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LIVRE LU - Eléments de mémoire sur la fabrique des médias algériens

par Belkacem Mostefaoui*

Entre éléments de mémoire retraçant des pans de « ses vies » et un regard toujours alerte sur sa riche carrière de haut fonctionnaire de l'Etat algérien, de journaliste et d'enseignant universitaire chercheur, Belkacem Ahcène Djaballah nous gratifie d'un livre (1) dense de connaissances et réflexions sur le contexte de production des médias depuis l'indépendance. Un riche et condensé livre en ce si court volume.

Comme si son auteur avait craint devant la prolifération de remontée de ses souvenirs de ne pas avoir assez de temps pour livrer le trop plein de choses qui le tarabustent.

Tension que nous comprenons tant le Dr. Belkacem Ahcène Djaballah, depuis un bon demi-siècle a été non seulement d'observation de la fabrique des médias algériens mais aussi dans leurs activités et production, y compris en assumant de hautes responsabilités dans leur gestion.

La passion de la recherche sur les médias

Avec l'humour approprié à la distanciation vis-à-vis de son corpus de remémoration, l'auteur a sectionné son récit en dix chapitres, accompagnés d'annexes. Les premiers chapitres consacrés à l'enfance et l'adolescence de guerres mondiales et puis de libération nationale à Skikda sont suivis par le récit de sa vie d'étudiant à Alger. C'est là, au début des années 60 que fut créée l'ancienne Ecole de journalisme de la rue Jacques Cartier à Alger. Avec, pour l'anecdote, sans doute surréaliste, par rapport aux conditions d'études de l'actuelle Ecole, des stages de 2 à 3 mois, ponctuant les trois années d'étude de licence ... Et ce magnifique tumulte de l' Algérie créditée alors mondialement en centre vivant de la révolution mondiale. Grâce à son brillant cursus, le jeune étudiant est gratifié d'une bourse d'études à l'Institut français de presse, à Paris. Dès lors, la vocation et la passion pour les activités des médias et le noble métier de journaliste sont désormais chevillés en lui. Une passion qui a trouvé expression dans plusieurs livres (2), et de nombreuses contributions à des ouvrages collectifs; et actuellement sa chronique ?Médiatic' du Quotidien d'Oran, sans oublier ce travail méticuleux et précieux de production du site www.almanach-dz.com, site endogène d'éveil permanent sur les réalités du pays.

Belkacem Ahcène Djaballah nous semble l'une des personnalités les plus représentatives et productives d'observation / réflexion sur l'histoire des médias algériens. Et il ne cesse d'avoir un souci de la documentation méthodique publiée, et dont nombre d'étudiants et chercheurs en ont bénéficié.

Les lecteurs avisés et critiques de ce livre auront compris d'entrée la si difficile « jonglerie » entre le métier de dir'com (directeur de la communication) et la profession de journaliste. En simplifiant, ce que le premier s'ingénie à imposer de données et de sens aux publics, le second l'interroge pour en extraire de l'information à mettre en contexte, ou mieux encore en perspective. La plus value est enrichie de multiplication de sources. Les plus crédibles médias des Etats de droit se sont basés dans leur production sur cette règle essentielle. Cette ligne de tension pour la profession de journaliste a été systématiquement écrasée depuis l'indépendance de l'Algérie, au détriment du droit à l'information des citoyens. Belkacem Ahcène Djaballah en a une lancinante conscience ; il appartient aux lecteurs de mettre en croisement les éléments de documentation qu'il propose dans ce livre.

Engagement dans la haute fonction publique

Des chapitres du livre sont consacrés à l'exercice de responsabilités de directeur central au ministère de l'Information et de celles à la tête de l'Agence nationale d'édition et de publicité (ANEP) et l'Agence Algérie presse service (APS). En Octobre 1988, l'auteur du livre assurait la direction de l'agence de presse. Des moments cruciaux de gestion de l'information y sont rapportés.

La promotion au titre de Chargé de mission, Directeur de l'Information (1995/99) de Liamine Zeroual est venue marquer le couronnement de la carrière administrative de Belkacem Ahcène Djaballah. D'humilité, il écrit : « A vrai dire , je pensais rester quelque temps à peine , le temps d'une expérience à ajouter à mon Cv , mais jamais, au grand jamais , je n'avais imaginé que cela allait durer près de cinq années » (p 97)

L'auteur du livre dépeint aussi sobrement les coulisses de son travail en cette période où les promoteurs de la barbarie islamiste ont failli faire basculer les fondements de l'Etat algérien, et tout le patrimoine de survivance du socle de notre si chère algérianite. Même si ce ne sont que des bribes, à notre connaissance c'est là l'un des premiers témoignages de l'intérieur de l'administration du domaine des médias.

Avec des mots simples, son récit rappelle la terreur de cette période.

« C'était alors, écrit-il, le temps du terrorisme et de la solidarité face à l'adversité. Un seul et unique objectif pour tous, dans la simplicité absolue et avec des moyens limités sinon ridicules : survivre pour que vive l'Algérie ! Au départ, rares étaient ceux qui croyaient qu'ils allaient vivre assez longtemps pour voir grandir leurs enfants et nombreux - moi le premier - étaient ceux passés chez leur notaire pour rédiger leur testament. Durant les premiers mois, quatre exactement, j'ai travaillé presque clandestinement et seule mon épouse savait où et avec qui j'étais durant la journée » (p 99).

Le poète autrichien Rilke disait « L'arbre ne pousse pas sa sève pour monter ».

Tarabusté aussi sans doute par les deux dernières décennies du massacre des médias d'Algérie, orchestrées par le système Bouteflika, le Dr Djaballah a probablement tant de données et sens à leur donner, de remémoration clairvoyante et citoyenne. Nous les attendons de publication. Le précieux présent récit en sera enrichi, au grand bonheur de ses lecteurs.

*Pr. - Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l'information, Alger

Notes

1- Belkacem Ahcène Djaballah : « Dir' Com » et journaliste. Un « parcours du combattant » . Editions El Qobia, Alger 2020, 134 pages, 800 dinars.

2- Dont « Chroniques d'une démocratie mal-traitée, octobre 1988-décembre 1992 » (mystérieusement disparu des étals des librairies et du catalogue de l'éditeur juste après sa parution), « Fis : Chronologie d'une mort annoncée : 23 mai 1991-5 octobre 1992 » (Dar El Gharb, Oran 2005) et « Economie de la presse et des médias » (Opu, Alger 2013)