Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La gestion des EPE : «Fais ce que je dis et ne dis pas ce que je fais !!!»

par A. Boumezrag*

«Si l'essor économique d'un pays et la bonne gestion forment un tout indissociable, la corruption et la perversion demeurent les véritables causes de la descension sociale» Madiou Diallo

Dans une entreprise, il faut être motivé pour produire plus et gérer mieux. Pour être motivé, il faut avoir des objectifs clairs. Lorsque cette mobilisation est au service d'un bien commun, le manager est appelé «constructif» ; dans le cas contraire, il est qualifié de «destructif». Le premier agit de façon éthique, le second de façon toxique. Le leadership toxique tente d'influencer et d'abuser de la confiance de ses collaborateurs en utilisant des moyens moralement condamnables. Leur crédo est simple ; «vous êtes avec moi ou vous êtes contre nous». En disant «nous», il fait référence au réseau à qui il est redevable. Certaines organisations sont plus vulnérables que d'autres. Les entreprises offrent l'argent, du pouvoir, un statut, des relations qui attirent les psychopathes, candidats aux postes de managers. Ils présentent un profil particulier : charmeur, séducteur, force de persuasion, manque d'empathie, absence de culpabilité, obstination. Un profil qui va comme un gant au système en place. Le charme devient du charisme ; le narcissisme devient confiance en soi ; la manipulation devient l'habileté à influencer ; le manque d'empathie devient la capacité à prendre des décisions difficiles. Le pouvoir exerce une fascination indéniable sur ceux qui l'exercent comme sur ceux qui le subissent. C'est un agent pathogène puissant dont les symptômes sont une perte du sens des réalités, l'intolérance à la contradiction, la sublimation de sa propre image et l'abus de pouvoir. C'est le syndrome de la démesure. Cette maladie du pouvoir qui donne au manager le sentiment d'invulnérabilité, d'invincibilité et de toute puissance. De plus en plus, les organisations qui se sont bâties, historiquement, sur le modèle pyramidal, le modèle paternel se rendent compte qu'elles ont atteint leur degré de saturation en matière de ressentiments et de démotivations. Cette prise de conscience nouvelle oriente la recherche vers l'étude des pathologies des relations de pouvoirs, c'est-à-dire vers les enjeux invisibles du pouvoir. C'est en connaissant le fonctionnement intime de cette facette de l'entreprise, à laquelle on ne songe pas à priori, qu'on peut améliorer la maîtrise de la gestion et l'orienter vers une éthique morale et une déontologie professionnelle. Ce sont les effets psychiques du pouvoir. Quels sont les gains à espérer du pouvoir ? Evidemment, il y a des bénéfices apparents : la richesse, la notoriété, la puissance, l'accès à l'information, c'est-à-dire tout ce qui a trait à «l'avoir». Mais, il y a également d'autres bénéfices, les gains invisibles du pouvoir liés non pas à «l'avoir» mais à «l'être» ; ce sont les effets psychiques du pouvoir. En effet, à la longue, le pouvoir produit des effets psychotropes c'est-à-dire des effets qui entraînent l'esprit et stimulent les énergies. On peut y déceler deux profils pathologiques.

1- Le MAÎTRE, un «GOUROU»

A l'instar du «gourou» le maître a le pouvoir, l'argent, l'information, le renseignement sur tout et sur tous. Il refuse d'écouter, de discuter, d'être contredit par ses subalternes ou salariés du moins, en public. Il a un désir ardent de supprimer ou d'éliminer, toute personnalité chez ses salariés dans le but de leur faire exécuter n'importe quels ordres, même ceux en infraction avec la loi. C'est ainsi que toute l'entreprise devient un engagement partagé autour de son autorité. Chacun apportant le bénéfice de sa compétence et de ses qualités personnelles. Le profit matériel, évidemment, y trouve toute sa justification. Le tout s'appuyant sur une organisation cloisonnée, fortement personnalisée. Profondément ancrés dans les esprits, ces réseaux de solidarité, fondés sur des liens réels ou supposés, se reconstituèrent très vite derrière le paravent des organigrammes qui demeurèrent les véritables canaux d'accession au pouvoir sur les ressources et sur les hommes. Ces structures ne sont en réalité que des façades dissimulant des réseaux occultes et mouvants, des relations lucratives entre cousins. Par tous les moyens, celui qui détient une parcelle du pouvoir cherchera à faire intégrer les siens dans le circuit, au risque de se laisser corrompre ou compromettre pourvu qu'il soit assuré d'être maintenu à son poste, le plus longtemps possible.

2- LE CHEF, un «NARCISSIQUE»

Ce type d'entreprise est en général très soucieux de son image et sa notoriété comme la démonstration de la réussite et de la valeur de son dirigeant. Il n'est guère concerné par ce qui se passe autour de lui sinon comme occasion d'aller, plus loin, dans sa motivation. Il présente l'image flatteuse de lui-même et de ses réalisations, espérant ainsi récolter d'élogieuses remarques de la part de ses admirateurs qu'il saura récompenser, le moment venu. Le cas du dirigeant narcissique est révélateur de la nature du système. Il encourage profondément toute poussée narcissique qu'il accompagne jusqu'à ce qu'il se brûle les ailes au contact du soleil. Le narcissisme s'immisce profondément dans la structure même de l'entreprise. Les dirigeants narcissiques utilisent leurs collaborateurs comme un prolongement d'eux-mêmes. Le pouvoir symbolise, pour eux, la longévité et la vie. Ils finissent par confondre leur existence avec leur fonction. Les hommes au pouvoir identifient le pouvoir à la vie. Il leur apparaît comme un gage d'éternité. C'est pour cela qu'ils veulent, à tout prix, le garder. Ils ne peuvent pas accepter l'idée de leur mort ou que l'entreprise peut leur survivre. Ils agissent un peu comme les enfants qui sont persuadés que le monde leur obéit. La vision du pouvoir de ces hommes est avant tout une preuve d'immaturité.

Conclusion

Les dirigeants d'entreprises ont une forte ambition personnelle mais n'en ont aucune pour leur entreprise. Et pourtant, l'avenir du pays est dans la création des richesses et la production des biens et services, c'est l'affaire de l'entreprise ; c'est l'utilisation des vices de chacun pour le bien de tous. Quant à la vertu, c'est l'affaire de l'Etat. Or tout est fait en Algérie pour décourager l'un et l'autre. Un Etat efficace ne doit ni «tout faire», ni «laisser faire» mais «faire faire». Cela suppose évidemment un «savoir-faire» et un «faire-savoir» qui sont l'apanage des pays évolués. Aujourd'hui, le leitmotiv face à la moindre difficulté consiste à différer le problème, le plus longtemps possible, pour ne pas payer le prix dans l'immédiat, pour le reporter aux générations futures qui seront, malheureusement, bien contraintes de le payer et avec intérêt. Où est donc le temps où des générations entières se battaient pour que le sort des générations futures en soit amélioré ? Dans la conjoncture actuelle, beaucoup de dirigeants sont plus attachés à leur «égoïsme» insatiable et à leurs «privilèges» du moment et ne fassent pas réellement bloc avec leur entreprise en difficulté. Dès que le vent tourne, ils ne voient que leur intérêt propre et tournent le dos à l'adversité. Pourtant, nul n'ignore que «l'adversité révèle les grands, et la prospérité produit des faibles». Malheureusement, l'ascenseur social en Algérie est en panne. Ceux qui sont en haut ne peuvent pas descendre ; ceux qui sont en bas ne peuvent pas monter ; ceux qui sont à l'intérieur ne peuvent pas sortir, et ceux qui sont à l'extérieur ne peuvent pas l'emprunter. Il s'agit d'une panne de longue durée.

* Docteur