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Réhabiliter l'université algérienne

par M. Mebarki*

La lecture de trois bons articles d'universitaire algériens exerçant en Algérie1 m'inspire une série de réflexions ou plutôt des témoignages extérieurs du fait que je suis un universitaire algérien exerçant en France depuis quelques décennies. Leurs contributions, riches de leurs expériences et vécus, m'ont permis de comprendre ce que je ressentais. En effet, ces contributions, que je trouve complémentaires, corroborent ce que j'ai observé tout au long des interventions ponctuelles dans des séminaires et autres conférences que j'ai pu faire ces dernières années, à l'invitation de mes collègues des universités algériennes.

D'emblée, je voudrai préciser que mes interventions dans ces universités ne rentrent pas dans le cadre de je ne sais quel pseudo programme de « mobilisation » récurrente de la diaspora. Elles ne relèvent pas non plus d'une quelconque « volonté itérative de recourir aux Algériens de l'extérieur »2 et ne résultent, en aucun cas, d'une quelconque volonté de les considérer comme « solution idoine » aux maux-problèmes que connaît l'université algérienne.

Par ailleurs, mes interventions ne rentrent pas non plus dans le cadre institutionnalisé de conventions entre établissements. C'est à la fois leurs forces et leurs limites. Elles sont simplement le résultat d'affinités et de relations personnelles donnant lieu à la satisfaction des étudiants comme seule rétribution. Je me suis auto-légitimé en estimant qu'au travers de mes interventions, j'apporte ma contribution citoyenne à mon pays.

Grâce à ces interventions donc j'ai pu voir quelques dysfonctionnements en action dans les universités. Ces derniers sont parfaitement analysés par mes collègues et néanmoins amis Rabeh Sebaa (RS) et Ahmed Bouyacoub (AB) dans les articles nommés plus haut.

Pour le premier cité il s'agit ni plus ni moins que de « repenser l'université ».

Pour le second, il faudra « revaloriser l'université algérienne » pour qu'elle (re)devienne un lieu agréable de vie, de transmission et de production de connaissances.

Pour ces deux auteurs, il est plus qu'urgent d'améliorer les conditions de vie et de travail de la communauté universitaire, de moderniser la pédagogie par la formation des enseignants-chercheurs et mieux encore en, orientant celle-ci non par « l'apprentissage pavlovien » mais par « l'apprendre à apprendre »3.

Le renforcement de l'éthique et de la déontologie dans la vie universitaire devient urgente selon nos deux auteurs. Il est urgent, ajoutent-ils, de bannir les pratiques de complaisance ainsi que les questions d'affinités et de proximité en lieu et place des critères de scientificité dans bon nombre d'établissements d'enseignement supérieur algérien4. Je souscris totalement à ces points de vue.

La mise en perspective de l'université actuelle dont les dysfonctionnements sont désormais, notoires explique, sans doute, les insuffisances des modes de gouvernance, de l'organisation universitaire et des fonctions qui y sont exercées en particulier celle de l'enseignant-chercheur.

Ma contribution prend appui sur ces analyses mais s'intéresse plus spécifiquement, mais non exclusivement, à l'acteur principal de l'université qui est l'enseignant-chercheur. Certes, le statut de ce dernier ainsi que sa fonction ne doivent pas être déconnectés du contexte général de l'université algérienne. Tout cela fait système.

Je focaliserai mon analyse autour de ces trois chapitres qui résument assez bien la problématique de la réhabilitation de l'université algérienne :

- la restauration de la fonction de l'enseignant-chercheur comme fondement de l'institution universitaire qui devient urgente.

- une réelle autonomie, un fonctionnement démocratique avec des instances élues

- une plus grande ouverture sur l'environnement régional, national et international en satisfaisant les besoins éducatifs et professionnels des populations régionales et des partenaires extérieurs du monde économique, des administrations et des associations font partie également des missions de l'université en tant qu'agent de développement national et local.

Ces trois dimensions constituent incontestablement des éléments-clés du processus de réhabilitation et de valorisation de l'université algérienne.

La figure de l'enseignant-chercheur comme fondement de l'institution universitaire

L'enseignement et la recherche sont les deux activités principales de tout enseignant-chercheur. Il ne peut (doit) pas faire l'une sans l'autre. Il appartient à l'enseignant-chercheur d'établir une interaction permanente entre ces deux activités. Ces dernières sont consubstantielles à son statut et à sa fonction.

La relation entre recherche et formation et l'enseignant-chercheur

L'enseignant-chercheur à l'université, en Algérie comme ailleurs, a pour mission l'enseignement et la recherche principalement avec une articulation entre ces deux activités5. Cette relation est au cœur même de la pratique d'enseignement dans le supérieur car les enseignants-chercheurs construisent, normalement, leurs enseignements à partir de leurs propres travaux de recherche en s'appuyant sur des résultats de recherche scientifique dans leur champ disciplinaire.

Cette relation reste fondamentale dans les projets d'établissement de l'enseignement supérieur. Elle se trouve au cœur des préoccupations des enseignants-chercheurs dès lors qu'ils construisent leurs interventions pédagogiques.

Malheureusement, aux dires même d'un certain nombre d'étudiants et de quelques enseignants-chercheurs, cette relation est bien souvent introuvable dans les enseignements de certains collègues en particulier en sciences économiques, sciences commerciales et sciences de gestion, domaines dans lesquels je travaille.

Ces derniers se contentent de cours académiques sans actualisation et surtout « sans remises en cause des paradigmes dominants dans leur champ disciplinaire » (R.S., op cit) où toute recherche personnelle est invisible. Les savoirs fondamentaux d'une discipline sont, semble-t-il, mal ou pas transmis aux étudiants. En effet, Il m'est arrivé d'être souvent surpris, lors de séminaires de post-graduation, d'avoir en face de moi des étudiants qui non seulement découvraient des approches théoriques actualisées mais pire encore ignoraient les savoirs fondamentaux qui auraient du être acquis dans les cycles antérieurs6.

Une spécialisation trop précoce dans les années de licence est, selon, A.B, une explication plausible.

Au-delà, la question ici soulève une double problématique : celle du contenu enseigné en rapport avec la relation enseignement et recherche et la seconde renvoie aux modes pédagogiques de transmission des connaissance.

En effet, comment réaliser cette fameuse relation enseignement-recherche si on ne fait pas (plus) de recherche7. A l'université, théoriquement, aucun enseignement ne peut ne pas se sustenter de la recherche ? Est-ce « normal » qu'un enseignant-chercheur ne fasse pas de recherche ou ne soit pas soumis à une obligation de production scientifique ?

On a effectivement au mieux « une séparation de corps, au sens physique du terme, de l'enseignement et de la recherche au sein de l'université elle-même »8.

Ce processus de secondarisation de l'université se trouve facilité voire encouragé par l'institution universitaire. Les enseignants-chercheurs ne sont sérieusement évalués ni sur leurs activités d' »enseignement, ni sur leurs activités de recherche. Est-ce normal qu'il puisse exister un enseignant-chercheur qui ne produit aucune publication scientifique digne de ce nom durant des années ? Quelle vie scientifique peuvent avoir les laboratoires de recherche qui sont réduits à être des coquilles vides ?

Mais gardons-nous de jeter l'opprobre sur l'ensemble des enseignants-chercheurs dans les champs disciplinaires cités. Je connais des vrais enseignants-chercheurs qui vivent et travaillent en Algérie. Donc pas d'amalgame sur l'ensemble des collègues. Une partie d'entre eux mérite le respect et surtout la considération d'autant plus qu'ils travaillent souvent dans des conditions déplorables avec une reconnaissance aussi faible que leur niveau de rémunération relative.

L'enseignant-chercheur, un statut et une fonction à réhabiliter

En effet, on ne peut pas repenser et revaloriser9 l'université algérienne sans réhabiliter, entre autre, le statut et la fonction de l'enseignant-chercheur. Dans ce cadre alors, on ne peut pas faire l'économie d'une évaluation scientifique et pédagogique10 tout au long de sa carrière. L'évaluation actuelle, si elle a le mérite d'exister, n'en reste pas moins à parfaire. Une bonne évaluation scientifique et non bureaucratique par les pairs au niveau local et national, en matière de recherche, doit concerner aussi bien les individus que les institutions11 et revues scientifiques.

Dès le début, au recrutement, des exigences scientifiques de publications sérieuses et des engagements d'implication dans la gestion des dispositifs de formation ainsi que, éventuellement, dans les structures, voire dans le rayonnement de l'établissement doivent être requises. En tout état de cause, c'est la recherche qui doit déclencher le besoin de création d'un poste d'enseignant-chercheur au niveau d'un laboratoire et/ou d'un établissement universitaire.

Le premier niveau donc, dans un processus de recrutement, doit être l'établissement et/ou le laboratoire de recherche concerné par le poste à pourvoir puisque, à priori, il est à la source de la création du poste. C'est donc aux collègues enseignants-chercheurs de cet établissement/laboratoire, élus par leurs pairs qu'il revient la charge de recruter le (la) futur (e) collègue.

Le niveau central, au niveau national, doit être un lieu de vérification des critères scientifiques à la base du recrutement des candidats et de contrôle de l'éthique de la procédure de recrutement et éviter toute tentative de « localisme » et/ou de népotisme.

Le niveau central est également l'instance d'harmonisation des processus de recrutement. Il est composé d'enseignants-chercheurs de la même discipline, également élus par leurs pairs dans des élections démocratiques.

Ce processus devrait être identique pour l'évaluation régulière de tout enseignant-chercheur en exercice. Doit-on insister, au risque de se répéter, que cet idéal-type du statut de l'enseignant-chercheur réhabilité ne peut être effectif que dans une université jouissant d'une grande autonomie scientifique, pédagogique et administrativo-financière.

Démocratie, autonomie et responsabilité des établissements universitaires

Mais, il va de soi et on l'a bien compris, que tout ceci n'a de sens que dans une université dont la gouvernance est démocratique reposant sur des élections libres à tous les échelons des établissements universitaires. Élections mobilisant la participation de l'ensemble des membres de la communauté universitaire. Cette démocratie est la pierre angulaire du système universitaire au niveau scientifique (commission d'enseignants-chercheurs de l'établissement élus chargés de recruter et d'évaluer leurs collègues appartenant à la même discipline) ainsi qu'au niveau de la gouvernance de l'université et de la faculté. La démocratie va de pair avec la responsabilité des individus comme des structures. De même, l'existence de contre-pouvoirs est nécessaire dans un fonctionnement démocratique. Faute de quoi, on aura une pseudo démocratie qui ne changera pas grand-chose à la situation actuelle voire qui l'empirera !

Il va sans dire que la démocratie universitaire suppose également une grande autonomie des universités12. L'autonomie en tant que mouvement dynamique changera, à ne pas douter, profondément le visage de l'université tant sur le plan de la gouvernance que sur celui de la formation, de la recherche, de la politique des ressources humaines, des partenaires et de l'ouverture à la société. Elle ne saurait être réduite à la dimension administrative et financière mais doit impérativement concerner les domaines de la pédagogie et de la recherche sans oublier la gestion des ressources humaines et même, dans un cadre délimité, les relations avec les partenaires extérieurs.

D'emblée que l'on se rassure. L'autonomie ne signifie nullement absence de contrôle. Au contraire, elle consolidera et légitimera le rôle de la tutelle administrative13 et de la tutelle scientifique.

En outre, l'autonomie c'est plus de liberté et plus de responsabilités et donnera plus de légitimité face aux partenaires extérieurs.

L'université autonome pourra, ainsi, élaborer, en concertation avec les membres de la communauté universitaire, des projets d'établissement qui donneront une lisibilité et une direction à la fois pour son personnel et pour son environnement. Car n'oublions pas que l'institution universitaire est aussi un agent de développement au service de la société, ancré dans un territoire localisé. Son ancrage territorial lui permettra de répondre, autant que possible, aux besoins des économiques et sociaux des populations locales sans négliger les besoins nationaux et internationaux.

Voilà pourquoi nous pensons que cette nécessaire autonomie des universités se situe au moins à trois niveaux : celui des relations avec l'environnement extérieur immédiat et plus éloigné, celui de la gouvernance et de la gestion des ressources financières, pédagogique et humaines et enfin celui des rapports avec la tutelle ministérielle. Ces trois niveaux sont dialectiquement liés et interagissent entre eux.

Autonomie et ouverture à et sur l'environnement extérieur

Pour l'institution universitaire autonome, intégrer les besoins de son environnement n'est pas un reniement de l'idéal humaniste ni une adhésion à l'utilitarisme. Elle n'est pas condamnée « à fonctionner comme un distributeur automatique de tickets homologués, à présenter à l'entrée, fort improbable du reste, du premier emploi venu »14

L'autonomie et l'ouverture de l'université à et sur son environnement extérieur sont liées. Il n'est pas possible de laisser la bureaucratie et le centralisme de la tutelle gérer la vie universitaire. Il n'est pas non plus possible de continuer à ne percevoir que la figure traditionnelle de l'étudiant au risque d'entraver une des missions fondamentales de toute université qui est celle d'accueillir d'autres apprenants-étudiants potentiels comme les salariés et les demandeurs d'emplois.

J'ai encore en tête les propos que m'a tenus un Doyen de faculté en France alors que j'étais un jeune enseignant-chercheur. « Nous sommes au service des hommes et des femmes de la région ».

Ouvrir l'université aux jeunes et aux moins jeunes est un devoir et une nécessité.

Il est temps de réfléchir aux possibilités d'élargissement des voies d'accès aux études supérieurs en particulier pour les personnes déjà actives n'ayant eu peu ou pas la chance de poursuivre leurs études. Cet élargissement aujourd'hui, pourra-t-on me rétorquer à juste titre, est quasiment impossible. L'encadrement pédagogique, au regard des missions traditionnelles de formation initiale pour les jeunes étudiants est déjà problématique tout comme les infrastructure et le cadre juridique inadapté.

Bien sûr, tout cela ne peut se faire, raisonnablement, qu'à moyen ou long terme. Mais il n'est pas inutile d'intégrer, dans la réflexion globale sur l'université algérienne, ces problématiques. En effet, l'accueil des « non-publics » (salariés et demandeurs d'emploi) permet de, non seulement, satisfaire des besoins professionnels, sociaux, éducatifs et culturels légitimes de cette population mais également contribue à leur ascension sociale et économique. L'université est un agent de développement ; nous ne le répéterons jamais assez.

De plus, les mutations des systèmes productifs et professionnels, l'évolution de la science, des connaissances et de la technologie à l'échelle de la planète concernent aussi l'Algérie. Dans ce cadre, la formation tout au long de la vie est, désormais, requise. Notre insertion dans la dynamique de la globalisation en dépend.

La mission de service public de l'université qui est de former aussi des citoyens, l'oblige à ouvrir grand ses portes pour accueillir ce « non-public »

En outre ces personnes, même sans diplôme, ne sont pas pour autant dépourvues de connaissances et de savoir-faire qui seraient bien utiles aux universitaires et qui enrichiraient, à ne pas douter, les dispositifs de formation traditionnelles au sein de l'universitaire.

Je peux témoigner de leur extrême richesse tant au niveau des vécus qu?au niveau des attentes et motivation de ces personnes. La confrontation des diverses formes de savoirs permet et installe le « doute stimulant » et la mise en cause de nos certitudes, pas toujours scientifiques, mais aussi nos pratiques pédagogiques.

Toutefois, l'accueil de ces adultes, ne se limite à la réglementation mais concerne également et surtout les aspects organisationnel et pédagogique.

A côté de la recherche, de la formation initiale, la formation continue est également une des missions de l'université.

Le fait est que l'université algérienne « fait surgir bien des griefs15 ». Elle pose questions quant à ses résultats académiques et scientifiques et aux possibilités d'insertion professionnelle qu'elle offre à ses diplômés. La médiocrité des conditions de travail et d'étude médiocres qu'elle propose à la communauté universitaire est souvent soulignée16. Point besoin de démarche qualité et/ou d'analyse en termes de rendements internes et externes préconisés par les économistes orthodoxes de l'éducation pour se rendre à l'évidence.

Par ailleurs, R.S. a raison de dire que l'institution universitaire ne peut pas être dissociée de l'idéal humaniste et qu'on doit l'objectiver par le recours à la notion de savoir universel, affranchi de la tutelle du « savoir » officiel. Il n'est nullement dans mes intentions de réduire l'université à sa seule mission d'utilité. Au contraire, j'aimerai qu'elle joue son rôle naturel dans la production et la diffusion des connaissances provenant du savoir universel mais aussi du savoir faire professionnel régional, national et international.

Objectiver l'université au travers des savoirs théoriques et fondamentaux et satisfaire les besoins économiques et professionnels ne nous semblent pas contradictoires mais complémentaires.

En effet, il s'agit plus de diversifier l'offre pédagogique universitaire que de la réduire à des formations professionnelles.

L'université doit avoir cette ambition de dispenser ces deux types de savoir. Pour cela, un aménagement de l'offre de formation ainsi que des modalités pédagogiques et organisationnelles sont indispensables dans le cadre d'une autonomie universitaire plus développée.

Le procès de production de connaissance anémique et le statut étriqué du savoir, comme le dit très justement R.S., corrélés au statut non moins étriqué de la compétence dans le champ économique, montre, si besoin est, que l'université algérienne est si peu articulée à l'utilité et à l'universalité.

Le processus de sa réhabilitation passera nécessairement par cette articulation. Dans ce cadre, la professionnalisation de certaines formations universitaires devient incontournable.

Les filières professionnalisantes comme passerelles entre l'université et le monde du travail : une nécessité.

La création, au sein de l'université, de filières réellement professionnalisantes dans un cadre maîtrisé légalement en parfaite harmonie avec une autonomie responsable permettra aux acteurs économiques et sociaux de trouver une certaine satisfaction à leurs besoins.

En outre, la professionnalisation de quelques formations ouvrira d'avantage l'université à son environnement en permettant à la communauté universitaire de mieux connaître et mieux comprendre cet environnement grâce, aussi, aux activités de formation et de recherche que l'on pourra y mener17.

Ce rapprochement de ces deux univers, éducatif et productif, constituera un choix supplémentaire donné aux étudiants désireux de s'orienter vers le monde du travail plutôt que vers la recherche18. Il constitue alors une condition sine qua non dans les filières professionnelles. Évidemment ce rapprochement ne peut se faire correctement que si l'université et son environnement extérieur sont configurés structurellement et en autonomie pour être à même de recevoir et de donner l'un à l'autre.

Or ce qui passe aujourd'hui, c'est la totale méconnaissance mutuelle. Les deux fonctionnent comme des vases clos sans presqu'aucun lien ni échange entre eux.

L'université est repliée sur elle-même. Elle est fermée aux partenaires extérieurs alors qu'elle a vocation à l'universalité.

Le monde du travail est tout aussi fermé à l'université, en dehors de l'approvisionnement en diplômes, quand le besoin se fait sentir, quitte, parfois, à remettre en cause, la qualité de ces diplômes. Le paradoxe, parfois, est effarant. En effet, alors que bon nombre de cadres en entreprises et dans les administrations sont des diplômés de l'université, ces derniers ne continuent pas moins à dénigrer cette université en la traitant de « fabrique de chômeurs ».

Les raisons de cette double fermeture sont, selon Ali Yousnadj (AY), tiennent au fait « qu'elles étaient engluées dans leurs problèmes quotidiens et aucune n'a ressenti que la solutions est partiellement détenue par l'autre ».

Pour collaborer il faut une volonté commune et une conscience des intérêts et valeurs ajoutées que peut apporter l'autre à soi et réciproquement. AY nous dit, à juste titre, qu'« il ne peut y avoir de relation Université-Entreprise s'il n'y a pas de besoins réels et des interfaces pour les formuler et accompagner leur résolution ?» 19

L'absence de relations entre l'Université et l'Industrie tient aux configurations spécifiques différentes nous précise AY. Ce dernier souligne que « les poids des problèmes et des urgences internes de chaque partie ont fait le reste : un glissement vers une quasi-rupture de fait. »

Ces deux institutions, en Algérie, n'ont pas été (et ne sont, sans doute, pas encore) structurées dans une perspective de collaboration. Les « tords » sont partagés. Dans ce cas et compte tenu de l'évolution des connaissances, des savoirs, de la technologie, des professions et des contraintes de la compétitivité nationale et internationale aucune des institutions n'a objectivement intérêt à ignorer l'autre.

Le rapprochement est aujourd'hui extrêmement difficile en raison d'une réglementation, éventuellement, inadéquate voire désuète20 et surtout de carcans de part et d'autre qui entravent toute tentative de collaboration. Ils ont pourtant tout intérêt à collaborer.

Le rapprochement de ces deux univers concerne les formations mais aussi la recherche, le conseil, l'expertise, les études et bien d'autres choses encore

... ce que l'université peut avoir des partenaires extérieurs par la professionnalisation de quelques filières...

Si je limite mon propos à l'institution universitaire et aux enseignements qui y sont dispensés, comment peut-on enseigner et apporter un regard critique sur le management, la gestion des ressources humaines, la technique et la technologie et bien d'autres choses si on a qu'une vue théorique et qu'on ignore totalement la réalité des organisations ?

Même si l'enseignant-chercheur est au fait de l'état de l'art dans sa discipline, une connaissance du « terrain » lui permettrait de confronter les approches théoriques, provenant souvent de l'étranger, à la réalité régionale et nationale. Ce serait alors une manière tout à fait honorable de contribuer à la production des connaissances.

De plus, la mise en place de formations professionnalisantes au niveau Licence et Master améliorera incontestablement l'insertion dans le monde du travail des étudiants et contribuera à élever l'attractivité de l'établissement universitaire.

Répondre aux besoins du marché du travail ne trahit nullement l'idéal universitaire. Au contraire, il recentre l'université au cœur de la relation formation-emploi même si, celle-ci, n'est pas toujours évidente à établir. Pour qu'elle réussisse à atteindre cet objectif, l'université doit se rapprocher du monde du travail en professionnalisant certaines filières de formation avec l'aide et l'implication des professionnels.

La nécessaire implication des professionnels dans l'ingénierie de formation dans les filières professionnalisantes

La professionnalisation de certaines formations doit concerner l'ensemble de l'ingénierie de ces dernières avec l'implication des « professionnels21» venant de différentes organisations, productives ou non, aux différentes étapes de cette ingénierie ; de la conception des formations à l'évaluation.

Cette implication ne doit pas se réduire aux seuls « enseignements22» mais doit concerner la présence et la participation des professionnels aux différents jurys d'évaluation et de certifications conjointement avec les enseignants-chercheurs et sous leur responsabilité.23

Le recours à des professionnels, au moins dans les enseignements est déjà permis par le décret 01-294 d'octobre 2001. Il constitue une bonne base à partir de laquelle, on peut, par l'apport des professionnels et des invités, « aérer » l'université et enrichir les savoirs enseignés. C'est également un outil d'ouverture à l'environnement extérieur.

Pour cela, il faudra d'abord l'appliquer24 et ensuite l'aménager en assouplissant les conditions de recrutement et les conditions de contractualisation et de rémunérations comme le souligne AY.

Recruter un professeur associé ou invité25 dans le cadre de projets de recherche par exemple ne peut se faire selon les mêmes critères que pour le professionnel.

En effet, recruter un professionnel pour des interventions ponctuelles ne doit se faire qu'au regards de critère de statuts et de fonctions exercés par ces professionnels. De même la détention d'un doctorat voire d'un diplôme universitaire moins élevé ne doit pas être une condition rédhibitoire au recrutement de ces personnes. Le critère principal doit être la compétence professionnelle et la pertinence du poste occupé par rapport aux besoins de la filière professionnelle.

Ce ne sont pas des enseignants-chercheurs ni des enseignants. On n'a donc pas à attendre d'eux qu'ils dispensent des enseignements. Il ne faut pas être plus royaliste que le roi dit-on. Les enseignants-chercheurs ne sont pas évalués sur leurs enseignements ni sur leurs qualités pédagogiques. Il me semble, dès lors, inapproprié d'évaluer les professionnels là où les spécialistes, dont c'est le métier, ne le sont pas !

En revanche, des témoignages sur les métiers et les fonctions exercées dans les entreprises et les administrations afin d'éclairer les étudiants sur une certaine « réalité » professionnelle me semblent beaucoup plus pertinents.

Du côté du partenaire extérieur, qu'il soit entreprise, administration, association ou autre, la participation attendue, outre les interventions et les divers implications déjà évoquées, c'est l'accueil des étudiants comme stagiaires dans leurs organisations avec un accompagnement sous forme de tutorat. Si on réussit à réunir les conditions idoines, pourquoi alors ne pas envisager des formations alternées ? (stages dans une organisation et enseignements à l'université). L'alternance devrait alors être intégrative et tutorée pour ne pas risquer que les étudiants-stagiaires soient livrés à eux-mêmes et soient confinés à des tâches subalternes voire transformés en « livreurs de cafés » à défaut d'être eux-mêmes des problèmes (cf. AY).

Dans une formation professionnalisante de niveau post-graduation, le stage doit être assimilé à une mission avec un objectif professionnel à atteindre. La problématisation de cette mission sera l'objet du mémoire de fin d'année qui donnera lieu, éventuellement à une soutenance publique devant un jury constitué d'universitaires et de professionnels avec une double évaluation : scientifique et professionnelle.

...ce que le partenaire extérieur peut obtenir de l'université

L'ouverture de l'université, par le rapprochement avec son environnement, ne doit pas se limiter aux simples apports des professionnels aux filières professionnalisantes mais doit concerner également diverses prestations qu'elle peut réaliser pour cet environnement en particulier pour les personnes morales. Recherche, formation inter voire intra26, au sein des établissements universitaires et intra, sur le lieu de travail, études, expertises peuvent faire l'objet de conventions entres les institutions et l'université. Les financements reçus en contrepartie pourraient servir à améliorer le « vivre et travailler ensemble » de la communauté universitaire qui en a grandement besoin. Ils contribueront, sans doute, à rendre l'université agréable (cf. AB), tout en améliorant son image.

Il va de soi que les contraintes et carcans juridiques et autres existant dans la gestion financière et pédagogique sans oublier la gestion des ressources humaines empêchent tout rapprochement sérieux de l'université à son environnement extérieur. L'autonomie, correspond là aussi, à une nécessité impérieuse.

L'autonomie d'action est certes une condition nécessaire mais non suffisante. Il faudra, en plus, une mutation profonde des cultures respectives de ces institutions qui les poussera naturellement à la coopération et aux échanges de savoirs et d'expériences.

Là comme ailleurs, les chemins de la réhabilitation seront ardus !

Au final, tout le monde gagnera dans ce rapprochement: les universités, les institutions économiques et administratives, les membres de la communauté universitaire sans oublier les salariés et les demandeurs d'emplois et, plus globalement l'ensemble des citoyens aux niveaux régional et national, voire international.

Ces quelques pistes de réflexions et suggestions que je soumets ici ne constituent qu'une modeste contribution aux débats sur l'université algérienne et à son devenir27.

En résumé, La réhabilitation de l'université passe nécessairement par la valorisation de l'enseignant et de la recherche. Elle ne peut se faire que dans un « affranchissement par autonomisation », selon l'expression de RS, avec des instances de gouvernance démocratiquement élues, au niveau de l'établissement universitaire et de ses composantes par tous les membres de la communauté universitaire. Enfin, comment imaginer une université qui ne soit pas ouverte sur son environnement immédiat et plus lointain ?

Évidemment tout cela fait système. Aucun élément, aucune dimension ne peut se concevoir et se réaliser sans les autres. Le dysfonctionnement multidimensionnel de l'université algérienne constitue une preuve manifeste que toutes ces dimensions sont à revoir et à réhabiliter car, nous devons être convaincus que notre « anthropologie culturelle » est parfaitement compatible avec l'universalité de notre université28.

Notes

1-Rabeh Sebaa, Repenser l'université algérienne, Liberté-algérie.com, 9 juin 2020

Ahmed Bouyacoub, Revaloriser l'université, actualité autrement vue, le Quotidien d'Oran, 1er octobre 2020

Ali Yousnadj, Rapprochement Université-Industrie : les raisons des blocages, El Watan des 23 et 26 septembre 2020

2-Malgré la rhétorique officielle !

3-Je considère, pour ma part, qu'il ne s'agit pas de simples techniques pédagogiques mais de véritables orientations fondamentales et politiques visant à former un certain type d'apprenants et plus globalement un type particulier de citoyens dans une société déterminée.

4-Faut-il insister sur le plagiat, ce fléau qui ronge l'institution universitaire et qui risque d'ôter tout crédit scientifique aux diplômes délivrés par l'université algérienne, tels que les magistères et doctorats ?

5-Je ne néglige par pour autant d'autres missions importantes également comme la participation à la vie de l'établissement et à sa gestion ainsi qu'à l'animation et au rayonnement de l'université

6-Dans ma discipline de référence, l'Économie, les connaissances fondamentales que sont les éléments de base de la macroéconomie, de la microéconomie, de l'histoire de la pensée économique, des méthodes quantitatives pour ne citer que ces quelques exemples semblent loin d'être acquis par les étudiants de post graduation en science économique !!

7-L'absence de recherche n'impacte pas uniquement le contenu et la qualité de l'enseignement mais aussi la nature et la qualité de l'accompagnement et autre direction de mémoire et de thèse.

8-R. Sebaa, op cit

9-Il est indispensable d'améliorer les conditions de travail et de rémunérations des enseignants-chercheurs sous peine d'aggraver la fuite des cerveaux et surtout ne pas oublier que « à force de faire semblant de les payer, ils feront semblant de travailler ». Si on ajoute à cela, l'absence de moyens de travail de base comme par exemple une connexion Internet et/ou d?une bibliothèque normalement équipée, un bureau, il devient dès lors difficile de travailler dans l'université. (cf. A. B)

10-Il existe des vrais courants de pensée et d'action visant à transformer et à améliorer les pratiques pédagogiques dans les universités. Des centres de recherches sur la pédagogie universitaire sont développés dans les universités occidentales mais aussi dans des pays du sud, comme par exemple le Maroc

11-Par institutions j'entends les laboratoires de recherche (production scientifique collective) et les établissements universitaires (critères qualité, rendements interne et externe, rayonnement etc.). La nécessaire autonomie de ces institutions n'exclut pas leur évaluation.

12-Le système LMD, quoiqu'on puisse en penser, requiert, entre autres, une grande autonomie. Sa mauvaise interprétation et donc sa mauvaise application en Algérie ne résulte-t-elle pas de la faible autonomie dont souffre l'université algérienne ainsi que de sa faible ouverture vers l'extérieur ?

13-La bureaucratie administrative étouffe l'université algérienne. Sa vocation scientifique doit instituer la primauté de la recherche et de la pédagogie sur l'administratif.

14-R. Sebaa, A. op. Cit

 A. Bouyakoub nous apprend qu'en septembre 2020, plus de 20.000 titulaires de magisters et doctorats étaient au chômage,

15-R.S, op. cit

16-L'absence de connexion Internet, de téléphone, de centre de documentation correct etc., qui constituent le minimum vital, caractérise bon nombre d'établissements universitaires algériens.

17-J'ai toujours été étonné de savoir qu'il faille, souvent, s'adresser aux missions économiques des ambassades étrangères et aux institutions internationales pour obtenir des informations économiques plus ou moins sérieuses sur le tissu économique algérien. L'information économique, élevé au rang de facteur de production désormais ailleurs, est rare et peu fiable chez nous.

18-Il est entendu que la vocation première de l'université est, en produisant, de se reproduire en formant les futurs collègues enseignants-chercheurs. Pour autant, son rôle est aussi de former à d'autres métiers et fonctions pour d'autres secteurs dont le pays a besoin.

19-AY, op.cit

20-Je ne suis pas sûr que le problème vient de l'absence de réglementation régissant les relations entre l'université et le monde du travail en particulier les entreprises, les administrations, les associations, etc.

21-J'entends ici par « professionnels » les Cadres, Ingénieurs, Techniciens issus du monde du travail qu'ils soient en entreprise, dans une administration ou une association

22-Le décret exécutif 01-294 du 13 Rajab 1422 correspondant au 1er octobre 2001 fixant les conditions de recrutement et d'exercice au sein des établissements d'enseignement et de formation supérieurs des enseignants associés et des enseignants invités

23-Il est vrai que cela impliquera une véritable révolution culturelle aussi bien dans l'université que dans son environnement extérieur !

24-Sauf erreur de ma part, il ne me semble pas que le décret 01-294 soit fréquemment appliqué par les universités en particulier pour les enseignants-chercheurs associés ou invités. Je n'en connais pas les raisons. La preuve peut être faite que l'existence d'un décret et/ou d'une réglementation ne signifie pas son application. Les blocages ne sont pas toujours là où on les attend !

25-Je fais partie de ceux qui gardent un souvenir mémorable des Mohamed Dowidar, de Samir Amin, Christian Palloix et d'autres éminents universitaires étrangers qui activaient au sein de l'université algérienne.

26-Formation inter est destinée à un public provenant de lieux divers (entreprise, administration etc.),

Formation intra est une formation sur mesure à la demande d'une structure qui peut être une entreprise, une administration, etc.

27-Soyons clair ! Je ne m'inscris ni comme donneur de leçon encore moins comme moralisateur. Je ne suis pas non plus un doux rêveur ignorant les réalités du pays. Je suis conscient de l'ampleur de la tâche. Nous n'avons que deux possibilités : on décide de commencer à réhabiliter l'université algérienne ou alors on se résigne à vivre, ad vitam aeternam dans la médiocrité.

28-L'argument qui milite pour le statu quo, avancé par certains, est que l'université algérienne ne pourrait être un îlot de démocratie et d'efficacité dans un contexte de corruption, de népotisme et de médiocrité est parfaitement entendable. Raison de plus alors pour commencer à installer le changement à l'université comme ailleurs !

*Université Lille