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Référendum: Des chiffres et des interrogations

par Ghania Oukazi

En comptabilisant un peu plus de trois millions de oui, le référendum pour le projet de révision de la Constitution montre que le président Abdelmadjid Tebboune a perdu près de deux millions de voix par rapport aux 4,9 millions qui l'ont fait élire le 12 décembre 2019.

Les chiffres officiels de la consultation référendaire du dimanche 1er novembre sont éloquents. Sur plus de 24 millions d'électeurs, seuls un peu plus de 5 millions ont voté, soit 23,7% de participation nationale contre 41,13% pour la présidentielle. Le taux de participation au référendum est sans conteste le plus faible jamais enregistré en Algérie. C'est à peine un quart du corps électoral national qui a daigné aller aux urnes. Tebboune accuse ainsi une lourde perte de voix après juste dix mois de mandat présidentiel. Les résultats donnés hier par le président de l'ANIE (Autorité nationale indépendante des élections) font voler en éclats la notion de «projet consensuel» tant vantée par tous ceux qui l'ont parrainé. Il est en effet très difficile de parler de consensus national autour d'une Constitution qui n'a pas été débattue et qui a attiré si peu d'Algériens. Il n'est même plus possible de parler de «majorité silencieuse» puisque le rejet a été largement exprimé à travers les réseaux sociaux et parfois dans la rue.

Le président de l'ANIE semble avoir anticipé dimanche soir ce manque d'engouement populaire en lui trouvant des circonstances atténuantes. «Il y a la crise sanitaire créée par la pandémie du Covid-19 et le long week-end qu'ont eu les Algériens en comptant avec le jour férié du 1er novembre», a-t-il dit à l'instar d'autres responsables qui ont rajouté «l'état de santé du président de la République et son hospitalisation en Allemagne». Lors de la conférence de presse qu'il a animée hier au CIC après avoir rendu publics les résultats préliminaires officiels du référendum, Mohamed Charfi a ajouté à ces «circonstances», «l'incertitude et le retard des pays étrangers à décider des mesures pour le déplacement des Algériens vers les bureaux de vote». Ceci, pour justifier le timide 4,9% de taux de participation au référendum de la communauté nationale à travers le monde.

L'écart de voix qui fait peur

Le président de l'ANIE a juré hier devant la presse qu'il n'y a eu que deux dépassements à travers le pays, un dans un des bureaux de vote à El Bayadh et le second dans un autre à Mascara. Quelque peu froissé par une question sur la faiblesse de la participation dans des wilayas du Sud, Charfi a répondu «les gens du Sud ont été à la hauteur si on compare leur participation au taux national, je vois en cela un signe de bonne santé». Comme, dit-il, «il faut lire la question entre les lignes, je réponds entre les lignes, cette position témoigne d'un changement, qu'il soit le bienvenu !» Et au sujet de la Kabylie qui a boycotté le référendum, il a simplement dit que «nous allons donner le taux de participation par wilaya, nous sommes pour la transparence totale». Il s'abstiendra de noter que dans cette région il n'y a pas eu de changement puisqu'elle n'a pas voté non plus pour la présidentielle et avant à d'autres joutes électorales.

Les écarts entre les données officielles des deux opérations de vote (présidentielle et référendaire) sont énormes. L'explication de Charfi, «on ne peut comparer un scrutin électif à un scrutin référendaire».

Dès son intronisation, Tebboune a promis d'honorer les «54 engagements» qu'il a pris lors de sa campagne électorale relatifs à «une large révision de la Constitution, une reformulation du cadre juridique des élections, un renforcement de la bonne gouvernance à travers la séparation du monde des affaires de la politique et une mise en place de mécanismes garantissant la probité des fonctionnaires publics». Dans dix jours, le Conseil constitutionnel devra valider les résultats définitifs du référendum. Des constitutionnalistes attirent notre attention sur «les procédures transitoires» contenues en annexe de la nouvelle Constitution pour souligner que les institutions de l'Etat qui doivent désormais changer de statut à l'exemple du Conseil constitutionnel qui doit se transformer en «Cour constitutionnel», ont une année pour le faire. Le Conseil constitutionnel a donc toute latitude d'agir pour trancher toutes les questions nationales. La Nouvelle Constitution entrera en vigueur dès sa publication dans le Journal officiel.

Cette disposition capitale qui concerne l'armée

Le président de la République a fait savoir qu'il voulait tout de suite après des élections législatives et locales anticipées après bien sûr révision de la loi électorale qu'il a déjà enclenchée. L'importance de cette Constitution réside en évidence dans la large marge de manœuvre qu'elle lui accorde pour remanier tout le système politique national. Le président de la République a prévu par là de réorganiser tous les domaines d'activité au niveau politique, économique, social, éducatif, culturel, de politique étrangère et de défense nationale. De toutes les «nouveautés» qu'elle introduit dans la gouvernance, cette Constitution en apporte une qui fait peur et d'importance capitale pour le pays, l'Etat, ses institutions et ses hommes. Elle permet désormais à l'armée algérienne d'intervenir en dehors des frontières «pour le maintien de la paix dans la région». Elle ne précise pas pour autant si cette intervention se fera en cas de guerres conventionnelles ou non conventionnelles comme le terrorisme. Au passage, on relève que parmi les gouvernants étrangers qui ont adressé au président leurs vœux de prompt rétablissement, un communiqué de la présidence inclut le commandant en chef de l'Africom (les forces militaires américaines pour l'Afrique), le général d'armée, Stephen Towsend. «(...), si je suis ici c'est que nous sommes convaincus que l'Algérie peut jouer un rôle très important pour assurer la sécurité et la paix dans toute la région», a-t-il déclaré le 23 septembre dernier lors de sa visite d'une journée à Alger. Visite qui a précédé celle du secrétaire d'Etat américain à la défense d'à peine une semaine. Il semble que la nouvelle feuille de route élaborée par les grandes puissances a déjà déterminé les rôles pour chacun des pays de la région. Si le Maroc et la Tunisie ont été choisis pour abriter des rounds de dialogue politique entre les belligérants libyens, l'Algérie sera certainement appelée pour y maintenir militairement la paix et la sécurité.

Encore une fois, le président de la République devra revoir ses priorités dont la première serait son choix des hommes. Longtemps décrié sous Bouteflika, ce choix continue d'ignorer la compétence, le charisme et la crédibilité.

Le devoir éthique de l'Etat

Plongée actuellement dans une crise politique sans précédent avec le transfert de Tebboune vers l'Allemagne pour des soins intensifs, l'Algérie cafouille et tente de manipuler pour cacher une réalité qu'elle a pourtant l'obligation de dévoiler à la Nation. Les hommes d'Etat choisis par le président de la République se comptent sur les doigts d'une seule main. Encore faut-il qu'ils puissent intervenir pour sauver la face d'une institution comme la présidence de la République qui semble vidée de ses responsables. La gestion de la communication sur son état de santé laisse perplexe. Le plus grave est que l'absence de Tebboune intervient dans un contexte national et international complexe et inquiétant. Il est possible qu'il puisse être «empêché» par sa maladie de reprendre ses fonctions dans peu de temps. Les responsables civils et militaires devraient alors s'entendre pour que le Conseil constitutionnel se réunisse pour faire constater «l'empêchement» par le Parlement. Une telle situation n'a rien à voir avec la vacance du poste présidentiel qui, elle, ne peut être constatée que 45 jours après. L'Etat se doit dans ce sens d'avoir une éthique qui lui est obligatoire contrairement à la politique qui n'accorde pas de place à la morale.

Le plus dur est que l'Algérie, fortement secouée par cette absence pour raison de santé du président de la République, devra combiner une sortie de ses crises avec un baril de pétrole qui a dégringolé à 36 dollars, une économie qui courbe l'échine devant les conséquences de la pandémie du Covid-19, des réserves de change au ras des caisses, un dinar au plus bas niveau de sa valeur, un personnel politique arriviste et intrigant, une justice plongée dans les pires affaires de corruption où les règlements de comptes foisonnent, des frontières en feu et une opposition qui végète et manque terriblement d'alternatives.