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Finance islamique: «L'argent d'Allah ne se compte pas avec les doigts» !

par A. Boumezrag*

«Allah ne modifie pas l'état d'un peuple tant qu'ils ne modifient pas ce qui est en eux» Coran

Un jour le roi Abdelaziz se trouvait dans le désert, il rencontra une femme qui pleurait. Il apprend qu'elle vit dans une grande misère Il avait toujours sur lui des sacs remplis d'argent sous le siège de sa voiture de l'époque car il y avait beaucoup de pauvreté. Il n'existait aucun moyen de distribuer de l'argent à la population, il a pris le sac de pièces et lui a donné, la vieille femme se mit à frapper le sol en implorant « que Dieu dévoile tous les trésors de la terre pour vous ». C'était avant la découverte du pétrole. Au cours d'une entrevue privée avec un monarque musulman à la fin des années soixante-dix, un diplomate non musulman aurait dit : « C'est Dieu qui a mis du pétrole dans votre sous-sol, ce sont nos machines qui l'extraient, ce sont nos firmes qui l'exploitent, quel est votre mérite ? ». Le souverain musulman aurait souri ; et le diplomate de poursuivre : « C'est de l'usage que vous ferez de vos revenus pétroliers, que vous seriez jugé par Dieu et par votre peuple : si vous en faites un bon usage, vous seriez béni par Dieu et votre jeunesse vous en sera reconnaissante, par contre si vous les dilapidez, Dieu vous maudira et les générations futures déterreront et retireront vos os pour les brûler sur la place publique ».

Ce sourire de ce souverain musulman cache en réalité une double vérité : la première, c'est que seul Dieu l'unique enrichit qui il veut et sans commune mesure, et que l'homme n'a été créé que pour adorer son créateur ; la seconde, c'est que la richesse est la plus grande et la plus difficile des épreuves que Dieu a infligée à la communauté musulmane. Aujourd'hui Satan est devenu plus percutant, il tente l'homme non pas par la pauvreté mais par la richesse. Le pétrole est une chose sacrée sur terre, personne n'y touche sans risquer de recevoir les foudres de Satan. Elle est à la base de toutes les idéologies matérialistes qu'elles soient communistes, libérales, ou islamistes. L'Arabie Saoudite a conclu en 1945 un accord avec les Etats-Unis consistant à livrer du pétrole en quantité illimitée en échange d'une protection militaire et politique durable du régime monarchique saoudien.

Pris dans le tourbillon du pouvoir et fascinés par l'argent facile, les dirigeants arabes délirent et se lancent dans des projets pharaoniques afin de s'immortaliser. Dans la tombe, ils chercheraient à « régner en enfer que servir au paradis ». Ils s'imaginent que le monde se plie à leur volonté et que les recettes pétrolières vont leur assurer l'éternité. Ils prennent leurs désirs pour de la réalité. Ils ignorent qu'ils ne sont là que pour le décor comme cette cerise sur le gâteau. Elle est la dernière à être posée par le maître pâtissier que sont les Etats-Unis. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler cette fameuse déclaration d'Henry Kissinger : « Le pétrole est une chose trop sérieuse pour qu'on la laisse aux arabes ». C'est grâce à lui que le pays fonctionne. C'est un stabilisateur du régime politique, un inhibiteur de la jeunesse, un serviteur capricieux de la paix sociale. Il est responsable de la décadence morale de la société et masque l'indigence de l'économie.

Une certitude, l'Algérie ne vit que grâce aux recettes des exportations pétrolières et gazières. Il s'agit d'une ressource financière avec laquelle l'Etat tient en otage la population et affiche sa légitimité vis-à-vis des partenaires étrangers. Une rente pétrolière et gazière que l'Etat ne peut maîtriser ni dans sa durée et ni dans son amplitude. Elle est fonction des quantités mises sur le marché international et du cours du baril pratiqué dans les transactions avec les partenaires. Celui-ci oscille entre un prix plancher convenu entre les multinationales devant couvrir les coûts d'exploitation des vieux puits américains en activité et un prix plafond devant amortir les frais de recherche, de prospection des nouveaux gisements engagés par les firmes. Entre les deux, c'est la loi de l'offre et de la demande. Le marché s'est substitué au ciel. Le dollar américain à l'eau de pluie. D'ailleurs, nous avons cessé de regarder le ciel. Nous avons les yeux rivés sur l'écran. Un écran en couleur et non en noir et blanc comme l'enfer ou le paradis. Il est joyeux et non lugubre, attractif et non répulsif, il est nu et non en hidjab, il est en liberté et non emprisonné. Il est virtuel et non réel. Il nous fait rêver éveillé. Il est disponible H24. On le transporte partout avec nous-mêmes dans les endroits les plus intimes.

D'ailleurs, il n'y a plus de jardin secret, tout se partage y compris le lit. C'est une arme redoutable, elle atteint l'âme. L'économie rentière est la base sur laquelle repose les régimes arabes et la prospérité occidentale. « On ne crache pas dans la soupe ». Le pétrole a transformé le pays en une vaste caserne à ciel ouvert où chacun attend son virement du mois en fonction de son grade (attribué ou mérité ?) et de sa disponibilité à servir loyalement ses supérieurs. Le pétrole dans sa gouvernance est informé par le renseignement et protégé par l'armée dans le fonctionnement et la pérennisation du régime en place. Pris en tenaille entre la volonté populaire de changement et le statu quo suicidaire du régime, on s'interroge : que faire dans un pays où régime et Etat sont cimentés par le pétrole ? Animés par des hommes qui n'ont pour tout programme : « j'y suis, j'y reste » ou « ôte-toi que je m'y mette ». L'un a l'argent et le fusil, l'autre a le verbe et la rue. Ni la rue ni le fusil ne peuvent s'en passer de l'argent du pétrole et du gaz. La cerise ne fait que trôner sur le gâteau. Elle n'est pas le gâteau. C'est une garniture interchangeable au gré des appétits et des fantaisies des uns et des autres. Dans toute cerise se cache un noyau dur. Chez chaque homme sommeille un diable. Le diable est devenu plus percutant ; il ne tente plus par la pauvreté mais par la richesse. Une richesse illusoire (paradis des yeux et enfer de l'âme). Il est rusé et charmeur. Il ensorcelle. Quand la ruse plane au sommet, l'intelligence rase les murs.

L'argent facile envoûte, captive. Il n'épargne personne. Tous lui tendent la main, du président de la République jusqu'au simple mendiant du coin. L'administration, l'armée, la justice, les médias, la population sont tous à sa dévotion. Tous lui obéissent au doigt et à l'œil : le juge, le médecin, le professeur, le douanier, le policier. Sans lui, ils sont nus. Il nourrit, il loge, il soigne, il enrichit, il arme, il finance, il renseigne, il protège, il condamne, il voyage. Il est partout et personne ne peut s'en passer de ses dollars ; le communisme, le militarisme, l'islamisme, le terrorisme, le libéralisme. Cette soumission au règne sans partage du pétrole sur la société, est-ce la rançon d'un pouvoir et/ou l'indigence d'une population ?

Cent trente ans d'occupation coloniale ont produit un « peuple vaillant pieux » affrontant, les mains nues, les forces de l'OTAN. Un peuple fier et digne qui ne quémandait pas sa nourriture au colon qui l'exploitait sans merci. Il mangeait son propre pain à la sueur de son front. Un pain fait maison à partir des produits du terroir. Il buvait du lait de chèvre et se soignait avec des herbes. Il ne connaissait ni diabète, ni tension artérielle, ni maladies cardiaques. Cinquante d'indépendance l'ont réduit en un « peuple nourrisson » qui court derrière le sachet de lait importé. Que vaut la dignité d'un peuple infantilisé ? Le prix d'un sachet de lait ? D'une baguette de pain ? Les revenus pétroliers et gaziers donnent l'illusion aux Algériens d'une mère nourricière éternelle les condamnant ainsi à la dépendance et à l'infantilisme. Le sein maternel nourrit le bébé de la naissance à l'âge de six mois. Le pétrole le prend en charge du berceau jusqu'à la tombe. Le geste d'allaiter renforce le lien entre la maman et le bébé. La distribution des revenus pétroliers par l'Etat sous forme de subventions, de salaires, de pensions ou de licences d'importation crée un lien de dépendance pathologique. La mère porte l'enfant, le père le protège. Le sein maternel répond aux besoins nutritifs. Le père s'occupe de ses besoins relationnels. C'est le père qui permet à l'enfant de sortir de la fusion avec la mère et une fois adolescent de pouvoir s'opposer à lui pour devenir adulte.

En Algérie, le père a failli. Il ne veut pas le reconnaître. C'est un narcissique. Les dirigeants algériens ont su faire croire au peuple algérien meurtri que la providence se trouve au sommet de l'Etat et non dans le sous-sol saharien. Ils ont « décidé » de bonne ou de mauvaise foi, seul Dieu peut juger, d'assurer le bien-être de la population en s'attribuant d'autorité le rôle de distributeur des richesses et des revenus pétroliers et gaziers par la promotion d'un Etat providence. Là où il y a la carotte le bâton n'est pas très loin. Un Etat qui dispose d'un double monopole, celui de l'argent et celui de la violence légale. C'est grâce à la rente pétrolière et gazière que l'Algérie fonctionne et que la population vit. Tous tendent la main aux pétrodollars des hydrocarbures. C'est le sous-sol saharien qui lui garantit son salaire et non l'Etat et que ce salaire n'est pas la contrepartie de son travail mais de son allégeance. Il a profité du système. Il s'est dit « avoir un salaire est un droit et que travailler c'est rendre service ». Alors, il joue le jeu « en faisant semblant de travailler et l'Etat en faisant semblant de le payer ». Une grande comédie dans un théâtre à ciel ouvert où les rôles sont distribués d'avance.

Le spectacle est terminé, les rideaux sont levés, les masques tombent. On découvre que les diplômes de l'Etat ne débouchent pas sur des emplois productifs, que le travail de la terre a été enterré, que les usines sont transformées en bazars, que le pays n'est pas gouverné, que nous vivons exclusivement de l'argent du pétrole et du gaz. Aujourd'hui, qu'il est rattrapé par la réalité, l'Algérien veut d'une part être rétribué par l'Etat pour son allégeance au système et d'autre part être rémunéré par la société pour le service qui lui rend. Le problème est que l'Etat n'a plus les moyens d'acheter la paix sociale et la population ne peut s'en passer des revenus pétroliers. Aujourd'hui, l'Etat et la société se retrouvent le dos au mur. Un Etat virtuel face à une société réelle. L'Algérien est resté bloqué à l'âge infantile. L'homme nouveau promis par les dirigeants algériens des années 60 avec une tête d'enfant dans un corps d'adulte. Ayant été traumatisé par la violence du père, l'Algérien de nature attaché viscéralement à la mère, fonctionne plus à l'émotion qu'à la raison. Il est peu porté à la logique (physique, mathématiques, chimie) et sensible à la bonne parole (religion, radio, télévision). Une parole qui amuse, distrait, endort et invite aux rêves et à l'évasion. Aujourd'hui que le sein se tarit et que le bras se relâche, la mère s'affole, le père absent qui osera le sevrer ? Il sera aussitôt mordu. On ne joue pas avec le feu, on risque de se brûler. Le feu prend de toute part et l'eau se raréfie ? « Qui réunit l'eau et le feu, perd l'un des deux ». L'argent ou le pouvoir ? De quelle légitimité peuvent se prévaloir les fortunes privées en dehors de l'argent du pétrole ? Que vaut la probité d'une élite qui a bâti son pouvoir sur la corruption généralisée de la société ? Un pouvoir que l'élite s'acquiert sur un peuple au moyen de sa dégradation morale.

C'est bien la décadence des mœurs qui fait le lit des régimes autoritaires en terre d'islam sous les quolibets des « gardiens du temple ». Au nom du développement économique et de la paix sociale, les gouvernements successifs ont dilapidé en toute légalité et en toute impunité les ressources pétrolières et gazières dans le but de se perpétuer au pouvoir. Mais à quel prix ? Au prix de l'assèchement des puits. Tant pis pour les générations futures, elles n'ont pas participé à la guerre de libération nationale. L'Etat ce n'est pas un météorite tombé du ciel pour faire le bonheur des hommes sur terre. C'est une invention des hommes, des hommes éclairés, faisant de l'Etat de droit un substitut à l'autorité de l'église. L'argent du pétrole s'est substitué à la providence divine. Il a obtenu la soumission de la population et le soutien des puissances étrangères. Il est devenu incontournable. Il a dilué l'islamisme dans un baril de 150 dollars. Il a calme les jeunes contaminés par le printemps arabe. Il est à l'origine de toutes les fortunes acquises en dinars et en devises. Il interdit aux gens de travailler sérieusement, d'investir de façon rationnelle ou de produire des biens et services en dehors des sphères que contrôle l'Etat. Bref, il fait de la politique, de l'économie et de la diplomatie.

« Jamais, il n'a été aussi facile de gouverner qu'aujourd'hui. Autrefois, il fallait chercher avec finesse par quelle monnaie on devait marchander les gens ; aujourd'hui tout le monde veut de l'argent » Alphonse Karr. Ce sont les pétrodollars qui dirigent le pays et lui donnent sa substance et sa stabilité. Les gouvernants arabes ne sont là que pour rendre le gâteau appétissant. La cerise est une douceur de la vie qui fait oublier à l'homme le goût amer du noyau annonçant la mort. Au crépuscule de leur vie, les dirigeants arabes s'accrochent au pouvoir comme si le pouvoir s'identifiait à la vie. Et toute vie est liée au sexe. Le pouvoir est un sexe en érection. Coincés entre le refus de la mort et la perte du pouvoir, désemparés et pris à la gorge, ils se réfugient dans les bras de Satan qui leur murmure à l'oreille : « quand tu as le pouvoir, tu as l'argent et quand tu as l'argent, tu gardes le pouvoir ». L'argent du pétrole et du gaz donne l'illusion aux hommes que le pouvoir est « éternel » et qu'il peut se transmettre de père en fils. Les régimes arabes déclinants sont rongés par le désir sanglant et irrépressible d'une transmission héréditaire du pouvoir (Syrie, Egypte, Libye) à l'instar des monarchies arabes du Golfe (Arabie Saoudite, les Emirats, le Koweït). L'Arabie Saoudite a conclu en 1945 un accord avec les Etats-Unis consistant à livrer du pétrole en quantité illimitée en échange d'une protection militaire et politique durable du régime monarchique saoudien.

Pris dans le tourbillon du pouvoir et fascinés par l'argent facile, les dirigeants arabes délirent et se lancent dans des projets pharaoniques afin de s'immortaliser. Dans la tombe, ils chercheraient à « régner en enfer que servir au paradis ». Ils s'imaginent que le monde se plie à leur volonté et que les recettes pétrolières vont leur assurer l'éternité. Ils prennent leurs désirs pour de la réalité. Ils ignorent qu'ils ne sont là que pour le décor comme cette cerise sur le gâteau. Elle est la dernière à être posée par le maître pâtissier que sont les Etats-Unis. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler cette fameuse déclaration d'Henry Kissinger : « Le pétrole est une chose trop sérieuse pour qu'on la laisse aux arabes ». Que de barrages envasés remplis à la faveur des dernières pluies, que de réserves en devises engrangées sans changement d'économie politique, que de potentialités mises en jachère, en rebut ou poussées vers l'exil, pour une population majoritairement jeune, maladroitement formée en quête d'un emploi productif dans un pays mal aimé qui marche sur sa tête et réfléchit avec ses pieds, un œil dirigé vers La Mecque et l'autre rivé sur Washington, se retrouvant en fin de parcours à Paris à la recherche d'un second souffle. Nostalgie d'un passé encore présent dans les esprits des deux côtés de la Méditerranée.

L'histoire est un éternel recommencement et la géographie une source intarissable de richesses. D'une colonisation jadis « au menu » jugée coûteuse à une occupation aujourd'hui « à la carte » car profitable, le passage est vite assuré à la faveur d'une mondialisation débridée sous la houlette des Etats-Unis d'Amérique talonnés de près par l'Europe. La pérennité et l'hégémonie occidentale passent par le contrôle absolu des gisements pétroliers et gaziers partout dans le monde contre une « oxygénation » des régimes politiques arabes essoufflés et une « irrigation » satellitaire des sociétés sclérosées d'une culture judéo-chrétienne productrice de biens et services destinés à un marché. Une culture qui accroît « l'avoir » et appauvri « l'être ». Un être que l'islam a mis sur un piédestal et que la rente énergétique a transformé en un tube digestif puant, visqueux et sans cervelle (gaz et pétrole). L'homme n'est pas seulement un ventre à remplir, mais des mains pour travailler, un cerveau pour réfléchir, une langue pour s'exprimer et des yeux pour scruter l'horizon. « Le Coran a été révélé aux hommes comme guide de conscience, comme règle de morale et comme critérium du bien et du mal ».

*Docteur