Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Abdelbaki Benziane au « Le Quotidien d'Oran » : Tahkout, LMD, résidences universitaires... : Le ministre de l'Enseignement supérieur dit tout

par Interview Réalisée Par Ghania Oukazi

Spécialiste en management, issu de la famille universitaire, le ministre veut mettre son expérience au service d'un secteur qui a besoin d'une profonde réforme de sa législation, sa gestion, son fonctionnement, son encadrement, ses enseignements, ses formations... «Je ne suis pas de ceux qui partent à partir de zéro, il faut actualiser ce qui a été fait comme assises, travaux, études et expertises, consolider ce qui a marché et changer ce qui ne l'a pas été», nous dit-il dans cette interview.

Le Quotidien d'Oran : Le protocole pour la gestion de la fin de l'année universitaire et la prochaine rentrée fixait cette dernière au 1er septembre. Mais une proposition a été faite pour que la rentrée soit reportée au 19 de ce mois en cours. Qu'est-ce qui justifie ce report ?

Abdelbaki Benziane : Le protocole est important parce que c'est une nouveauté par rapport à une démarche classique. Nous avons essayé de l'élaborer en tenant compte des aspects pédagogiques, scientifiques et bien sûr sanitaires que nous avons fait valider par le ministère de la Santé. La nouveauté est que c'est un protocole dynamique. Dès le départ, nous avons dit qu'il va évoluer en fonction de l'évolution des conditions sanitaires nationales et locales parce que nos villes n'ont pas toutes le même taux de contamination. Il y a d'ailleurs certaines villes qui ont commencé à faire passer les examens aux étudiants en nombre restreint parce que la contamination n'est pas vraiment très développée par rapport à d'autres qui sont concernées par le confinement partiel. Autre caractéristique du protocole, le pouvoir d'appréciation qu'on a donné aux chefs d'établissements par l'effet d'une décentralisation à travers l'installation de cellules locales en parallèle de la cellule centrale que préside le secrétaire général. Composée de gestionnaires, de représentants syndicaux d'enseignants, d'étudiants et de travailleurs et aussi du représentant du secteur de la santé, la cellule locale est présidée par le chef d'établissement qui a un pouvoir d'appréciation qui lui permet de prendre en charge ce protocole localement. Au lieu qu'il revient vers le ministère pour toutes les nouveautés qui peuvent survenir ou pour la prise de certaines dispositions, il peut agir localement mais dans le cadre d'une concertation avec les membres de la cellule dont la mission est d'essayer d'adapter ce protocole en fonction de l'évolution de la situation sanitaire.

Q.O.: Le suivi officiel de la situation sanitaire montre que la pandémie est en baisse. N'est-ce pas contradictoire de retarder la rentrée universitaire ?

A. Benziane : Non, ce n'est pas contradictoire parce que cette baisse n'est pas encore accompagnée de dispositions pour la reprise comme le transport inter-wilaya qui en est pour nous une condition sine qua non. Par exemple, nous avons 46 écoles à l'échelle nationale où on retrouve en moyenne les étudiants de 40 wilayas. Ils sont en période d'examen, du moins ceux qui n'habitent pas loin de ces écoles (dans un rayon de 80, 100, 200 km et qui ont toujours des possibilités de se faire transporter). Pour les autres qui doivent venir de loin et qui n'ont pas de transport, ceux du grand Sud par exemple, on est tenu de leur faire passer ces examens plus tard. Nous tenons ainsi au principe d'équité. Nous sommes en train de suivre la tendance baissière de la pandémie, nous attendons les décisions de l'ouverture du transport inter-wilaya, ce qui va nous permettre d'assurer aussi bien les examens que le démarrage des enseignements progressifs.

Q.O.: Comment serait-il possible d'appliquer les mesures de distanciation physique prévues par le protocole dans des résidences universitaires qui ont toujours débordé d'étudiants ?

A. Benziane : Le protocole prévoit la rentrée des étudiants par vagues, ce qui veut dire qu'ils ne seront pas présents tous en même temps. Ces vagues d'étudiants seront choisies en fonction des années, on en laisse l'appréciation aux chefs d'établissements. Il y en a qui ont commencé par les étudiants sortants et c'est logique de libérer ceux en licence 3 et en master 2. Et on revient progressivement vers les premières années parce qu'on aura le temps de les prendre en charge. Il n'est donc pas question de les retrouver tous ensemble dans les résidences universitaires. Pour les chambres qui en comportaient deux, on va en choisir un pour le mettre seul et celles où il y en avait trois ou quatre, on en mettra deux. La distanciation physique sera aussi respectée dans le transport parce que nous prévoyons 25 étudiants par bus.

Q.O.: Il est de notoriété publique que l'homme d'affaires Mahieddine Tahkout, actuellement en prison, détenait près de 50% des moyens de transport dans le secteur universitaire...

A. Benziane : ...44% exactement sur 18 wilayas et pas n'importe lesquelles, les plus importantes...

Q.O.: Ceci, avant que ses biens ne soient mis sous scellés par la justice. Avez-vous pris les précautions nécessaires pour que les étudiants ne soient pas privés de transport ?

A. Benziane : Nous sommes en relation contractuelle avec cette entreprise jusqu'au 31 décembre 2020. Le contrat qui nous lie dans le cadre d'un cahier des charges nous permet de gérer jusqu'au 31 décembre. Par contre, nous avons soulevé ce problème de transport universitaire lors du Conseil des ministres du 9 août pour attirer l'attention sur ce genre de monopole qui peut créer des situations de blocage pour les établissements. Le président de la République a donné des orientations pour l'année prochaine pour que ça ne se répète plus. Dans le futur, ça va se faire sur un avis d'appel d'offres avec des conditions différentes. Actuellement en préparation, l'avis d'appel d'offres doit donner la chance à tout le monde. Ceci étant, dans les autres wilayas, nous avons des contrats avec d'autres transporteurs privés avec lesquels nous n'avons pas de problèmes.

Q.O.: Les vagues d'étudiants dont vous parlez peuvent à un moment de l'année universitaire se retrouver toutes ensemble. Comment allez-vous pouvoir faire respecter la distanciation physique ?

A. Benziane : Je tiens à préciser que nous sommes en train de gérer ce dispositif en deux phases. La première, l'actuelle, concerne la clôture de l'année universitaire 2019-2020. La deuxième phase où les étudiants risquent de se retrouver tous ensemble, c'est la rentrée universitaire. D'ici là, espérons que la situation s'améliore. Nous devons attendre les résultats du bac pour avoir une idée sur le nombre de candidats reçus. A partir de là, nous allons prévoir un scénario pour la rentrée universitaire qui pourra se faire aussi par vagues. Nous sommes en train de voir comment font les pays qui sont dans la même situation. Ce qui nous réconforte un peu c'est qu'on n'est pas seul à réfléchir aux mesures à prendre. Personne dans le monde n'a une solution toute faite parce que le virus évolue. Nous sommes dans un système qui se cherche, on n'a pas de solution établie, aucun pays n'en a une. Il est vrai que nous sommes sur une tendance baissière et le virus est moins agressif, nous souhaitons qu'elle continue, ça nous permettra de voir les choses autrement. Si on a tenu à ce que le protocole soit dynamique c'est pour qu'on puisse l'adapter au fur à mesure qu'il y a de nouvelles donnes. Le travail a été collaboratif, il n'y a pas mieux. C'est un protocole qui a été conçu par les gestionnaires à plusieurs niveaux, validé par les représentations syndicales et associations estudiantines et aussi par le ministère de la Santé. On a pensé à tous les cas de figure aussi bien dans les résidences universitaires qu'au niveau de la pédagogie.

Q.O.: Les établissements universitaires ont-ils reçu des budgets supplémentaires pour régler -sans délais - les éventuels problèmes qui risquent de se poser ?

A. Benziane : Depuis le 12 mars, il y a eu un arrêt d'activité, toutes les universités étaient fermées à part quelques services. Donc, la partie la plus importante en matière de consommation, à savoir les charges annexes, les fournitures, était à l'arrêt. Ce qui a permis de faire des économies sur le budget 2020. Ce sont ces économies que nous sommes en train de redéployer pour clôturer l'année et préparer la rentrée universitaire.

Q.O.: Le mode opératoire du protocole en question s'appuie essentiellement sur l'enseignement à distance mais nombreux sont les enseignants et les étudiants qui se sont plaints du manque de matériels informatiques, des difficultés d'accès aux plateformes d'EAD à cause des coupures ou du faible débit d'internet, mais aussi du manque de formation à ce genre d'enseignement. A-t-il été possible de former enseignants et enseignés en même temps dans une période aussi courte ?

A. Benziane : L'enseignement à distance a toujours été facultatif chez nous. On n'a jamais investi à ce niveau. Il représentait au grand maximum 10% de l'enseignement présentiel et dans certaines spécialités. Il fallait donc le généraliser. Il y a eu dans ce sens un appel en direction de la communauté. Les enseignants se sont impliqués à fond pour mettre les cours en ligne. Comme à toute chose malheur est bon, la pandémie nous a permis de les mobiliser pour aller vers l'enseignement à distance, chose que nous n'aurions jamais pu faire auparavant. Nous sommes arrivés aujourd'hui à 90% des cours mis en ligne dans l'ensemble des spécialités. Il fallait ensuite assurer l'interactivité avec les étudiants. Mais il fallait que le débit d'internet soit équilibré, existant dans toutes les wilayas avec la même intensité. Ce qui n'a pas été le cas partout. C'est un problème qui a été posé en Conseil des ministres. Aujourd'hui, si nous voulons aller vers une consolidation de l'EAD, il nous faut un dispositif de formation sur des plateformes collaboratives en direction des enseignants et des étudiants avec tout ce que cela exige comme dispositions, formations et débit internet.

Q.O.: La crise sanitaire n'a-t-elle pas permis de prendre du recul pour cerner les dysfonctionnements au niveau de l'université en vue d'élaborer une stratégie pour son sauvetage ?

A. Benziane : L'enseignement supérieur est confronté à au moins quatre ensembles de défis. Le premier est lié à la qualité des enseignements que nous devons revoir pour les adapter aux normes, la qualité de la recherche aussi bien fondamentale qu'appliquée si nous voulons nous ouvrir sur le secteur économique, la qualité de la gouvernance parce que nous avons un dispositif de management complètement inadapté au contexte actuel. Nous sommes obligés de le revoir pour passer d'une vision administrative à une vision managériale de l'université où on commence à mettre en place de nouveaux outils de gestion. La réforme LMD prévoyait le dispositif de formation et aussi le dispositif institutionnel qui permet de la faire évoluer à travers la démarche d'évaluation, l'assurance qualité...

Q.O.: Lancé en 2004, le LMD ne semble pas avoir réglé les problèmes de fond qui minent l'enseignement supérieur depuis de longues années. La tutelle va-t-elle en réviser la durée et les programmes ?

A. Benziane: Il y a eu déjà deux rencontres d'évaluation de ce système, la première en 2008 et la 2ème en 2016. Notre plan d'action sur le moyen terme prévoit la prise en charge des points faibles, des insuffisances et des dysfonctionnements qu'a générés le LMD pour pouvoir apporter des réponses. Nous allons reprendre l'évaluation faite en 2016 et l'adapter aux besoins de l'université. Ça demande des rencontres parce que je suis pour une démarche participative. Il n'est plus question que le ministère décide seul. Le ministère est un régulateur. Il a une vision, elle doit être partagée et appropriée par tous les acteurs du secteur. La Covid a bloqué un peu notre dispositif de réflexion mais nous allons reprendre ce qui a été fait. Parfois on a tendance à oublier qu'il y a une mémoire. On reprendra donc tous les travaux des assises qui ont été tenues, les travaux d'ateliers et leurs recommandations. Ce serait intéressant de les valoriser, de voir ce qui a été pris en charge réellement, ce qui ne l'a pas été, pourquoi... On ne partira pas donc de zéro. Il faut en faire le point parce que ce n'est pas recommandé de mettre un trait sur ce qui a été fait si nous voulons que ce secteur puisse évoluer en tenant compte de ses points forts et ses points faibles.

Q.O.: Prévoyez-vous de réviser la loi sur l'orientation universitaire? Si oui, qu'est-ce qui devrait être changé en premier ou quelles en sont vos priorités ?

A. Benziane : Elle devait être modifiée depuis 2017. La loi doit être révisée pour qu'elle puisse répondre aux ensembles des défis, la qualité des enseignements, le LMD qui a introduit le tutorat, l'assurance qualité...

Q.O.: En quoi consiste l'assurance qualité ?

A. Benziane : C'est une démarche qui nous permet d'évaluer au fur et à mesure les enseignements, la recherche, la gouvernance... C'est un dispositif d'évaluation-amélioration. Nous pensons créer une agence d'assurance qualité pour évaluer nos universités, comme ça existe dans tous les pays du monde. L'agence doit être indépendante et permet d'évaluer nos établissements à travers ces trois grands volets : qualité de formation, qualité de recherche, qualité de gouvernance.

Le dernier décret en matière d'organisation des universités et des centres universitaires date de 2003-2004, ce n'est quand même pas normal parce qu'un décret a une durée de vie de 10 ans. C'est important de revoir la législation d'autant que ces décrets ont été pris avant le LMD. Ils ne sont donc pas du tout en cohérence avec la réforme que nous voulons. C'est un des points qui doit être inscrit dans la loi.

Q.O.: Est-ce qu'il reste des enseignements qui ne sont pas dans le système LMD ?

A. Benziane : Oui, les sciences médicales ont un système particulier de fonctionnement et aussi les ENS (Ecole Normale Supérieure) qui répondent à un profil de formateur. Mais globalement, 96% de l'enseignement supérieur est LMD.

Q.O.: Les syndicats du secteur réclament de nouveaux statuts pour les différents corps d'enseignants y compris pour les hospitalo-universitaires. Avez-vous prévu d'en débattre avec eux pour en amorcer l'élaboration ?

A. Benziane : C'est prévu dans notre programme d'action stratégique. J'ai été saisi par les syndicats à ce sujet mais on s'est entendu de mettre en priorité les plans d'urgence qui consistent à terminer l'année et à préparer l'année prochaine. On leur a dit qu'on ouvrira plus tard ces dossiers et qu'on y travaillera en étroite collaboration. D'autant que ce ne sont plus des programmes d'urgence mais de contingences. On est confronté à une crise qu'on pensait régler en deux, trois mois d'où le choix de la date du 23 août pour la rentrée. Mais ça n'a pas été le cas et personne ne sait comme ça va évoluer. Même pour le vaccin, des pays ont donné des dates mais aucune n'est sûre, certains parlent de novembre, d'autres même de l'année prochaine. Heureusement qu'on a déjà le dispositif de préinscription et d'inscription en ligne des nouveaux bacheliers à l'université qui est déjà huilé. Les étudiants n'ont même pas à se déplacer. Nous nous devons de rester sur le qui-vive. C'est pour cela qu'on n'a pas voulu ouvrir plusieurs dossiers à la fois. Mais c'est prévu de prendre en charge ces grosses questions seulement à partir d'une évaluation parfaite de ce qui marche et qu'on doit consolider et ce qui ne marche pas et qu'on doit changer. Il faut cependant impliquer le maximum de personnes. Je ne veux plus qu'une décision soit prise uniquement par un ministre ou par un groupe au niveau de son cabinet mais n'est pas validée par la communauté, donc elle ne pourra pas être appliquée. Si comme si on n'a rien fait.

Q.O.: En tant que spécialiste en management, avez-vous une stratégie pour ouvrir l'université sur l'environnement socioéconomique ?

A. Benziane : Je reviens donc aux quatre ensembles de défis. Il y a celui de l'employabilité et l'insertion professionnelle qui oblige à travailler sur des offres de formation plus à même de prendre en considération les besoins du secteur économique, faire évoluer les offres existantes pour former en cohérence avec la réalité. Nous ne pouvons plus rester sur des métiers qui sont complètement obsolètes. Nous sommes en train de revoir la carte des formations par rapport à la demande du marché, l'évolution des métiers ainsi que celle socioéconomique des régions. On part de l'existant parce qu'il y a eu des réflexions sur ces sujets. Le 3ème ensemble de défis c'est le rapprochement université-entreprise où il y a eu beaucoup d'actions qui ont été menées, pour certaines, elles n'ont pas été valorisées, pour d'autres, il n'y a pas eu de répondant, évidemment chacun colle la responsabilité à l'autre...

Q.O.: Le discours politique parle depuis de longues années de la nécessaire relation entre l'université et l'entreprise. Qu'est-ce qui a manqué le plus à son développement et à son renforcement ?

A. Benziane : L'université a un gros problème de communication. Ne pas communiquer est chez nous une culture, une mauvaise. Il y a plein d'actions qui sont menées mais on n'en parle pas. On a vu durant cette crise sanitaire la mobilisation des laboratoires sur des inventions, des innovations, des fabrications d'équipements, de masques, de gels, il y a eu quand même une réaction spontanée qui nous a montré que le secteur universitaire est capable de répondre à des défis. Ce qui n'a pas marché dans le rapprochement entre l'entreprise et l'université est que chacune jette la responsabilité à l'autre et on se retrouve dans un débat stérile. Je suis pour des démarches constructives c'est-à-dire partir de projets structurants et non pas aller vers un rapprochement global. Au lieu que cette relation reste sur la dimension politique de l'entreprise, je préfère qu'elle soit sur celle opérationnelle. On peut voir le rapprochement dans l'expertise, la fabrication, la formation. On peut faire évoluer la législation dans ce sens pour mettre en œuvre une stratégie claire avec des objectifs bien identifiés pour les traduire en actions, avec un échéancier.

Q.O.: La recherche semble quelque peu délaissée. Est-ce une question de moyens matériels et financiers ou n'intéresse-t-elle pas beaucoup les enseignants ? La politique qui l'encadre et la réglementation n'entravent-elles pas son développement ?

A. Benziane : Nous devons aller vers une évolution de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. La première nous permet de consolider nos outils scientifiques. Et la recherche appliquée est destinée à l'entreprise. Notre schéma actuel, chacun est dans son labo et ne mutualise pas. Nous devons actionner des dispositifs flexibles qui permettent de rationnaliser, d'optimiser et de mutualiser pour ne pas disperser la recherche. On doit mutualiser nos équipements, nos ressources humaines pour aller vers un objectif précis.

Q.O.: Comment la coopération internationale pourrait-elle aider l'université algérienne à se moderniser ? La tutelle a-t-elle des programmes en matière d'échanges pédagogiques avec certaines universités étrangères, de stages de formation et de recyclage pour les enseignants, de bourses pour les étudiants ? Est-il possible d'en faire bénéficier tous ceux qui le méritent ?

A. Benziane : La coopération internationale est le 4ème ensemble de défis auquel l'université doit répondre parce que sa modernisation dépend de son implication internationale à différents niveaux. C'est l'un des points qu'on va développer dans le cadre de notre plan stratégique. On a des programmes dans ce sens mais dans le cadre de la coopération classique. Je suis axé sur la coopération programme qui implique en même temps les enseignants et les étudiants et qui a un impact sur la pédagogie et la recherche. Notre coopération doit nous permettre de partager nos expériences avec celles des pays étrangers.

Q.O.: Au passage, pourriez-vous nous dire qui a droit à une bourse à l'étranger ?

A. Benziane : La bourse est régie par un programme annuel qui vise l'excellence. Il concerne les trois majeurs de promotion d'étudiants de master 2 qui doivent passer un concours pour aller préparer un doctorat. Le concours n'a pas eu lieu cette année à cause de la crise sanitaire. Il concerne aussi certaines spécialités que nous n'avons pas les moyens d'organiser en Algérie.

Q.O.: Pourquoi les enseignants universitaires sont-ils obligé d'avoir l'autorisation de la tutelle pour pouvoir participer à des travaux ou à des conférences à l'étranger ?

A. Benziane : A partir du moment où nous avons un accord-cadre de coopération intergouvernemental avec un pays, toute action doit s'inscrire dans ce cadre-là. L'enseignant doit nous ramener les propositions de projets qu'il a, on les étudie avec lui, ce qui nous intéresse c'est de savoir quel va en être l'impact sur l'établissement et sur l'enseignant, sur la pédagogie, sur la recherche. L'enseignant peut répondre à un appel d'offres de bourse, personne ne lui interdit. Mais s'il est lié à la tutelle, il doit demander l'autorisation parce qu'il est fonctionnaire et qu'il doit être en détachement. Notre démarche aujourd'hui est de mettre un terme à la coopération qui ne nous rapporte rien. Nous sommes parfois très sévères envers nous-mêmes mais nous sommes aujourd'hui en mesure d'échanger et de partager nos expériences avec les pays étrangers. Nous voulons une coopération partenariat selon les pôles d'excellence. Il faut qu'on rapporte quelque chose à nos établissements. C'est ce qui va leur donner la visibilité et améliorer leur classement. On a les capacités pour le faire. On a commencé à le voir dans les revues qui étaient nationales et sont devenues internationales.

Q.O.: Est-il normal que des enseignants n'arrivent pas à accéder aux plateformes des revues pour publier leurs travaux ?

A. Benziane : On était au départ à 33 revues, aujourd'hui nous en avons 91, mais ça reste insuffisant. Il y a une commission qui chaque année valide de nouvelles revues sur la base d'un cahier des charges. Le problème nous a été soulevé notamment pour les thèses de doctorat. Nous produisons aujourd'hui une moyenne de 5000 doctorants sur un peu plus de 350.000 diplômés par an. Nous sommes en train d'augmenter le nombre de revues pour permettre aux chercheurs de publier leurs travaux. C'est pris en charge.

Q.O.: Vous ne semblez pas remettre en cause outre mesure la qualité de l'enseignement qui est fortement décriée par les Algériens ?

A. Benziane : Il est vrai que l'enseignement c'est un problème de qualité, mais il ne faut pas généraliser. Nos étudiants qui partent à l'étranger, réussissent bien. Nos médecins sont pris tout de suite. Il y a un problème de qualité de l'enseignement mais pas comme on le présente.

Q.O.: Les œuvres universitaires constituent, selon les observateurs, le point noir du secteur de l'enseignement supérieur de par les lourds rapports de l'IGF, de la Cour des comptes sur leur mauvaise gestion, les problèmes de justice de certains de leurs gestionnaires, le choix de ces derniers sans enquêtes préalables, les grosses affectations budgétaires, les crédits, les dettes, la gestion des résidences universitaires, les marchés douteux pour leur approvisionnement, le monopole de certains opérateurs (restauration et transport), les lobbys... Comptez-vous faire ce qu'aucun ministre avant vous n'a osé ou pu faire, ouvrir cet épineux dossier pour l'apurer ?

A. Benziane : Il y a deux phases dans ce dossier, une à court terme et la seconde à moyen terme. Dans la première, nous allons réorganiser la gestion de ces œuvres, leur fonctionnement, le choix des hommes, en faire le point pour pouvoir améliorer l'existant. Mais la phase importante c'est d'aller vers une réforme structurelle. J'ai l'avantage d'avoir l'accord du président de la République pour aller progressivement vers une réforme profonde de ces œuvres. Dès la clôture de cette fin d'année et le démarrage de l'année prochaine, nous allons installer un groupe de travail avec des anciens gestionnaires, des sociologues, des économistes, des psychologues, des partenaires sociaux... Nous allons mettre à sa disposition toutes les données que nous avons pour commencer le travail. Nous avons eu des tentatives de réforme en 2000, en 2017. Pour cette fois, nous allons impliquer tout le monde y compris les étudiants parce que ce sont eux les utilisateurs de ces œuvres qui représentent le 1/3 du budget du ministère de l'Enseignement supérieur. Malgré cet effort colossal de l'Etat, on n'en voit pas les résultats sur les étudiants. Quand un office gère un tiers d'un budget, c'est un mastodonte, il est tout à fait normal qu'il y ait des lobbys qui se créent. Nous avons plus de 440 résidences universitaires, 66 directions des œuvres universitaires à travers le pays, c'est une grosse structure. Il faut voir ce qui se fait à travers le monde, notre objectif est de l'assainir et d'en améliorer les prestations.

Q.O.: Les tarifs des prestations universitaires sont ceux appliqués depuis les années 70 (loyer des chambres, ticket de restaurant, carte de transport, bourse...). Est-il possible qu'ils restent aussi bas parce que le pouvoir politique fait dans le populisme ? Ne faudrait-il pas les réviser à la hausse et garantir aux étudiants des prestations qui préservent leur dignité et leur assurent des conditions respectables de résidence et d'enseignement universitaire ?

A. Benziane: La réforme doit être profonde et doit répondre à toutes ces questions. En attendant, nous allons améliorer au moins le cadre de gestion actuel à travers un dispositif d'évaluation qu'on a mis en place de chaque directeur des œuvres universitaires, leur fixer des objectifs, des règles de gestion pour changer leur fonctionnement.

Q.O.: Une situation dont on parle rarement, le harcèlement sexuel ou le chantage fait par certains enseignants à des étudiantes. Y a-t-il des instances de recours pour la prise en charge de ce genre de situation ?

A. Benziane : C'est très difficile d'apporter des preuves pour des cas pareils. Il y a un travail de sensibilisation qu'on doit mener. Nous avons installé un comité national d'éthique et de déontologie qui prend en considération ces questions parce qu'on estime qu'il vaut mieux partir en amont par la sensibilisation qu'en aval par la sanction. Etre enseignant est un métier. On assure toutes les formations pour qu'il en soit ainsi. On assure aussi des formations sur le comportement. Quand on est saisi d'un cas pareil, on a un indicateur d'alerte.

On essaie de préserver l'étudiante, on la suit, on se doit de la protéger. On lui demande bien sûr de ne pas céder. Nous avons eu des cas même dans l'encadrement où des thèses ne pouvaient pas être soutenues. On a demandé l'expertise de certaines situations par d'autres enseignants, on a eu à sanctionner. On insiste toujours pour que les étudiantes concernées alertent leur administration pour qu'on puisse agir.