle utilise la démagogie et le mensonge politique dans ces récits. Par définition, la démagogie est la politique qui profite des sentiments du peuple et met en danger le « vivre ensemble » dans une société multiculturelle comme la nôtre.

Au Sénat comme à l'Assemblée populaire, certains élus ne nous mentent pas et ne nous disent pas la vérité. Ils tiennent la canne au juste milieu et ne sont pas clairs dans leurs débats. C'est ce mode de communication archaïque que nous appelons mensonge politique. Chez ces élus, ne pas dire la vérité au peuple est l'art qui justifie leur longévité dans le système. Et pourtant, dès leur bas âge, leurs parents leur ont enseigné que le mensonge est un vilain défaut, que mentir « n'est pas bien » parce qu'ils trompent les gens qui leur ont fait confiance.

Ces deux grands lieux, Sénat et Assemblée, illustrent par excellence le club des démagogues. Ce club mystérieux est peuplé d'acteurs spécialistes dans l'improvisation politique. Hélas ! les simplets et les naïfs prennent ces acteurs pour des honnêtes et des sérieux. Jour par jour, heure par heure, minute par minute, seconde par seconde, des flots de mensonges débordent de ce lieu et se déversent sur notre environnement. Hélas ! le progrès technologique de l'information est mis au service de cette démagogie séparatrice.

Personne ne peut nier que notre société baigne dans le mensonge, respire le mensonge et se nourrit au mensonge à tout instant. Un message sur Tweeter provenant d'un sympathisant des tontons nous annonce le décès du chef. Un autre message sur Fakebook corrige l'information et annonce la mort du voisin du chef. Une autre correction sur Facebook annonce que le chef est en bonne santé d'après les dires de son voisin supposé décédé dans le message Fakebook. Enfin, la télévision Chouf-Khouk News joint l'utile au non agréable après la diffusion du film -les Tontons flingueurs-, et annonce que l'importation des véhicules de moins de trois ans, approuvée par les tontons, est provisoirement gelée à cause du décès d'un chien errant dans l'ouest du pays. Tout est un tout dans un tout d'après les rumeurs du député toutou qui a cadenassé la rentrée de l'APN.

De 2007 à 2020, les tontons flingueurs ont gouverné le pays par la baraka de Cheikh Bibite de Djelfa. La corruption dans leur gouvernance était un geste auguste très honorable. Tout le monde en parle et personne ne réagit ! Une leçon à tirer de l'expérience tragique des tontons consiste à ne pas s'endormir sur des illusions imagées sur vos petits écrans. Dieu merci ! l'engrenage du hirak a broyé le nihilisme défaitiste des tontons flingueurs. Aujourd'hui, ils ne peuvent ni démobiliser la volonté du peuple ni retourner au pouvoir illusionniste du post-hirak. En plus clair, les mensonges des Tontons flingueurs ne peuvent plus nourrir le peuple.

Si nous croyons à la nouvelle Algérie et l'Etat de droit dont le Président Tebboune parle, nous devons crier tout haut : fini le règne du « pour qui travaillez-vous? ». Fini le temps des courbettes de Hamou le brosseur et Dekiche le masseur. Fini la quête de la satisfaction immédiate des bouffons qui entourent et applaudissent l'absurdité. Fini les trumperies ou tromperies de l'ancien gang. L'ère du président cadre est un chapitre honteux dans l'histoire de l'Algérie contemporaine.

Nous ne pouvons plus nous tourner vers le passé et regarder d'un œil accablé le spectacle désespérant du mal bouteflikien, un mal qui a pris différentes couleurs, dont la figure extrême de l'absolutisme. A cette époque, la myopie du pouvoir a affecté la capacité du citoyen de pouvoir imaginer la représentation de l'avenir de ses enfants. Dans cette époque, le silence et l'absence de créativité chez la classe élite ont obligé le citoyen lambda et le citoyen allah-ghaleb à se soumettre à la tyrannie de dirigeants occultes et invisibles. Le vide politique et le désordre administratif ont déboussolé le peuple et l'ont obligé à chercher des repères identitaires chez l'ancien colon.

Durant l'ère de décadence, un arsenal d'écrans plasma était le vecteur des idées séparatrices des tontons flingueurs amis de la France. Aujourd'hui, ces écrans provoquent des questions proportionnelles à la qualité des débats politiques qu'ils diffusent. Ils n'ont jamais mystifié autant que de nos jours. Ni abusé d'une manière aussi impudente, organisée et constante. Certains nous disent qu'il n'est rien, que le mensonge politique sur écran est aussi vieux que certains tontons sénateurs nommés par fakhamatouhou. Tout le monde sait que les tontons flingueurs étaient ministres, membres des comités centraux de partis, ambassadeurs et applaudisseurs du cadre président. Aujourd'hui, certains de ces flingueurs ont la face en bronze et sans amollissants. Quelle honte ! Au lieu de partir à la retraite à l'âge de 90 ans, ils finissent par être sénateurs dans leurs tombes. Ils se sont soudés et se sont boulonnés au fauteuil des avantages du système pour ne plus bouger.

Pour illustrer la politique désolante de l'ère Bouteflika, j'utilise une anecdote politique. Un ministre en visite dans une région démunie entre dans un foyer culturel géré par un groupe de jeunes. Très satisfait par la propreté du lieu, des travaux effectués et de l'enthousiasme de ces jeunes, il remarque que le grand écran de la télévision était doté d'essuie-glaces. Curieux, il demande aux jeunes du foyer pourquoi ils ont placé ces essuie-glaces. Les jeunes répondent: les essuie-glaces jouent un rôle important en matière de sécurité politique; ils garantissent une bonne visibilité lorsque les conditions météorologiques se dégradent.

Les essuie-glaces ont constamment évolué pour améliorer l'essuyage du pare-brise et diminuer les interventions du conducteur. Emporté par son abus d'autorité, monsieur le ministre ordonne au jeune responsable du foyer de supprimer ces essuie-glaces et lui affirme que cette innovation ne sera jamais appréciée par Son Excellence Monsieur Milouin, le ministre de la Culture. Sans doute, il va vous prendre pour des zinzins car la télévision n'est pas une voiture. Il ajoute, la pluie dans un film ne mouille jamais l'écran ! Le jeune lui répond poliment. Je vais défaire ces bras mouvants mais vous ne m'avez pas demandé la vraie utilité de cette innovation. Le ministre hoche sa tête et dit expliquez-moi alors son utilité. Le jeune répond : ce ne sont pas des essuie-glaces, on les appelle des chasse-crachats. Ils fonctionnent comme des chasse-neige. Les jeunes crachent sur l'écran quand ils voient certaines personnes non aimées par la société occuper l'écran pendant une longue durée. Je vous informe que l'écran de crachat donne un flou épais qui cache ces non-voulus et leurs délires politiques. C'est la seule raison qui m'a poussé à inventer cet appareil. Cette innovation mérite un brevet !

En conclusion : après l'intervention de ce ministre, les jeunes ont changé de tactique. Ils sont attirés par les réseaux sociaux. Faible coût, large portée, ciblage de masse, déséquilibre du contenu et liberté momentanée. Cette communication gratuite permet aux jeunes de démystifier les secrets des tontons. Certains jeunes savent que l'impact des réseaux sociaux amplifie le moindre dysfonctionnement. En contracte, la masse silencieuse est amorphe et ne propose aucune solution. La classe dite intellect se laisse dominer par le sentiment du «tous pourris». Elle pense que le changement du pourri donne un nouveau pourri. Elle croise les bras et attend un changement descendre du ciel. C'est cette culture de défaite qui a laissé le médiocre et le corrompu arriver au somment du pouvoir et occuper le devant de la scène. J'ai lu quelque part que quand la classe d'élite est léthargique et accepte le fait accompli, la démocratie rêvée par les peuples devient paradoxalement un compost pour le triomphe de médiocrité. Alors, espérons que l'avenir de l'Algérie nouvelle qui s'ouvre devant nos jeunes sera calme, florissant et glorieux.

*Dr