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Quand s’endetter rapporte

par Akram Belkaïd, Paris

C’est une bien étrange époque, de celles où ce qui a longtemps relevé de l’impossible devient possible. On se souvient du baril de pétrole à un prix négatif au printemps dernier. Désormais, on vient d’avoir une dette souveraine avec un taux négatif. L’événement n’a duré que quelques minutes la semaine dernière mais il est emblématique : le taux des obligations d’Etat portugaises à 10 ans est devenu négatif à -0,004%. Autrement dit, c’est le prêteur qui achète une obligation à un tel taux qui in fine doit rémunérer l’emprunteur. Le monde à l’envers !

Confiance en la zone euro

Comment comprendre cette tendance qui touche aussi des pays comme l’Espagne, l’Italie et même la Grèce ? Rappelons que ces trois pays ont longtemps été considéré comme le maillon faible de la zone euro alors qu’ils bénéficient aujourd’hui d’une importante détente des taux, c’est-à-dire qu’ils peuvent emprunter pour presque rien alors qu’ils étaient exposés à des rémunérations allant parfois jusqu’à 10%-12% il y a encore quelques années. Dans le cas d’Athènes, le taux d’emprunt était de 37 % (!) en 2012 mais il est tombé récemment à 0,66 % sur dix ans. Selon les spécialistes, il pourrait même passer en négatif au cours des prochaines semaines. Le gouvernement grec émet d’ailleurs déjà des obligations à -0,13% sur deux ans.

Pour les experts, c’est le signe que les marchés croient de nouveau en l’avenir de la zone euro après avoir douté d’elle dans le sillage de la crise de 2008 et des déboires de la Grèce. Malgré la pandémie de Covid-19, la zone euro semble tenir bon avec un plan de relance décidé en juin dernier. De même, la communication de la Banque centrale européenne (BCE) est omniprésente pour rappeler qu’elle défendra la stabilité de la zone. Signe des temps, l’euro s’apprécie par rapport aux autres devises, ce qui confirme la confiance des marchés. Combien de temps durera-t-elle ? Personne ne le sait mais en tous les cas, le Portugal, comme ses voisins, n’a aucun souci à lever des fonds sur les marchés bénéficiant de taux d’intérêt inférieurs à ceux des Etats-Unis.

Un phénomène massif

De façon plus générale, le contexte est porteur. Le cas du Portugal n’est pas isolé et l’indice Bloomberg Barclays estime à 17 500 milliards de dollars d’obligations à rendement négatif en circulation. Un record historique ! De la dette pour pas cher, voilà qui caractérisera à jamais ce début de décennie. Dans le détail, le Japon a émis près de 30% de ces obligations ainsi que la zone euro (15% respectivement pour la France et l’Allemagne). Même la Chine est concernée puisque Pékin a réussi à lever 750 millions d’euros à cinq ans au taux de -0,15%. Dans un contexte de liquidités abondantes, il est évident que l’amoncellement de ces dettes se paiera un jour ou l’autre. Un grain de sable politique, une aggravation de la pandémie ou des divergences politiques au sein de la zone euro et l’hypothèse d’un krach obligataire sera de nouveau dans les têtes. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le thème de l’annulation de la dette fait son chemin en Europe et aux Etats-Unis. Une sorte de remise à zéro concertée où les Banques centrales joueraient un rôle prépondérant mais on n’en est pas encore là. Pour le moment, s’endetter rapporte de l’argent. Pourquoi les Etats s’en priveraient-ils ?