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Le cobalt, emblème d’une civilisation qui dérape

par Akram Belkaïd, Paris

C’est un métal dont on ne parle pas assez mais qui est en passe de devenir le pétrole du vingt-et-unième siècle. Le cobalt, ou «métal bleu», est désormais indispensable à l’industrie de voitures électriques -il est le composant incontournable et irremplaçable des batteries- mais aussi des vélos et des trottinettes électriques sans oublier, bien entendu, les téléphones portables intelligents dont les besoins en autonomie et en énergie ne cessent d’augmenter. Selon les prévisions, il faudra produire 220.000 tonnes de cobalt en 2030 contre 136.000 tonnes en 2019 (1).

La RDC au cœur des enjeux

Mais ces projections risquent fort d’être incomplètes. En effet, le développement annoncé de la téléphonie mobile de cinquième génération, la «5G», va certainement consommer encore plus de cobalt. En effet, les batteries des antennes-relais auront besoin de plus d’énergie stockée. De même, les «smartphones» auront, eux aussi, des batteries plus puissantes pour accueillir les applications développées pour la 5G. La conséquence, selon l’agence Reuters qui a interrogé plusieurs analystes, est que ce secteur va absorber 73.000 tonnes de métal bleu d’ici 2025 contre 45.000 tonnes actuellement. La question est simple, dans un marché fonctionnant à plein régime où l’offre peine à répondre à la demande, où trouver ces 28.000 tonnes supplémentaires ?

Il est évident que tous les regards se tourneront vers la République démocratique du Congo (RDC), premier producteur mondial avec près de 100.000 tonnes. Ce pays, l’un des plus pauvres au monde, fait déjà l’objet de polémiques récurrentes sur la corruption qui y sévit et sur le détournement manifeste des revenus tirés des différentes exploitations minières. Il est à craindre que la nécessité d’augmenter la production ne débouche en RDC sur des troubles politiques et sécuritaires dans un pays à l’instabilité récurrente depuis ces trois dernières décennies.

A cela s’ajoute un autre fait que n’importe quel utilisateur de smartphone doit avoir en tête : une partie du cobalt en provenance de RDC et contenu dans les diverses batteries (véhicules, téléphones, etc.) est extraite par des «creuseurs» illégaux dont des enfants. De manière régulière, des drames avec mort de mineurs viennent le rappeler. Cela explique pourquoi des associations de consommateurs ainsi que des avocats entendent poursuivre les entreprises technologiques qui affirment ignorer dans quelles conditions le cobalt est extrait.

Introuvable substitut

Dans ce contexte, le seul élément susceptible de réduire les tensions serait la découverte d’un substitut efficace au cobalt. Nombre de constructeurs et d’équipementiers prétendent y travailler mais la «cobalt-free» batterie ressemble fort à l’Arlésienne. De même, les efforts déployés pour recycler les accumulateurs usagés demeurent insuffisants. En clair, le cobalt est emblématique d’une civilisation de la surconsommation qui détruit la planète mais aussi qui atteint ses limites.

(1) Lire mon article «La face honteuse du ‘‘métal bleu’’», Le Monde diplomatique, juillet 2020.