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La formation médicale continue à l'heure de «Zoom»

par Bouchikhi Nourredine*

La pandémie du Covid-19 s'est immiscée dans presque tous les domaines de la vie sociale et professionnelle et à ce titre la formation médicale n'y a pas échappé non plus ; au point que le titre de cette contribution pourrait être aussi « La formation médicale continue à l?heure du Covid-19 ».

L'épidémie a donc imposé ses propres règles ; jusqu'à il n'y pas longtemps, assurer la continuité de la formation médicale se résumait surtout dans l'organisation de séminaires, congrès ou journées, ce qui exigeait toute une logistique de la part des organisateurs ou bien des participants.

Organiser de tels évènements à l'échelle nationale demandait d'assurer préalablement pour une date décidée un lieu qui dans la plupart du temps en absence presque totale de palais de congrès une structure qui devait être présente dans tous les chefs de wilaya et, excepté pour quelques grandes villes, était souvent une salle de conférences au niveau d'hôtels qui disposaient de moyens adaptés, des espaces capables de réunir des centaines de personnes, du matériel audiovisuel et surtout la capacité d'assurer sur place les repas et l'hébergement; l'organisateur devait aussi disposer des autorisations nécessaires et bien sûr de devoir assurer une prise en charge correcte des communicants à commencer par leur transport en réservant bien à l'avance les billets d'avion pour les plus éloignés et les étrangers pour lesquels il fallait se plier en deux pour trouver les plages horaires qui les arrangeaient car certains très sollicités ont des agendas bien remplis par ailleurs, sans omettre de faire le nécessaire pour que les Européens puissent obtenir le visa d'entrée en Algérie en leur fournissant les pièces justificatives à temps tout en assurant bien sûr pour beaucoup d'entre eux une rémunération en monnaie convertible. Pour les participants aussi cela exigeait une programmation à l'avance avec souvent l'obligation de s'absenter pour les praticiens du secteur public ou de fermer son cabinet pour les médecins libéraux surtout quand les événements scientifiques sont organisés durant des jours ouvrables, ce qui est particulièrement vrai quand les orateurs sont des étrangers et ne souhaitent répondre aux sollicitations que durant leurs weekends qui ne correspondent pas aux nôtres, il fallait aussi veiller à réserver bien à l'avance sa chambre d'hôtel et éventuellement son billet d'avion pour les participants venant de l'intérieur du pays ; la majorité des évènements d'ampleur se déroulaient à Alger ; des dépenses obligatoires auxquels s'ajoutaient les frais d'inscription et autres frais fixes d'autant plus qu'il n'existe aucun mécanisme compensatoire qui prend en charge une partie ou la totalité de ces dépenses, particulièrement pour les médecins exerçant à titre privé la formation médicale étant une obligation éthique et réglementaire ; les praticiens du secteur public peuvent bénéficier des budgets de la formation continue de même que leurs absences sont rémunérées selon les textes en vigueur. Mais quand il s'agit d'assister à un congrès international à l'étranger c'est une autre paire de manches ; le chemin de croix commence d'abord par l'inscription dont le montant en devises n'est plus à la portée de tout le monde et ne cesse de grimper d'année en année au point que certaines manifestations de renommée en absence d'une prise en charge d'un sponsor sont devenues tout simplement inabordables, le billet d'avion que tout le monde juge déjà cher par rapport aux normes internationales et que la compagnie nationale n'a jamais fait un effort à l'instar de ce qui est d'usage partout en octroyant des ristournes ou coupons de réduction pour les voyageurs s'y rendant à des manifestations scientifiques, les frais d'hébergement qui représentent une lourde charge au vu de la maigre somme en devises autorisée à l'échange et qui ne peut couvrir au mieux qu'une seule nuitée d'hôtel font qu'un budget conséquent est nécessaire pour pouvoir assister à un congrès et bien sûr sans compter le manque à gagner avec la fermeture des cabinets, sachant que ces congrès sont organisés comme cela est cité plus haut durant des jours ouvrables pour nous Algériens qui sommes à vrai dire presque les seuls à être lésés étant donné que même les pays voisins ont leurs weekends calqués sur les weekends européens.

Et toute cette trajectoire semée d'embûches est insuffisante pour avoir la chance de participer à un congrès à l'étranger en absence d'un visa Schengen dont l'octroi était devenu de plus en plus difficile et aléatoire même pour des cadres qui disposent de toutes les garanties et dont beaucoup étaient invités par des entreprises surtout françaises partenaires et qui se sont vu en fin de compte refuser le fameux sésame de façon incompréhensible. Pour dire toutes les difficultés rencontrées pour pouvoir assister à un congrès ou bénéficier d'une formation ; le transfert technologique ou du savoir est devenu un long et onéreux parcours du combattant.

Et voilà qu'émerge l'épidémie du Covid-19 qui a chamboulé toutes les habitudes et us ; les sociétés savantes se sont retrouvées dans l'obligation de s'adapter à cette nouvelle réalité qui fait que la majorité des frontières se sont fermées avec interruption de la quasi-totalité des vols internationaux, les exigences de distanciation et le risque de contagion n'autorisent plus la présence en nombre de participants dans des lieux clos et c'est dans la même optique que beaucoup d'entreprises et d'administrations se sont tournées vers le télétravail qu'il fallait donc aussi adopter d'autres solutions pour que les associations de formation médicale puissent continuer à activer.

Et c'est ainsi que sortirent de l'anonymat des plates-formes en ligne qui permettent d'organiser des congrès virtuels. Nous citons quelques-unes : Google Meet, Viber, Cisco, Skype. Mais la plus connue et la plus utilisée est la plate-forme « Zoom » une application qui, moyennant un abonnement dont le montant est variable selon le nombre de connexions permises, leur durée et d'autres options, s'est imposée en peu de temps comme moyen de continuer autrement à assurer des cycles de formation en balayant la quasi-totalité des obstacles rencontrés lors de l'organisation de manifestations en présentiel ; son seul inconvénient si cela peut en être un est qu'elle ne puisse permettre les rencontres chaleureuses et enrichissantes physiques entre amis et collègues ; mais sinon nul besoin de se déplacer, de s'absenter ou d'emprunter le chemin coûteux et périlleux pour avoir un visa, un billet d'avion et une chambre d'hôtel ; les conférences peuvent être suivies comme l'exhibe si bien avec sarcasme un site de formation en ligne qui fait la promotion pour la participation à une journée scientifique « vous serez au chaud dans vos pantoufles et pyjama, et si vous baillez votre voisin ne vous regardera pas d'un air goguenard, vous ne ferez pas la queue au moment de la pause et du déjeuner? et tout ceci pour un prix d'inscription très nettement diminué par rapport à un congrès classique ». Voilà donc tout ou presque est résumé dans ces quelques phrases légères et pleines d'humour mais pas du tout loin de la réalité.

Nous pouvons encore ajouter que les participants, surtout les plus timides d'entre eux, impressionnés d'habitude par la foule et le contexte ou même la maîtrise de la langue peuvent facilement poser leurs questions par écrit rassurées par l'anonymat impossible à obtenir lors des séances présentielles.

Mais Zoom a aussi fait le bonheur des sponsors représentés exclusivement par des laboratoires qui ont trouvé là une alternative nettement moins coûteuse par rapport aux dépenses qu'exigeaient la promotion de leurs produits lors des visites médicales des délégués ou bien les prises en charge totales des médecins pour assister à des congrès à l'étranger ; le budget alloué donc à la promotion se trouve maintenant dérisoire par rapport aux sommes engagées auparavant et sans pour autant que cela empiète sur la poursuite de leur activité peu impactée par la pandémie virale comparativement aux autres secteurs économiques, car faisant partie du créneau de la santé qui reste une priorité dans la politique de l'Etat.

Tous les laboratoires ont opté pour ce choix au point que les médecins ne savent plus où donner de la tête tellement les webinaires (autre néologisme imposé par le Covid19 et qui consiste dans l'organisation de conférences en ligne à travers les plateformes citées ci-dessus) ont foisonné car organisés souvent les mêmes jours et aux mêmes horaires ! Ce qui rend difficile d'opter pour un choix.

Et devant cette pléthore d'offres de partenaires privés on déplore là aussi l'absence des institutions publiques qui disposent pourtant de budgets et de la logistique dédiés à la formation continue mais dont ils ne savent apparemment point quoi en faire, délaissant complètement le champ de la formation en ligne !

Mais Zoom et consorts n'ont pas fait que des heureux ; les associations de formation continue de même que les sociétés savantes se sont retrouvées à court de budget pour poursuivre leur activité même virtuelle, la plupart sont en stand-by ; les laboratoires habituellement pourvoyeurs exclusifs de fonds ont pour la majorité d'entre eux trouvé dans les formations en ligne la parade pour s'abstenir d'apporter leurs contributions habituelles pour le maintien en vie des associations qui ne peuvent compter donc sur aucun soutien y compris celui de l'Etat ; certains laboratoires ayant même pris des engagements se sont dérobés à la faveur de cette épidémie faisant prévaloir en fin de compte leurs seuls intérêts.

Et sans se tromper même si on viendra à bout de cette épidémie ces plateformes menaceront dorénavant le secteur du tourisme scientifique ; les acteurs classiques vont devoir en pâtir avec ces nouveaux concurrents arrivés inopinément tels que le secteur du transport aérien surtout, l'hôtellerie et la restauration et les loisirs qui vont avec, c'est donc en somme l'évènementiel en général qui accusera le mauvais coup ; d'ailleurs cela pourrait bien mettre dans la tourmente des secteurs stratégiques de plusieurs pays dont le celui du tourisme et des services qui tiraient les dividendes de l'organisation à longueur d'année de manifestations « scientifiques » tous azimuts dont certaines n'ont de scientifique que le nom et nombreuses sont les sociétés scientifiques ayant pignon sur rue à l'étranger et notamment en France qui ne pouvaient survivre que grâce à la contribution de médecins du Maghreb et de l'Afrique francophone ont tiré l'alarme appelant avec insistance les professionnels à y adhérer et à participer aux événements qu'elles organisent en ligne moyennant des frais d'inscription que la plupart ne peuvent se permettre en raison des difficultés de règlement ou bien de sommes prohibitives ainsi que de la disponibilité d'alternatives gratuites.

Les laboratoires qui constituent les principaux clients peuvent alors se passer de ces services coûteux pour organiser directement et à moindre frais des événements scientifiques sans devoir avoir recours aux intermédiaires et autres prestataires.

Reste que pour bénéficier pleinement des possibilités qu'offrent ces plateformes est la condition de disposer d'une bonne connexion internet stable et rapide et de pouvoir contracter des abonnements aux plates-formes utilisées dans la formation en ligne en monnaie nationale sans être contraint à toute une gymnastique fastidieuse pour y accéder ; mais ceci est une autre histoire !

Jamais donc l'adage « à chaque malheur quelque chose est bon » n'a été aussi vrai qu'avec cette épidémie et ce nouvel outil de communication est le prélude à une révolution dans la formation et l'instruction pas seulement dans le domaine de la formation médicale continue mais dans la formation scientifique et technique tout court et qu'il va falloir dorénavant donc prendre en considération pour toute politique de formation.

*Dr.