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L'Ecole algérienne et la formation humaniste ou la culture otage de la rue

par Ladjel Kherzat*

On a souvent décrié le travail de l'Ecole algérienne, à tort ou à raison. Toute fois partons d'une anecdote vécue ces derniers temps : Vu notre âge, nous étions deux connaissances qui n'avaient pu se revoir depuis notre mise à la retraite qui remonte en 2005. Nous nous sommes retrouvés devant un kiosque à journaux, nous nous sommes arrêtés devant ce magasin pour discuter un peu. Puis nous nous sommes dirigés vers le seuil du magasin fermé qui était à côté de ce kiosque à journaux.

Fatigués, nous avons préféré nous asseoir sur le pas de ce magasin. Un jeune arrive sur un vélo, il l'arrête juste devant nous, à dix centimètres, et se dirige vers le kiosque à journaux. Mon ami outré de l'action effectuée par ce jeune, l'interpelle :

- Ô jeune, tu ne nous as pas vus assis sur le pas de la porte ?

- Pourquoi dites ?vous ceci, dit alors le jeune ?

- Est- ce que la politesse te permet d'agir ainsi ?

- Vous ne devez point vous asseoir sur le pas de porte.

Le jeune reprit son vélo pour le remettre à quelques mètres de nous et partit faire ses achats. Cette image m'a interpellé quant à la formation humaniste de l'école. Je me suis posé la question suivante : est-ce que l'Ecole algérienne avait intégré dans ses programmes la culture humaniste ? En fouillant de plus en plus en profondeur, j'ai trouvé que ses programmes prenaient en charge certes l'humaniste que je cherchais. Pourquoi donc les gens agissent ainsi?

Il me semble qu'il y a d'autres éléments qui interviennent pour mieux orienter nos jeunes vers d'autres sources que la société n'avait pu endiguer. Il m'a été très facile de découvrir ces éléments nocifs. Certains médias encouragent ces jeunes à aller vers une liberté absolue enviée par certaines sociétés qu'elles soient européennes ou autres. Ajoutons à cela nos parents qui souvent sont démissionnaires quand ils ne sont pas laxistes. Evidemment beaucoup de parents comptent sur la formation scolaire et deviennent démissionnaires. L'enfant se trouve en face de trois formes de culture : la culture sociale, la culture familiale et la culture scolaire. Tiraillé entre les trois, l'Algérien préfère celle de ses compères, c'est-à-dire la culture sociale ou culture de la rue. Considérons « l'esprit des lois du livre IV de Montesquieu qui met l'accent sur les différences ou les contradictions de ces cultures. Le cadet reçoit de ses aînés, mais l'inverse ne saurait se faire. L'esprit du legs générationnel serait unique. Effectivement, c'est à ce niveau que réside les particularités apparues durant la seconde moitié du XXe siècle.

A la culture des pères s'ajoutent, plus que jamais, celle des pairs. Lorsque se forment les valeurs, normes et codes culturels propres aux jeunes, pensés pour eux voire par eux. Ceux-ci ont accès au « monde », médiatisés par les nouvelles instances de connaissance grâce à la culture de masse. Si bien que l'anthropologue M. Mead évoquera pour cette période la culture « pré-figurative ». C'est-à-dire, au sein de laquelle, les enfants éduquent leurs parents autant qu'ils soient éduqués par eux. Donc, ils deviennent des acteurs autant que leurs parents. Si bien que le sociologue Georges Friedmann y voit arriver une école parallèle qui concurrence la véritable école. C'est ainsi que se confrontent et s'affrontent les rivalités culturelles de trois émanations : sociale, celles des jeunes et celle de l'école. Ainsi l'Ecole perd le privilège éducatif et culturel.

Les jeunes sont attirés par cette culture dite de masse ou forgée par eux. Pendant les années 60 à 80, la culture de masse avait brillé en Europe et s'était étendue vers d'autres pays, tout particulièrement la culture des jeunes qui s'était immiscée à l'école pour renforcer la culture scolaire, voire la remplacer. Pendant l'année 60, la chanson devient l'étendard de la culture juvénile. Les jeunes interrogés à cette époque affirment qu'ils lisent « Salut les copains » (Hassenforder, mai 1967, p 41) A cette période fleurissent beaucoup de journaux et de revues pour les jeunes et qui deviennent les préférés de ces jeunes. La lecture perdait de plus en plus du terrain, au profit d'autres médias tels que l'écoute la télévision, le cinéma, les réunions entre amis?etc. Leurs préférences allaient aux émissions de variétés, aux feuilletons

La culture scolaire traditionnelle commençait à céder en partie à la culture de ces jeunes, pourtant ces jeunes pensaient que les deux cultures ou les deux écoles n'en feraient qu'une seule. Quelle culture dispense l'école ? La culture classique de l'ancien temps commençait à être envahie par la culture de masse. L'école devenait donc deux au lieu d'une. Cependant, les jeunes pensaient que les deux formes d'école n'allaient en faire qu'une seule. La culture des jeunes ou culture de masse passe à travers les obstacles pour rentrer à l'école. Les jeunes pensaient qu'ils pouvaient participer à la formation d'autres jeunes par cette culture de masse. Les vieux ne parvenaient plus l'arrêter. L'école l'intégrait comme élément nouveau à sa propre culture. Ce mélange de deux cultures, souvent contradictoires, ne semblait pas faire l'affaire aux anciens. Les jeunes se dressent comme hommes de demain. Les parents deviennent démissionnaires et laissent la formation entièrement à l'école, laquelle à son tour ne parvient point à imposer une forme de culture unique. Elle est obligée de collaborer avec les deux autres cultures, à savoir : la culture scolaire et la culture sociale détenue par les parents ou plutôt étant l'apanage des aïeuls et qu'ils exigent qu'elle soit apprise par les enfants.

L'école tente le plus souvent d'intégrer la culture dite littéraire pour conserver son rayonnement dans la société, mais les jeunes voudraient imposer leur culture appelée culture de jeunes.

En effet, dit Galvâo, Isabel (2015)- Au-delà des murs, penser les frontières entre l'école et la cité ? le sujet dans la cité n° 6, «...c » est bien d'une concurrence qu'il s'agit, une culture scolaire et culture de jeunes ; d'aucuns regimbent devant elle, la jugeant déloyale. Car là où la culture scolaire suppose le didactisme et l'effort la culture qu'acquièrent les jeunes grâce aux médias apparaît ludique et plaisante ; elle exige d'eux moins de peine et d'opiniâtreté. Enfin c'est un spectacle (pour eux). C'est ce qui la différencie le plus de l'école. Mais c'est aussi ce qui la dévalorise le plus aux yeux d'une grande partie des enseignants ». 1

L'école se débat dans la transmission de ces savoirs alors que nos jeunes préfèrent aller vers la facilité pour acquérir par le jeu sans trop de peine, ni d'effort. Donc l'école devrait se muter vers une forme d'apprentissage qui satisfasse l'esprit curieux du jeune sans lui demander des efforts qu'il ne voudrait plus développer.

Nos chercheurs devraient s'orienter vers une recherche qui faciliterait l'assimilation des cultures, tout en attirant les jeunes au lieu de les repousser. L'école deviendrait le lieu où le jeune trouverait son plaisir et accepterait la forme de culture que la société voudrait lui imposer.

Devenant une école rejetée par les jeunes parce qu'elle force les tâches ingrates d'une culture à transmettre par le travail de la systématisation et de la mémorisation, « tâches ardues qui étaient autrefois compensées par la découverte que faisait l'enfant du monde extérieur, en entrant à l'école et dont la fréquentation précoce de la télévision le prive.» (Chalvon , 1979,p.23)

Rappelons que bon nombre d'enseignants n'aimeraient point exercer avec les médias, chose que les jeunes d'aujourd'hui apprécient et manipulent avec facilité. L'école restée très traditionnelle fait fuir les jeunes. Il faudrait que notre école aille dans le sens désiré par ces derniers pour les intégrer et leur fournir une culture prenant en charge les vœux qu'ils émettent pour construire une société qui les intéresserait demain. C'est certain qu'ils aimeraient avoir une société différente de celle de leurs aïeuls. Donc que reprochent-ils à la société de leurs aïeuls ? Il nous semble qu'ils reprocheraient à cette société sa rigidité et surtout sa façon d'apprentissage. En effet, les jeunes d'aujourd'hui pensent qu'ils apprennent plus facilement par l'utilisation des médias qu'ils savent surtout manipuler correctement. Or les parents aimeraient que leurs enfants apprennent les vieux principes de la société traditionnelle qui donnerait toujours raison et respect aux plus âgés. Partant du principe que les jeunes d'aujourd'hui manipulent avec dextérité les médias. Donc, ils arrivent à l'école avec plein de connaissances, ce qui nous autorise à dire que l'école n'a plus l'apanage de faire découvrir par le jeune le monde extérieur. Il faudrait peut-être que l'école se tourne vers plus d'explication des phénomènes qui environnent les jeunes.

En conclusion, il serait raisonnable que l'école fasse peau neuve en se modifiant pour pouvoir conquérir la masse de ces jeunes et les faire revenir à elle en utilisant les médias que ces jeunes savent manipuler avec aisance. Sinon, elle devrait se convertir de la découverte vers l'explication rationnelle et judicieuse pour mieux attirer cette masse de jeunes. La formation pédagogique et son utilisation semble n'intéresser personne. Au contraire, la pédagogie devient de plus en plus lourde qui est pressentie par les jeunes comme inadéquate, ne faudrait-il pas la rénover dans le sens désigné par cette population ?

*Ex-enseignant de langue française et auteur

Notes :

1- Note d'un chercheur de l'INRP (ferrero, 1977 p.25)