Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Quelle est la cause du manque de dépistage de la Covid-19 ?

par Sachin Silva(1) Et Juergen Braunstein(2)

CAMBRIDGE - Le siège social de dix des 20 plus grandes sociétés spécialisées dans la fabrication de produits diagnostiques se trouve dans le pays le plus riche du monde, les États-Unis. Pourtant, ce grand pays a connu le plus grand nombre de morts provoquées par la Covid-19 que tout autre pays, mais il demeure extrêmement vulnérable à une aggravation constante de la crise. La raison en est simple : il n'y a pas assez de tests de dépistage.

On conçoit sans peine qu'en période d'épidémie, les médicaments et les vaccins soient au centre de l'attention. Mais en fait, ce sont les trousses diagnostiques qui servent de première ligne de défense contre la transmission, notamment pour une maladie comme la COVID-19, qui peut se propager par des hôtes asymptomatiques. Comme le démontrent les résultats divergents des États-Unis et de la Corée du Sud, les tests de dépistage éloigneraient la catastrophe et permettraient d'endiguer la pandémie.

À ses débuts, l'épidémie de la COVID-19 a suivi la même trajectoire dans les deux pays et le nombre de cas confirmés augmentait au même rythme. Les autorités publiques de la Corée du Sud ont cependant agi rapidement pour créer un marché propice à la vitesse d'innovation et à la production de tests de dépistage pour combler les besoins, augmentant la capacité de dépistage à 15 000 tests par jour en aménageant des services de test au volant pour effectuer les prélèvements.

En date du 20 mars, plus de 300 000 tests de dépistage de la COVID-19 ont été effectués en Corée du Sud - un taux supérieur à 6 000 tests par million d'habitants - même s'il n'y a aucune des 20 plus grandes sociétés du secteur des tests diagnostiques dont le siège est situé au pays. Un peu plus de deux semaines après avoir atteint 100 cas confirmés, le pays a aplani sa courbe, présentant très peu - ou pas du tout - de nouveaux cas par jour.

À l'inverse, aux États-Unis, les retards dans l'intervention gouvernementale ont laissé un vide que les marchés n'ont pu combler devant l'explosion de la demande. En date du 30 mars, environ 100 000 tests ont été effectués au pays - un maigre 300 par million de personnes. Les nouveaux cas - et le bilan des victimes - ont continué à monter.

En termes simples, l'intervention rapide de l'État a donné des résultats en Corée du Sud, alors que la main invisible du marché a échoué aux États-Unis.

Dans le monde entier, la mise au point de tests de dépistage a longtemps été laissée aux mains du marché, dont les acteurs sont très spécialisés. Par ailleurs, même si les marchés existent pour les diagnostics des principales maladies infectieuses et non infectieuses, et même pour des maladies tropicales négligées, ils sont inexistants pour les pandémies.

Dans bien des pays, l'État peut évidemment compenser les ratés du marché, mais bien souvent les mécanismes utilisés nécessitent quand même un niveau minimal de demande, qui n'existe pas pour les tests diagnostiques de pandémies tant que l'épidémie ne se déclare pas. Et on ne peut toujours compter sur les autorités nationales, tributaires de contraintes politiques et idéologiques pour créer des marchés avec la même célérité que celle démontrée par la Corée du Sud. La création de marchés en réaction à des pandémies n'est donc pas une voie d'avenir.

Les autorités nationales devraient plutôt appuyer la création d'une plateforme de coordination mondiale de la préparation des interventions contre la pandémie. Ce genre de plateforme permettrait de mobiliser des capitaux pour les investir dans l'accélération de la mise au point, de la production et de la distribution de tests de dépistage de pandémies.

Une telle plateforme existe déjà à l'état de prototype. La Coalition pour les innovations de préparation aux épidémies (CEPI) est un mécanisme de coordination centré sur la mise au point de vaccins avancés et la facilitation des essais de validation clinique, de la production de masse et de la création de réserves de vaccins. En réduisant l'incertitude et en minimisant les ruptures de stock, CEPI rend les marchés de vaccins plus sûrs, plus accessibles et plus dynamiques.

CEPI a recours aux sources conventionnelles de financement (les généreuses subventions des États et des fondations), mais aussi à de nouveaux modes de financement (les revenus d'instruments comme la Facilité internationale de financement pour la vaccination ou IFFIm). Lorsqu'une épidémie se déclare, CEPI a recours à des instruments comme les Engagements de marchés avancés (les AMC) ou les garanties de volume - qui peuvent être structurés par des mécanismes comme le fonds mondial d'investissement en santé GHIF et InnovFin, ou des engagements conditionnels envers IFFIm et Gavi, l'Alliance du vaccin - pour accélérer le déploiement des capacités de production.

Ce schéma peut être facilement reproduit pour les diagnostics. Il ne manque qu'une chose, une entité - une institution ou une initiative qui se spécialise dans le couplage des activités de recherche et développement au débouché de marché. Toutes les autres activités peuvent fonctionner sur le mode de la CEPI : la plateforme recevrait des fonds des États membres, augmenterait le pouvoir d'achat par des investissements réalisés dans le cadre de la IFFIm et déploierait la production au besoin en recourant aux AMC ou aux garanties de volume.

Une telle entité pourrait même collaborer directement avec la CEPI. Un partenariat en matière de diagnostics et de vaccins, fondé sur la mise en commun des accès au marché et de la plateforme de financement, pourrait réduire les inefficacités et les coûts de transaction. Ainsi, dans un scénario de pandémie, pendant que les chercheurs mettent au point et procèdent aux essais des vaccins, les trousses diagnostiques pourraient être produites rapidement et déployées à grande échelle, réprimant considérablement par le fait même la transmission.

La crise de la pandémie de la COVID-19 nous a enseigné que, laissés à eux-mêmes, les marchés ne produisent pas de leur propre chef le genre de production adéquate de diagnostics qui sont essentiels dans une épidémie. Elle a aussi démontré que cet échec de marché peut rapidement mener à la catastrophe sur le plan de la santé publique, même dans une économie avancée où des sociétés du secteur des diagnostics exercent leurs activités. Faute de corriger cet échec du marché et d'assurer un accès généralisé aux tests de dépistage de la COVID-19 (et d'autres futures épidémies), il faut craindre le pire pour les pays moins nantis.



Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier

1- doctorant et boursier de la faculté T. H. Chan de Santé publique de l'Université Harvard est membre du groupe d'étude du G20 sur la cohésion sociale et l'État

2- boursier de l'Université Harvard du Centre Belfer pour la Science et les Affaires internationales et membre du groupe d'étude du G20 sur la cohésion sociale et l'État