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Tribune - De Gaulle peut-il être un personnage passerelle entre la France et l'Algérie ?

par Emmanuel Alcaraz*

Telle est la thèse qui pourrait être celle du Président Macron pour œuvrer à la réconciliation entre le peuple français et le peuple algérien. Les arguments sont séduisants. De Gaulle est le dirigeant qui a reconnu le droit à l'autodétermination du peuple algérien le 16 septembre 1959 et qui a ouvert les négociations menant à l'indépendance de l'Algérie. Sa position en a fait la cible numéro un de l'OAS. Pour autant, c'est la lutte du peuple algérien qui a permis d'arracher l'indépendance. En 1958, De Gaulle est bien l'ordonnateur du plan de Constantine et des opérations Challe en 1959. C'est suite à l'intransigeance du peuple algérien et à l'hostilité des Européens d'Algérie à l'égard de sa politique qu'il a peu à peu changé de position, l'association entre l'Algérie et la France dans le cadre de l'Union française ayant eu sa préférence jusqu'au 16 septembre 1959. Les manifestations de décembre 1960, à l'occasion de sa venue en Algérie, ont été une étape décisive dans son évolution même si De Gaulle voulait conserver le Sahara à la France pour l'exploitation des hydrocarbures et les essais nucléaires qui se sont d'ailleurs poursuivis après 1962. Il s'est heurté à l'intransigeance des responsables du FLN, aussi sourcilleux que lui sur la question de la souveraineté nationale.

S'il s'est résolu à l'indépendance, c'est aussi au nom de la Realpolitik, pour défendre l'intérêt national et non par générosité pour que l'Algérie ne soit plus un fardeau pour sa politique de modernisation et d'indépendance nationale de la France. Son rejet de la politique de l'intégration s'explique également par sa volonté de préserver l'identité européenne et chrétienne de la France.

Dans son livre C'était De Gaulle, son ministre Alain Peyrefitte rapporte les propos du général : « Si nous faisions l'intégration, si tous les Arabes et Berbères d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie est tellement plus élevé ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-deux-Eglises, mais Colombey-les-deux-Mosquées ! »

Hormis son rejet du multiculturalisme, son changement de position a été dicté par le pragmatisme et a créé une guerre civile en France alimentant la rancœur d'une partie des officiers de carrière, des Européens d'Algérie, qui avaient soutenu son retour au pouvoir, et des harkis, qui ont été abandonnés par la France. En fait, le général aurait certainement rêvé de faire de l'Algérie une succursale de la Françafrique, une néo-colonie, un Etat-client solidement arrimé à l'Etat-patron français par le biais des réseaux de Jacques Foccart, le secrétaire général aux affaires africaines et malgaches qui occupait une position clé dans le mouvement gaulliste en alliant le formel et l'informel. Il est difficile dans ces conditions d'en faire une grande figure du tiers-monde ayant encouragé une troisième voie entre les Etats-Unis et l'URSS. Le général De Gaulle demeure également associé à des épisodes de la répression coloniale même s'il n'était pas le seul acteur décisionnaire. Il est le président du Conseil au moment du 8 Mai 1945. Son préfet de police, Maurice Papon, a été l'organisateur du massacre du 17 Octobre 1961. Il paraît improbable que des statues et des lieux de mémoire dédiés au général fassent leur apparition à Alger. Si on cherche des grandes figures pouvant servir de passerelle entre la France et l'Algérie, les noms du général Jacques Pâris de Bollardière, compagnon de la libération, seul officier supérieur à avoir refusé la torture pendant la guerre d'Algérie, de l'écrivain Mouloud Feraoun et de ses compagnons, inspecteurs de l'éducation nationale assassinés par l'OAS, de Maurice Audin, dont les circonstances de la mort ont été reconnues par le Président Macron et de Michel Rocard, qui a dénoncé les camps d'internement de la France en Algérie, paraissent plus indiqués, chacun à leur manière, ces personnages peuvent incarner l'esprit français des Lumières, tout comme le dreyfusard Georges Clemenceau qui avait condamné les positions coloniales de Jules Ferry à la fin du XIXe siècle, celui même qui invoquait les devoirs des « races supérieures » à l'égard des « races inférieures ».

En France, indéniablement, si on fait fi de l'épisode algérien qui ne peut être porté à la gloire d'aucun responsable politique français important de cette époque, De Gaulle est un des derniers grands hommes d'Etat français du XXe siècle. Il demeure l'homme du 18 juin, celui qui a refusé la honte de la collaboration et de l'occupation, tout comme Churchill est celui qui a guidé le peuple britannique dans la tempête. Mais, l'usure du pouvoir n'épargne personne. En mai 1968, la jeunesse française ne s'est plus reconnue dans le grand homme même si les enfants de mai 1968 se sont davantage révoltés contre leurs parents, dont la plupart qui n'avait pas eu le comportement attendu lors de la Seconde Guerre mondiale. Leur rébellion contre la guerre du Vietnam n'est-elle pas l'expression d'un désir de racheter le comportement de leurs aînés face à la politique coloniale de la France ? Un an plus tard, le général démissionnait. Dans la mémoire nationale française, il demeure associé au rêve français de retrouver une grandeur perdue lors de la défaite de 1940 et dans les guerres coloniales.

Docteur en histoire*