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Les attaques contre la mémoire du Général Gaid Salah

par Djamel Labidi

Le tribunal militaire de Blida a rendu son jugement concernant l'affaire dite du «complot» et d'»atteinte à la sureté de l'État». Les quatre accusés ont été finalement innocentés. Le droit a été dit par la justice. Et dans l'État de droit auquel nous aspirons, telle est la règle, qu'on soit d'accord ou qu'on ne le soit pas. Mais ce jugement a été le déclencheur ou l'occasion d'une campagne acharnée contre la mémoire de feu le général Gaid Salah et son rôle pendant la crise politique de l'année 2019.

Un procèsnon déclaré

La justice militaire ne se doutait certainement pas, qu'une fois son jugement rendu, il serait exploité, pour donner lieu à un autre procès,mais , cette fois- ci, contre feu le General Gaid Salah , un procès non-dit, non déclaré, non officiel, en dehors du cadre du droit, et de toute procédure judiciaire .

Il s'est opéré en effet une étonnante inversion: certains des accusés, soutenus par quelques médias, se sont crus désormais en droit de porter contre Gaid Salah les mêmes accusations qui avaient été portées contre eux: c'est-à-dire, celles de «complot», et même de l'accuser d'avoir «fait un coup d'État». Et de le dire maintenant qu'il a disparu. Mais, attention, qu'on ne sous -estime pas l'opinion publique.

Est-ce avoir fait un coup d'État que d'avoir voulu une démarche constitutionnelle ,comme l'a fait feu le général Gaid Salah contre vents et marées. Qui, au contraire, avait clamé sans cesse que «la Constitution n'avait plus de valeur , et, que «la révolution créait sa propre légalité»,si ce n'est ceux qui accusent aujourd'hui le Général Gaid Salah. Est-ce avoir fait un coup d'État que d'avoir tenu au respect de l'article 102 de la constitution au sujet de la démission du président. Qui, au contraire, voulait le faire remplacer par une direction du pays autoproclamée ? Est-ce comploter que d'avoir voulu que la crise se règle par le recours aux urnes, par des élections présidentielles ou bien de s'attribuer le droit de choisir , à la place du peuple, le chef de l'État. Est-ce comploter que d'avoir fait cela, proclamé tout cela au grand jour, pendant que d'autres se réunissaient sans en informer quiconque, et même pasleurs proches collaborateurs. On reste stupéfaits devant tant d'audace à dénaturer les faits et devant un tel déni de la réalité, lorsqu'on voit les accusations portées aujourd'hui contre feu le General Gaid Salah.

L'enjeu

L'enjeu était de taille : Ou bien une démarche constitutionnelle, ou bien l'aventure, le danger de chaos et d'effondrement de l'État national. Mais, dans la campagne menée contre la mémoire de Gaid Salah tout est fait en même temps pour masquer cet enjeu, pour banaliser le conflit qui avait alors lieu. Le conflit est ainsi relaté sous le mode anecdotique. Il s'agirait simplement d'une «réunion entre personnes», dit- on. Oui, mais quelles personnes ! Il ne s'agit ni plus ni moins, de la personne, de l'aveu même des participants, réputée détenir ou représenter le pouvoir du Président, donc le pouvoir exécutif, c'est-à-dire le frère conseiller du président. Pour les autres personnes, ils exercent ou ils ont exercé une grande influence sur le pouvoir ou sur l'État. À l'ordre du jour de la réunion, selon les participants eux-mêmes, il y avait un point: proposer un chef d'État provisoire. Peut-on le faire si on ne détient pas un pouvoir de décision. Un groupe de personnes lambda, banales songerait-il à le faire. Tout cela n'a pas de sens.

Une autre manière aussi de minimiser le conflit, est de le présenter comme « un règlement de comptes». Oui, mais tout conflit politique exacerbé, est-il autre chose à la fin qu'un règlement de comptes, comme le montre d'ailleurs l'attitude aujourd'hui des accusateurs de feu Gaid Salah dans leur acharnement le concernant. La vraie question est de savoir, de quels «comptes» il s'agit, et de déceler, derrière les apparences des conflits de personnes , et comme le feront les historiens, les raisons profondes des convergences et des divergences, celles qui font qu'ici on se rapproche et que là on s'éloigne et on s'affronte. Dans cette affaire, il y avait d'évidence deux visions du monde, deux visions de l'Algérie, deux cultures entre les camps en présence. Mais c'est un autre article.

L'honneur de l'armée

L'Histoire de l'Algérie dira ce qu'a été feu Gaid Salah. Ses zones d'ombre et de lumière, comme tout un chacun. Mais une chose est sûre, c'est qu'il a rencontré son destin, en cette année 2019 de tous les dangers pour la nation et sa cohésion. Que son âme repose en paix . Il lui a épargné, on ne le dira jamais assez, la fitna, la guerre civile, la pire des horreurs, en trouvant la porte de sortie d'une crise majeure. Ce faisant, il a défendu l'honneur de l'armée, il l'a rapprochée, réconciliée définitivement avec son peuple après les drames terribles que nous avions vécus. Une armée républicaine, disciplinée, loyale, qui obéit aux autorités constitutionnelles, une armée nationale, populaire qui ne retourne jamais ses armes contre son propre peuple. «Aucune goutte de sang du peuple algérien», avait-il promis. Et on se rend bien compte de la valeur de cette promesse tenue, quand on voit ce qui se passe ailleurs et tout dernièrement aux États- Unis, où il a suffi d'une journée de manifestation pour qu'il y ait cinq morts.

Ce dont il est ici question finalement, ce n'est pas tant le jugement prononcé par le tribunal militaire. On peut le comprendre et il est peut être une bonne chose, juridiquement, politiquement, humainement. L'avenir le dira. Ce dont il est question, c'est qu'il puisse être utilisé, exploité, pour que, de proche en proche, de glissement en glissement, de manœuvre en manœuvre, il serve à remettre en cause les résultats obtenus par la nation dans la solution de la crise de l'année 2019: celui de l'élection présidentielle, et surtout l'appui sur les institutions, sur une démarche constitutionnelle dans l'approche de toute crise, aujourd'hui et à jamais dans notre pays, comme c'est le cas dans les pays démocratiques.