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Leadership, gouvernance et développement en Algérie : sur l'éthique et le management public

par Kamel Garoui*

« Parmi tant de personnes qui ne sont pas vertueuses, l'homme qui veut agir vertueusement en vient nécessairement à l'amertume. Par conséquent, si un prince veut maintenir son règne, il doit apprendre à ne pas être vertueux. » Nicholas Machiavel

Le leadership efficace est surtout et avant tout lié à l'intégrité et la fiabilité des responsables a tous les niveaux, par les actes et non pas seulement par les mots. Selon que ces responsables adoptent les principes d'équité, de justice et d'honnêteté, leurs Nations s'orientent soit vers la stabilité et la prospérité, soit vers la décadence et la fragmentation.

Notre jungle à nous !

Selon toute vraisemblance, en majorité nos hommes politiques et d'affaires ont, dans un passé récent, marché à la perfection sur les mots du grand philosophe politique florentin. Ils ont fait de notre chère Algérie une jungle ou face à la multitude qui vidait les caisses de l'Etat, l'honnête responsable était désavantagé, suspecté et menacé. Preuveen est que l'Algérie est aujourd'hui le théâtre de procès de corruption en cascade devant les tribunaux mettant en cause nombre de personnalités politiques et d'hommes d'affaires. Un seul homme, ou plutôt un oligarque - Ali Haddad - a arraché 124 marchés publics d'un montant de 78 410 milliards de centimes. Durant la même période il a bénéficié de 452 crédits d'un montant de 211 000milliards de centimes, en majorité accordés par des banques publiques. Poursuivons,la famille Kouninef, avec sa quarantaine d'entreprises en majorité sans aucune activité économique claire mais bénéficiant quand même d'énormes crédits bancaires, a arraché des centaines de projets se chiffrant en dizaines de milliers de milliards de centimes, dont plus 15 000 milliards de centimes dans le seul secteur de l'hydraulique. Dans le même temps, les Algériens ont appris abasourdis par la bouche du député Bahaddine Tliba au tribunal de Sidi-M' Hamed, que pour occuper un siège à l'Assemblée populaire nationale et bénéficier des mirobolants privilèges qui vont avec, leurs « honorables élus »devaient d'abord passer à la caisse des fils de... pour s'acquitter de factures se chiffrant en centaines de milliards de centimes !Aussi, apprenant par les médias la gestion à la manière de véritables chefs de bandes de quartiers du département de la solidarité par Djamel Ould Abass, distribuant des dizaines de milliards de centimes aux amis et copains, le simple citoyen est pris par la nausée !

Que ceux qui se sont permis de vider les caisses de l'Etat, qui ont terni la réputation du pays à l'étranger, qui sont à l'origine de la terrible crise financière que traverse le pays actuellement, et qui - pire encore - ont détruit pour très longtemps la confiance du citoyens en ses gouvernants payent aujourd'hui ne peut être que salutaire, ne serais-ce que parce que les responsables actuellement en poste et futurs réfléchiront dorénavant a deux fois avant de toucher aux deniers publics. Mais attention l'application de la loi est, à elle seule, inefficace pour juguler sur le long terme le phénomène de la corruption dans notre pays. En dépit de leur nécessité comme composant de la gouvernance publique, les mécanismes de consentement légal ont prouvé leur inefficacité ; ils leur manque la force morale pour instaurer la confiance. Leproblème avec les mécanismes de consentement légal est que beaucoup d'abus ayant choqué les publics échappent à la justice ou ne sont pas illégaux au point de vue de la loi, parce que les lois régulant les entreprises sont ambiguës, les hommes de lois éprouventdes difficultés à saisir les concepts de gestion et financiers, les accusés n'éprouvent pas de difficultés pour se soustraire à leurs responsabilités, les lois ne s'appliquent avec toute la rigueur qu'aux cas flagrants et extrêmes deviolation, etc.

D'où la nécessité du consentement éthique.

Les leviers propres aux mécanismes de consentement légal sont infiniment moins efficaces que des orientations fondées sur des valeurs et des aspirations éthiques. L'éthique peut être définie comme étant « la promotion et l'adhésion à des principes acceptés comme étant vrais, et gouvernant une profession ». C'est aussi « des normes que la communauté définit et institutionnalise pour prévenir les individus de poursuivre des intérêts personnels au dépend des autres ». C'est un support intangible mais très puissant pour le consentement. Instaurer des pratiques éthiques efficaces requière la participation de tous, employés et responsables à tous les niveaux.

L'éthique joue un rôle critique dans la pratique du leadership. Les leaders intègres et consciencieux mettent les Intérêts de la communauté au-dessus des leurs. En réponse aux récents scandales en Algérie, les responsables commencent à comprendre que la confiance, l'intégrité et la justice ont beaucoup d'importance, notamment aux yeux de leursemployés en particulier ainsi qu'aux yeux des citoyens en général. Comme notre climat politique et des affaires promeut les excès individuels, les responsables gagneraient a encadrer leurs actions par une philosophie éthique, qui les protège des pulsions de l'exploitation, du profit et de l'avancement au dépend des autres. Pour atteindre l'excellence, ils doivent éviter l'excès dans le comportement et dans la conduite. En fait, agir moralement est à la longue dans l'intérêt et de la collectivité et de l'individu.

Ce qui compte le plus c'est l'adéquation entre les politiques ou discours est les actions ou actes, un traitement juste des employés, et des discussions ou communications ouvertes sur l'éthique.

Des études menées aux USA et en Chine démontrent sans équivoque que les questions d'éthique occupent le haut du podium quand il s'agit de la bonne santé des institutions publiques et des entreprises. Dans l'étude menée dans la première puissance économique mondiale, parmi les 20 facteurs recensés et contribuant à l'excellence des entreprises l'honnêteté des responsables occupe la première place avec 88% sur 700%, suivent la vision avec 71%, la compétence avec 66%, les capacités d'inspirer 65%, etc. Dans celle menée dans l'usine du monde, l'interview de 35 managers parmi les plus réputés du pays a donné lieu au classement ci-après des traits de caractère des responsables menant au succès des organisations : La sincérité, la poursuite de l'excellence, la responsabilité sociale, l'harmonie, la modération, la spécialisation, le management scientifique.

Quels rôles pour les vertus ?

Les vertus sont des traits de caractère qui rendent une personne heureuse, une compagnie productive et travaillant avec profit pour une Nation. Elles sont les bonnes habitudes acquises par la répétition, qui suit la loi de la bonne raison ou de la prudence. Pour être vertueux, nous devons acquérir l'habitude de choisir d'agir bien en toute circonstance. Les vertus sont acquises par la pratique persistante et la continuité dans l'effort. Les personnes efficaces demeurent efficaces en dépit des difficultés parce que les vertus les soutiennent. Les leaders ou responsables jouent un grand rôle dans le développement ou au contraire dans l'érosion de la vertu parmi les employés et les citoyens.

Il existe des vertus fondamentales qui sont essentielles à tout bon leader et à toute prise de décision. C'est ce qu'on appelle les vertus cardinales ou naturelles : la prudence, la justice, le courage, et la maitrise de soi. Les vertus cardinales sont les principales vertus morales ou naturelles. Elles coordonnent les activités humaines et les orientent au profit des personnes, pour leur bien et leur accomplissement. Toutes les autres vertus (sagesse, bonté, etc. ) trouvent leurs origines dans les vertus cardinales.

La prudence - appelée aussi sagesse, bon jugement, compétence ou raisonnement pratique : C'est l'habitude de reconnaitre les bons objectifs et de choisir les moyens les plus efficaces pour les atteindre. La personne imprudente peut choisir les bons objectifs, mais ne choisit pas les bons moyens pour les atteindre. Nous devons

faire attention et éviter la « fausse prudence » ou les « vices » qui poussent vers la recherche du bien-être matériel personnel, par la déception, l'hypocrisie, etc. La prudence est la plus importante des vertus cardinales, elle est indispensable à l'accomplissement des trois autres vertus. Elle requière l'optimisation du passé - étude du passé, analyse des expériences passées, consultation des autres, retenir ce qui est positif et rejeter ce qui est négatif, le diagnostic du présent - analyse du détail, circonspection, et enfin la prospective du futur - exploitation opportunités, réduction risques. La justice : C'est l'habitude d'accorder aux autre leurs dus, pour qu'ils puissent accomplir leurs devoirs et exercer leurs droits, dans le même temps on fait en sorte que les autres font de même. La justice nous empêche de porter des jugements ou préjugés précipités sur les autres. Trop d'injustices sont commises du fait de jugements irresponsables, chaque personne et chaque institution a droit à un bon nom ou à une bonne réputation. La calomnie, la diffamation, le commérage constituent des injustices graves commises contre les personnes et les organisations.

Le courage : C'est l'habitude de modérer ses émotions de peur et d'audace en vue d'achever un objectif rational.

C'est la faculté de faire face et de dépasser les situations difficiles. C'est aussi la faculté d'agir même quand on a peur. Dans le milieu d'affaire ou en entreprise, le courage peut être requis pour permettre à une personne de dépasser de manière consistante la peur pour, par exemple, défendre le droit des autres, redéployer ou licencier des employés incompétents, ou d'agir dans des projets opportuns en dépit des risques encourus. La personne courageuse doit être différentiées et du peureux et de l'imprudent. La personne peureuse exagère les risques et les dangers. La personne imprudente est, au contraire, insensible aux risques et dangers.

Etre courageuse ne signifie nullement que la personne ne revient jamais sur ses décisions ou devant le danger, ou qu'elle n'assume jamais un risque, mais plutôt que cette personne juge de manière consistante les situations. La personne courageuse est patiente face aux obstacles et aux situations difficiles.

La maitrise de soi - appelée aussi tempérance ou discipline : C'est l'habitude de contrôler nos tendances à la paresse, à la colère, à la suffisance, aux retards, et au manque d'enthousiasme dans l'accomplissement de nos responsabilités. C'est la vertu permettant la modération des émotions désordonnés du plaisir. La maitrise de soi dans le gouvernement, par exemple, permet de surmonter les pressions du favoritisme, de la frugalité, ou des dépenses extravagantes ou de luxe.

La prudence est vue comme la cause, la racine, la mère, la mesure, le précepte, le guide et le prototype de toutes les vertus. L'injustice, la peur, et l'immodération vont à l'encontre de la prudence. On ne peut pas être prudent si on n'a pas les autres vertus. Une personne peureuse ne peut pas être prudente. Aussi, si quelqu'un est imprudent, il ne peut prendre des décisions justes basées sur les vertus du courage ou de la justice. Il y'a interdépendance entre les vertus cardinales. Toutes les autres vertus sont reliées aux quatre vertus cardinales : la prudence - reliée à la compréhension, docilité, etc. , la justice - reliée à l'ordre, la loyauté, etc. , le courage - relié à la patiente, persévérance, constance, etc. , et la maitrise de soi - reliée à la sobriété, abstinence, modestie, etc. En raison de l'interconnexion des vertus, une amélioration dans l'une donne lieu à des améliorations dans les autres, et une régression dans l'une donne lieu à des régressions dans les autres.

C'est quoi un leader éthique ?

La plus grande responsabilité du responsable ou du chef est de créer une atmosphère de travail caractérisée par l'empathie et la confiance, favorisant le développement et l'épanouissement des personnes, et où les gens sont traités avec respect et dignité. Il existe quatre principes permettant le développement d'un leadership éthique :

Le respect des autres : Les leaders éthiques traitent les autres avec dignité et respect. Ce respect se matérialise par le biais de l'empathie, l'écoute active, et la tolérance pour les points de vue différents des siens.

Servir les autres : Les leaders éthiques éprouvent la satisfaction quand ils servent les autres. Le service pour les autres se matérialise par la construction d'équipes de travail,en devenant mentor, en rendant les autres puissants.

La justice pour les autres : La justice fait partie intégrante des décisions des leaders éthiques. Ceci implique de traiter tous les subordonnés équitablement.

L'honnêteté vis-à-vis des autres : L'honnêteté implique d'être ouvert avec les autres par l'expression de nos pensées et notre réalité. Ce qui sous-entend que les croyances, les pensées, les dires ou paroles, et les actessont consistants.

Aussi, trois principes sont à la base de la prise éthique de décisions-Faite ce qui bon pour le plus grand nombre,suivez votre plus haut sens des principes, faite ce que vous voulez que les autres font pour vous.

Toute la question et de savoir comment encourager les responsables à changer et à s'améliorer sans créer davantage de problèmes. Ils doivent êtres poussés à voir leurs activités professionnelles comme une mission avec ses fardeaux, et non pas comme une carrière avec ses privilèges. En effet, nombres de nos responsables - pas tous heureusement - n'ont pas le sens de la responsabilité et du devoir, et ont tendance à penser en termes de : « Qu'est-ce-que ça m'apporte ». L'idée qu'on ne possède rien, que l'on consacre sa vie à son pays où à des principes leur est totalement étrangère. Au contraire, ils se concentrent sur le pouvoir, la richesse, les possessions, la position et la domination.

Les employés et citoyens apprennent sur les valeurs en regardant les responsables en action. Plus un chef « marche sur ses mots », en traduisant les valeurs en actions, plus il est crut et respecté par les autres. De plus, les managers publics doivent apprendre à faire et à tenir les promesses et les engagements - leur crédibilité et celle de l'Etat en dépend. D'où l'importance de la gradualité dans la stratégie et l'action - faire au début des promesses réalisables pour passer ensuite à des engagements de plus en plus ambitieux. Pour implémenter une culture éthique au sein de toute organisme il serait souhaitable de mettre en place trois choses : un haut responsable chargé des questions d'éthique, un comité d'éthique, et enfin un code d'éthique. De plus, des programmes de formation en éthique au profit des responsables doivent être constamment organisés. C'est terrible mais à notre connaissance seule le groupe Sonelgaz a créé en son sein un comité d'éthique en 2020. Il a,auparavant en 2010, développé un code d'éthique. Une autre louable initiative. Cette dernière, a l'initiative de l'Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, associe le citoyen lambda, à travers un questionnaire mis en ligne sur son site web, à l'élaboration dela stratégie nationale de lutte contre la corruption.

Terminons par un résumé des pratiques du Responsable éthique versus celles du Responsable non-éthique : est humble / est arrogant ; concerné par l'intérêt général / promeut l'intérêt personnel ; honnête et direct / porté sur la tromperie ; respect ses engagements / viole les accords ; lutte pour l'équité / promeut l'iniquité et la partialité; prend ses responsabilité en cas de problèmes / blâme et sanctionne les autres pout tout problème; respect les autres / diminue les autres ; encourage et développe les autres / craintle développement des autres ;sert les autres / refuse l'aide et le soutien aux autres ;fait preuve de courage pour défendre ce qui est juste / manque de courage pour affronter les actes injustes ; encourage la critique constructive même déplaisante pour lui/ aime qu'on lui dise ce que, lui, il aime bien entendre; promeut la collaboration, la coopération et la cordialité / promeut le « diviser pour régner ».

*Ancien cadre du Ministère de la Défense Nationale et de l'ex. Ministère de la Prospective et des Statistiques, Actuellement consultant-formateur en management.