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Transport maritime : la formule fob, le coût et fret et l'utilisation du pavillon national

par Mohamed Bouabida*

Au cours du troisième trimestre de l'année écoulée (2019), le gouvernement avait imposé une nouvelle mesure quant au paiement et au transport des importations. C'est du moins ce qui ressort d'une instruction du ministère des Finances du 29 septembre dernier relative aux importations de produits de téléphonie mobile et d'électroménager.

Cette nouvelle mesure avait pour objet, d'une part, de substituer au paiement cash des importations en usage, un paiement différé de neuf mois et, d'autre part, le recours obligatoire à l'incoterm FOB ainsi qu'aux capacités nationales de transport maritime, en priorité chaque fois que possible, dans le but de promouvoir l'utilisation de la flotte maritime nationale et de réduire les dépenses en devises étrangères.

Pour rappel, cette mesure concernait, dans une première phase, les importations des produits de téléphonie mobile et d'électroménager (produits blancs et produits gris), puis dans une seconde phase s'étendaient au plus tard le 31 décembre 2019 à toutes les importations.

Les importations, selon cette instruction, devaient donc être payées en FOB. FOB, qui signifie «Free on board» soit littéralement «sans frais à bord», est un Incoterm, à savoir un terme se rapportant à l'ensemble des droits et devoirs dans le cadre de négociations internationales. En d'autres termes les accords commerciaux après la diffusion de cette note émanant du ministère des Finances devaient porter uniquement sur le prix de la marchandise et excluent les frais de transport. Il est à noter, dans ce sens, qu'annuellement ce sont environ 45 millions de tonnes de marchandises tous types confondus (hors hydrocarbures) qui transitent par les dix (10) ports nationaux.

L'application de la formule FOB pour l'ensemble des importations n'a pas connu les résultats attendus sur le terrain. Les importateurs furent autorisés donc de nouveau à continuer à pratiquer le coût et fret CFR au lieu du FOB. Les nouvelles orientations précisaient que, dans le cas où il serait impossible de recourir à l'incoterm FOB, les importations pourraient être réalisées en coût et fret (CFR), à condition de détailler la facture en vue de pouvoir déterminer les prix des marchandises, le coût du transport et celui de l'assurance. Cette mesure permettrait ainsi à la banque commerciale et la Banque d'Algérie de contrôler le coût du fret.

OBJECTIFS ASSIGNES ET DIFFICULTES CONTATEES :

Importer une marchandise c'est donc procéder notamment à un déplacement physique de la marchandise qui engendre des frais et des risques. Il s'agit donc de déterminer d'une manière très précise qui supporte ces risques et frais, de connaître exactement à partir de quel point les frais relatifs au transport et autres frais sont pris en charge par l'une ou l'autre partie.

Une marchandise est achetée ou vendue en FOB quand celle-ci est achetée sans les frais de transport et autres frais et taxes y afférents et sans les assurances. Par conséquent lorsqu'une marchandise est achetée en FOB, il faut payer ensuite son transport ainsi que les frais d'assurances. Cet incoterm qui n'est applicable qu'aux transports maritimes désigne le vendeur comme responsable de la marchandise jusqu'à ce que celle-ci soit à bord du navire.

Toujours dans la formule FOB, le vendeur a rempli son obligation de livraison quand la marchandise est placée à bord du navire au port d'embarquement désigné par l'importateur. Le vendeur dédouane donc la marchandise à l'exportation.

Par contre, l'achat d'une cargaison en coût et fret (CFR) implique une mobilisation de devises qui est faite au départ comprenant et la cargaison et le transport maritime. En optant pour la formule FOB les fonds mobilisés en devises sont contrôlés et ne concernent que la cargaison. Le vendeur procède alors aux formalités de dédouanement de la cargaison à sa charge au port d'embarquement et on peut dire que la marchandise est Algérianisée au port d'embarquement avant qu'elle ne soit embarquée. Le transport maritime est payable à l'arrivée de la marchandise au port d'arrivée ce qui donne une garantie supplémentaire à l'importateur de prendre possession de sa cargaison.

En coût et fret souvent l'importateur ne connaît même pas le navire que le fournisseur va affréter pour son compte ce qui l'expose, parfois, à des surprises se traduisant par des séjours prolongés du navire à quai. Au niveau de nos ports, nous avons vécu des séjours prolongés des navires à quai dépassant les normes pénalisant ainsi et le port et d'autres clients dont les navires sont en attente sur rade d'où l'augmentation des séjours moyens par navire à quai et en rade. La cause en général est que le navire n'est pas conçu pour le type de cargaison transportée. Dans de telles situations ce sont souvent nos ports qui sont pointés du doigt. Souvent ce qu'on gagne en cargaison non pré élinguée par exemple, on le perd en surestaries.

Le montant des surestaries payées annuellement par le Trésor algérien est très élevé. A titre d'exemple pour l'année 2009, ce sont 750 millions d'euros qui ont été payés par l'Algérie à ses partenaires étrangers sous forme de remboursement des coûts supplémentaires sur les navires qui restent en rade pendant plusieurs jours et au niveau des ports. Les raisons, souvent, échappent à l'importateur. Dans ce sens, la mise en place de cet incoterm FOB a pour objectif de réduire ou carrément mettre fin à ces surestaries qui se chiffrent annuellement en millions de dollars.

Les instructions obligeant les importateurs à recourir pour le transport en priorité aux capacités de transport du pavillon national (CNAN) sous l'incoterm FOB avaient pour objectif de réduire la facture des importations. Cependant est-il possible d'importer les marchandises au titre exclusif de l'incoterm FOB avec les transporteurs du pavillon national ?

CONCLUSION :

Parmi les objectifs assignés pour l'importation en FOB c'est la rationalisation des importations et le contrôle du transfert des devises pour préserver les réserves de change. Appliquer la formule FOB, à notre sens, est une façon d'obliger les armateurs étrangers présents en Algérie et qui dominent le marché (l'armement national assure moins de 5% du marché) à déclarer en dinars le fret et à transférer le montant en devises du transport effectué. Autrement dit les importateurs devaient payer en dinars les frais de transport ou de fret.

Certes, l'Algérie subit donc un surcoût important qui se chiffre en millions de dollars. Le choix de cet incoterm FOB allait-il rationaliser les importations avec, entre autres, une prise en charge significative du volume des importations par le pavillon national ?

L'instruction adressée aux opérateurs nationaux dictait une obligation de «privilégier le recours au pavillon national», chaque fois que cela est possible et d'adopter en «priorité» le recours à l'incoterm FOB. Mais cet objectif de promouvoir l'utilisation de la flotte maritime nationale et réduire les dépenses en devises étrangères n'a pas connu sur le terrain les résultats escomptés.

Actuellement l'armement national CNAN et ses filiales ne desservent pas tous les ports étrangers qui sont choisis par les importateurs d'où l'impossibilité de privilégier le recours au pavillon national d'une façon significative et sous la formule FOB.

Afin de relancer le transport maritime national au profit du développement économique, il est à noter, au passage, que le gouvernement a décidé il y a quelques années d'accorder des crédits au profit des entreprises maritimes pour le renouvellement de la flotte nationale. Ce programme a porté sur l'acquisition de 26 navires dont une partie a été livrée.

Ces acquisitions étaient motivées par le paiement de sommes colossales représentant les surestaries au profit de transporteurs étrangers ainsi que la faible couverture du marché. Mais avec la flotte actuelle ne répondant pas aux besoins, la compagnie nationale de transport maritime ne pourrait prendre en charge d'une façon significative une partie du tonnage annuel transitant par les ports algériens qui est estimé à environ 45 millions de tonnes.

En dépit de nombreuses restructurations et d'une aide financière répétitive, la compagnie publique battant pavillon national ne couvre, dans les meilleures années, même pas 5% du marché du transport des marchandises. La compagnie nationale de transport maritime CNAN, à notre sens, n'est plus l'armateur puissant des années 70 avec une flotte importante opposée à la concurrence internationale sur le marché de nos échanges extérieurs. La CNAN disposait à l'époque de 80 navires de différents types tentant de répondre aux besoins de tous les segments de marché du transport maritime spécialisé de l'époque tels que le transport des marchandises diverses, des vins, des céréales, des colis lourds, des biens d'équipement, des passagers, des hydrocarbures et des produits chimiques. L'armement CNAN assurait ainsi avec ses capacités propres et affrétées, une part de l'ordre de 35 % des échanges extérieures de l'Algérie avec un objectif de 50% à atteindre.

Enfin, l'Algérie a connue une période propice avec une santé financière inédite durant la dernière décennie mais n'a pas prévu le renforcement de la flotte nationale ce qui lui coûte des sommes colossales en devises pour le paiement des surestaries et ce depuis des décennies. Le renforcement de la flotte marchande nationale constitue, à notre sens, une question de souveraineté économique.

Aujourd'hui les pouvoirs publics accordent une importance particulière au développement de la flotte maritime. Durant le 1er semestre de l'année en cours, ce volet a été débattu lors de deux réunions périodiques du Conseil des ministres. Lors de la dernière réunion du Conseil des ministres du 28 juin 2020, le président de la République a donné des instructions fermes afin que le transport soit revu dans toutes ses formes en optimisant tous les moyens disponibles et permettre à l'Algérie de retrouver sa place dans le domaine du transport maritime à travers l'élargissement de la flotte maritime en vue de la prise en charge du transport des voyageurs et de marchandises, de et vers l'Algérie et économiser ainsi les coûts en devises des prestations des compagnies étrangères. Voilà une nouvelle et un espoir qui permettraient à l'Algérie nouvelle de voir au moins une partie de ses performances réalisées durant les années 70 refaire surface.

En ce qui concerne les surestaries qui sont une forme de remboursement aux partenaires étrangers des coûts supplémentaires sur les navires qui restent en rade pendant plusieurs jours et au niveau des ports, il faudrait reconnaître qu'elles sont dues aussi aux conditions d'accueil des navires dans nos ports. En général les armateurs fixent les prix non seulement en fonction des conditions des ports de destination mais également en tenant compte des risques de séjour prolongé de leurs navires dans les ports nationaux. Le même procédé est appliqué pour les assurances. Les conditions du port portent notamment sur la lenteur des déchargements avec des faibles cadences, l'équipement d'exploitation inadapté, les attentes sur rade, le séjour prolongé à quai, l'absence du travail de nuit, les arrêts injustifiés, les séries de mouvements, de poste à poste, des navires à quai, etc.

A titre d'exemple, un navire de 3000 tonnes de big bags peut être déchargé en 2 shifts (06 heures) dans un port, comme il pourrait être déchargé en 4 shifts dans un autre port. Toutes ces carences génèrent des surcoûts considérables qui se répercutent sur le Trésor et les consommateurs. Ces faiblesses dans les chaînes logistiques font du transport des marchandises vers notre pays l'un des plus chers au niveau du bassin méditerranéen.

Aujourd'hui bon nombre d'armateurs étrangers rejettent la formule FOB. Ils ont toujours été réticents à ces mesures. Rappelons-nous, au passage, ce que certains armateurs étrangers de grosses pointures ont, au début de l'année 2012, signifié aux opérateurs algériens leur décision de supprimer de manière unilatérale le paiement par la formule FOB de leurs importations. Les clients algériens concernés ont été informés de s'acquitter de leurs factures d'importation en mode coût et fret, le FOB étant supprimé. Le problème ne s'est pas posé pour les importateurs algériens notamment les industriels qui importaient depuis longtemps leurs équipements et matières premières en mode coût et fret. Ce sont les importateurs de produits finis destinés à la revente en l'état, contraints de répercuter un surcoût généré par l'importation en coût et fret sur le prix de leurs produits, qui étaient les plus exposés à des problèmes. A l'époque un importateur de matériel informatique et de mobilier de bureau a été contraint de payer pour le transport maritime 3700 dollars par conteneur de 40 pieds en coût et fret au lieu de 2900 dollars le container en mode FOB. Le surcoût a été de 800 dollars par conteneur.

La décision d'importer sous la formule FOB est une formule qui augmenterait aussi le coût du fret et de ce fait le coût de nos importations nationales et offre en parallèle des avantages. Parmi ces avantages c'est la garantie supplémentaire à l'importateur de prendre possession de sa cargaison et le contrôle du coût du fret par la banque commerciale et la Banque d'Algérie.

Concernant l'augmentation du coût du fret et le coût de nos importations, il est à signaler au passage que les coûts internationaux du fret sont fixés à l'échelle mondiale et non « spécialement pour l'Algérie ». En clair, le prix de transport d'un conteneur d'un bien de consommation est déterminé pour un ensemble de pays et non pas uniquement pour l'Algérie. Alors si les armateurs étrangers sont tenus de déclarer le prix du fret en dinars, dans le coût du fret sera intégré le risque de change. A titre d'exemple, si le prix du fret d'un conteneur de marchandises valait initialement 800 dollars, avec le risque de change il pourrait devenir 850 ou 900 dollars. Alors si la formule FOB a été retenue, le Trésor dépenserait en plus des montants supplémentaires de transfert de devises vers les armateurs pour les 2.000.000 conteneurs transitant annuellement par les ports nationaux.

En conclusion nous estimons qu'en coût et fret le vendeur est responsable du coût et le transfert de propriété et de possession a lieu au port de destination. Il est à signaler, au passage, que la majorité des importateurs privilégient la formule «Coût et fret».

Beaucoup d'acheteurs débutants, nouveaux dans le créneau, trouvent cette option particulièrement avantageuse parce qu'ils sont relativement libres de responsabilité pour la cargaison, logistiquement et financièrement parlant. En formule coût et fret beaucoup de fournisseurs offrent souvent des prix bas si les acheteurs acceptent l'incoterm. L'achat de marchandises sous l'incoterm coût et fret se traduit en général par des prix très bas et compétitifs, souvent beaucoup plus bas que les prix sous l'incoterm FOB. Si nous envisageons de choisir l'incoterm coût et fret, nous devrons nous demander si cela vaut vraiment la peine de nous exposer à un tel risque pour un prix abordable et comprendre les implications de ce choix qui peut entraîner des coûts imprévus, des retards et moins de contrôle sur le fret maritime !

Au moment de finaliser cet article nous apprenons par les médias que le transport maritime en Algérie sera ouvert au privé, voilà une décision qui pourrait réduire la facture des importations. En effet, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a annoncé la disposition de l'Etat à ouvrir le transport aérien et maritime aux opérateurs privés souhaitant investir dans le secteur. Intervenant à l'ouverture, lors de la « Conférence nationale sur le plan de relance pour une économie nouvelle » tenue les 18 et 19 août 2020, le président de la République a affirmé que les investisseurs privés peuvent créer des entreprises spécialisées dans le transport aérien et maritime en vue d'activer dans les domaines du transport des voyageurs et des marchandises.

Appelant les investisseurs et les entreprises économiques à œuvrer à la réduction de la facture d'importation des services, le président de la République a rappelé que la facture annuelle des services de transport s'élevait à 12,5 milliards de dollars, dont 3,4 milliards de dollars pour les frais du transport maritime de marchandises. Nous estimons que la possession de fonds importants ne doit pas être une condition suffisante pour l'acquisition d'un navire de commerce. Le professionnalisme et la formation seraient des atouts tant pour l'acquisition de navires que pour leurs gestions techniques et administratives.

*Ex-Commandant de port /Cadre dirigeant E.P. Mostaganem - Expert maritime agréé près les tribunaux (non opérationnel)