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Présidentielle américaine : la fin d'une époque pour les États-Unis ?

par Medjdoub Hamed*

Pour comprendre les enjeux qui se jouent dans la présidentielle américaine prévue le 3 novembre 2020, il est important de s'imprégner des donnes historiques politiques, économiques, stratégiques, géographiques qui se jouent dans le monde. La conjoncture mondiale aujourd'hui n'est pas du tout favorable à la première puissance du monde. La cacophonie qui règne dans la campagne électorale de ces derniers mois entre les deux prétendants, le président sortant Donald Trump et Joe Biden, l'ancien vice-président de Barack Obama en témoigne et montre l'impasse à laquelle fait face la première puissance mondiale.

Aussi faisons le point pourquoi l'Amérique se trouve à la croisée des chemins ? Et c'est une vérité, ce n'est pas seulement l'Amérique, mais tout l'Occident. L'Europe, par exemple, subit encore la crise multiforme générée par la crise immobilière et financière de 2007-2008, et celle-ci n'est toujours pas dépassée. La pandémie, le Covid-19, qui s'est abattue sur le monde est encore un autre problème auquel il faudrait lui donner un sens et donc s'interroger pourquoi. Bien que clairsemée dans sa propagation dans le monde, la pandémie affecte en particulier les pays riches. L'Europe se confine aujourd'hui jusqu'en décembre 2020 et concerne pratiquement tous les pays européens du moins les plus puissants d'Europe. Les États-Unis sont aussi fortement touchés, et la maladie très contagieuse ne donne toujours pas de signe d'essoufflement. Rien ne dit qu'en 2021, la deuxième vague ne cessera. Rien n'exclue une troisième vague, le monde se trouve réellement à la croisée des chemins, et pas seulement l'Occident. Et un événement majeur a lieu aujourd'hui aux États-Unis, événement qui aura des répercutions mondiales. C'est la présidentielle américaine que le monde entier suit et qui a une portée planétaire.

Il est intéressant pour comprendre l'extrême complexité de la situation du monde, en plein désarroi face au coronavirus, de faire un point de la situation depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale ? Dans le sens d'appréhender comment l'évolution de l'humanité s'est opérée pour arriver à ce qu'elle est aujourd'hui.

Très succinctement, faisons le point. On peut dire que le premier stade de l'histoire du XXe siècle s'est opéré assez rapidement. Par les deux Guerres mondiales, il était urgent de panser les blessures de la guerre qui se sont traduites par la reconstruction de l'Europe, du Japon, de l'Union soviétique, de la Chine. Bref, tous les pays qui ont souffert des destructions de la guerre, et ceux qui ont été colonisés durant des siècles ont trouvé solution à leurs souffrances.

Certes, des guerres sporadiques, certaines longues comme au Vietnam, en Algérie, le conflit israélo-palestinien, ont continué en Asie, en Afrique, dans le monde arabe et dans d'autres lieux du monde. Mais les faits sont là, il s'est produit une véritable régénération du monde.

Pour résumer le XXe siècle, on parlera de stades historiques et de triptyques d'événements majeurs dont chaque stade s'est vu porté et lui ont permis le passage d'un stade à un autre, par conséquent, de dépassements successifs dans l'organisation du monde toujours plus évoluée, plus développée et en progrès.

Le premier stade historique s'est opéré à la première moitié du XXe siècle. Il a été marqué par un triptyque historique majeur dont l'avènement des événements qui ont marqué ce stade ont été la Première Guerre mondiale et la révolution russe de 1917, suivies de la crise financière de 1929 qui a provoqué la Grande dépression économique des années 1930, a permis à Hitler de prendre le pouvoir en Allemagne et l'éclatement de la 2e Guerre mondiale. Le 3e événement a été la décolonisation du monde.

Les années qui ont suivi la fin de la Deuxième Guerre mondiale vont rendre le monde méconnaissable. L'organisation de l'humanité change de fond en comble, un nouveau visage de l'état du monde est apparu.

Quelle a été la cause de ce changement radical du monde ? C'est bien ce triptyque d'événements majeurs, la 1ère Guerre mondiale et l'avènement de l'URSS suivis d'une crise financière et une dépression économique et d'une 2e Guerre mondiale pour aboutir à la décolonisation du monde. Un processus qui s'est déroulé inexorablement marquant une transformation complètement nouvelle du monde. De nouveau, après la guerre, la reconstruction de ce nouveau monde qui n'a plus rien à voir avec celui du début du XXe, une période que l'on appelle les « Trente Glorieuses » pour l'Occident et qui, en réalité, l'ont été pour l'ensemble des pays du monde, malgré les guerres et les crises qui ont touché un grand nombre de pays. Un tribut à payer pour leur libération. D'autant plus que le 2e stade historique va s'opérer en pleine guerre froide. Le monde était bipolarisé, divisé en deux camps, le camp occidental et le camp socialiste. Et c'est précisément cette bipolarisation et la crainte du « péril rouge » qui ont amené les Etats-Unis à apporter un soutien économique et financier massif au Japon, à la Corée du Sud, à Taiwan, à la Malaisie, à l'Indonésie et à d'autres pays du Sud-Est asiatique pour endiguer le communisme en Asie. C'était non seulement une question pour leur suprématie en Asie mais vitale pour la survie même du monde occidental libéral. L'Asie devenue communiste, c'est l'Europe et les États-Unis qui auraient pâti par le communisme.

Et ces pays, par cette aide occidentale, se sont transformés tour à tour en miracles asiatiques. Mais aussi en compétiteurs redoutés pour l'Occident dans le commerce mondial. Dès lors, ne voit-on pas que, depuis 1945, le monde se trouvait à s'agencer méthodiquement, rationnellement par les forces mêmes qui se trouvaient « innées » en son sein. Que tous les événements s'opéraient avec une logique implacable tel un puzzle historique que l'on monte pièce par pièce. Une marche en quelque sorte forcée par l'histoire. On constate bien que la guerre froide et le péril rouge ont rimé avec la résurgence du Japon jusqu'à devenir la deuxième puissance économique mondiale alors que tout ne la prédestinait pas à ce rang en tant que pays nucléarisé deux fois par la puissance occupante. Le Japon, en tant que puissance ennemie, devait être annihilé à tout prix eu égard à l'extrême ténacité qu'il a montrée dans les années de guerre (1941-1945) contre les États-Unis.

De même, la montée en puissance des pays asiatiques comme des pays d'Afrique et d'Asie sortis de la décolonisation n'a pu s'opérer que parce que la guerre froide faisait rage entre les deux Grands, l'Union soviétique et les États-Unis. Sans l'avènement de l'URSS, les pays d'Afrique et d'Asie seraient-ils sortis de la colonisation ?           La Chine serait-elle devenue la République populaire de Chine ? Il est certain que, sans l'embryon historique que fut l'Union soviétique, à partir de 1922, non seulement il n'y aurait pas eu une Allemagne nazie qui devait être soutenue par les différents plans américains (Dawes, Young) pour faire rempart à l'endoctrinement communiste de l'Europe, de l'Asie et des autres continents du monde, ni des événements majeurs qui se sont produits ensuite. Force est de dire que toute la mutation du monde a pris son envol avec l'avènement de la Russie communiste. Sans l'URSS, le monde serait resté ce qu'il était après la 1ère Guerre mondiale. Sans l'URSS, ni plan Dawes ni plan Young pour l'Allemagne qui serait simplement arrimée aux grandes puissances occidentales impérialistes, les États-Unis jouant le rôle dominant dans l'architecture mondiale telle qu'elle était établie par l'Occident à la fin de la 1ère Guerre mondiale.

Aussi, on est en droit de dire que ce sont les forces historiques qui ont présidé, qui ont ordonné la mutation du monde. L'URSS était un maillon essentiel dans cette dynamique nouvelle, commençante de l'histoire. Mais l'avènement du Japon et des nouvelles puissances industrielles asiatiques (NPI) va aussi progressivement remettre en question l'ordre occidental. Cependant, si l'Occident a perdu ses colonies, il demeure néanmoins le principal financier du monde. En effet, au départ, après la fin de la 2ème Guerre mondiale, une seule monnaie internationale avait cours dans le commerce mondial, c'était le dollar américain depuis les accords de Bretton Woods de 1944. Mais la convertibilité en or des principales monnaies européennes est venue concurrencer le dollar US dans le libellé monétaire des échanges internationaux.

C'est ainsi qu'un 2e stade historique va apparaître avec un nouveau triptyque qui rebattra l'ordre de puissance mondiale. En effet, après le retour de la convertibilité des monnaies européennes en 1958, et la prise de parts de marchés toujours en hausse dans le commerce mondial, les pays d'Europe vont s'opposer à l'Amérique sur le plan monétaire. Ils exigeront le remboursement des dollars US en or, que les États-Unis qui ont perdu une grande partie de leur stock d'or ne pouvaient satisfaire. Les crises monétaires au début des années 1970, l'abandon de la convertibilité du dollar en or, le 15 août 1971, et le passage au change flottant imposé par les pays d'Europe pour se protéger de l'invasion de dollar non adossé à l'or ont été les événements marquants de cette période. La hausse des prix du pétrole (krachs pétroliers de 1973 et 1979) via le libellé en dollars des transactions pétrolières des pays arabes a permis de dépasser les crises monétaires.

Tous ces événements constitueront le premier temps du triptyque du 2e stade historique du XXe siècle. Compte tenu des divergences monétaires entre les puissances européennes et les États-Unis, ces derniers favorisés par le dollar en tant que monnaie de facturation du pétrole arabe alors que les pays d'Europe ne le sont pas, la réponse aura été une poussée inflationniste dans le monde. Les pays d'Europe n'avaient pas d'alternative que de monétiser leurs déficits courants par la création monétaire, même processus pour les États-Unis.

Que peut-on dire de la forte inflation dans le monde ? L'excès de liquidités monétaires dans les années 1970, qui s'est soldé par une forte inflation dans le monde, signifie que même les pays occidentaux, détenteurs des principales internationales, ne sont pas à l'abri des crises économiques, financières et monétaires mondiales.

Le 2e temps du triptyque s'est opéré dans les années 1980. La Réserve fédérale américaine (Fed), pour lutter contre l'inflation qui mettait en danger le système financier et monétaire international dont il était pour ainsi dire le garant par leur monnaie-centre, le dollar US, augmenta brusquement le taux d'intérêt court directeur. Il doubla passant de 10% à 20%. Les conséquences ont été immédiates. Le monde entier s'est trouvé du jour au lendemain endetté. Les économies des pays du reste du monde, par l'endettement, se sont trouvés asphyxiés financièrement. Le contrechoc pétrolier de 1986 a terminé le reste.

Le 3e temps du triptyque du 2e stade historique a été un aboutissement des deux temps précédents du triptyque, un processus historique qui était pour ainsi dire inéluctable, naturel que ne pouvait commander l'homme. De nouveau, comme dans le 1er stade historique, l'état du monde devait de nouveau se transformer. C'est ainsi que le bloc socialiste frappé par la crise de l'endettement mondial, les régimes politiques socialistes autoritaires ne pouvaient apporter une réponse viable à la survie économique de leurs peuples. Conséquence : le mur de Berlin tomba en 1989, libérant les pays d'Europe de l'Est du giron soviétique, et l'URSS elle-même disparut de la scène de l'histoire en décembre 1991. S'ensuivit, en 1992, l'éclatement de la Fédération de Yougoslavie. Que peut-on dire de ce processus historique qui est inexorable, inéluctable ? Ce séisme architectural politique qui concernait une partie du monde devait simplement se produire. Il n'avait pas d'échappatoire, le monde devait avancer, le bloc socialiste dominé par l'Union soviétique devait se rompre, son rôle historique était terminé. Ainsi, on comprend que dans les deux stades historiques, il existe les mêmes constantes, les peuples et leurs gouvernants font certes l'histoire, mais l'histoire fait aussi l'histoire selon ce qu'elle a en elle en puissance. Et c'est là le dilemme pour les peuples et surtout leurs régimes politiques qui font tout pour perdurer, mais ces régimes ne le pourront que s'ils s'inscrivent dans la marche de cette histoire en marche. Et on le constate même dans le 3e stade historique avec le même triptyque agencé par les forces historiques. En effet, l'Union soviétique disparue, remplacée par la Russie qui a hérité l'arsenal nucléaire, la voie est libre pour les États-Unis de construire leur monde unipolaire. Le pourront-ils ? Prendront-ils les stratèges américains conscience que le monde unipolaire ne pourrait être construit que s'il a l'onction de l'histoire. Et l'histoire tout compte fait que signifie-t-elle tant elle questionne les historiens, les politiques, les économistes, les universitaires et même le commun des mortels ? Qui la fait réellement ? N'est-ce pas les hommes ? Mais l'histoire surprend toujours, et c'est là le dilemme pour les puissances qui sont inconscientes des formidables forces qui se jouent en son sein. Et la pandémie en est un exemple, le Covid-19 fait aussi partie de l'histoire, la maladie qui touche l'humanité entière a aussi un sens, elle ne relève pas du hasard.

Le hasard n'existe pas, si on parle de hasard, c'est simplement que l'on n'arrive pas à situer les causes qui ont généré tel événement incompris dans son essence. Et pourtant, les causes existent, le sens causal est dans tout événement qui arrive aux humains comme à la terre. Sinon, il n'y a pas de sens dans l'humain. Lui-même ne saurait pas ce qu'il est.

Aussi, regardons ce qu'a produit le 3e stade historique en cette fin de XXe et début du XXe siècle ? Nous constatons de nouveau le même triptyque, certes agencé par notre pensée parce qu'il traduit assez fidèlement les forces dans les événements historiques. Il est évident que le triptyque peut être remplacé par un quadriptyque, ou un pentaptyque, l'essentiel est qu'il répond à la compréhension du processus historique du monde. Que font-ils les États-Unis après la disparition de l'URSS ? La première mesure a été d'attaquer les puissances régionales du Moyen-Orient qui ont refusé leur diktat, les États-Unis ne pouvant le faire tant que l'URSS était puissante. Mais dès 1989, avec la déliquescence du bloc de l'Est, le moment leur était propice pour remettre l'ordre dans un Moyen-Orient devenu instable et dangereux pour leur hégémonie. L'Irak et l'Iran devaient être neutralisés. Et cette lutte pour la pérennité de l'hégémonie américaine sera une constante durant tout le 3e stade historique. C'est le premier temps du triptyque en ce tournant du XXe siècle. Le 2e temps porte sur les conséquences de l'endettement mondial. Une situation qui va être très mal vécue aussi pour l'Occident, puisque l'endettement mondial entraîne un retour de manivelle sur leurs économies. Si le reste du monde est endetté et donc asphyxié financièrement par l'Occident, puisque ces pays doivent passer par des plans drastiques de restructuration de leurs économies (plans d'ajustement structurel ou PAS) en échange de quoi des prêts leur seront accordés, il demeure que la demande mondiale est affectée. Une moindre demande mondiale affecte forcément les économies des pays riches. C'est ainsi que des pays comme le Japon, les NPI asiatiques vont chercher auprès des autres pays d'Asie, en particulier de la Chine, de trouver des débouchés, et donc des marchés pour leur production. Et le coût de la main-d'œuvre étant très bas, les délocalisations d'entreprises à l'arrêt ou non compétitives eu égard au retournement de l'économie mondiale dans les pays d'Asie vont être très rentables pour le Japon et les NPI. Les pays d'Europe et les États-Unis affectés par la concurrence asiatique et l'invasion de leurs produits industriels et manufacturés à faible coût n'auront pas d'autre alternative que de suivre le processus de délocalisation. D'autant plus qu'une grande partie de l'industrie occidentale est menacée. Les joint-ventures avec la Chine, l'Inde, le Bangladesh, et d'autres pays seront une nécessité impossible à éviter. Cette situation va avoir des conséquences incalculables dans le changement de l'état du monde. C'est ainsi que naissent les pays émergents à la suite de ce que furent les miracles asiatiques des années 1960 débutant avec le Japon, les années 1970 et 1980 avec les pays de l'ASEAN (Corée du Sud, Singapour, Hong-Kong, Malaisie...). Dans les années 1990 et 2000, ce sont les pays du BRICS, c'est-à-dire le Brésil, la Russie, la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud. Et ce qu'on appelle les « jaguars » le Mexique, Chili, Argentine. La Turquie figure aussi en bonne place parmi les nouveaux pays industrialisés. Ces deux temps du triptyque entre les délocalisations massives d'entreprises occidentales vers les pays émergents des pays du reste du monde et les guerres menées par les États-Unis au Moyen-Orient pour imposer leur hégémonie sur le monde sont paradoxalement complémentaires. Il est évident que les délocalisations seules ne pouvaient suffire si la demande mondiale restait atone. Il fallait donc booster la demande mondiale. Précisément, les guerres menées par les États-Unis et les dépenses militaires entre 1990 et 2008 et la forte consommation occidentale en Europe mais surtout aux États-Unis compte tenu de l'euphorie américaine sous l'administration Clinton et Bush due à l'emprise qu'ils ont sur le Moyen-Orient vont jouer très positivement dans la hausse de la demande mondiale. L'Occident constituera le premier moteur dans la croissance mondiale. Les États-Unis, restés seule superpuissance du monde, et donc le monde leur est soumis, les dépenses nationales ont fusé tous azimuts. Avec l'occupation de l'Irak en 2003 après moins d'un mois et demi de guerre, les dépenses militaires et la consommation interne ont été dopées au sommet. Le système des subprimes qui a fait monter les titres immobiliers, et tous les ménages américains solvables et insolvables étaient de la partie pour accompagner cette période d'euphorie, s'opérait sous le signe d'un monde unipolaire américain.

Le réveil a été brutal, tout le système financier et économique monté en toutes pièces entre 2007 et 2008 est tombé en lambeaux. C'est le troisième temps du triptyque du 3e stade historique. L'Occident fait face désormais à de grandes puissances économiques, les BRICS, les anciens et les nouveaux NPI qui concurrencent, voire remettent en question l'ordre de puissance mondiale. Le G20 est né, le G7 reste un club des riches où ne se décident que des stratégies pour tenter d'unifier l'Occident et d'avoir une réponse à ce paradigme nouveau de l'humanité. Surtout que l'Occident, dans ce stade fatidique, est sorti fortement «endetté». Alors que le reste du monde est sorti enrichi, en particulier les pays émergents et les pays exportateurs de pétrole qui ont amassé des réserves de change considérables en dollars, euros, livres sterling et yens.

Les réserves de change de la Chine passent de 161,414 milliards de dollars, en 1999, à 1966 milliards de dollars, en 2008, soit 12 fois le niveau de 1999. Les autres pays émergents et exportateurs de pétrole ne sont pas en reste.

Que peut-on dire du 3e stade historique ? Le triptyque guerre pour le pétrole, et celui-ci a un rapport au pouvoir exorbitant du dollar, les formidables dépenses militaires et de consommation interne montées au sommet par les subprimes conjuguées aux délocalisations d'entreprises économiques massives vers les pays émergents ne pouvaient que contribuer au rattrapage économique des nouveaux pays industrialisés qui totalisent plus de la moitié de la production mondiale. Et le problème est qu'ils sont compétitifs dans le commerce mondial amenant l'Occident à dépendre de ces pays, par les importations qui sont à moindre coût. Le troisième temps du triptyque qui est l'endettement devient un poids lourd à supporter puisque les pays du reste du monde, par les placements de leurs excédents commerciaux, deviennent leurs créanciers. Par conséquent, l'Occident doit faire face à la dette extérieure, et le paradoxe est qu'elle est libellée en leurs monnaies.

Que constate-t-on dans ce 3e stade historique ? Que tout a joué contre l'Occident, croyant dominer, en fait il a tout fait pour accélérer le processus d'affaiblissement de son économie. A la fois par les délocalisations et par les fortes dépenses intérieures et des guerres menées vainement pour reconquérir ce Moyen-Orient qui continuait à se cabrer à sa domination. Plus grave encore, les deux grandes puissances adverses, la Russie et la Chine, sont montées au créneau montrant désormais leur puissance.

Évidemment si le 3e stade se termine, un nouveau stade s'ouvre, et cette fois-ci, l'Occident cherche à corriger les erreurs. C'est la nouvelle administration de Barack Obama qui essaiera de changer la trajectoire. Mais la situation historique ne plaide pas pour une correction de la trajectoire de déclin, et il faut parler de déclin, il n'y a pas d'autres qualificatifs sinon de constater le début de la fin d'une époque. Un Occident rayonnant, au début des années 1990, l'URSS défaite, l'Occident ne cesse d'enregistrer des échecs partout où il se projette. La guerre contre l'Irak entre 2003 et 2011, un désastre, en Afghanistan aussi. La guerre en Syrie, à partir de 2014, un autre désastre provoqué par l'entrée de la Russie en guerre au côté du régime loyaliste de Damas. Partout, l'Occident est en recul. L'administration d'Obama ne pouvait renverser la situation, les forces historiques contraires ne cessaient d'aller à l'encontre de la première puissance du monde. Pourquoi ? Pour la simple raison que les stratèges américains ne pouvaient comprendre que le monde a changé et qu'ils doivent non seulement s'adapter à la nouvelle configuration géostratégique mondiale mais surtout doivent s'adapter, se concerter, s'accorder et composer avec leurs alliés. C'est ce qu'a fait globalement l'administration d'Obama.

Et un 4e stade historique va naître sous sa présidence à partir de 2008, et c'est la crise financière qui va donner le tempo du triptyque, les stratèges américains commencent à prendre conscience des forces contraires. Ils auront certes une opportunité pour peser sur le devenir du monde, mais seront contrecarrés par de nouvelles forces cette fois qui ne dépendent plus des hommes, bien sûr bien plus tard avec l'avènement du Covid-19 en 2020.

Aussi le premier temps du triptyque du 4e stade historique a été l'utilisation par les Banques centrales occidentales des politiques monétaires non conventionnelles ou en anglais « quantitative easing ». La Banque centrale américaine a lancé trois QE et une opération Twist, entre 2008 et 2014. Les QE sont destinés à la fois pour procéder au sauvetage des banques (crise bancaire en 2008) et relancer l'économie américaine. Les QE ont donc été un passage obligé tant pour les États-Unis que pour les autres pays occidentaux, tous touchés par la crise financière. Financées par la création monétaire, ces politiques ont encore gonflé les dettes publiques occidentales. Pour les États-Unis, la dette publique passe de moins de 30% du PIB, en 2000 à 40% du PIB en 2008. Elle passe à 75% en 2014 et en 2020 à 98%. Pour 2030, les prévisions la tablent à 109% du PIB. (Source : Congressional Budget Office). La stratégie dans les QE a été pour les Banques centrales de racheter des créances hypothécaires douteuses et des dettes souveraines. Pour les créances hypothécaires à risque, dès que le marché immobilier se reprenait, les Banques centrales pourraient les remettre sur le marché. Revendues, elles pourraient même faire des bénéfices puisque les titres immobiliers ont été achetés à des prix bas. Des bénéfices qu'elles pourraient verser à leurs Trésors. Quant aux rachats des dettes souveraines, le premier objectif des Banques centrales a été de faire baisser les rendements. Le deuxième objectif de rachats des dettes souveraines (bons de Trésor, Obligations souveraines...) a visé surtout celles détenues par les investisseurs étrangers.

Évidemment, le marché pétrolier a été haussier jusqu'en 2014. La hausse du pétrole servant de contreparties physiques à la création monétaire ex nihilo par la Fed américaine. Mais, à partir de 2014, les émissions monétaires dans le cadre des programmes des QE s'étant arrêtées, les prix du pétrole ont fortement chuté.

La décélération économique mondiale qui a suivi à partir de 2014 a affecté fortement les pays émergents et les pays exportateurs de pétrole. Une situation de baisse des cours qui a duré et dure encore, bientôt sept années. Aujourd'hui, avec le Covid-19, la baisse des cours pétroliers s'est encore accentuée. Le prix du pétrole évolue autour de 40 dollars le baril. Le deuxième temps du triptyque du 4e stade historique est précisément l'irruption de la pandémie du Covid-19 en décembre 2019 en Chine. En 2020, la pandémie s'est étendue à l'ensemble du monde. Confinement, reconfinement, première vague, deuxième vague de la pandémie, le monde en plein bouleversement, après près de 10 mois de mesures drastiques, n'arrive toujours pas à sortir de cette grippe très contagieuse avec de graves infections respiratoires. Elle frappe partout dans le monde, mais c'est l'Occident qui a payé le lourd tribut. Il est capital de comprendre l'irruption du Covid-19 dans son impact tant sur le plan sanitaire et donc sur la santé des populations mais aussi sur le plan économique. Pour cela, il faut se référer à la nouvelle administration qui a pris la relève de celle d'Obama. Et c'est cela qui est intéressant et que l'on doit saisir les nuances de l'histoire. Il faut se rappeler que tous les médias avaient, à l'époque, donné Hilary Clinton gagnante, lors des élections présidentielles de novembre 2016. A la surprise de tous, c'est Donald Trump, le candidat antisystème qui l'a emporté, devenant le 45e président des États-Unis.

On peut se poser à juste raison pourquoi l'histoire a retenu Donald Trump président des États-Unis et non Hilary Clinton. Il faut se rappeler les slogans de Donald Trump, comme il l'a annoncé, il va changer le système de gouvernance américaine, avec son slogan «Make America Great Again», «rendre sa grandeur à l'Amérique», etc. Certes, si ces slogans font partie de la campagne présidentielle, il demeure que l'histoire ne suit pas des slogans mais suit un cours historique déjà en marche. Et quand bien même un candidat chercherait à innover, à corriger les forces, il faudrait d'abord qu'il s'inscrive dans la marche de l'histoire. Ce qui n'est pas donné.

Aussi, faut-il dire que son impétuosité, son combat direct ont joué pour lui pour devenir président des États-Unis, ce qui a fait fausser les pronostics. Et globalement, le président américain a réussi son pari, celui de remonter la pente à l'économie américaine. Il a pu aussi mettre la Corée du Nord à la raison, face à ses responsabilités dans un conflit qui l'opposerait à la 1ère puissance du monde, conflit qui serait plus qu'un désastre, fatal, inimaginable pour la Corée du Nord si elle poussait à la guerre. Il a remis aussi en cause les relations commerciales avec la Chine, qui a accumulé pendant des années des excédents commerciaux. Il a imposé des taxes douanières pour essayer d'équilibrer la balance commerciale avec l'Europe, le Canada, le Mexique et surtout avec la Chine. Il a réussi tant bien que mal. Et tout n'est pas acquis, en particulier avec la Chine qui est réellement une puissance mondiale. Et comptée déjà première puissance économique du monde par le PIB en parité de pouvoir d'achat (PPA). Son réservoir massif, le savoir-faire et la discipline de la population chinoise ne laissent aucun doute sur son ascension dans le monde. Aussi, peut-on dire que l'administration de Barack Obama a essayé de limiter le déclin américain, Donald Trump avec ses slogans de «rendre la grandeur à l'Amérique » a joué un temps durant son mandat, mais aujourd'hui, parler de « rendre la grandeur à l'Amérique », c'est se boucher les yeux, ne pas vouloir entendre ou plus simplement se « bercer d'illusions ». L'Amérique fait face aujourd'hui à une situation unique dans l'histoire et l'Europe aussi. Le Covid-19 n'est pas venu ex nihilo, il a un sens certain et la seule façon est d'essayer de comprendre ce qui se passe dans le monde. Et surtout de comprendre la situation économique mondiale avant même l'apparition de la pandémie.

Et c'est cela qui est important. La situation économique mondiale était déjà en pré-récession, et les États-Unis ont cherché à étouffer la Chine directement et indirectement. Directement, cela va de soi par les taxes douanières, indirectement, par la paupérisation d'une grande partie de l'humanité. Les Banques centrales et la Fed américaine en tête ne cessent de renflouer par la «création monétaire» et les «dépenses publiques» leurs entreprises économiques, leurs banques, maintenir les prix à leur niveau par des subventions tous azimuts, et tout en interne. Et par «interne», on entend les rachats des actifs souverains émis par leurs Trésors respectifs, et peu importe le marché primaire ou secondaire. Ce qui fait gonfler les bilans des Banques centrales, mais leur évitent de répercuter une grande partie de ces liquidités au reste du monde. Ce qui explique pourquoi le marché des matières premières et énergétiques (pétrole et gaz) évolue à des cours bas. Et cela permet aux pays du reste du monde exportateurs de pétrole et de matières premières d'avoir moins de pouvoir d'achat et donc moins importer de biens et services de Chine. Et c'est ce que visent les pays occidentaux, par une baisse des prix des matières de base, dans les conflits commerciaux qui les opposent à la Chine.

Depuis sept ans, beaucoup de pays d'Afrique, du Moyen-Orient, en Asie et en Amérique du Sud vivent des crises financières ou n'en sont pas loin de les vivre avec toutes les conséquences sur le plan économique, politique et social. Il est clair que ça ne peut que nuire au monde pris en étau dans la guerre économique et financière que se livrent les États-Unis et la Chine, l'Europe comme le Japon et le Royaume-Uni sont parties prenantes dans ce conflit financier mondial mais le meneur de jeu reste les États-Unis, ce sont les banquiers centraux américains qui dictent la marche à suivre.

Dès lors, un président américain, avec son staff, a un rôle stratégique à jouer dans cette partie qui se joue à trois Occident-Chine-reste du monde. Si la situation demeure en l'état et les cours mondiaux du pétrole et des matières premières demeurent ce qu'ils sont aujourd'hui, l'Afrique, l'Amérique du Sud et une partie de l'Asie retourneraient à la période des années 1980, à l'endettement mondial qui a fait la part belle aux institutions financières internationales, et donc à l'Occident.

Donc, l'Amérique a besoin d'un président qui doit comprendre que paupériser l'Afrique, et les autres continents dépendants financièrement de l'Occident n'est pas rentable. Cela ne fera que plonger l'économie mondiale dans la dépression, et la Chine a toujours des atouts pour rebondir. Aussi, peut-on dire que le Covid-19 est déjà là, et il n'est pas là par hasard, lui aussi a à jouer un rôle dans l'histoire. Se rappeler que deux guerres mondiales ont été nécessaires pour libérer plus de la moitié de l'humanité qui vivait sans droits humains. Par conséquent, tout laisse apparaître qu'il faut un président américain qui soit très conscient des enjeux et non de s'illusionner d'une retrouvaille d'une grandeur passée. Pour les États-Unis, c'est la fin d'une époque. Bien au contraire, elle devrait se réajuster dans ce nouveau repli qui est dicté, il ne faut pas l'oublier, par les forces de l'histoire.

La Chine n'aurait jamais eu ses Trente Glorieuses si l'économie mondiale ne s'est pas retournée dès les années 1980 à son profit. Aussi, peut-on dire que sans l'ombre d'un doute et au-delà, les pronostics et les sondages que Joe Biden sera le 46e président des États-Unis. Ici, l'auteur ne fait pas ce pronostic par conviction, il n'a pas le droit de croire à sa conviction qui peut facilement le tromper, mais croire à la trajectoire de l'histoire telle qu'elle se développe. Ce sont les forces historiques qui parlent, et non l'être humain dont le rôle se limite à décrypter ces forces.

Bien sûr, l'auteur peut se tromper, et même se tromper au cas où Donald Trump est réélu, l'auteur n'y voit pas une erreur d'appréciation de la marche de l'histoire de l'humanité mais simplement y voit un nouveau flux historique en marche et peut-être une nouvelle souffrance à venir pour l'humanité. Pourquoi ? Pour la simple raison que la situation économique mondiale va empirer. Le monde restera toujours dans une guerre économique entre les deux grandes puissances et le reste du monde sera ballotté par la misère, la détresse, l'infortune.

Mais, à voir la trajectoire de la pandémie, il faut dire qu'il y a de l'espoir à attendre des grands événements à venir. Ce sera le troisième temps du triptyque du 4e stade historique qui n'a pas été abordé parce qu'il n'est pas encore, il est attendu. Qu'en sera-t-il ? Une chose qu'il faut dire, c'est qu'à l'instar des stades historiques passés, le troisième temps du triptyque du 4e stade historique sera l'aboutissement des deux temps passés, à savoir les programmes de quantitative easing et le Covid-19. Quel sens alors aura le Covid-19 dans la marche de l'histoire ? L'avenir de l'humanité nous le dira.

*Auteur et chercheur indépendant en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective