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Réformes politiques et «zones d'ombre»: 2021, l'année de tous les chantiers

par Ghania Oukazi

  Le communiqué du Conseil des ministres laisse apparaître qu'il n'y a que la prise en charge «des zones d'ombre» qui semble constituer pour ce début d'année l'ossature du programme du président de la République.

En s'adressant à son ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Abdelmadjid Tebboune a, selon le communiqué de la présidence de la République sur le Conseil des ministres du 3 janvier dernier, «exprimé son mécontentement de la gestion par certains walis des zones d'ombre, insistant sur l'impératif de faire la distinction entre les différents programmes de développement local, soulignant par là même certaines initiatives positives, tel l'approvisionnement en eau et en gaz par voie de réservoirs dans certaines régions frontalières». Les coupures d'eau intempestives auxquelles procèdent les responsables du secteur dans de nombreuses wilayas à commencer par Alger ne ressemblent en rien à une gestion «rationnelle» de la ressource. Ce sont des désagréments qui sont rajoutés à tous ceux qui sclérosent le cours normal de la vie des citoyens. La capitale a elle aussi ses «zones d'ombre», cette appellation d'un néologisme nouveau par laquelle la présidence de la République veut amorcer un programme de relance économique sans réformer le mythe d'une gouvernance nationale qui s'exerce notamment ces derniers temps à travers «des fantasmes collectifs» qui regardent de haut les réalités du pays.

Le plus curieux est que ceux à qui le président a donné des instructions à partir de l'étranger (ministre de l'Intérieur et les walis) sont, selon le communiqué, ceux qui ont failli à leurs obligations. Le président a dû se tromper d'interlocuteurs pour faire appliquer ses instructions. Selon son appréciation «mitigée» des «performances ministérielles pour 2020», il doit s'être trompé de gouvernement dans son ensemble. En tant qu'ancien commis et surtout haut responsable de l'Etat, Tebboune connaît certainement toutes les failles de l'économie nationale. En principe, il ne doit pas permettre à ses ministres de lui faire des constats. Il les connaît et en connaît les mesures urgentes à mettre en œuvre pour les débarrasser de leurs lacunes. La volonté politique, la fermeté et l'obligation de résultats «dans de brefs délais» doivent être ses impératifs pour que le pays ne titube pas.

Quid de l'agenda politique du président

Un dossier important du ministère de l'Intérieur qui n'a pas été inscrit dans ce réquisitoire présidentiel, la nouvelle loi électorale qui doit être en principe prête conformément à l'instruction qu'il a donnée le 13 décembre dernier à la commission Laraba et aussi le code des collectivités locales appelé communément «code de wilaya et code communal». Si le président pense décider de l'organisation d'élections anticipées législatives et communales, le code des collectivités locales en devient un instrument obligatoire pour la gestion des territoires nationaux. Ainsi, contre toute attente, le président n'a pas marqué le début de la nouvelle année en donnant la priorité à l'agenda politique par lequel il a promis d'amorcer le changement de système de gouvernance.

Durant ce Conseil des ministres, l'on ne sait s'il a exigé du secteur de l'industrie pharmaceutique d'approvisionner les officines en médicaments qui manquent pour le traitement de nombreuses maladies chroniques. Il n'a pas non plus interpellé le secteur de la santé pour ne plus négliger les malades chroniques au profit de ceux atteints de Covid-19. Des médecins avec à leur tête le Professeur Rachid Belhadj, responsable des activités médicales et paramédicales au CHU Mustapha Pacha d'Alger, l'ont reconnu à plusieurs reprises. Prof Belhadj a même fait ses excuses à ces malades notamment ceux atteints de cancer qui se voient refuser les soins en milieu hospitalier. «Beaucoup sont morts chez eux, on appelle ça non-assistance à personne en danger», a révélé un groupe de médecins. Pour ce qui est du secteur des finances, Tebboune a qualifié de «point noir» uniquement le volet «octroi» des crédits par les banques. Mais il n'a pas exigé du ministère des Finances de résoudre immédiatement le problème des liquidités qui pénalise les retraités. La mort de certains d'entre eux devant les portes des bureaux de poste (cas de Tlemcen) alors qu'ils faisaient la queue pour retirer leur maigre pension doit peser sur les consciences des responsables du secteur. En instruisant Ayemen Benaberrahmane et son collègue du numérique et des statistiques «de numériser les secteurs sensibles d'importance économique notamment les douanes, les impôts et les domaines», il ne leur a fixé aucun ultimatum. La réforme du système bancaire traîne depuis des lustres tout autant d'ailleurs que celles de l'ensemble des autres secteurs mais les recommandations en sont restées lettre morte et enfouies dans les tiroirs de l'oubli en l'absence de volonté politique ferme pour leur application.

Perte de temps et d'énergies

Cette tradition nationale des gouvernants d'effacer tout et de tout recommencer est une inlassable perte de temps, d'énergies et d'argent qui pénalise lourdement le pays. Le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique traîne le lourd dossier des œuvres sociales dont les dessous, longtemps entretenus par des forces occultes, ont affreusement terni l'image de l'université. La priorité aujourd'hui n'est pas de la jumeler à des universités étrangères mais de l'assainir des malversations en matière de marchés (approvisionnements) et par une évaluation régulière de son corps enseignant dont les aptitudes ne sont pas très souvent compatibles avec l'enseignement à distance (EAD) employé depuis l'apparition de la crise sanitaire encore moins avec les normes internationales.

Le président a évité de faire remarquer à sa ministre de la Culture qu'une femme qui sait rouler le couscous ne fait pas la civilisation d'une nation ni ne lui assure l'émancipation. «La mère est une école...», dit le poète et non juste «une cuisinière» comme le pense la «philosophe». En notant uniquement «l'impératif de pallier les lacunes enregistrées dans le domaine de l'industrie cinématographique», Tebboune ne semble pas trop intéressé par la culture comme modèle d'épanouissement et de développement.

Le ministère de la Solidarité nationale a été instruit pour s'occuper de «la femme au foyer à même de l'encourager à adhérer au processus de production nationale». La ministre du secteur qui a piétiné «en direct» la loi électorale et l'obligation du vote secret, n'a pas reçu d'instruction pour accélérer le processus d'identification des personnes défavorisées aux fins de leur fournir une aide financière directe et éviter au Trésor public de débourser chaque année 20 milliards de dollars (évaluation de spécialistes) en subventions de produits de large consommation. Tout autant que celle du manque des liquidités dans les bureaux de poste, la question des subventions n'a pas encore trouvé l'intelligence qui la résout sans s'attarder sur des diagnostics récurrents.

Ces réflexes qui enchaînent le pays

Excepté l'expression «dans les plus brefs délais» qu'il a évoquée pour «valoriser les ressources minières que recèle (...), l'importance d'entamer l'exploitation effective de la mine de fer de Ghar Djebilet et du gisement de zinc et de phosphate de Oued Amizour (...), le président de la République n'a fixé aucun délai précis à aucun secteur pour appliquer ses instructions et lui rendre compte de leurs résultats effectifs.

Au lendemain du Conseil des ministres, le président de la République, chef suprême des Forces armées, ministre de la Défense nationale a réunit le Haut Conseil de sécurité qui lui a fait, selon un communiqué officiel, le point sur toutes les questions sécuritaires qui entourent le pays. L'on ne sait pas plus de ce conclave. Par contre, le ministère de la Défense a rendu public avant-hier un communiqué dans lequel il a précisé qu'après l'acquittement par le tribunal militaire de Blida des quatre inculpés (Toufik, Tartag, Saïd Bouteflika et Louisa Hanoune) dans l'affaire du «complot contre l'autorité militaire et de l'Etat), Saïd Bouteflika a été transféré de la prison militaire de Blida vers la prison civile d'El Harrach. L'on se demande pourquoi c'est le ministère de la Défense qui donne ces précisions et non pas le parquet ou toute autre instance juridique militaire qui à elle seule incombe le devoir de communiquer sur des affaires de justice, de procès, de verdicts et de transferts de prisonniers relevant de sa compétence. En annonçant l'année dernière publiquement l'ouverture de procès de hauts responsables tout en précisant que «vous allez voir ce dont le juge algérien est capable», le ministre de la Justice Belkacem Zeghmati s'était substitué aux magistrats qui seuls ont la compétence de le faire. Autrement, l'implication du politique dans le fonctionnement de la justice risque de faire encore mal au pays. La réforme du système judiciaire pour consacrer son indépendance de l'exécutif civil et militaire est l'un des 54 engagements que le candidat Tebboune a promis d'honorer. 2021 devra être l'année de leur concrétisation loin de tout réflexe, toute propagande et de slogans désuets et nocifs.