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Les leçons du confinement anglais

par Mohamed El-Erian*

CAMBRIDGE - Lors de sa dernière mise en garde, le Premier ministre britannique Boris Johnson a expliqué que la levée du troisième confinement que traverse actuellement l'Angleterre ne ressemblerait pas à un grand " Sésame, ouvre-toi !", malgré la baisse des infections et les progrès encourageants du programme de vaccination du pays contre la COVID-19. Pour quiconque se tient informé des dynamiques profondes du virus, une déclaration de ce type n'a rien de surprenant. Alors pourquoi le gouvernement Johnson n'a-t-il pas adopté cette approche lors des deux premiers confinements du pays ?

Si une part de la population persiste à rejeter la faute sur les faux pas du gouvernement, l'explication est pourtant plus complexe. Elle comporte également des leçons importantes qu'il nous faudra tirer si nous voulons mieux gérer les prochaines crises.

Après son premier confinement initial au printemps dernier, l'Angleterre a soumis les interactions sociales à un coup de frein brutal et puissant, ce qui a considérablement porté tort à l'économie. Le gouvernement britannique a tenu à redynamiser les secteurs les plus durement touchés. Par exemple, les pouvoirs publics ont mis sur pied un programme 'Eat Out to Help Out' (manger dehors pour donner un coup de main), qui proposait des réductions sur les repas dans les restaurants, les pubs et les cafés durant le mois d'août. Bien que le gouvernement ait été moins permissif au terme du deuxième confinement au mois de décembre, il a permis dans une certaine mesure le retour des interactions sociales et économiques et a assoupli davantage les restrictions dans la plus grande partie du pays à Noël.

Dans les deux cas, le gouvernement a dû par la suite réduire toute activité de façon drastique quand les infections à la COVID-19 et les hospitalisations ont repris. Les efforts provisoires visant à développer une approche de compromis par le biais d'un " système à plusieurs niveaux" de restrictions différenciés au niveau régional se sont avérés problématiques - en particulier parce qu'il a été difficile de limiter la circulation des personnes. S'ensuivit une période durant laquelle les parties prenantes n'ont pas manqué de se renvoyer la balle, et où bon nombre d'entre elles se sont inquiétées dès le départ des changements fréquents dans la politique du gouvernement et des messages inévitablement confus qui en ont découlé.

Mais depuis que Johnson a imposé un troisième confinement le 5 janvier, le gouvernement a signalé à plusieurs reprises que malgré la nature révolutionnaire de la distribution de vaccins, la sortie de crise sera progressive, lente et sujette à de nombreuses évaluations fondées sur des données scientifiques prouvées. De la réouverture des écoles à la reprise du commerce normal, le gouvernement gère les attentes de façon cohérente et prudente.

La meilleure explication de la manière dont le gouvernement est arrivé à son approche actuelle se fonde sur les déficits d'information, les méthodologies d'analyse de risque, la mauvaise estimation des ordres de priorité, les tendances comportementales et le désir politique (et humain) d'interventions rapides.

En matière d'informations, les efforts considérables déployés par les scientifiques et les professionnels de santé au cours de l'année écoulée ont considérablement approfondi notre compréhension de la COVID-19 et du virus SRAS-COV-2 qui en est la cause. Cela a permis aux mesures de restriction de subir une évolution de facto, avec un simple encadrement "on-off " qui a cédé la place à la gestion de " budgets de risque."

Ces connaissances se sont avérées utiles dans la transition entre la fin du premier confinement et la fin du deuxième confinement. Par exemple, elles ont permis aux décideurs de mieux saisir les enjeux des compromis les obligeant à garder les écoles ouvertes (une priorité absolue, étant donné que les fermetures d'établissements scolaires représentent des menaces très inégalitaires vis à vis du niveau d'éducation) plutôt que les bars et les restaurants. Plus récemment, elles nous ont aidé à mieux comprendre de quelle manière les nouveaux variants du coronavirus, plus contagieux, réduisent considérablement le budget global de risque de la société, lorsqu'il s'est agi d'équilibrer les facteurs de santé publique, avec ceux de la reprise des interactions économiques et sociales et du respect des droits et libertés des individus.

La mauvaise estimation des ordres de priorité a également dû jouer un rôle. La non-viabilité des premières approches de réouverture du gouvernement britannique a été aggravée par l'absence de progrès suffisants sur les mesures clés de réponse à une pandémie telles que les tests, le suivi et l'isolement à domicile. Les faibles taux d'infection atteints à un coût considérable au cours des deux premiers confinements n'ont donc pas pu être maintenus, ce qui a rapidement remis la pression sur les hôpitaux et les professionnels de santé.

On a souvent pu entendre qu'un leadership indécis avait aggravé les volte-face politiques qui ont fait suite à cette situation. Mais les revirements doivent en fait beaucoup aux pièges comportementaux classiques qui sont particulièrement dangereux en période d'incertitude extrême.

L'inertie dans les délibérations apparaît souvent lors des phases initiales d'une situation très fluide, tout comme la grande tentation qui en découle de simplement revenir rapidement aux zones de confort antécédentes. Les biais d'omission ou d'optimisme augmentent les difficultés, surtout si la formulation globale est partielle - comme ce fut le cas avec la doctrine simpliste " vies versus moyens de subsistance" qui a initialement dominé une grande partie du débat mondial sur le confinement. La révérence de Johnson pour les droits individuels a peut-être également contribué à des réouvertures trop rapides. Le dernier facteur, largement inévitable, a été la politique du court terme. Cela a déclenché à plusieurs reprises les mesures de nombreux gouvernements qui doivent s'appliquer au fil du temps, notamment les réformes structurelles essentielles dont les avantages importants à long terme sont souvent précédés de coûts d'ajustement à court terme.

La forte tentation compréhensible des politiciens, qui les pousse à rechercher des victoires anticipées, les contraint souvent à annoncer de façon prématurée qu'ils ont accompli leur mission. Lorsque le président américain George W. Bush a annoncé le 1er mai 2003, à grand renfort de publicité, à bord de l'USS Abraham Lincoln, que les États-Unis avaient achevé leurs grandes opérations de combat en Irak, les hostilités étaient en fait loin d'être terminées.

Il est en effet très difficile de prendre de bonnes décisions en temps de crise et en période d'incertitude extrême. Plutôt qu'une approche par grand chambardement, il faut user plutôt d'un certain nombre d'itérations et de réactions à mi-parcours en réponse aux évolutions rapides constatées sur le terrain. Le profond désir d'éviter toute sorte d'erreur s'avère bien souvent difficile à satisfaire. Dans le même temps, ceux qui souffrent de la crise sont confrontés à un certain nombre de défis, dont l'inévitable " lassitude face aux réglementations".

La réponse évolutive du Royaume-Uni à la pandémie de COVID-19 suit un modèle observé lors de plusieurs crises précédentes dans le monde. Elle souligne la nécessité de maintenir un état d'esprit ouvert, de réfléchir de manière analytique en termes de budgets de risque, de faire la distinction entre erreurs récupérables et erreurs irrécupérables et de prendre des mesures actives dès les premières étapes pour minimiser les pièges comportementaux courants. Plus nous prendrons note de ces problèmes en temps réel, plus nous aurons l'occasion d'améliorer nos approches de gestion de crise à l'avenir.



*Conseiller économique en chef chez Allianz et président du Queens' College de Cambridge, ancien président du Conseil de développement mondial du président américain Barack Obama - Il a publié dernièrement The Only Game in Town: Central Banks, Instability, and Avoiding the Next Collapse.